Université Paris 7, Master 1 de Mathématiques Année 2008/2009
Notes pour le cours de théorie spectrale
1 Quelques propriétés du spectre d’un opérateur borné
Nous supposons ici que Eest un espace de Banach complexe et notons L(E)l’espace des opérateurs
linéaires bornées de Edans E. Rappelons d’abord le résultat suivant :
Lemme 1.1 Soit T∈ L(E), alors, l’ensemble
C\B(0,||T||) := {λC| |λ|>||T||}
est contenu dans l’ensemble résolvant ρ(T)et, plus précisément, on a
λC\B(0,||T||), Rλ(T) =
X
n=0
λn1Tn.(1)
Démonstration — Ce résultat a déjà été montré lorsque nous avons prouvé que le spectre d’un opérateur
borné est non vide. Il s’agit essentiellement de montrer que la série définie par (1) est convergente si
|λ|>||T|| et que la somme de cette série est l’inverse de λT.
Un corollaire du lemme 1.1 est que le spectre d’un opérateur borné est borné et même, plus
précisément,
Sp(T)B(0,||T||).(2)
Donc, puisque nous avons déjà vu que le spectre est fermé, nous concluons que Sp(T)est un compact
de C.
1.1 Le rayon spectral
Définition 1.1 (rayon spectral) Pour tout opérateur borné T∈ L(E), on définit le rayon spectral
de Tcomme étant la quantité :
r(T) := sup
λSp(T)
|λ|.
Remarquons que, d’après les résultats précédents, on a toujours
r(T)≤ ||T||.(3)
Théorème 1.1 Soit Eun espace de Banach complexe et T∈ L(E). Alors
(i) limn→∞ ||Tn||1/n existe et est égale à r(T);
(ii) si E=Hest un espace de Hilbert complexe et si A∈ L(H)est auto-adjoint, alors r(A) = ||A||.
Démonstration (i) Nous commençons par montrer (i) et, pour cela, par établir que limn→∞ ||Tn||1/n
existe. Nous partons de la relation Tn+m=TnTm, valable n, m N, et qui entraîne :
||Tn+m|| ≤ ||Tn|| ||Tm||.
Donc, en posant an:= log||Tn||, nous en déduisons l’inégalité
an+man+am
1
(sous-additivité). Nous allons en déduire que limn→∞ an
nexiste et est égal à β:= infmNam
m(ce qui est
équivalent à l’existence de la limite de ||Tn||1/n). Supposons dans un premier temps que βest dans R
(i.e. la suite am
mest minorée). Alors
ε > 0,mN, β am
m< β +ε.
Fixons εet donc mNtel que l’inégalité précédente ait lieu. Pour tout n > m, nous écrivons la division
euclidienne de npar m:
qN,rNtel que 0rm1et n=qm +r.
Alors an
n=aqm+r
qm +rqam+ar
qm +rqam
qm +ar
n=am
m+ar
n< β +ε+ar
n.
Soit C:= sup0rm1ar<+. Alors (toujours parce que εet Csont fixés), lim supn→∞ ar
n
limn→∞ C
n= 0. Donc
lim sup
n→∞
an
nβ+ε.
Comme εest arbitraire, on a en fait lim supn→∞ an
nβ. Or
β= inf
mN
am
mlim inf
m→∞
am
mlim sup
n→∞
an
nβ,
ce qui entraîne que toutes ces quantités sont égales et donc que an
nconverge vers β.
Dans le cas où la suite am
mn’est pas minorée, c’est à dire si β=, on a alors :
A > 0,mN,am
m<A
et, en refaisant le même raisonnement que précédemment, on obtient que, n > m,
an
n≤ −A+ar
n,0rm1
et puis que lim supn→∞ an
n≤ −A. Comme Aest arbitraire, cela implique que limn→∞ an
n=−∞ =β.
Dans tous les cas, on a montré que
lim
n→∞ ||Tn||1/n =eβ(avec e−∞ = 0).
A présent, montrons que cette limite coïncide avec r(T). Pour cela nous montrons eβr(T)et
eβr(T). Commennçons par la première inégalité (la plus difficile).
a) Preuve de eβr(T). L’idée est de partir de l’information que Sp(T)B(0, r(T)) qui, par passage au
complémentaire, donne C\B(0, r(T)) ρ(T), c’est à dire le fait que la résolvante Rλ(T)est définie sur
C\B(0, r(T)). On fait intervenir alors le développement en série au voisinage de l’infini de Rλ(T): à cause
de ce qui précède, son rayon de convergence est supérieur ou égal à 1/r(T). En calculant deux expressions
différentes de Rλ(T), on obtient l’inégalité souhaitée. Voici les détails : considérons l’application
B(0,1/r(T)) → L(E)
z7−R1/z (T),
où l’on convient que 07−R(T) = 0. Cette application est holomorphe sur B(0,1/r(T)) et nous allons
lui appliquer la formule de Cauchy sur ce domaine. Soit 0< s < 1
r(T), alors si zB(0, s),
R1/z (T) = 1
2πi ZB(0,s)
R1/v(T)dv
vz=1
2πi ZB(0,s)
R1/v(T)
v
dv
1z
v
=1
2πi ZB(0,s)
R1/v(T)
v
X
n=0
zn
vndv =
X
n=0
anzn,
2
an:= 1
2πi ZB(0,s)
R1/v(T)
vn+1 dv.
On en déduit en particulier que
||an|| ≤ C
sn,C:= sup
zB(0,s)
||R1/z(T)||.
D’autre part, sur B(0,1/||T||), l’application R1/z(T)est égale à la somme de la série donnée par (1) :
R1/z(T) =
X
n=0
zn+1Tn.
On en déduit que a0= 0 et an+1 =Tnet donc, que
||Tn||1/n =||an+1||1/n C1/n
s(n+1)/n .
Comme limn→∞ C1/n
s(n+1)/n =1
s, on obtient :
eβ= lim
n→∞ ||Tn||1/n 1
s.
Et comme cette inégalité est valable pour tout stel que 1/s > r(T), cela n’est possible que si eβr(T).
b) Preuve de eβr(T). Si λCsatisfait |λ|> eβ= limn→∞ ||Tn||1/n, alors
lim
n→∞ ||λn1Tn||1/n <1
et donc, par le critère de Cauchy, la série P
n=0 λn1Tnconverge. On vérifie facilement que sa somme
est l’inverse de λT, ce qui implique que λρ(T). Ainsi on a montré que :
λC,|λ|> eβ=⇒ |λ|> r(T),
ce qui n’est possible que si eβr(T). Cela termine la preuve de (i).
(ii) Nous supposons à présent que E=Hest un espace de Hilbert et que T=A∈ H est auto-adjoint.
Nous allons utiliser la propriété
||A|| = sup
||x||=1
|hAx, xi|,(4)
valable pour tout opérateur auto-adjoint A.Nous montrerons (4) au lemme 1.2 plus loin. En effet
(4) entraîne que :
||A2|| =||AA|| = sup
||x||=1
|hAAx, xi| = sup
||x||=1
|hAx, Axi| = sup
||x||=1
||Ax||2=||A||2.
Comme n’importe quelle puissance entière de Aest encore auto-adjoint (vérifiez vous-même !), on peut
étendre ce résultat à A4:
||A4|| =||(A2)2|| =||A2||2= (||A||2)2=||A||4
et par récurrence :
nN,||A2n|| =||A||2n.
Donc, en utilisant le résultat (i) :
r(A) = lim
n→∞ ||An||1/n = lim
n→∞ ||A2n||2n=||A||.
3
Lemme 1.2 Soit Hun espace de Hilbert et A∈ H un opérateur auto-adjoint. Alors l’identité (4) est
satisfaite, i.e.
||A|| = sup
||x||=1
|hAx, xi|.
Démonstration Notons provisoirement [A] := sup||x||=1 |hAx, xi|. Premièrement l’inégalité [A]≤ ||A||
est une conséquence immédiate de l’inégalité de Cauchy–Schwarz |hAx, xi| ≤ ||Ax|| ||x||. Nous allons
maintenant prouver l’inégalité inverse [A]≥ ||A||, ce qui complétera la preuve. Nous allons pour cela
commencer par établir l’identité
x, y ∈ H,4Rehx, Ayi=hx+y, A(x+y)i − hxy, A(xy)i.(5)
Soit x, y ∈ H, en substituant
x=x+y
2+xy
2et Ay =A(x+y)
2A(xy)
2
dans hx, Ayi, on obtient :
4hx, Ayi=hx+y, A(x+y)i+hxy, A(x+y)i
−hx+y, A(xy)i − hxy, A(xy)i
=R+I,
R:= hx+y, A(x+y)i − hxy, A(xy)i
et
I:= hxy, A(x+y)i − hx+y, A(xy)i.
On remarque que
hx+y, A(xy)i=hA(xy), x +yi=hA(xy), x +yi=hxy, A(x+y)i.
Donc on peut écrire
I=hxy, A(x+y)i − hxy, A(x+y)i.
En particulier on voit que Rest réel et Iest imaginaire. Ainsi
4Rehx, Ayi=R=hx+y, A(x+y)i − hxy, A(xy)i,
ce qui nous donne (5). A présent nous exploitons cette identité (et nous utilisons la définition de [A]et
l’identité du quadrilatère) :
4Rehx, Ayi ≤ [A]||x+y||2+ [A]||xy||2= 2[A](||x||2+||y||2).
Cela entraîne
sup
||x||,||y||≤1
4Rehx, Ayi ≤ sup
||x||,||y||≤1
2[A](||x||2+||y||2) = 4[A].
Or, d’après le théorème de Riesz, ||A|| = sup||x||,||y||≤1Rehx, Ayi. On en déduit donc que ||A|| ≤ [A].
1.2 Le spectre de l’adjoint d’un opérateur
Commençons par énoncer un résultat général, dont nous ne démontrerons qu’un corollaire.
Théorème 1.2 (théorème de Phillips) Soit Eun espace de Banach complexe, T∈ L(E)et T
L(E)l’adjoint de T, alors
Sp(T) = Sp(T)et λρ(T), Rλ(T) = Rλ(T).
4
Ce résultat a comme conséquence immédiate, dans le cas particulier où E=Hest un espace de Hilbert
complexe :
Proposition 1.1 Soit Hun espace de Hilbert complexe, T∈ L(H)et T∈ L(H)l’adjoint hilbertien de
T. Alors
Sp(T) = Sp(T):= {λ|λSp(T)}et λρ(T), Rλ(T) = Rλ(T).
Démonstration (directe) de la proposition — Observons d’abord que, S, T ∈ L(H),
(T S)=ST
(simple) et donc que, si Test inversible, alors
(T1)T=T(T1)=Id=Id
T(T1)=(T1)T=Id=Id,
ce qui signifie que Test aussi inversible et (T)1= (T1). Comme T7−Test une involution, la
réciproque est immédiate, autrement dit : Test inversible ssi Test inversible. Donc
λρ(T)(λT)est inversible (λT)est inversible λρ(T).
Et alors (λT)1= (λT)1.
Une autre propriété nous sera utile par la suite :
Proposition 1.2 Soit Eun espace de Banach complexe et T∈ L(E). Alors
(i) Si λSpp(T), alors Im(λT)n’est pas dense dans E;
(ii) Si λCest tel que Im(λT)n’est pas dense dans E, alors λSpp(T);
(iii) Corollaire : si Eest réflexif, i.e. si (E)=E, alors λSpp(T)ssi Im(λT)n’est pas dense dans
E.
Pour démontrer la proposition 1.2, nous utiliserons le résultat suivant (très utile), que nous montrerons
à la fin de ce paragraphe :
Lemme 1.3 Soit Eun espace vectoriel complexe normé et FEun sous-espace vectoriel complexe.
Alors F6=Essi il existe une forme linéaire ΦEnon nulle telle que FKerΦ.
Démonstration de la proposition 1.2 Preuve de (i) : soit λSpp(T), alors x0Enon nul tel que
(λT)(x0) = 0. Cela entraîne en particulier que : αE,
[(λT)(α)](x0) = α((λT)(x0)) = α(0) = 0,
i.e. (λT)(α)x
0:= {βE|β(x0) = 0}. Ainsi Im(λT)x
0. Cela implique bien évidemment
que Im(λT)ne peut pas être dense dans E, puisque x
0est fermé et est différent de E.
Preuve de (ii) : soit λCtel que Im(λT)n’est pas dense dans E. D’après le lemme 1.3, il existe
αEnon nulle telle que Im(λT)Kerα. Donc,
xE, α [(λT)(x)] = 0 ⇒ ∀xE, [(λT)(α)] (x) = 0
(λT)(α) = 0
αKer(λT).
Donc λSpp(T).
Preuve de (iii) : le fait que « λSpp(T)implique Im(λT)n’est pas dense dans E» a été montré
au (i), la réciproque s’obtient en appliquant le (ii) à Tet en utilisant le fait que T′′ =T.
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