Écritures collectives
Un dossier coordonné par Gérard de Sélys
suivi d’un entretien avec Elisabeth Joachim
PARENTHÈSE
# 10 DÉCEMBRE 2011
Sommaire
Éditorial 3
Dossier
Écritures collectives
Frank Pavlo 7
Ricardo Montserrat 12
Jean Delval 21
Daniel Adam 29
Noemi Tiberghien 35
Maky D’Angelo 38
Prolongements 43
Portrait d’animateur
Élisabeth Joachim 47
Actualités 53
3
ÉDITORIAL
Écriture collective, groupes d’écriture
et création collective
État des lieux
Alors que le travail en atelier d’écriture débouche
habituellement sur une multitude de textes, l’écriture en
«atelier d’écriture collective» est mise au service d’un objectif
commun concret: une pièce de théâtre, un scénario de lm,
une nouvelle ou un roman, par exemple.
Si la littérature concernant les ateliers d’écriture «individuelle»
est abondante, celle qui soccupe d’écriture collective est
pratiquement inexistante.
Les animateurs d’ateliers d’écriture individuelle sont nombreux,
ceux qui animent des ateliers d’écriture collective sont rares.
Pour assurer au groupe que l’objectif, pièce de théâtre, lm ou
roman, soit atteint, l’animateur doit être un professionnel reconnu
du roman, du lm ou du spectacle alors qu’il n’est pas nécessaire
d’avoir été publié ou produit pour animer un atelier d’écriture
individuelle. Après un atelier d’écriture individuelle, l’animateur et
l’écrivant peuvent rentrer chez eux lesprit tranquille; le premier
a accompli sa mission et l’écrivant a écrit. Un atelier d’écriture
collective est souvent un travail de longue haleine et, après
l’écriture, l’animateur a encore un important travail à assumer
compte tenu de sa responsabilité de concrétiser la production
collective par lédition d’un livre, la représentation d’une
pièce de théâtre ou la réalisation d’un lm. De plus, si
l’écriture individuelle fait l’objet de nombreuses réexions
théoriques, l’écriture collective semble être un exercice
empirique pratiqué par des individualités aux
diérences marquées, échappant ainsi aux tentatives
de théorisation.
Les six entretiens qui suivent illustrent ces constats.
Ils n’interdisent pas toute « théorisation » future mais montrent
que s’il y a bien des pratiques communes basiques, la personnalité
de l’animateur et son savoir-faire individuel sont importants, voire
essentiels.
Je remercie ces six personnes pour les richesses qu’elles mont
dévoilées et souhaite que le lecteur tire le même plaisir que moi à
les découvrir.
Gérard de Sélys
Dossier
Écritures collectives
Le mot
ne se limite plus
à un mode (la plume ou le
clavier dordinateur et le papier) ou
une technique, mais à l’ensemble d’un
processus de création dont l’écriture signe
le caractère chaque fois unique (comme on dit
d’une signature d’un auteur), qui construit tant
l’œuvre que le collectif dans la façon de chacun d’être
aux autres.
C’est que le rôle de l’animateur trouve toute sa
dimension et connaît ses limites : l’écriture, ce n’est
pas prendre pour réécrire mais coordonner, décanter,
resserrer, mettre en fable, en évitant le mode descriptif
ou documentaire, inscrire la parole dans la parabole
et respectant ce qui rend compte de l’apport de
chacun et de la couleur du groupe.
Collectif (ateliers de réexion) avec la participation de Katty
MASCIARELLI, « Débats sur lécriture dans le théâtre-
action», dans Théâtre-action de 1996 à 2006,
éditions du Cerisier, 2006
7
FRANCK PAVLOFF
Baroudeur de l’humanitaire et du social pendant plus de
trente ans en Afrique, Asie, Amérique latine et France. Vingt
six romans publiés et une nouvelle, Matin brun, traduite
en vingt-cinq langues vendue 1,5 million d’exemplaires.
Photos, théâtre, radio et lms. Quinze ans de pratique
d’écriture collective.
Entretien épistolaire.
8
DOSSIER
Quelle est votre dénition/conception de l’«écriture collective»?
Le mot collectif vient avant celui d’écriture. Une consigne collective
pour produire de lécrit, donc plusieurs participants (écrivants?) qui
interférent les uns avec les autres au cours du projet.
Quelle est votre expérience d’ «écriture collective»?
Depuis une quinzaine d’années, nombreuses rencontres avec un
jeune public francophone dans les institutions scolaires, collèges,
lycées français, Athénées en Belgique, lycées au Québec, etc. Mais
aussi des groupes d’adultes, autour d’une expression collective :
nouvelles, poésie, recherche de mots, textes engagés (social), en
milieu associatif, libre, carcéral parfois (Valence, Albertville).
Comment une écriture individuelle en atelier d’écriture peut-elle
devenir «écriture collective»?
Lécriture individuelle suit le projet collectif. Parfois, le «scénario» de
la nouvelle est collectif, puis on se répartit les tâches: description des
lieux, des moments clés, des personnages, des diérents points de
vue, etc. Parfois, tout est dit en collectif, puis par petits groupes de
deux ou trois on avance dans la rédaction. Parfois aussi, le travail est
amorcé en groupe puis chacun repart chez lui avec une partie à faire,
puis retour au groupe.
Faut-il un public homogène pour qu’il y ait «écriture collective»?
L’homogénéité est parfois institutionnelle (enfants d’une même
classe), parfois liée au lieu (les habitants de Roubaix en France qui
veulent se frotter à l’écriture), parfois à un engagement (on va rédiger
un texte contre la démolition d’un quartier à Dunkerque ou pour
défendre la mémoire d’un quartier ouvrier). L’homogénéité facilite
le partage des codes. Dans un quartier de Grenoble j’intervenais
avec «tous ceux qui voulaient bien s’inscrire », j’ai eu du mal à ce
que les participants d’origine très diérente (âge, nationalité, études)
trouvent un langage commun. Accepter les mots de l’autre, c’est
accepter leur diérence, et j’ai passé plus de temps à adoucir les
tensions qu’à produire un texte commun.
Lécriture collective implique-t-elle une « obligation de résultat »
(spectacle, slam, brochure, lm, livre)?
Dès le départ cest souvent la règle du projet d’écriture, elle est bien
explicitée. Il y a bien sûr tout un jeu de leadership, de séduction, de
9
ENTRETIEN AVEC FRANCK PAVLOFF
dynamique de groupe à gérer, contrairement à lécriture individuelle
d’un écrivain (quoique celui-ci suscite lui-même ses propres
contradictions internes, pas plus facile à gérer parfois). Il m’arrive, en
tant qu’écrivain ayant une certaine expérience, d’être l’arbitre ou, si
cela mest demandé, de «lisser» le texte. Cela dépend de l’enjeu nal.
S’il y a une publication nale, une cohérence littéraire peut avoir à
s’imposer encore plus.
La «partition» s’écrit-elle avant l’écriture ou après?
Avant en général, en ce qui me concerne. Lécriture partagée, c’est
passer de l’émotion à la structure. Autant se mettre en harmonie
avec la structure dès le début. Pour l’écriture émotionnelle, je ne
suis jamais inquiet, cela coulera à ot, en général un trop-plein qu’il
faudra contenir.
Quelles sont les consignes à donner?
Consignes en fonction du projet. On prend le temps de brasser les
idées, de déverser les mots, on parle de la tension de l’écrit, des
rebondissements, de la poésie. Ensuite, on passe le tout au ltre du
réel, des contraintes, etc.
Qui sélectionne les textes ou fragments de textes ? Le groupe et
l’animateur, le groupe seul, l’animateur seul?
S’il faut sélectionner, parfois les plus jeunes réclament un vote,
redoutable moment, parfois cela s’impose. Il m’est arrivé avec des
élèves «faibles» dans une lière professionnelle (bâtiment section
béton au Lycée professionnel de Vénissieux) de repartir après les
séances avec l’ensemble des brouillons (vraiment brouillons) pour
revenir à la séance suivante avec un texte que j’avais retravaillé. J’étais
un peu gêné d’avoir réécrit tout cela, mais l’accueil était chaque fois
bon, même valorisant pour les élèves qui s’appropriaient ce que je
leur présentais, ers d’avoir «produit» une si belle nouvelle.
Le lieu où se passe l’écriture a-t-il de l’importance et comment?
Sûrement. En milieu scolaire j’insiste pour avoir un autre lieu que
la salle de classe habituelle, même si cela bouleverse lorganisation
habituelle, pour bien acter quil ne s’agit pas là du cours de plus,
mais d’une rencontre créative qui échappe à toute notation. Espace
agréable, tableau, possibilité de réunir les tables en fonction des
groupes, c’est important.
1 / 33 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !