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DOSSIER
Quelle est votre dénition/conception de l’«écriture collective»?
Le mot collectif vient avant celui d’écriture. Une consigne collective
pour produire de l’écrit, donc plusieurs participants (écrivants?) qui
interférent les uns avec les autres au cours du projet.
Quelle est votre expérience d’ «écriture collective»?
Depuis une quinzaine d’années, nombreuses rencontres avec un
jeune public francophone dans les institutions scolaires, collèges,
lycées français, Athénées en Belgique, lycées au Québec, etc. Mais
aussi des groupes d’adultes, autour d’une expression collective :
nouvelles, poésie, recherche de mots, textes engagés (social), en
milieu associatif, libre, carcéral parfois (Valence, Albertville).
Comment une écriture individuelle en atelier d’écriture peut-elle
devenir «écriture collective»?
L’écriture individuelle suit le projet collectif. Parfois, le «scénario» de
la nouvelle est collectif, puis on se répartit les tâches: description des
lieux, des moments clés, des personnages, des diérents points de
vue, etc. Parfois, tout est dit en collectif, puis par petits groupes de
deux ou trois on avance dans la rédaction. Parfois aussi, le travail est
amorcé en groupe puis chacun repart chez lui avec une partie à faire,
puis retour au groupe.
Faut-il un public homogène pour qu’il y ait «écriture collective»?
L’homogénéité est parfois institutionnelle (enfants d’une même
classe), parfois liée au lieu (les habitants de Roubaix en France qui
veulent se frotter à l’écriture), parfois à un engagement (on va rédiger
un texte contre la démolition d’un quartier à Dunkerque ou pour
défendre la mémoire d’un quartier ouvrier). L’homogénéité facilite
le partage des codes. Dans un quartier de Grenoble où j’intervenais
avec «tous ceux qui voulaient bien s’inscrire », j’ai eu du mal à ce
que les participants d’origine très diérente (âge, nationalité, études)
trouvent un langage commun. Accepter les mots de l’autre, c’est
accepter leur diérence, et j’ai passé plus de temps à adoucir les
tensions qu’à produire un texte commun.
L’écriture collective implique-t-elle une « obligation de résultat »
(spectacle, slam, brochure, lm, livre)?
Dès le départ c’est souvent la règle du projet d’écriture, elle est bien
explicitée. Il y a bien sûr tout un jeu de leadership, de séduction, de
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ENTRETIEN AVEC FRANCK PAVLOFF
dynamique de groupe à gérer, contrairement à l’écriture individuelle
d’un écrivain (quoique celui-ci suscite lui-même ses propres
contradictions internes, pas plus facile à gérer parfois). Il m’arrive, en
tant qu’écrivain ayant une certaine expérience, d’être l’arbitre ou, si
cela m’est demandé, de «lisser» le texte. Cela dépend de l’enjeu nal.
S’il y a une publication nale, une cohérence littéraire peut avoir à
s’imposer encore plus.
La «partition» s’écrit-elle avant l’écriture ou après?
Avant en général, en ce qui me concerne. L’écriture partagée, c’est
passer de l’émotion à la structure. Autant se mettre en harmonie
avec la structure dès le début. Pour l’écriture émotionnelle, je ne
suis jamais inquiet, cela coulera à ot, en général un trop-plein qu’il
faudra contenir.
Quelles sont les consignes à donner?
Consignes en fonction du projet. On prend le temps de brasser les
idées, de déverser les mots, on parle de la tension de l’écrit, des
rebondissements, de la poésie. Ensuite, on passe le tout au ltre du
réel, des contraintes, etc.
Qui sélectionne les textes ou fragments de textes ? Le groupe et
l’animateur, le groupe seul, l’animateur seul?
S’il faut sélectionner, parfois les plus jeunes réclament un vote,
redoutable moment, parfois cela s’impose. Il m’est arrivé avec des
élèves «faibles» dans une lière professionnelle (bâtiment section
béton au Lycée professionnel de Vénissieux) de repartir après les
séances avec l’ensemble des brouillons (vraiment brouillons) pour
revenir à la séance suivante avec un texte que j’avais retravaillé. J’étais
un peu gêné d’avoir réécrit tout cela, mais l’accueil était chaque fois
bon, même valorisant pour les élèves qui s’appropriaient ce que je
leur présentais, ers d’avoir «produit» une si belle nouvelle.
Le lieu où se passe l’écriture a-t-il de l’importance et comment?
Sûrement. En milieu scolaire j’insiste pour avoir un autre lieu que
la salle de classe habituelle, même si cela bouleverse l’organisation
habituelle, pour bien acter qu’il ne s’agit pas là du cours de plus,
mais d’une rencontre créative qui échappe à toute notation. Espace
agréable, tableau, possibilité de réunir les tables en fonction des
groupes, c’est important.