savants proprement dits et les directeurs effectifs des travaux productifs il commence à se former de nos jours
une classe intermédiaire, celle des ingénieurs, dont la destination spéciale est d’organiser les relations de la
théorie et de la pratique. Sans avoir aucunement en vue le progrès des connaissances scientifiques, elle les
considère dans leur état présent pour en déduire les applications industrielles dont elles sont susceptibles.
La naissance de la classe sociale des ingénieurs atteste de la réalisation dans la réalité historique de la
civilisation occidentale de ce que Descartes avait jadis entrevu et annoncé. En effet, que sont les ingénieurs ?
Ce sont des scientifiques. Mais ces scientifiques ne sont pas des scientifiques purs. En effet, un scientifique
pur n’a pas d’autre intention que celui d’accroître le progrès des seules connaissances. Alors que l’ingénieur,
bien qu’ayant une formation nécessairement scientifique, n’a pas d’autre but que celui de servir l’industrie. Il
n’a aucunement en vue le progrès de la science mais seulement les applications possibles des connaissances
scientifiques qu’il acquière. Pour être un bon ingénieur, il lui est nécessaire d’être instruit des derniers
développements de la science. Il sera ainsi davantage en mesure de découvrir les applications industrielles
possibles de la science. Et, ainsi, de réaliser le projet cartésien de maîtrise de la nature.
Auguste Comte, Cours de philosophie positive, p. 99, Garnier.
Quand on envisage l’ensemble complet des travaux de tout genre de l’espèce humaine, on doit concevoir
l’étude de la nature comme destinée à fournir la véritable base rationnelle de l’action de l’homme sur la
nature, puisque la connaissance des lois des phénomènes, dont le résultat constant est de nous les faire
prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à les modifier à notre avantage, les uns par
les autres.
Nos moyens naturels et directs pour agir sur les corps qui nous entourent sont extrêmement faibles, et tout
à fait disproportionnés à nos besoins. Toutes les fois que nous parvenons à exercer une grande action, c’est
seulement parce que la connaissance des lois naturelles nous permet d’introduire, parmi les circonstances
déterminées sous l’influence desquelles s’accomplissent les divers phénomènes, quelques éléments
modificateurs, qui, quelque faibles qu’ils soient en eux-mêmes, suffisent, dans certains cas, pour faire tourner
à notre satisfaction les résultats définitifs de l’ensemble des causes extérieures.
En résumé, science, d’où prévoyance ; prévoyance, d’où action : telle est la formule très simple qui
exprime, d’une manière exacte, la relation générale de la science et de l’art, en prenant ces deux expressions
dans leur acception totale.
Mais, malgré l’importance capitale de cette relation qui ne doit jamais être méconnue, ce serait se former
des sciences une idée bien imparfaite que de les concevoir seulement comme les bases des arts, et c’est à quoi
malheureusement on n’est que trop enclin de nos jours. Quels que soient les immenses services rendus à
l’industrie par les théories scientifiques — quoique suivant l’énergique expression de Bacon, la puissance soit
nécessairement proportionnée à la connaissance —, nous ne devons pas oublier que les sciences ont, avant
tout, une destination plus directe et plus élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental qu’éprouve notre
intelligence de connaître les lois des phénomènes.
Cet autre texte de Comte ne fait que développer les idées exprimées dans le texte précédent. On notera, à la
fin, la définition de ce que j’ai appelé plus haut le « scientifique pur ».
- Herbert Marcuse, Industrialisation et capitalisme chez Max Weber, trad. J.-R. Ladmiral, dans
Jürgen. Habermas, La Technique et la Science comme « idéologie », Gallimard, 1973, pp. 5-6.
Ce n’est pas seulement son utilisation, c’est bien la technique elle-même qui est déjà domination (sur la
nature et sur les hommes), une domination méthodique, scientifique, calculée et calculante. Ce n’est pas après
coup seulement, et de l’extérieur, que sont imposés à la technique certaines finalités et certains intérêts
appartenant en propre à la domination — ces finalités et ces intérêts entrent déjà dans la constitution de
l’appareil technique lui-même. La technique, c’est d’emblée tout un projet socio-historique : en elle se
projette ce qu’une société et les intérêts qui la dominent intentionnent de faire des hommes et des choses.
Cette finalité de la domination lui est consubstantielle et appartient dans cette mesure à la forme même de la
raison technique.
Si l’on a bien suivi le sens des textes précédents, celui du présent texte n’est pas difficile à saisir. On notera
cependant que la technique n’est pas domination par son utilisation, ce que l’on pouvait croire jusqu’ici. En
effet, la technique permet de dominer la nature. Par exemple l’avion, un objet technique dont la réalité n’est