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économiques sont distribués de manière à ce que ceux qui en ont le moins en
aient plus que n’en auraient les plus défavorisés dans n’importe quelle situation
possible où libertés et chances seraient égales1. Il ne défend pas l’égalité des
revenus ou du pouvoir, mais justifie les inégalités au profit des plus défavorisés de
la société, ce qui est, dans une première approximation, louable. Mais, dans une
deuxième approximation, il se pose la question de savoir comment se fera
exactement cette distribution. Qui donnera quoi à qui et en vertu de quoi ? Rawls
ne définit pas clairement qui doit donner à qui et pourquoi.
A regarder de plus près, ce principe justifiant certaines inégalités veut que les
défavorisés reçoivent, non qu’ils ne gagnent. D’où notre deuxième question, celle
de la définition des défavorisés. S’il ne peut s’agir uniquement que de handicapés
physiques, cela ne posera aucun problème. Mais est-ce à ceux-là uniquement que
Rawls pense ? Cette question est à exploiter dans la mesure où, s’il ne s’agit pas
que des handicapés physiques, la discrimination mise en exergue par Rawls ne
saura être positive comme on pourrait bien le croire, encore que cet oxymore
révèle une injustice mal camouflée. Car recevoir et vivre de la charité des autres
ne permet ni un Co-développement des membres de la cité ni le développement
intégral de chacun. D’où la nécessité pour nous d’élaborer une théorie de la justice
tenant compte de ces deux aspects de choses – le Co-développement et le
développement intégral – et permettant aux moins avancés de se développer.
L’allocation universelle de Philippe Van Parijs peut nous servir de référence. Elle a
comme but de bannir les écarts de développement ou de bien-être entre les entités
vastes et entre les hommes. De ce fait, elle veut établir une justice universelle qui
accorde à toutes les entités vastes et à tous les hommes les mêmes possibilités de
développement et d’émancipation, partant de l’idée de justice distributive entre
individus d’une même société. Van Parijs est très proche de notre préoccupation
de ce point de vue. Mais son allocation universelle pèche quand même par le fait
qu’elle n’est pas aussi universelle qu’il ne le croit, lorsqu’elle ne maximise que le
bien être de la génération présente sans tenir compte de celles à venir, et
lorsqu’elle ne tient pas compte des autres espèces permettant à cette même
génération de maximiser son bien-être. En plus, comme John Rawls, Van Parijs ne
donne des moyens qu’à ceux qui en ont déjà2, et l’on peut comprendre par la suite
l’objet de notre critique.
C’est ainsi que nous nous proposons d’autres pistes de solution susceptibles de
conjurer cette faiblesse et de participer à l’édification d’une théorie de justice qui
soit socialement acceptable et qui intègre toutes les nations, de même tous les
hommes du monde, sans pour autant prôner le « statu quo ». Pour nous, la justice
constitue le fondement de tout développement. C’est la raison pour laquelle nous
articulons la théorie de justice avec le Co-développement et le développement
intégral pour une mondialisation heureuse. Ce développement doit se réaliser dans
une société organisée démocratiquement, soutenue par le dialogue transculturel,
dans une pragmatique du consensus et de la compréhension mutuelle des
« dissensus » caractérisant chaque nation et chaque individu. De ce fait, nous
nous engageons pour l’établissement de la justice au niveau international, en vue
de permettre aux pays dits sous-développés d’accéder au développement sans
pour autant être empiétés. Pour cette raison, le socle de notre réflexion demeure le
1 Voir Rawls (1971), Théorie de la justice, Trad. Cathérine Audard, Paris, Seuil, 1991.
2 Voir Van Parijs, (1991), Qu’est-ce qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie
politique, Paris, Seuil.