BERR Hélène (1921 - 1945) - CRISES

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BERR Hélène (1921 - 1945)
1) Le témoin :
Hélène BERR est née le 27 mars 1921, à Paris. Elle est issue d'une famille juive, de
vieille souche française aisée et mélomane de la capitale. Hélène est une étudiante et une
violoniste passionnée. Son père, Raymond Berr (1888-1944) est le vice-président directeur
général des usines Kuhlmann. Il a joué un rôle essentiel dans l'essor de la chimie industrielle
entre les deux guerres. Sa mère, Antoinette Berr, née Rodrigues-Ely, (1891-1944) est chargée
de récolter des fonds auprès de particuliers ou d'entreprises. Le couple a cinq enfants :
Jacqueline Berr (1915-1921), Yvonne Schwartz née Berr (1917-2001) mariée à Daniel
Schwartz (né en 1917), Denise Job née Berr (1919) mariée à François Job (1918-2006),
Hélène, et Jacques Berr (1922-1998).
Après des études secondaires au cours Boutet de Montvel, Hélène obtient deux
baccalauréats avec la mention « très bien » : le premier option latin-langues (1937) et le
second option philosophie (1938). Puis, elle obtient, en 1941, son diplôme d'anglais à la
Sorbonne. Lorsqu'elle commence l'écriture de son journal, elle prépare son diplôme d'études
supérieures en langue et littérature anglaise qu'elle obtiendra cette même année, en 1942. Elle
effectue, ensuite un mémoire sur « l'interprétation de l'histoire romaine dans Shakespeare ».
Elle obtient 18/20 et la mention « très bien ». Enfin, faute de ne pouvoir préparer le concours
de l'agrégation dont elle est exclue à cause de la législation anti-juif de Vichy, elle dépose un
projet de thèse de doctorat de lettres, consacré à l'influence de l'inspiration hellénique sur
Keat.
En plus de ses études, Hélène est bibliothécaire bénévole à l'Institut d'anglais de la
Sorbonne (p. 35) et fait partie de l'Entraide temporaire, dés 1941. Cette organisation, créée par
Denise et Fred Milhaud est clandestine ; elle a permis de sauver environ 500 enfants français
sur les 11000 déportés (dont 2000 n'avaient pas 6 ans). Hélène participe au placement de ces
derniers avec sa sœur Denise et sa cousine chez des nourrices notamment en Saône-et-Loire.
La jeune femme s'affirme dans le soutien des enfants juifs. Hélène devient le 6 juillet 1942 :
assistance sociale bénévole de l'UGIF (Union Générale des Israélites), sous l'Occupation.
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Cette association créée, fin novembre 1941, est l'intermédiaire légal entre l'occupant
allemand, le gouvernement de Vichy et la population juive. Elle a comme objectif de porter
assistance aux Juifs français et étrangers internés ou non et leurs familles. En échange de ce
travail, Hélène, Denise et Nicole deviennent titulaires de certificats ou cartes de légitimation
qui les met, en théorie et provisoirement, à l'abri des persécutions (p. 100). C'est pourquoi, les
membres de l'UGIF sont critiqués et traités de « collaborateurs » (p. 225) même si leurs
certificats les protègent puis cessent de les protéger, au fur et à mesure, de l'évolution du
contexte. Les membres de l'UGIF sont donc en proie à une constante insécurité et instabilité
(p. 227). Hélène est, par ce biais, un témoin direct de l'horreur des déportations, et de
« l'atroce réalité » que représente la guerre et la mort. Elle manifeste ainsi sa volonté de
résister au lieu d'attendre d'être internée. Hélène va ainsi, encadrer de nombreuses sorties avec
les enfants « adorables et attachants » de l'orphelinat Rotschild , de la rue Lamblardie (12ème
arrondissement).
De par ses origines et son éducation, Hélène est douée d'un fort capital culturel et
fréquente certaines élites telles qu'Olivier Debre (peintre et frère du futur 1er ministre) (p. 95).
Son professeur de violon, Hélène Jourdan-Morhange est également une amie intime de
Maurice Ravel. Son amie connait Boutelleau, un auteur à succès (p. 136).
Avant son départ au front, Hélène était fiancée à Gérard. Mais, rapidement elle n'éprouve plus
d'amour pour lui :« J'ai pris une autre direction » dit-elle vis-à-vis de Gérard car l'idée même
de leurs retrouvailles lui laissait une douloureuse impression (p. 69). Elle s'interroge alors :
« Est-ce parce que je ne le vois plus que je ne l'aime pas autrement? » (p. 70) ; mais peu à peu
elle se rend à l'évidence et cesse de correspondre avec, car elle éprouve de la pudeur à son
égard et commence à ressentir de forts sentiments pour Jean Morawiecki : « Je me demande
aussi si ce n'est pas l'autre chose (Gérard) qui me rend méchante. Je suis plus divisée que
jamais » (p. 104).
Jean Morawiecki rencontre Hélène, le 26 novembre 1942, il quitte Paris pour gagner
par l'Espagne l'Afrique du Nord, et y rejoindre les Forces Françaises libres. Il participe au
débarquement de Provence, le 15 août 1944 et se trouve en Allemagne, au printemps 1945,
au sein des forces d'Occupation Alliées. Lors de l'écriture du journal, Hélène est la seule de sa
fratrie à être restée avec ses parents dans l'appartement familial, 5 avenue Élisée-Reclus, dans
le 7ème arrondissement de Paris. Sa sœur Yvonne, mariée en 1939 à Daniel Schwartz ainsi que
son frère Jacques vivent en zone libre. En août 1943, suite à son mariage avec François Job,
sa sœur Denise les rejoints.
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2) Le témoignage :
Hélène Berr, Journal, Paris, Éditions Tallandier, Janvier 2008.
Publié en 2008, ce témoignage est dévoilé au grand public grâce aux initiatives
d'héritiers et proches de la victime notamment par les démarches de Mariette Job, la nièce
d'Hélène. Cet ouvrage retrace la vie d'Hélène Berr, jeune juive française de 21 ans, lors de la
seconde guerre mondiale, dans la capitale occupée.
Le manuscrit original du journal d'Hélène Berr a été donné par Mariette Job, au Mémorial de
la Shoah en 2002. Il prend alors place dans le cadre de l'exposition permanente sur la vie des
Juifs de France sous l'Occupation. L'écrit a fait l'objet d'une nouvelle impression en mai 2009
aux éditions Point (également disponible en "édition scolaire").
L'ouvrage publié en 2008 est accompagné de quatre photographies d'Hélène Berr, seule, en
compagnie de J.-M, de ses proches et des enfants juifs dont elle s'occupait. On y trouve
également trois reproductions de pages de son journal : la première, celle du 8 juin 1942 et la
dernière. Enfin, une lettre d'Hélène Berr à sa sœur Denise, qui date du 8 mars 1944, jour de
son arrestation est ajoutée à la fin de l'ouvrage.
Ce témoignage comme l'indique son titre est donc un journal ; dans lequel l'auteur
consigne les événements quotidiens de sa vie. Hélène Berr commence son écriture le 7 avril
1942. Elle l'interrompt du 28 novembre 1942 au 25 août 1943. Et, l'achève le mardi 14 février
1944, un peu plus d'un mois avant sa déportation à Drancy. Ses notes sont d’abord
quotidiennes puis leur régularité évolue en fonction du contexte.
Le journal a été remis à Jean Morawiecki, fiancé d'Hélène et destinataire du manuscrit
par Jacques Berr le frère d'Hélène qui l'avait reçu d'Andrée Bardiau, la cuisinière de la famille
durant un demi-siècle chargée de conserver le journal et de le remettre à J.-M. si Hélène était
arrêtée. Il a, plus tard, été tapé à la machine par un employé de chez Kuhlmann avant de
circuler dans la famille Berr.
Mariette lorsqu'elle découvre le journal confié à J-M : une série de feuillets de cahier
d'écolier, rangés à l'intérieur d'une enveloppe kraft, intacts. « Il est écrit entièrement à la main,
paragraphe par paragraphe, presque sans ratures, sans retouches […] d'un seul jet » écrit
Mariette Job dans Une vie confisquée, récit de quelques pages publié à la fin du Journal. Le
journal publié est la stricte copie du journal original, tapé à la machine.
Ce témoignage est préfacé par Jean Patrick Modiano écrivain français et scénariste né
en 1945 d'un père juif italien et d'une mère flamande qui se sont rencontrés dans le Paris
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occupé et ont vécu le début de leur relation en semi-clandestinité. Il est l'auteur d'une trentaine
de romans dont Rue des boutiques obscures, Prix Goncourt 1978.
Le style d'Hélène est relativement sobre, par moment télégraphique. Son journal est
comme une lettre à J-M, partagé entre des passages descriptifs et réflexifs. Imprégnée par la
littérature anglaise et par la poésie, elle donne à ses amis des noms de héros de romans (p. 28)
« Sparkenbroke », « Lancelot of the Lake ».
A travers son journal, Hélène s'adresse à Jean et à « ceux qui peuvent comprendre »
son quotidien (p. 179) : c'est à dire : « des gens simples, des gens du peuple, mais très peu
d'amis » (p. 180). Elle se heurte là, à un problème d'isolement vis-à-vis de ses proches qui ne
comprennent pas ce qu'elle vit ; elle renonce alors à s'adresser à : « une partie de l'humanité »
(p. 180).
Concernant la visée de son journal, Hélène Berr écrit : « Il y a deux parties dans ce journal, je
m'en aperçoit en relisant le début : il y a la partie que j'écris par devoir, pour conserver des
souvenirs de ce qui devra être raconté, et il y a celle qui est écrite pour Jean, pour moi et
pour lui » (p. 197). Son intention est donc double. Elle insiste sur l'importance de son premier
objectif : « Je ne tiens plus à rien qui soit matériel ; ce qu'il faut sauvegarder c'est son âme et
sa mémoire » (p. 197).
Le devoir de mémoire devient alors sa principale préoccupation : « Aujourd'hui […],
j'ai été brusquement la proie d'une impression : qu'il fallait que j'écrive la réalité » (p. 167),
« Je voulais écrire ceci hier soir... Ce matin, je me force à le faire, parce que je veux me
souvenir de tout ». Elle écrit car elle s'interroge : « Qui en parlera? » « Qui dira la souffrance
de chacun ? » (p. 278) et décide d'être le vecteur entre le présent et le futur via son journal :
« Je note les faits hâtivement, pour ne pas les oublier, parce qu'il ne faut pas oublier »
(p. 106), « J'ai un devoir à accomplir en écrivant, car il faut que les autres sachent », « Il
faudrait donc que j'écrive pour pouvoir plus tard montrer aux hommes ce qu'à été cette
époque ». Elle pense que son écriture donne un sens à ce qu'elle vit, à sa réalité, c'est pourquoi
elle déclare : « Chacun dans sa sphère doit faire quelque-chose. Et si il le peut, il le doit » ce
qui démontre son intention de généraliser l'entreprise de l'écriture, le témoignage. Un jour sa
mère s'exclame : « Il faudrait tout de même noter ces choses-là, pour s'en souvenir après.
Sait-elle que je le fais, et que je tâche d'en oublier le moins possible? » (p. 274).
Cependant, le jeudi 10 septembre, Hélène déclare : « Je ne tiens même plus ce journal,
je n'ai plus de volonté, je n'y mets plus que les faits les plus saillants pour me rappeler »
(p. 137). Hélène énonce ensuite, les difficultés de l'écriture : elle évoque alors, successivement
: la répulsion à exciter la pitié des autres (« et pourtant j'essaie toujours de leur arracher leur
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compréhension, et de les rendre un peu honteux d'eux-mêmes »), la répulsion à faire valoir son
cas individuel, même si elle témoigne aussi de la souffrance des autres (p. 179). Elle pense
également qu'elle n'a pas assez de pouvoir de persuasion pour faire : « sentir l'angoisse d'une
mère dont on a pris les enfants, la torture de la femme séparée de son mari, le courage qu'il
faut chaque jour au déporté, les souffrances et les misères qui doivent l'assaillir » (p.179).
Elle se se sent souvent en décalage par rapport aux autres car ils sont dans l'incompréhension
et n'ont pas son expérience.
Hélène s'est tu car il y a trop de choses dont elle ne peut pas parler : la souffrance qu'elle
éprouve vis-à-vis de Jean, de Françoise, des autres, du monde en général. Elle explique,
alors : « Je ne peux pas en parler parce qu'on ne me croirait pas » (p. 188), elle explique « On
ne me croirait pas qu'elle m'a hantée, et me hante à chaque heure, et que je fais passer la
souffrance des autres avant la mienne » (p. 188). Elle ajoute comme difficultés de l'écriture :
la paresse car écrire avec sincérité exige un effort constant, l'impression désagréable de
dédoublement de la personnalité, de perte de spontanéité : « Je ne peux plus écrire ce journal
parce que je ne m'appartient plus entièrement » (p. 139). Elle pense qu'elle n'a pas le calme
d'esprit nécessaire que son acte est inutile même si elle a évoqué plus haut l'importance du
devoir de mémoire. Enfin, Hélène ne veut pas écrire par orgueil pour les autres. Elle conclue,
en déclarant que : « Ce qui manque à l'homme pour pouvoir écrire, c'est l'esprit d'observation
et la largeur de vues » (p. 167).
3) L’analyse :
Le témoignage est rédigé à la première personne, Hélène Berr entame souvent ses
phrases par « Je ». Elle utilise aussi beaucoup le « Nous » et le « On » lorsqu'elle décrit des
faits. L'auteur met de la distance dans ses propos lorsqu'il s'agit des Allemands ; c'est pourquoi
elle les désigne par : « eux ». En s'interrogeant, par exemple :
« Pourquoi essayer de
raisonner, de voir clair dans les causes et les origines des responsabilités, alors qu'eux ne le
font pas ? » (p. 270) ou en expliquant : « Les Allemands, eux, c'est depuis une génération
qu'on travaille à les ré-abrutir », « Toute intelligence est morte en eux » (p. 217). Hélène est,
par ailleurs, sensible à l'environnement qui l'entoure, elle décrit des journées radieuses dans
lesquelles elle semble puiser l'énergie nécessaire pour combattre contre la fatalité.
Dans un premier temps, Hélène nous fait part de son incapacité à accepter la réalité de
la guerre trop pénible à supporter : « J'ai lu et relu (la lettre de mon père) en remontant pour
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me persuader de la réalité de tout cela » (p. 83), puis elle complète : « Je n'arrivais pas à
réconcilier cette écriture avec son sens, avec le sens de ses mots » (p. 83). Elle justifie ensuite
les raisons de la lenteur de sa prise de conscience du monde en guerre : « On ne réalise pas
l'énormité de cette injustice, l'infamie de ces traitements parce qu'elle est trop grande, parce
que nous ne sommes pas habitués à tout attendre » (p. 98). Elle dénonce ensuite la guerre, en
déclarant : « L'homme n'a pas le droit d'ôter la vie à l'homme », contrairement à Dieu (p.
210), puis elle ajoute : « L'homme doit aspirer à l'impartialité (sans doute là, se trouve la
solution) » (p. 210). Elle s'indigne donc, face à la mobilisation des hommes dans la guerre et
met en doute leurs vertus et leur humanité : « Qu'on soit arrivé à concevoir le devoir comme
une chose indépendante de la conscience, de la justice, de la bonté, de la charité, c'est là la
preuve de l'inanité de notre prétendue civilisation » (p. 217).
Hélène prend alors position dans la résistance ou « l'union contre le mal et la communion
dans la souffrance ». Elle déplore alors, l'isolement dont elle est victime : « Il reste à sacrifier
le sentiment d'égalité dans la résistance, d'accepter d'être mis à part des autres Français qui
luttent » (p. 90-91). La guerre marque, pour elle, une rupture entre : sa vie étudiante et la
réalité de l'occupation et, entre les Juifs et les autres.
Au fil de son journal, Hélène s'interroge, constamment sur la tournure que va prendre la
guerre et sur l'influence qu'elle va avoir sur elle-même et sur le monde : « Cette vie est si
harassante, et la vie d'un homme si peu de chose, qu'on est bien forcé de se demander s'il n'y
a pas autre chose que la vie. Aucune doctrine, aucun dogme ne pourront me faire croire
sincèrement à l'au-delà : peut-être le spectacle de cette vie y parviendra-t-il » (p. 268).
Concernant l'avenir, elle émet des doutes sur la prise de conscience de la guerre par les futures
générations : « Ceux qui réduiront l'histoire en paroles comme Rumelles : Sauront-ils ce
qu'une ligne de leur exposé recouvre de : souffrances individuelles, de larmes, de sang,
d'anxiété ? » (p. 181). Elle oppose enfin, régulièrement la beauté de Paris au contexte
tragique : « Je ne comprenais plus très bien toute cette beauté de Paris par un matin de juin
aussi radieux. Il fait toujours beau dans les catastrophes » (p. 75).
Face à l'autorité, Hélène Berr est partagée entre l'obéissance aux Allemands, signe de
courage et de dignité et le déni des lois, témoignant de sa vive opposition. Ainsi, suite à la
huitième ordonnance allemande (du 29 mai 1942) imposant le port de l'étoile jaune aux Juifs
dés 6 ans, Hélène Berr est divisée entre l'obéissance et la désobéissance, vis-à-vis de l'autorité
allemande. C'est pourquoi, dans un premier temps, elle s'oppose au port de l'étoile jaune,
symbole d'« infamie » (p. 51), dit-elle ; cependant, quelque jours plus tard, elle obéit à
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l'ordonnance allemande et porte l'insigne, témoignant alors de son courage et de sa dignité.
Elle ressent alors une « douleur immense, inévitable, inconsolable » à l'égard des Allemands
et de cette étoile jaune, représentant : la « barbarie » et le « mal » (p. 55).
Un jour, Hélène n'obéit pas non plus, à la nouvelle réglementation du voyage en métro qui
impose aux Juifs de ne voyager qu'en seconde classe (7 juin 1942), dans la dernière voiture de
la rame. Un contrôleur la réprimande alors, brutalement : « Vous là-bas, l'autre voiture ».
Entre la honte et la culpabilité, Hélène témoigne : « Des larmes de douleur [de rage] et de
révolte ont jailli à mes yeux, j'étais obligée de fixer quelque-chose pour qu'elles rentrent »
(p. 59).
Au fil des mois, et des mesures antisémites, l'indignation d'Hélène croît : « La nouvelle est
rédigée d'un ton naturel et hypocrite, comme si c'est un fait accompli qu'en France on
persécutait les Juifs, un fait acquis, reconnu comme une nécessité et un droit » (p. 103).
Cependant, lorsqu'Hélène va rendre visite avec sa famille à son père, suite à son arrestation :
elle trouve « Les autorités pleines de respect et de sympathie » car il n'y a pas d'Allemands.
Le comportement d'Hélène, à l'égard des autorités est donc aléatoire, puisqu'elle ne porte pas
toujours l'étoile de David et même si elle la porte elle n'obéit pas toujours aux ordonnances
allemandes.
D'un point de vue familial, au fur et à mesure de l'avancée de la guerre, Hélène grandit
et gagne en maturité, elle comprend que désormais ses parents ne peuvent plus la consoler.
Les rôles sont souvent inversés. En effet, c'est souvent Hélène qui protège sa mère de la vérité
qu'elle pourrait difficilement supporter, et qui la console, en l'absence de son « Papa ». Au fur
et à mesure de l'avancée de la guerre, « Maman » devient « maigrie, nerveuse, comme une
enfant » (p. 132), Hélène témoigne alors : « Je n'ai pas bien pu lire le mot de Papa, car
Maman sanglotait si fort que je ne pouvais fixer mon attention » (p. 144). Après l'arrestation
de Raymond Berr, les relations qui lient le père à sa fille changent également. Raymond Berr
modifie ses habitudes, suite à sa déportation, pour survivre. Il raconte dans ses lettres les
spectacles déchirants auxquels il assiste : séparations, départs, abandon de bagages et
l'atmosphère nauséabonde (« odeur pestilentielle ») dans laquelle il survit. Il écrit dans une
carte : « Je croyais pourtant que l'astucieuse Lenlen (Hélène) me sortirai de mon trou »
(p. 127) ce qui prouve que là aussi les situations sont inversées : Raymond Berr se met
volontairement sous la responsabilité de sa fille en qui il a entièrement confiance et lui fait
porter, quelque part, le poids de son isolement.
A travers les lettres successives, Hélène et sa mère assistent impuissantes à la démoralisation
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progressive de Raymond Berr. Hélène explique même que désormais, il est sous leur
responsabilité qu'elle semble avoir acceptée : « Il faut le tirer de là. Il n'est pas un de ceux qui
résisteront » (p. 127). Elle prend alors conscience du caractère éphémère de de son géniteur.
Au fil du temps, leur correspondance devient de plus en plus douloureuse car Raymond reste
pragmatique et est distant dans sa correspondance avec ses proches : « Il parle de ne pas nous
revoir. Il ne met pas d'objection à ce que je fréquente J-M », « mais il fait comme si tout cela
était fini et loin de lui » (p. 141) elle ajoute, entre le Papa d'ici et celui de là-bas : « il
commence à se creuser un abîme infranchissable » (p. 84).
Hélène est donc très mature pour ses 22 ans, elle prévient même la douleur de son petit frère
« J'ai recopié la lettre d'hier pour Jacques. Mais je suis tout le temps obligée de sauter des
passages qui lui feraient du mal » (p .85).
Après avoir appris qu'Hélène est d'obédience judaïque, les comportements de ses
camarades, de ses proches et des inconnus changent également, à son égard. Elle suscite tour
à tour, la peine et la stupeur de tous, à la Sorbonne comme si elle était devenue « étrangère ».
Ses camarades et ses proches « détournent le regard, la fixent, lui sourient »; ils ne sont en
aucun cas indifférent à sa situation. Hélène se sent pourtant, souvent en décalage par rapport
aux autres, qu'elle définit comme : « imperméables, impénétrables et égoïstes » (p. 178).
Selon elle, ils ne comprennent pas son quotidien, sa réalité, car ils n'ont pas son expérience de
la guerre. Une grande distance s'installe alors entre eux. Elle explique, par exemple : « Il y
avait entre moi et Mme Gibelin : le fossé de l'ignorance » c'est pourquoi : « J'ai eu mille fois
tort de ne pas faire l'effort si dur de tout raconter, de la secouer, de lui faire comprendre »
(p. 178). Hélène conclue alors en justifiant son mal-être : « Il est douloureux de voir comme
ils sont loin de nous ».
La jeune femme éprouve en effet, un malaise grandissant, parmi eux : « J'ai la figure tendue
par l'effort que j'ai fait pour retenir des larmes qui jaillissaient je ne sais pourquoi » (p.59).
Elle ajoute : « Le sujet de la conversation n'importait guère, l'essentiel était de faire
comprendre l'amitié silencieuse qui nous unissait » (p. 62). Dans la rue, comme face à ses
camarades, les comportements des inconnus, à son égard sont mitigés : ils oscillent entre
stupeur, indifférence, ignorance, compassion, et pitié. Hélène essaie donc de ne pas y accorder
grande importance mais elle est, néanmoins particulièrement sensible au « bon regard des
hommes et des femmes qui [lui remplissent] le cœur d'un sentiment inexprimable ».
En 1942, Hélène est persuadée que les Allemands vont perdre la guerre même si son
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camarade, Sparkenbroke lui explique : « Les Allemands vont gagner la guerre » (p. 30-31).
Son opinion à l'égard de l'ennemi évolue, au fil du temps, mais reste, néanmoins négative. Le
mercredi 27 octobre 1943, par exemple, Hélène désigne les Allemands comme des « hommes
capables de faire les horreurs que nous connaissons trop bien » ou comme des « hommes qui
ont pu se laisser abrutir, despiritualiser, abêtir pour ne plus être que des automates sans
cerveau, avec tout au plus des réactions d'enfants de 5 ans ». Hélène explique qu'elle
n'éprouve pas de haine, pour ses ennemis, mais un profond dégoût vis-à-vis de leurs
comportements envers les Juifs et dénonce leur présence dans la capitale : « Ces étrangers qui
ne comprenaient ni Paris, ni la France, prétendaient que je n'étais pas française et que Paris
leur était dû, que cette rue de Rivoli leur appartenait » (p. 204).
Son opinion vis-à-vis des Allemands évolue, avec le temps. Avant, Hélène voyait des
Allemands comme des « automates aveugles, abrutis et brutes, mais non responsables de
leurs actes » puis, elle pense qu'ils répondent à des « réactions instinctives et primitives »
(p. 270). Elle les caractérise alors, comme étant impulsifs : ils « sont pour l'acte immédiat
qu'on leur commande » car « toute intelligence est morte en eux » (p. 217). Ils ne voient même
pas l'illogisme incompréhensible qu'il y a à me tenir la porte dans le métro, et peut-être
demain à m'envoyer à la déportation : et pourtant je serais la même et unique personne »
(p. 276-277).
Enfin, Hélène essaie de justifier de tels comportements. Il lui semble que les occupants ne
réfléchissent pas et qu'« ils ne savent sans doute pas tout. » Elle s'interroge alors : « Si ils
savaient sentiraient-ils la souffrance des gens? » (p. 277).
Hélène dénonce ensuite le comportement de l'ennemi et les arrestations abusives qu'il perpètre
comme celle du Dr Mayer, arrêté car son étoile était cousue trop haut (p. 141). Cet exemple
est pour Hélène, la preuve de la mauvaise foi de l'adversaire allemand. Elle montre alors, son
exaspération envers les méthodes utilisées et envers la progressive banalisation du mauvais
traitement des Juifs : « Personne ne voit plus le point de départ, le premier boulon de
l'engrenage infernal » (p. 173). La jeune femme est donc en proie à l'indignation : « A quoi
cela sert-il d'arrêter les femmes et les enfants? N'est-ce pas une monstrueuse bêtise pour un
pays en guerre d'avoir à faire cela? » (p. 172), « Quelle ruine! Quel triomphe du mal sur le
bien, du laid sur le beau, de la force sur l'harmonie, de la matière sur l'esprit! » (p. 272). Elle
ajoute : « et je crois encore à la supériorité du bien sur le mal », même si en ce moment :
« tout s'efforce de me prouver que la vraie supériorité […] est celle de la force » (p. 272). Elle
s'adresse ensuite au lecteur afin de provoquer un « réveil historique » en posant de fausses
questions totales : « Concevez-vous que des hommes mauvais aient la faculté de faire périr
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une multitude d'hommes innocents, par millions, comme cela s'est fait ici pour les Juifs, par
exemple, autre part pour d'autres multitudes humaines? » (p. 272), « N'est-ce pas désespérant
de s'apercevoir que moi, avec ma réaction de révolte, je suis une exception, alors que ce
devrait être ceux qui peuvent faire ces choses qui soient des personnes anormales? » (p. 217).
Pour finir, Hélène se décrit comme ayant « conscience d'être supérieur aux brutes » (p. 107108).
Au fur et à mesure de la lecture du journal, nous assistons à l'intensification des formes
de violence contre les résistants et les Juifs, victimisés. Hélène Berr décide alors de dénoncer
la violence et son paroxysme : « Les Allemands ne cherchent pas de raison, ou d'utilité. Ils ont
un but, exterminer » (p. 276). Elle se réfère ensuite, à l'image d'un officier allemand se jetant
sur un Juif pour lui arracher son étoile en criant : « Drancy, Drancy » (p. 81).
Dans les camps, Hélène raconte les spectacles d'une violence inouïe qu'on lui a rapporté :
« Les Allemands faisaient attelés quatre Russes à des charrettes sur lesquelles on empilait les
cadavres nus, on jetait dessus pèle-mêle des hommes qui n'étaient pas encore morts »
(p. 231), ou encore « Chaque matin, les Allemands allaient achever à coup de révolver ceux
qui ne pouvaient plus se lever » (p. 281).
Hélène conçoit la violence comme un cercle vicieux. D'après elle, la violence appelle la
violence et « le sang appelle le sang » car « Les hommes s'ancrent dans leur méchanceté et
leur aveuglement ». Elle ajoute : « Une fois que l'on commence à verser le sang, il n'y a plus
de limites », elle évoque alors la disparition de la morale et du respect de l'âme (p. 252). Elle
dénonce également la torture : « On enfonce des choses sous les ongles » des inculpés, pour
les faire avouer, et « on les interroge 11h de suite » (p. 269).
Elle s'indigne contre l'arrestation de masse, arbitraire, et illimitée, à l'exemple, de celle d'un de
ses proches compagnons, musicien « un garçon si artiste, capable de procurer au monde des
joies si pures par son art, cet art qui ne connaît pas les méchancetés humaines, et en face la
brutalité, la matière qui ignore l'esprit » (p. 271). Même les bébés sont déportés, on assiste
donc aux cruelles conséquences d'un abrutissement total, de la même manière, suite à un
« attentat » toute la population doit être punie : on déplore alors, 116 otages fusillés,
arbitrairement et des déportations de masse (p. 142) : du 17 juillet au 30 septembre 1942 :
34000 personnes ont été déportées de Drancy à Auschwitz (p. 143).
Hélène dénonce ensuite, tour à tour, les conditions de vie des Juifs, animalisés, par l'ennemi.
Mme Bieder, mère de huit enfants, dont le mari est déporté vit, en effet comme une « bête
traquée » (p. 106), « les femmes et hommes sont entassés comme des bestiaux dans des trains
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de marchandises ». Selon Denise : « On les rase tous, on les parque entre les barbelés, et on
les entasse dans les wagons à bestiaux, sans paille, plombés » (p. 142).
Au Vel d'Hiv, le 21 juillet, 15000 hommes, femmes et enfants se retrouvent entassés ; les
femmes enceintes accouchent parmi des tuberculeux adoubés d'une pancarte « contagieux
autour du cou ». Elles doivent faire face à l'absence cruelle de soin (p. 113), tout comme « les
enfants de Beaune, ramenés à Drancy pour être probablement déportés. Ils jouent dans la
cour, répugnants, couverts de plaies et de poux » (p. 130).
Tout au long de la guerre, Hélène assiste, par ailleurs, à des déchirements de familles et en
déplore les douloureuses conséquences : certains se suicident, « suite à des séparations »
(p. 135), « Les mères sont séparées des enfants ». Elle s'indigne alors : « Qui va nourrir les
internés de Drancy, maintenant que leurs femmes sont arrêtées? Les petits ne retrouveront
jamais leurs parents. Quelles sont les conséquences lointaines de cette chose arrivée avanthier soir au petit jour? »
La violence est présente partout. Elle est particulièrement visible dans la rue, lieu public, à la
vue de tous. Hélène raconte par exemple, l'accouchement d'une femme sur le trottoir du
boulevard St Michel. Ou encore l'arrestation d'« enfants qui se trainaient par terre » (p.106).
Dans l'ensemble, les conditions de vie des Juifs sont déplorables suite à leurs arrestations, à
l'exemple de « la cousine de Margot, jetée en prison […] elle a le diabète, au bout de quatre
jours elle est morte » (p. 107).
A l'épreuve de cette violence de guerre, Hélène souffre non pas physiquement mais
mentalement, de plus, elle souffre davantage pour les autres que pour elle. Elle explique,
ainsi : « Chaque chose porte en elle une épreuve », « Je souffre de la chose en elle-même, de
cette monstrueuse organisation des persécutions et de la déportation » (p. 279) elle ajoute :
« Souffrir pour soi n'est rien », « Mais quelle angoisse pour les autres, pour les proches »
(p. 180).
Enfin elle conclue en s'indignant : « C'est l'immense drame de cette époque. Personne ne sait
rien des gens qui souffrent » (p. 220).
Dés 1942, la persécution s'est abattue sur la famille Berr. Face à la mort, les proches
d'Hélène et elle-même sont partagés entre divers sentiments, ou réaction : l'abattement,
l'impuissance, l'isolation, et la révolte. Le vendredi 26 juin, Hélène dit à Cécile Lehmann,
concernant la mort de son père que cela se paierait. Elle a répondu : « Oui, mais les morts ne
reviendront pas » (p. 82) : alors qu'Hélène exprime un fort sentiment de révolte envers
l'ennemi son amie est pragmatique et s'en remet à la fatalité irréversible de la mort.
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Au fur et à mesure de la guerre, Hélène déplore le caractère massif des morts : « Cette
déportation a quelque chose de bien plus horrible que la première, c'est la fin d'un monde.
Que de trous autour de nous » (p. 148). Elle prend alors, progressivement conscience de
l'« atroce réalité » (p. 116) de la guerre, de la mort et des déportations. Même si à l'UGIF, ils
en parlent comme d'une chose banale. Elle prend ensuite parti contre l'irrespect du corps des
morts : « Une femme est morte à Drancy, et on l'a transportée à la morgue, sans une chemise
ou un drap sur elle ».
Hélène voit en temps de guerre, la mort comme une fatalité inévitable, elle déclare, à ce sujet :
« Les gens ne comprendront pas pourquoi nous sommes restés. Nous n'avons pas le droit de
ne pas vouloir fuir. Mais est-ce que c'est fuir que d'échapper au sort inévitable? » (p. 125).
Hélène dénonce aussi : « La mort distribuée aveuglement » (256-257) ; mais elle est
impuissante, face à l'arbitraire de la guerre.
Les conséquences du côtoiement de la mort : entraînent une nouvelle solidarité, ou union « La
vie s'est resserrée, nous sommes devenus plus unis », Hélène parle en outre, d'une nouvelle
notion du temps « Nous vivons heure par heure et non plus semaine par semaine », les détails
ont, donc désormais un intérêt énorme.
Au contact de la mort, Hélène explique que les habitudes ne sont plus choses courantes et
qu'une nouvelle organisation, conception de sa vie s'impose, notamment lorsqu'il s'agit de
survie : « Il aura fallu ce terrible bouleversement, pour m'habituer à une vie irrégulière, non
planifiée » (p. 213). Au fil des années de guerre, Hélène aborde la mort de ses proches de
manière réaliste, à l'image de celle de son père : « Il faut le tirer de là. Il n'est pas un de ceux
qui résisteront » (p. 127) écrit-elle, le 13 août 1942. Elle est alors projetée directement dans le
monde des adultes comme « Le petit Bernard (qui) m'a raconté que sa mère et sa sœur avaient
été déportées. Il m'a sorti cette phrase qui semblait si vieille dans sa bouche de bébé : Je suis
sûr qu'elles ne reviendront pas vivantes » (p. 134). La guerre et la mort engendrent la perte
d'innocence, la fin de l'enfance et l'entrée dans un monde où la maturité prend le dessus.
Hélène explique ce changement d'une partie d'elle-même : il existe deux moi : l'un « libre et
inchangé » et l'autre « changé par l'étoile jaune et la perte de l'innocence ».
Concernant sa propre mort, Hélène déclare : je veux qu'on sache que je m'attendais à
disparaître, non pas que j'en ai accepté l'idée car : « Je ne sais pas à quel point peut aller ma
résistance physique et morale sous le poids de la réalité » (p. 190). Elle s'interroge ensuite :
« Que faire si on vient nous chercher? Fuir, se cacher? Vivre une vie de traqués? » (p. 263)
Hélène trouve rapidement sa réponse car elle ne voit pas en la proximité de la mort une
fatalité, mais une véritable raison de lutter contre le laisser-aller : « Mais s'il faut partir, partir
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et quitter la lutte, l'héroïsme pour trouver la platitude, l'affalement. Non, je ferai quelque
chose » (p. 107).
Ainsi, en 1944, la famille Berr fuit la mort, elle ne dort que rarement dans l'appartement
familial pour ne pas se faire surprendre en pleine nuit. Hélène et ses parents quittent donc leur
domicile, pour s'installer, tour à tour, chez leurs proches qui les accueillent alors. Cependant,
le 7 mars 1944, les Berr décident de retourner dormir chez eux, fatigués d'être devenus
dépendants de leurs proches et sont arrêtés le lendemain matin à 7h30 avant d'être transférés à
Drancy. Le 27 mars 44, jour de ses 23 ans, Hélène Berr est transférée à Drancy. Raymond, lui
est affecté au camp d'Auschwitz III-Monowitz ; où il est assassiné à la fin du mois de
septembre 1944. Antoinette est conduite à la chambre à gaz en mai 1944. Seule, Hélène survit
plus d'un an. En janvier 1945, elle est transférée à Bergen-Belsen, et succombe aux mauvais
traitements et à une épidémie de typhus début avril 1945, quelques jours avant sa libération du
camp par les Anglais.
Hélène a survécu pendant presque l'intégralité de la guerre. Elle a su faire preuve d'une
incroyable ténacité.
En 1944, cependant, elle s'interroge : « Irai-je jusqu'au bout? Irons-nous jusqu'au bout ? »
(p. 253). Elle doute sur ses capacités physiques rudement mise à l'épreuve pendant la guerre.
Elle est, néanmoins fière de sa ténacité puisqu'elle déclare, le 18 juillet 1942 : « Mme Baur
avait l'air étonnée que nous soyons là. J'ai toujours envie d'être fière lorsque je réponds à
cela » (p. 107). Hélène trouve l'énergie de lutter car son combat donne un sens à son
existence, notamment par le biais de la religion. Elle déclare alors : « J'ai une impression
vague que chaque épreuve nouvelle a un sens, qu'elle m'est destinée, et que je serai plus
purifiée, plus digne vis-à-vis de ma conscience et probablement de Dieu qu'avant » (p. 184185). De plus, par moment, l'espoir en elle renaît, par exemple suite à « un pneu (courrier
express) de Papa : Urgent démarches aboutissent. Des juifs français commencent à partir » ;
qui donne alors un nouveau souffle à la lutte.
Malgré leur ténacité, les membres de la famille Berr ont du affronter, la progressive
démoralisation qui les assaillaient, en particulier la présence de plus en plus pesante de la peur
de la mort, suite à la lecture des lettres successives de Raymond Berr, après son arrestation.
Hélène et sa mère assistent, alors impuissantes à la démoralisation progressive de Raymond.
Hélène explique leur sensibilité : « il me semble qu'il y a plus de sincérité dans la douleur que
dans la joie » (p. 205). Suite à l'arrivée de l'hiver, le 24 novembre 1943, Hélène évoque une
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« nouvelle vague de pessimisme (p. 232) et ajoute : « Les seuls heureux doivent être les
ignorants » (p. 231).
De nombreuses fois, dans son manuscrit, la jeune femme aborde la perte du sens de l'humour :
« Avant, je riais. Maintenant le sens de l'humour me semble un sacrilège » (p. 192). Charles,
un proche explique, également : lors de mon arrestation : « Je ne savais plus pleurer tellement
j'avais de chagrin » (p. 215).
Parfois, Hélène perd pied, semble abandonner le combat, se laisse aller à accepter l'idée de
mourir et écrit : « Il reste à sacrifier le sentiment de dignité, d'héroïsme, de lutte qu'on
éprouve ici, à accepter d'aller rejoindre ceux qui sont partis » (p. 90-91).
Son journal se conclue sur cette exclamation : « Horror ! Horror ! Horror ! », qui fait écho à
la pièce de Shakespeare, Macbeth, où Macduff s'exclame de façon similaire « O horror,
horror, horror ! ». Mais cette dernière phrase rappelle aussi fortement « The horror ! The
horror ! » de Kurtz, à la fin du roman Au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad (l’une des
nombreuses lectures d’Hélène Berr). Via ces trois mots, on peut penser qu'Hélène résume la
guerre, la brutalité et la violence qu'elle entraine irrémédiablement, ainsi que la douleur, la
souffrance, la mort, et le dégoût de l'ennemi qu'elle n'a cessé d'éprouver.
Alizée CONRAUD (Université Paul-Valéry Montpellier III)
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