1
UNIVERSITE PARIS 8
VINCENNES-SAINT-DENIS
ECOLE DOCTORALE PRATIQUES ET THEORIES DU SENS
Doctorat
Philosophie
Eugène BITENDE NTOTILA
MONDIALISATION, JUSTICE ET CO-DEVELOPPEMENT
Thèse dirigée par le Professeur Jacques POULAIN
Soutenue le 24 Septembre 2010
Jury :
Professeur Jacques POULAIN
Professeur Benoît OKOLO OKONDA W’OLEKO
Professeur Georges NAVET
Professeur Léon MATANGILA MUSADILA
2
RESUME
Dans notre thèse, l’impact des conséquences tirées par le professeur Philippe Van
Parijs dans l’ouvrage dorénavant classique de John Rawls sur la justice sera
confronté aux exigences de l’effort de connaissance éthique et politique qui se
maintient au sein de mouvements de mondialisation, sous un horizon pragmatique.
Les principes de justice explicités par John Rawls sur la base desquels Philippe
Van Parijs avance la perspective d’une allocation universelle nous incitent à opérer
une extension de même type et de même rationalité afin de formuler la perspective
d’un Co-développement des nations. L’intérêt de notre sujet pour les débats
théoriques et les confrontations pratiques dans les pays sous-développés autant
que pour les relations entre pays d’espaces géographiques distincts n’est plus à
démontrer, étant donné que le problème de justice se pose actuellement avec
acuité dans le monde entier et préoccupe au plus haut point différentes catégories
de personnes.
En effet, il nous semble possible d’apprécier autrement l’expression des pans
entiers des populations du monde qui se livrent dans des actes peu
recommandables, frisant le terrorisme et créant l’insécurité généralisée dans le
monde. Si pour une certaine opinion l’évolution actuelle du monde concourt à la
paupérisation anthropologique, il y a alors plusieurs raisons de réfléchir sur des
possibilités d’un rééquilibre et sur des mécanismes à mettre en œuvre pour
permettre un développement harmonieux de tous les hommes et de toutes les
nations du monde pour éradiquer cette paupérisation. Cela permettrait, à notre
avis, une paix durable au niveau international et une sécurisation presque naturelle
des individus et de leurs institutions. Il nous semble que pour ce faire, la solution
soit à rechercher du coté de la justice. Et l’élaboration d’une théorie de justice
prenant en compte l’importance à accorder au Co-développement des nations et
qui s’occupe du développement intégral de chaque nation et de chaque homme
nous semble impérieuse pour permettre aux hommes de remédier à cette situation
de crise.
A notre connaissance, une telle théorie n’a jamais été élaborée, ou, si elle l’a été, à
l’instar de celle de Philippe Van Parijs, elle n’a jamais tiré les conséquences liées
au Co-développement des nations du monde et au développement intégral de
chaque nation et de chaque citoyen de ce monde. C’est pourquoi nous nous
engageons dans cette nouvelle voie en nous appuyant sur John Rawls qui a
élaboré une théorie de la justice permettant le rééquilibre au niveau national, et sur
Philippe Van Parijs qui reprend Rawls en essayant de l’élargir sur le plan universel.
Cet appui nous permettra de nous démarquer par la critique des points de vue et
de certains aspects de la philosophie de ces auteurs ne concourant pas à
l’élaboration heureuse de notre théorie et à la réponse à notre préoccupation se
résumant dans une question doublement exprimée. Comment en effet envisager
un Co-développement des nations à l’échelle planétaire, qui puisse dans tous les
cas, éviter les empiétements des nations avancées sur celles non avancées ? En
d’autres termes, quel est le régime politique capable d’orienter et de diriger le
monde vers le but du Co-développement et du développement intégral ?
Le principe de différence de John Rawls contrairement à l’utilitarisme de Jeremy
Bentham additionnant ou comparant les niveaux de bien-être, veut s’assurer que
tous les membres d’une société ont les mêmes libertés et les mêmes chances
d’accès aux avantages socio-économiques, et que ces avantages socio-
3
économiques sont distribués de manière à ce que ceux qui en ont le moins en
aient plus que n’en auraient les plus défavorisés dans n’importe quelle situation
possible où libertés et chances seraient égales1. Il ne défend pas l’égalité des
revenus ou du pouvoir, mais justifie les inégalités au profit des plus défavorisés de
la société, ce qui est, dans une première approximation, louable. Mais, dans une
deuxième approximation, il se pose la question de savoir comment se fera
exactement cette distribution. Qui donnera quoi à qui et en vertu de quoi ? Rawls
ne définit pas clairement qui doit donner à qui et pourquoi.
A regarder de plus près, ce principe justifiant certaines inégalités veut que les
défavorisés reçoivent, non qu’ils ne gagnent. D’où notre deuxième question, celle
de la définition des défavorisés. S’il ne peut s’agir uniquement que de handicapés
physiques, cela ne posera aucun problème. Mais est-ce à ceux-là uniquement que
Rawls pense ? Cette question est à exploiter dans la mesure où, s’il ne s’agit pas
que des handicapés physiques, la discrimination mise en exergue par Rawls ne
saura être positive comme on pourrait bien le croire, encore que cet oxymore
révèle une injustice mal camouflée. Car recevoir et vivre de la charité des autres
ne permet ni un Co-développement des membres de la cité ni le développement
intégral de chacun. D’où la nécessité pour nous d’élaborer une théorie de la justice
tenant compte de ces deux aspects de choses – le Co-développement et le
développement intégral – et permettant aux moins avancés de se développer.
L’allocation universelle de Philippe Van Parijs peut nous servir de référence. Elle a
comme but de bannir les écarts de développement ou de bien-être entre les entités
vastes et entre les hommes. De ce fait, elle veut établir une justice universelle qui
accorde à toutes les entités vastes et à tous les hommes les mêmes possibilités de
développement et d’émancipation, partant de l’idée de justice distributive entre
individus d’une même société. Van Parijs est très proche de notre préoccupation
de ce point de vue. Mais son allocation universelle pèche quand même par le fait
qu’elle n’est pas aussi universelle qu’il ne le croit, lorsqu’elle ne maximise que le
bien être de la génération présente sans tenir compte de celles à venir, et
lorsqu’elle ne tient pas compte des autres espèces permettant à cette même
génération de maximiser son bien-être. En plus, comme John Rawls, Van Parijs ne
donne des moyens qu’à ceux qui en ont déjà2, et l’on peut comprendre par la suite
l’objet de notre critique.
C’est ainsi que nous nous proposons d’autres pistes de solution susceptibles de
conjurer cette faiblesse et de participer à l’édification d’une théorie de justice qui
soit socialement acceptable et qui intègre toutes les nations, de même tous les
hommes du monde, sans pour autant prôner le « statu quo ». Pour nous, la justice
constitue le fondement de tout développement. C’est la raison pour laquelle nous
articulons la théorie de justice avec le Co-développement et le développement
intégral pour une mondialisation heureuse. Ce développement doit se réaliser dans
une société organisée démocratiquement, soutenue par le dialogue transculturel,
dans une pragmatique du consensus et de la compréhension mutuelle des
« dissensus » caractérisant chaque nation et chaque individu. De ce fait, nous
nous engageons pour l’établissement de la justice au niveau international, en vue
de permettre aux pays dits sous-développés d’accéder au développement sans
pour autant être empiétés. Pour cette raison, le socle de notre réflexion demeure le
1 Voir Rawls (1971), Théorie de la justice, Trad. Cathérine Audard, Paris, Seuil, 1991.
2 Voir Van Parijs, (1991), Qu’est-ce qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie
politique, Paris, Seuil.
4
fait que la justice doit constituer le fondement du Co-développement et du
développement intégral.
Notre thèse s’articule sous le titre « Mondialisation, justice et Co-développement »
partant de la réflexion selon laquelle la justice constitue le fondement de tout
développement. Ce développement ne peut avoir comme socle de réalisation à
l’ère de la mondialisation que la société mondiale organisée démocratiquement,
soutenue par le dialogue vrai et transculturel, dans une pragmatique du consensus
et de compréhension mutuelle des « dissensus » caractérisant chaque nation et
chaque individu. Cette société permettrait ainsi le Co-développement de toutes les
nations du monde. Il est question dans cette élaboration, de proposer une théorie
qui, à l’échelle planétaire, assure l’intégration de toutes les nations du monde dans
un système homogène et globalisant en vue de l’éclosion d’un monde meilleur et
acceptable par tous. Le Co-développement constituant le but de notre approche,
est ici conçu comme un développement mondial où toutes les nations évoluent
simultanément en tenant compte du principe d’allocation universelle de Philippe
Van Parijs. Cette approche constitue en soi une coopération non biaisée entre
nations, où les partenaires évoluent en toute sincérité en recourant aux critères du
dialogue vrai de Jürgen Habermas et en laissant concourir chaque nation pour son
évolution jusqu’au niveau le plus élevé possible, suivant le désir de ses membres.
C’est cette sorte d’entente entre les hommes, fondée sur leur égalité ontologique
qu’appelle l’idée de justice. Ainsi, si une telle empathie conditionne le consensus,
« seul l’amour mutuel apparaît ici comme forme de communication universelle »1.
Dans cette quête sur la mondialisation, la justice et le Co-développement, face à la
dynamique de la mondialisation qui tend vers la paupérisation des pans entiers de
la population mondiale, nous nous efforçons de comprendre la théorie rawlsienne
de la justice et de découvrir les richesses du réal-libertarisme de Van Parijs pour
voir dans quelle mesure ces deux théories contribuent dans la compréhension de
notre thème. De là, nous nous proposons d’étudier les possibilités selon lesquelles
cette théorie peut promouvoir un Co-développement des nations et un
développement intégral de chaque nation et de chaque homme. L’exploration de la
sphère de justice nous permet de définir le Co-développement et le
développement intégral à travers la recherche des conditions de possibilité de leur
engendrement par la justice. Ainsi, le Co-développement se conçoit comme un
développement mondial, où toutes les nations évoluent simultanément, les plus
loties permettant aux moins loties des possibilités « identiques » de
développement. Cette approche tient compte de l’« allocation universelle » de
Philippe Van Parijs et intègre le principe de différence de John Rawls au niveau
international, dans ce qu’ils ont de positif. De ce fait, il est question de
l’accentuation d’une coopération non biaisée entre nations, où les partenaires
évoluent en toute sincérité et sans aucune intention de dominer les autres ou de
les empêcher d’évoluer jusqu’au niveau le plus élevé possible, suivant les désirs
de chaque membre et de chaque nation. S’agissant des difficultés conflictuelles
liées à la distribution et à la répartition des biens entre grands et petits, notre
optique préconise la médiation du débat démocratique, le dialogue transculturel et
l’argumentation pragmatique permettant de considérer dans un consensus global
les « dissensus » individuels des Etats et des personnes.
1 Jacques Poulain (éd.) (1991), Critique de la raison phénoménologique. La transformation pragmatique,
Paris, Cerf : 10.
5
Cette perspective appelle « ipso facto » la notion de développement intégral que
nous définissons comme un processus par lequel des mécanismes mis en œuvre
pour cette fin se mobilisent pour permettre le développement de tout l’homme –
premier volet du développement intégral – et de toute la nation – deuxième volet
du développement intégral. Le développement intégral de tout l’homme suppose le
développement mental de celui-ci, tenant compte de ses aspects intellectuel et
moral, et le développement matériel qui implique sa santé et ses avoirs
économiques servant de soubassement indispensable au développement mental
qui, lui, se résume comme étant le concepteur et le pilote du développement
matériel et économique. Le deuxième aspect du développement intégral tient
compte du développement de chaque nation, du point de vue culturel, social,
politique et économique. Ce développement permet de ce fait une prise en charge
de chaque homme par soi-même et de chaque nation par elle-même, s’abstenant
ainsi de vivre aux dépens des autres ou de recevoir sans pour autant produire. Il
implique aussi la stricte restriction aux velléités d’expropriation des autres, dans le
but de maintenir l’équilibre mondial contribuant à l’éclosion d’un monde convivial.
Ainsi, le développement intégral concourra avec autant d’efficacité au Co-
développement conçu comme développement mondial harmonieux en vue de la
construction d’une nation mondiale intégrant tous les hommes malgré leurs
« catégories actuelles », dans une mondialisation humaine. Face à l’objection
classique adressée à John Rawls, taxant d’idéaliste sa position originelle inspirée
du kantisme, il s’avère que le contour de cette difficulté idéaliste implique
l’évocation d’une philosophie de la mondialisation qui tienne compte des pièges
actuels de la mondialisation économique. Le passage de l’idéalisme rawlsien au
pragmatisme permet d’étoffer une philosophie qui se veut une thérapeutique pour
l’homme vivant concret et non une idéalisation purement théorique. Il exige
l’élaboration d’une théorie de la justice qui prenne en compte l’aspect du Co-
développement des nations et du développement intégral de chaque nation et de
chaque homme. Il constitue ainsi le résumé de notre thèse tablant sur
l’impossibilité de la conception du développement sans la justice qui la fonde. Et si
beaucoup de théories de développement n’arrivent pas à atteindre leurs buts, c’est
parce qu’elles ne tiennent pas compte de ce soubassement qu’est la justice et
construisent des édifices sans fondement qui logiquement ne peuvent que
s’écrouler. Une théorie du développement n’est faite que pour être appliquée dans
un contexte concret. Son applicabilité requiert comme soubassement l’idée de
justice entravant ainsi toute polarisation, le développement polarisé étant
foncièrement une situation d’injustice obstruant les perspectives d’une
mondialisation humaine et juste exigeant de ce fait un monde multipolaire
raisonné.
1 / 464 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !