MÉDIAS-SANTÉ

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MÉDIAS-SANTÉ-POLITIQUE
Collection Communication et Civilisation
dirigée par Nicolas Pelissier
Coml~ de lecture: Olivier Arifon, Cuistl"" Bar
PhIlippe BouquillloD,
Agnès Cbau"".u, Philippe Le Guem. Tristan MaI"'Jart. C6d1e Meadel.
Arn.ud Mercier, Alain Milan, Dominique Pall"'. FtanooiJe Papa
Design des COO_lures: Philippe Quinton
La collection Communication et Civüisation , créée en septembre 1996,
s'est donné un double objectif. D'une part, promouvoir des recherches
originales menées sur l'information et la communication en France, en
publiant notamment les travaux de jeunes chercheurs dont les
découvertes gagnent à connaître une diffusion plus large. D'autre part,
valoriser les études portant sur l'internationalisation
de la
communication et ses interactions avec les cultures locales.
Information et communication sont ici envisagées dans leur acception la
plus large, celle qui motive le statut d'interdiscipline des sciences qui
les étudient. Que l'on se réfère à l'anthropologie, aux technosciences, à
la philosophie ou à l'histoire, il s'agit de révéler la très grande diversité
de l'approche communicationnelle des phénomènes humains.
Cependant, ni l'information, ni la communication ne doivent être
envisagées comme des objets autonomes et autosuffisants. Leur étude
montre que toute société a besoin d'instances de médiation et qu'ils
constituent des composantes à part entière du processus de civilisation.
Or, à l'Ouest, à l'Est, au Nord et au Sud, ce processus admet des formes
souvent spécifiques, parfois communes, mais toujours à découvrir.
Dernières parutions
Claude LE BOEUF (sous la 00.), Rencontre de Paul
Watzlawick,1998.
Jean-Louis WEISSBERG,
Présences à distance, 1999.
@ L'Harmattan, 1999
ISBN: 2-7384-7710-0
Sous la direction
de
Michel MA THIEN
MÉDIAS-SANTÉ-POLITIQUE
Auteurs: Patrick Champagne, Brigitte Gaïti,
Didier Georgakakis, Jacques Gerstlé, Françoise Guilbert,
Yves Jeanclos, André Kim, Pierre-Yves Poindron, Claude Régnier,
Simone Sandier, François Steudler, Françoise Steudler-Delaherche,
Françoise Stoll-Keller,
Jean-Michel Utard, Guy Vincendon.
Préface de René Lenoir
L'Harmattan
5-7, rue de l'École Polytechnique
75005 Paris FRANCE
-
L'Harmattan Inc.
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y IK9
REMERCIEMENTS
Cet ouvrage résulte du travail d'une "jeune équipe" d'universitaires
créée autour du projet du Centre d'études et de recherches interdisciplinaires
sur les médias en Europe (CERIME). Au sein de l'Université RobertSchuman de Strasbourg, cette équipe a réalisé le colloque "Médias-santépolitique" du 28 novembre 1997 dont les présents "actes" sont le résultat
tangible. Ce colloque a prolongé un précédent intitulé "médias et disciplines
scientifiques" qui s'est tenu le 14 juin 1996 dans le but de réunir
universitaires et chercheurs de Strasbourg ayant, à des titres divers, engagé
des travaux ou des réflexions sur l'information journalistique et les médias.
Nos remerciements vont évidemment à tous les membres de l'équipe, à
ceux qui ont apporté leurs contributions à la réalisation de cette rencontre ou
à la présente publication, que ce soit sous la forme d'une communication ou
de la mise en forme finale de l'ouvrage. Nous remercions particulièrement
Gérard Hoffbeck, maître de conférences au Centre universitaire
d'enseignement du journalisme, pour sa relecture.
Cette publication n'aurait pas pu voir le jour si la création du CERIME,
en 1997, n'avait elle-même obtenu la reconnaissance et le soutien de
l'Université Robert-Schuman, de son Conseil scientifique et de son
président, le professeur Pierre Ortscheidt.
Au moment où nous écrivions ces lignes pour le remercier d'avoir
ouvert le colloque et souligné toute l'importance politique et sociale du
thème retenu, notre collègue est décédé le 30 septembre 1998. Nous savions
le président Ortscheidt en lutte contre une maladie implacable. Il n'aura
cessé ses fonctions qu'au moment du combat ultime.
Avec cet ouvrage, nous pensons à lui et à son sens de l'université.
À sa mémoire, nous le lui dédions.
Enfin, nous apprécions I'honneur que nous a fait René Lenoir en
rédigeant la préface. Sa longue expérience administrative, gouvernementale
et politique, mais aussi associative, donne à son propos la pertinence de
l'honnête homme soucieux de laisser des "repères" aux générations
nouvelles.
Michel Mathien
(responsable du CERIME)
PRÉFACE
par René Lenoir
ancien secrétaire d'État
à l'action sanitaire et sociale
Voilà un livre pertinent par son objet, car la santé est, par excellence, un
domaine d'interférence entre la population, les médecins, les pouvoirs
publics et les médias.
La demande de soins est la première revendication des gens. Mais, en
un demi-siècle, elle a changé de nature. Du droit aux soins, fort légitime
dans un pays riche, on est passé au droit à la santé, qui ne l'est pas du tout.
Trop de personnes s'imaginent pouvoir fumer, boire, conduire, travailler
ou dormir à leur guise: le plaisir est individualisé, le risque socialisé. En
outre, en faisant naître des espoirs insensés, science et médecine nous ont
rendus étrangers à la plus forte des réalités: la mort, dont on veut reculer
l'échéance sans considération de coût financier et humain.
Tout cela se paie. Mais voilà, les pouvoirs publics bien embarrassés. Il
leur faut, d'un côté, limiter une croissance des dépenses qui ont cru
longtemps beaucoup plus vite que la richesse nationale; ils constatent, de
l'autre, qu'un certain nombre de gens sont exclus des soins, d'où le projet de
couverture maladie universelle. Ils s'interrogent sur ce que pourrait être une
politique de santé publique, trop sollicités qu'ils sont de toutes parts. Au
nom de quoi orienter la recherche vers un domaine plutôt qu'un autre? En
outre, les applications de la recherche posent parfois des problèmes
juridiques et éthiques tels qu'il leur faut poser des bornes. C'est le cas de la
biologie et des techniques transgénoses.
Du coup, les tensions sont inévitables avec les chercheurs et, surtout, les
médecins, longtemps ordonnateurs sans responsabilité explicite et perçue des
dépenses (l'économie médicale était inexistante dans leurs études), et tenus
par le serment d'Hippocrate d'exercer au mieux leur talent.
Dans ce vaste champ, heureusement non clos, les médias joueraient
volontiers les arbitres. Comme toujours, leurs interventions sont
ambivalentes. Bonnes quand, grâce à leur vigilance, les lacunes et les
incohérences du système sont mises en évidence; moins heureuses quand la
louange des prouesses des "French doctors" accélère la mise en place de
5
techniques ultra sophistiquées et fort coûteuses dont ne bénéficie qu'une
fraction infime de la population; mauvaises quand la dépendance à l'égard
des annonceurs conduit à présenter, sous la rubrique "santé", des produits
relevant plutôt des parfumeurs, ou encore quand la goût du spectaculaire
l'emporte sur le souci de la vérification. Sur ce point, les médias ont intérêt à
être prudents. L'affaire du sang contaminé a marqué un tournant du droit
avec la mise en cause de deux ministres et d'un Premier ministre.
Désormais, les gens ont besoin de coupables et de responsables. Nous
dérivons vers un système à l'américaine où tout le monde plaide contre tout
le monde, notamment en matière de soins? Attention au lynchage
médiatique!
Pertinent dans son objet, ce livre l'est aussi par son contenu. La
lumineuse introduction de Michel Mathien est suivie de textes riches, bien
informés, où sont confirmées des intuitions -l'empire croissant de
l'économie sur les politiques éditoriales-, souligné le caractère complexe et
contradictoire de certaines représentations dans les médias, montré la sur- ou
la sous-médiatisation de certaines maladies, ou comment s'élabore un code
de déontologie de la recherche.
Puisque tous les problèmes de santé sont sur la place publique, ce livre
vient à son heure. Il devrait contribuer à développer chez les acteurs du jeu journalistes en tête- cette éthique de la discussion chère à Habermas,
particulièrement nécessaire dans un domaine où le social, le sanitaire, le
psychologique et le politique interfèrent en permanence.
6
INTRODUCTION
LA SANTÉ DANS LA QUÊTE DU BONHEUR
DANS LA CITÉ.
ENTRE ASPIRATIONS ET RÉALITÉS:
INFORMATIONS ET DÉCISIONS.
par
MICHEL MATHIEN
LA SANTÉ DANS LA QUÊTE DU BONHEUR
DANS LA CITÉ
ENTRE ASPIRATIONS ET RÉALITÉS:
INFORMATIONS ET DÉCISIONS
par Michel Mathieu
professeur de sciences de
l'information
et de la communication
Relevant du bien-être individuel et collectif, inscrite dans la culture
commune comme préoccupation majeure, la santé est un champ d'action des
pouvoirs publics. Avec le développement de la médecine "scientifique" à la
fin du XIXème siècle, elle est longtemps confinée dans les milieux
spécialisés, ceux des savants, des médecins, des experts et des décideurs
politiques. Certes, des journaux de l'époque, en particuliers les magazines
illustrés, en font état sous l'angle de la vulgarisation, de l'éducation sanitaire
ou de l'hygiène. Mais, avec les impulsions de la télévision des années 1960,
la santé est devenue un domaine banalisé d'intervention des médias.
Notamment après les "Médicales", créées en 1954 par Igor Barrère, Étienne
Lalou et Pierre Desgraupes, et réalisées en direct des hôpitaux de Paris. Cette
émission, à caractère exemplaire, a été suivie par bien d'autres, plus
particulièrement depuis la libéralisation des ondes par la loi de réforme de
l'audiovisuel du 29 juillet 1982.
L'évolution des pratiques journalistiques a modifié les processus de
l'information scientifique, politique et institutionnelle ainsi que leurs
questionnements respectifs. Diverses affaires mettant en cause des politiques
publiques, voire des acteurs de la santé, ont été révélées grâce à l'action des
médias. Depuis les années 1980 plus spécialement. Mais, dans leurs diverses
manières de traiter l'actualité de la santé, que ce soit sur les plans de la
recherche fondamentale ou des pratiques médicales, libérales ou
hospitalières, les médias -on le sait- suscitent perplexité et incompréhension
de la part des professionnels de la santé comme des scientifiques. Leurs
pratiques entraînent, de plus en plus souvent, malentendus et interrogations
de la part des acteurs politiques qui, paradoxalement, les servent ou s'en
9
servent dans leur propre communication publique. Quels jeux d'interaction
plus ou moins bien identifiés existe-t-il entre ces acteurs sur les questions de
santé? Dans l'évaluation de la mise en oeuvre des politiques de santé, est-ce
toujours le bien-être des individus qui est au premier plan de leurs
préoccupations ou celui d'un système de soins? Les nouveaux processus de
l'information médiatisée et les actuels modes de relations entre les sources
scientifiques et médicales et les journalistes conduisent à s'interroger sur la
qualité des traitements de l'information dans ce secteur de l'actualité. Le
contexte compétitif des médias et des pratiques journalistiques qui en
découlent -et concernent l'actualité en général- justifie aussi une telle
démarche. La fiabilité, terme sur lequel l'insistance est de plus en plus forte
de nos jours, signifie tout simplement que la promesse ou le projet annoncé
correspond, à peu de choses près, à l'action réalisée. Inscrit dans le registre
des valeurs, le mot concerne l'ensemble des acteurs qui participent aux
processus de production de l'information médiatisée au sens où celle-ci est
fabriquée par les médias, en particulier par les professionnels que sont les
journalistes.
L'information médiatisée, qui doit aussi pouvoir être comprise comme
un processus majeur de régulation des systèmes sociaux, relève dans le
domaine de la santé comme dans d'autres, de politiques éditoriales qui
définissent les principes de sélection et de mise en forme d'une actualité qui
s'impose et/ou se construit. Ces principes reposent souvent, voire davantage,
sur des considérations commerciales que sur la seule et généreuse volonté
d'éclairer les "citoyens". Les médias n'exploitent-ils
pas les peurs
ancestrales liées à toutes les formes d'agression individuelles ou collectives,
dont les maladies font partie, au risque d'aller à l'encontre du "devoir de
vérité" affirmé dans les chartes de déontologie des journalistes? Beaucoup
d'observateurs ou chercheurs le pensent de plus en plus ainsi que bien des
professionnels de l'information. Le domaine du politique n'échappe pas non
plus à l'investigation des médias et à leurs critiques. Les décideurs des
politiques de santé exercent-ils leurs responsabilités en toute sérénité malgré
l'emprise de l'actualité définie et élaborée par les médias ? Comment
acceptent-ils l'évaluation de leur action -au sens le plus objectif et rationnel
du mot !- quand, dans ce domaine comme dans d'autres, la critique a du mal
à trouver sa dimension constructive? Qu'en est-il des relations entre les trois
types d'acteurs dans les processus d'information de la société et des
individus?
De l'information scientifique en matière de santé? De
l'information politique dont l'objet est la santé dans sa dimension
individuelle et collective? Comment les décideurs politiques fondent-ils
leurs choix?
Ce sont là autant de questions insistantes qui touchent un débat dont les
contours. demeurent imprécis et dont les réponses ne seront jamais
satisfaisantes tout en faisant progresser l'action et la réflexion sur un sujet
10
dont l'intérêt ne faiblit pas. La thématique, loin d'être épuisée, offre de
nombreuses entrées qui ne peuvent qu'enrichir la connaissance des
phénomènes liés aux acteurs en présence. C'était la raison d'être du colloque
"Médias-santé-politique" qui s'est déroulé à Strasbourg le 28 novembre
1997, et qui s'est situé au carrefour des logiques médiatique, sanitaire et
politique I. Il est à l'origine de cette publication dont le but est de contribuer
à une compréhension générale de problèmes qui, dans leur dimension
sociétale, sont inévitablement pluridisciplinaires, voire transdisciplinaires car
les apfroches ou points de vue des uns et des autres ne sauraient demeurer
isolés.
Mais la présente thématique n'oublie pas une quatrième entité incarnant
des acteurs sociaux confrontés aux problématiques majeures créées entre les
trois autres. Il s'agit de celle, implicite ou explicite, que nous constituons,
sous diverses appellations, avec tous nos semblables. À savoir le public, les
consommateurs de produits ou de services, les assurés sociaux, les patients
réels ou potentiels, ou encore, et ce n'est pas rien dans les modes actuels de
pensée et d'action, les citoyens3.
LA SANTÉ ET LA CITÉ OU VICE-VERSA
L'inscription
dans les aspirations et les moeurs
Il n'est donc pas surprenant que cette thématique triangulaire, à la fois
institutionnelle et culturelle (au sens général du mot), présente une forte
réactivité individuelle et sociale dont les médias sont porteurs quand ils ne
sont pas non plus instigateurs dans biens des cas. Bien que les acteurs
sociaux soient confrontés à des systèmes complexes, avec leurs propres
niveaux de réalité et leurs vérités du moment, leurs logiques et leurs
tendances interagissent dans un contexte global évolutif comparable à celui
de tout être vivant. La métaphorisation de la société, voire de la planète,
I
Colloque "Médias-santé-politique", organisé par le Centre d'études et de recherches
interdisciplinaires sur les médias en Europe, équipe universitaire de l'Université RobertSchuman (Strasbourg III).
2 Un premier essai de confrontation sur les modes d'appréhension des médias entre disciplines
universitaires s'est tenu dans un contexte identique, le 14 juin 1996, à Strasbourg. Il a donné
lieu à des actes intitulés Médias et disciplines scientifiques. Alphacom-CUEJ, Université
Robert-Schuman, Strasbourg 1997. L'approche transdisciplinaire y avait déjà été évoquée,
notamment à partir des réflexions d'Edgar Morin au Carrefour des sciences, Actes du
Colloque "Interdisciplinarité" du CNRS, Paris, 1990.
3 Que le Conseil d'Etat consacre la seconde partie du rapport public qu'il a présenté en 1998
au "droit de la santé" renforce la pertinence du sujet en faisant la part entre la faute ou l'erreur
médicale et J'échec thérapeutique résultant des limites de la science et des moyens mis en
oeuvre. Cf. Conseil d'État, Rapport public 1998. Réflexions sur le droit de la santé. Études et
Documents n° 49, La Documentation française.
11
comme entité vivante n'est pas anodine de ce point de vue. Dire de l'une ou
de l'autre qu'elle est en "bonne" ou "mauvaise santé" indique une
appréciation qualitative lourde de sens, au présent comme au futur, sur le
"corps social" ou son "environnement". Les discours de la plupart des
mouvements écologistes renforcent une telle approche qui peut avoir des
prolongements prospectifs nourris par la réflexion de philosophes ou
. 4
d "economlstes .
Le mot "santé", chacun le sait, est un de ceux qui sont riches de
significations, d'espoirs et d'idéaux, mais aussi de craintes, de peurs, voire
d'aversions face aux agressions dont les individus, dans leur corps ou leur
mental, peuvent être victimes. Chacun, en principe, a quelque chose à en dire
et l'inscrit, de facto, dans sa conception du bonheur, celle héritée de son
histoire familiale et de son histoire collective, ou encore dans ses ambitions
personnelles ou celles qu'il projette ou défend dans la société à laquelle il
appartient.
Nos civilités rituelles ne sont pas neutres dans leur banalité. Pensons à
,,5
.
.
nos " c omment a Ilez-vous r" - "B len,
mercl. E t vous r"" 0 u, versIOn
'
québécoise, "C'est pas pire l". Ou encore à ce "Salut l" dont l'origine
latine désigne le souhait de "santé" et qui renvoie aussi à une espérance de
bonheur éternel pour beaucoup de croyants. Sans oublier non plus les
formules du type "Buvons à sa santé /" qui indiquaient que les rites liés au
fait de "boire ensemble" avait un lien avec une conception d'un "état de bien
être" .
La santé, cela vient d'être rappelé, est liée au "bonheur". En particulier,
à celui de "vivre ensemble" selon la vision de la société donnée par
Aristoté Depuis que la politique s'est donnée à penser et à voir, se projette,
4
Cf., par exemple, Hans Jonas, Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation
technologique, Paris, Cerf, 1991 ; Edgar Morin et Anne Brigitte Kern, Terre-Patrie, Paris,
Seuil, 1993 ou encore René Passet, L'Économique et le vivant, Paris, Économica, 1996 (2ème
édition). Scientifiques et politiques peuvent se rejoindre dans la concrétisation de tel1es
aspirations comme cela s'est traduit en 1998, par exemple, en Alsace, avec le projet de
création du premier parc d'attraction européen sur le thème de la vie et de la santé, le
Bioscope. Ce projet est de l'initiative de Josiane Lenormand, ancienne directrice de la
communication de la Région Alsace. Malgré le soutien d'hommes politiques, de professeurs
de médecine et de spécialistes du tourisme, il n'est pas encore concrétisé dans les faits. La
marque Bioscope appartient à Mme Lenormand.
5 Cf. la formule latine "Vale" ou "valete" ("porte-toi bien" ou "portez-vous bien" souvent
rlacée en fin de lettre).
En nous dispensant ici de toutes les nuances de l'historien, en particulier de celui des
religions, il convient de spécifier ici que le monde hel1énistique baignait dans le religieux et
que les explications relatives à la maladie s'inscrivait dans une cosmologie sans rapport avec
cel1e de nos jours. Par ailleurs, on précisera pour le lecteur peu familier du sujet que les "cités
grecques" ont perdu leur indépendance avec les conquêtes d'Alexandre de Macédoine qui eut
pour précepteur... Aristote. L'ouvrage de ce philosophe, traduit sous le titre de La Politique, a
joué un rôle important dans le renouveau théologique et philosophique du Moyen-âge, mais
aussi dans la science politique.
12
s'évalue et se critique, elle a dû intégrer les aspirations relatives à la santé
dans ses préoccupations et ses actions. Les aspects individuels ne sont pas
dissociables en toute circonstance des aspects collectifs. Les maladies ont
imposé cette réalité d'évidence à bien des collectivités dans l'Histoire. La
fatalité Ou le destin fixé par un principe divin, à l'instar des plaies d'Égypte
ou autres fléaux punitifs, n'est plus de mise dans l'organisation de la
responsabilité des cités modernes 7. A priori du moins. La tonalité de cette fin
de siècle -et du début du troisième millénaire- a une dimension
philosophique: celle de la maîtrise du destin collectif de la Cité planétaire.
Aussi, le bonheur aristotélicien s'inscrit-il de nos jours, et sans qu'il soit
nécessaire de s'expliquer davantage ici, dans une idéologie générale de la
"protection" et de la "qualité de la vie" (cf. l'évolution du droit en la matière,
la sensibilité des opinions aux conflits militaires, à I'humanitaire, à la
sécurité sous tous ses aspects...). Ces concepts opératoires concrets, attachés
à l'environnement de chacun et de tous, sont présents dans la plupart des
campagnes publicitaires ou promotionnelles en faveur de tel ou tel bien ou
service représenté par des techniques de plus en plus sophistiquées. Comme
beaucoup d'autres aspirations ou réalités de la vie -dont chacun est censé
profiter au mieux par les conditions d'existence offerte par la société de
consommation- ces composants du bonheur (auquel "on a droit !")
s'intègrent dans le "paysage" individuel ou familial, réel ou virtuel, à partir
duquel chacun construit "sa" présence dans l'univers habité.
De l'alternance
rêve-réalité:
l'action des médias
De nos jours, entre un refus de la médecine, ou de certaines médecines,
et l'utopie de "la santé parfaite" (Sfez) ou le mythe de la "sécurité" ou de la
"garantie totale" (Moles), on analyse bien des comportements, mais aussi
bien des doutes et des incertitudes8. Sans être pour autant le "miroir de la
7 Exode, chapitre 7 et suivants. Sur ce registre, le rationalisme n'a pas éliminé les croyances
de ce genre, en particulier dans l'explication des causes des maladies.
8 Lucien Sfez, dans La santé parfaite. Critique d'une nouvelle utopie (Paris, Seuil, 1995)
dénonce tout en la décrivant cette "utopie". Celle-ci rejoint, dans une certaine mesure, l'idée
développé par Abraham Moles autour de "la garantie totale" revendiquée, de facto, comme un
"droit" dans la société de consommation.
Ce sont là deux approches -de l'aspiration et du mythe ( ? )- de "la société sans risque". Cette
"utopie" conduit à une idée telle de la perfection que tout risque, y compris celui de
l'imprévu, est nié et conduit à la recherche d'une faute et d'un coupable. Cf. A. Moles, "La
garantie totale, une valeur nouvelle du monde de la consommation", in Bulletin de
l'Association
internationale de micropsychologie
et de psychologie
sociale des
communications, n° 16, Strasbourg, mai 1991, pp. 3 à 8 (texte français initial paru en 1981
dans le nOl de la Revue synoptique, mai 1981, Université de Technologie de Compiègne, pp.
25 à 35 et qui, par la suite, a donné lieu à plusieurs versions). Centré sur les objets, ce texte
envisage, dans sa conclusion, une extension de l'analyse aux services et à une philosophie
générale de la "garantie totale" s'incrustant dans les moeurs.
13
société", expression autojustificatrice d'un discours professionnel galvaudé
et désuet, les médias en sont évidemment porteurs. Tout comme le politique
lui-même, si l'on se réfère -exemple parmi beaucoup d'autres!- au projet de
libéralisation des médecines douces que la Commission de l'environnement
du Parlement européen a proposé mais que l'Assemblée de Strasbourg a
rejeté en mai 19979. L'utopie ou le mythe ont des manifestations concrètes
dans la responsabilité projetée ou réelle des acteurs concernés. Une
dynamique générale est engagée qui se concrétise, entre autres formes, dans
la judiciarisation croissante des erreurs ou des échecs médicaux déjà
évoquée.
Dans leur évolution, nos sociétés ont apporté des réponses aux questions
relatives à la protection des maladies, à l'accès et à l'organisation des soins,
mais aussi à tout ce qui touche la recherche scientifique et médicale. Ces
réponses s'inscrivent dans des systèmes de plus en plus sophistiqués, de plus
en plus institutionnalisés et à emprises sociales fortes. Ceux-ci génèrent et
produisent de l'information, des chiffres, des indicateurs divers en vue de
l'évaluation de leur efficacité ou de leur pertinence, mais aussi des débats
quant aux modalités de leur collecte, à leur exactitude ou à leur fiabilité.
Sans omettre les discussions sur les méthodes de calcul ou d'élaboration de
statistiques qui sont légions avant d'aboutir à un modus operandi
Un autre texte, paru un peu plus d'un an avant son décès en 1992, reprend cette notion:
"Avec le changement des fonctions de la médecine dans la vie urbaine -en particulier l'idée
de sécurité sociale obligatoire- s'est donc construit un enrôlement progressif de tous ceux qui
ne sont pas bien portants, depuis le PDG jusqu'au chômeur, dans une nouvelle société, la
Société Malade où, en échange d'une garantie théorique d'être soigné "au mieux des
connaissances de la Science d 'aujourd 'hui ", l'être aliène sa liberté et son droit de décision
(on ne parle jamais autant de liberté que dans les univers de la contrainte) "; in "Le métier de
malade. Vies sans qualités et qualités de vie", texte publié dans Médecine et humanisme,
document édité à l'occasion du XXème anniversaire de l'association Économie et santé, mars
1991 ; repris dans le Bulletin de l'association internationale de micropsychologie, n° 21,
décembre 1992, pp. 20 à 27.
On ne saurait, non plus, oublier de mentionner les travaux d'Erving Goffman sur le système
asilaire américain avec Asylums (New York, Doubleday, 1961, traduction française Asiles,
Paris, Ed. de Minuit, 1968) et Stigma (1963, traduction française Stigmates, ibid. 1975) qui
porte sur l'étiquetage (labelling) des "déviants".
Sur les incertitudes ou interrogations de la médecine telles qu'elles peuvent se dégager du
cabinet de consultations, on rappellera le roman de Martin Winckler, La maladie de Sachs,
Paris, éd. P.O.L.,. 1998. Ou, sur ce qu'a pu penser un grand malade de la médecine... et de la
vie et de ses aspirations, celui de Fritz Zorn, Mars, Paris, Gallimard, 1979 (le patronyme de
l'auteur qui se savait condamné est un pseudonyme: "zorn", en allemand, signifie "colère").
Etc..
9 Rapport de Paul Lannoye, député belge, leader des Verts au Parlement européen. Le journal
de médecine douce, L'Impatient, avait annoncé le vote du Parlement comme acquis sur le
sujet. Le texte proposé par la Commission de l'environnement recommandait la garantie
d'établissement des médecins non-conventionnels dans tous les pays de l'Union européenne,
avec le soutien de fonds européens (médecine naturelle, homéopathique, complémentaire,
anthroposophique, chinoise, chiropraxie, ostéopathie...). Cette initiative avait été vivement
combattue par le professeur Christian Cabrol, député européen français.
14
indiscutable. Les "batailles de chiffres" font ~artie des débats sur la santé et
sur les politiques publiques à mettre en oeuvre 0,
Ces systèmes sont placés sous les regards des acteurs de la "société" ou,
plus précisément, d'un "système social" toujours en construction et
administré par les responsables politiques, eux-mêmes observés, dans une
certaine mesure, par les médias dont l'activité peut, plus ou moins souvent et
il faut bien en convenir, tenir lieu d'évaluation publique. Une démonstration
en a été donnée, en France, par la revue Sciences et Avenir dans son numéro
d'octobre 199711 avec sa "liste noire des hôpitaux". Présentant un état
accablant des établissements de soins français qui devraient être fermés,
restructurés ou remis à niveau, cette enquête n'est pas restée sans réactions,
justifiées ou injustifiées, objectives ou passionnées, de la part des acteurs
politiques comme des responsables d'hôpitaux ou des spécialistes des
questions de santé. Les médias l'ont d'autant plus reprise et amplifiée qu'elle
a été publiée au moment où le Parlement français connaissait ses premiers
débats sur la Loi de finances de 1998. D'où les contestations, débats et
polémiques, du niveau national à l'échelon local.
Le choix de ce mensuel a clairement placé la santé -une fois de plus
depuis "l'affaire du sang contaminé,,12- dans le champ du journalisme
10
Les chiffres, on le sait, peuvent d'autant plus être des "prétextes" ou des "alibis" qu'ils
concernent des domaines où l'information est difficile à maîtriser. Sur ce sujet, on ne saurait
être exhaustif. À titre d'exemple, citons ici le travail de synthèse présenté à la Mission de
recherche (MIRE) -auprès du ministère de l'Emploi et de la Solidarité- par Luc Berlivet,
Bataille de chiffres. Données épidémiologiques et légitimation des actions publiques.
Production et circulation de statistiques médicales. Une synthèse de cette étude -qui porte sur
la mortalité attribuable à l'alcoolisme et au tabagisme- est donnée dans Mire info n° 36,
novembre 1996. Voir aussi, Bernard Aubry, "Les médias et la statistique", in Médias et
disciplines scientifiques, op. cit., pp. 31-34.
Il Sciences et Avenir, octobre 1997. Voir aussi Le Monde des 25 et 26 septembre 1997 et la
page du médiateur de ce journal du 5 octobre 1997. Celui-ci constate: "Il est vrai que (Le
Monde) n'a pas mis en chantier une aussi vaste opération que celle dans laquelle s'est
engagée, avec succès, "Sciences et Avenir". Il convient de rappeler ici que les contraintes
d'un quotidien comme Le Monde rendent difficile la mobilisation de plusieurs journalistes,
sur un sujet donné, pendant de longs mois. Cette difficulté n'est pas nouvelle: elle est l'un
des freins au développement du "journalisme d'investigation ".
En septembre 1998, la même revue revient sur un sujet identique avec un "palmarès des
services de chirurgie" qui met en évidence les risques de mortalité opératoire selon les lieux
d'implantation des hôpitaux (à l'exception de ceux de l'Assistance publique de Paris et des
Hospices civils de Lyon).
12Au moment où nous mettons le point final à ce manuscrit, "l'affaire du sang contaminé" a
donné lieu à un rebondissement. La commission d'instruction de la Cour de justice de la
République a décidé, le 20 juillet 1998, de renvoyer trois ministres devant la formation de
jugement de cette même cour. Cette décision a donné lieu à un long argumentaire dans lequel
il est fait usage d'une chronologie des informations diffusées sur le sujet par la presse, dont la
presse régionale. Celle-ci a donné lieu a une polémique entre Le Monde et Le Canard
enchaîné, le second reprochant au premier de se justifier à bon compte, lui "refait la copie" et
rappelle que son auteur, Jean-Yves Nau (docteur en médecine et journaliste médical au sein
de ce journal), "...en 1988, au moment où les rumeurs sur la contamination des hémophiles se
15
d'investigation. Élevé au niveau de modèle pour beaucoup de professionnels
du monde entier avec "l'affaire du Watergate" des années 1972-1974, ce
journalisme-là a, depuis, aussi montré ses limites par ses excès13. Un tel
choix engage l'éditeur dans le débat sur l'évolution d'une profession dans
une perspective dite "citoyenne" visant à faire du journaliste un acteur au
sein de la société et non pas seulement un simple informateur ou un
médiateur entre les acteurs ou décideurs de la Cité et les lecteurs, auditeurs
et téléspectateurs. Si les hôpitaux sont de plus en plus "sous investigation",
c'est parce qu'ils ont aussi de très fortes implications humaines relevant des
phénomènes d'identification, de projection et de transfert que les médias
savent utiliser pour faire valoir leurs contenus. Mais ce "journalisme
citoyen" ou "journalisme civique", voire "journalisme public", 1ui se répand
aux États-Unis, n'est pas non plus sans intérêt économique 4. Dans les
débats qu'il suscite, le marketing éditorial y occupe une bonne place dans la
mesure où bien des publications, en particulier des quotidiens locaux, ont à
reconquérir la confiance d'un lectorat qui leur fait défaut depuis longtemps!
Mais quand le "fait divers" entre à l'hôpital où quand on le fabrique à
partir de I'hôpital, notamment dans le contexte général du contrôle des
dépenses de santé (le "trou" récurrent de la Sécurité sociale), on a des
"ingrédients" supplémentaires pour un "feuilleton" pouvant aller de
rebondissements en rebondissements. Exemple parmi beaucoup d'autres,
celui du "train de vie pharaonique" d'un directeur général de Centre
hospitalier régional et universitaire dont l'affaire judiciaire n'est pas, pour
l'instant, à la hauteur des espérances exprimées. Prouver la gabegie des
fonds publics attribuée, tout de go, à un haut fonctionnaire de la santé, dans
un établissement affichant, à l'époque, un budget de plus de 2,5 milliards de
F équivalant à celui de la Ville de Strasbourg et dont le maire préside le
conseil d'administration de ce même établissement, aurait été très intéressant
faisaient insistantes (il) avait secrètement été salarié par Garetta (alors directeur du Centre
nationalde transfusionsanguine)commeconseilleren communicationH. Lire Jean-YvesNau,
"Les précieuses archives de la presse quotidienne de l'époque", Le Monde, 22 juillet 1998, p.
6 ; et Alain Guédé, "Sang contaminé. Une modeste chronologie", Le Canard enchaîné, 29
juillet 1998, p. 8.
13Sur l'évolution des pratiques du journalisme professionnel, des contraintes de ceux qui en
exercent les divers métiers, on se reportera à notre livre Les journalistes et le système
médiatique, Paris, Hachette-Supérieur, 1992 ; sur le journalisme d'investigation (qui
nécessiterait évidemment de plus amples développement dans le propos, notamment sur les
risques et avantages qu'il représente pour la profession et pour la société en général), voir
notamment pp. 232 ss. Pour une approche plus générale, le lecteur pourra aussi se reporter à
notre ouvrage, Lesjournalistes. Paris, P.U.F. ("Que sais-je?" n° 2976), 1995.
14 Ces expressions sont quasi synonymes. Cf. à ce sujet Michel Beauchamp et Thierry
Watine, "Le journalisme public aux États-Unis: émergence d'un nouveau concept", in Les
Cahiers dujournalisme n° 1, École supérieure de journalisme, Lille, 1996 pp. 142-159.
16
sur de nombreux plans.15 Ce feuilleton est déjà de "mauvaise qualité" car,
depuis le temps, il n'a eu ni suite, ni fin connue.
On l'a déjà compris, la médecine et la science sous leurs divers aspects,
ne constituent plus des "citadelles", On pourrait en dire autant pour d'autres
institutions sociales longtemps fermées ou organisant leurs relations avec la
société selon leur propre gré. Pour les acteurs de l'univers communicationnel
qui est le nôtre, il n'y a plus, ou quasiment plus, d' "institutions totales"
(Goffman).
LES MÉDIAS ET LA SANTÉ:
ÉLÉMENTS
STATISTIQUES
Constater que la santé est devenue un secteur particulièrement privilégié
dans les champs d'observation ou d'investigation des grands médias, signifie
qu'elle est sortie, par bien de ses aspects, des milieux professionnels et
spécialisés. Notamment ceux relevant des sciences et des technologies mais
aussi des choix de politique publique.
Si le dénombrement des émissions plus ou moins régulières est
relativement complexe, voire hasardeux pour la radio et la télévision, on
dispose d'indications assez précises pour la presse. Notons cependant que
l'information de santé -qu'elle relève de l'actualité ou de ce que l'on
nommait autrefois l' "éducation sanitaire"- trouve place dans toutes les
formes de publications, en particulier généralistes avec des rubriques plus ou
moins régulières dans les quotidiens et hebdomadaires ou hors rubrique en
raison, précisément, de l'actualitéI6. C'est davantage cette information-là qui
15
Il s'agit de l'affaire des Hôpitaux de Strasbourg.Celle-ci a éclaté le 2 décembre 1994 de
façon spectaculaire et inédite. Elle a fait l'étal des kiosques français. L'instruction n'est pas, à
ce jour achevée, et l'on se demande s'il ne s'agit pas d'un "dossier creux". Révélée dans le
contexte particulier d'une intervention exceptionnelle qui a conduit une soixantaine de
gendarmes à investir les services de la direction générale des hôpitaux publics strasbourgeois,
cette affaire a évidemment fait grand bruit à quelques mois des élections municipales.
Alimentée, à l'origine, par un bref rapport des Renseignements généraux (dix pages) présenté
sous forme de "blanc", c'est à dire sans indication de provenance et de signature, il semble
avec le temps- que l'affaire se fonde beaucoup sur des considérations internes relevant de la
psychologie sociale, de la sociologie des organisations, voire des sciences de l'information et
de la communication puisque la rumeur n'a pas été un de ses moindres avatars, tout comme
les rivalités syndicales. Sans omettre, ce qui est aussi exceptionnel, les vives tensions entre le
procureur de la République et le préfet de Région de l'époque, et, surtout, leur manifestation
publique. La caractéristique majeure de cette affaire, à propos de laquelle le journalisme
d'investigation ne s'est manifestement pas montré à la hauteur, réside davantage dans la
rumeur "pharaonique" que dans le train de vie d'un directeur général. La conclusion judiciaire
~~~~
'
16Des émissions de radio et de télévision passent volontiers d'un genre à l'autre. La rubrique
"santé" de France-Info, par exemple, est très souvent centrée sur "l'éducation sanitaire" tout
comme "Télé-matin" sur France 2. Les services spécialisés dans la santé du réseau
télématique Minitel (environ 400 sur 20 000 prestataires) vont également dans ce sens avec,
-
17
est chargée d'un degré élevé d'implication auprès des lecteurs comme de la
collectivité, surtout quand elle est relayée et amplifiée par les chaînes de
télévision.
En effet, si cette information n'est pas nouvelle en soi, son amplification
par les médias modernes l'est en revanche. Pour mémoire, le fondateur de La
Gazette en 1631, Théophraste Renaudot, était médecin et faisait de
l'information médicale et scientifique. Ses articles le conduisaient à des
conflits ouverts avec les communautés de savants soucieux de défendre
l'orthodoxie de leurs discours autant que leurs privilèges. Mais La Gazette
n'était tirée qu'à quelques milliers d'exemplaires à une époque où peu
17
savaient lire.
Les chiffres du SJTIC
La situation a heureusement changé depuis lors. Le contexte actuel est
celui d'une floraison des publications spécialisées et des publications
professionnelles. À titre purement indicatif, le secteur de la santé est
répertorié par le Service Juridique et Technique de l'Information et de la
Communication (SJTIe), dans deux grandes catégories sur les cinq qu'il a
constituées: "la presse spécialisée grand public" et "la presse spécialisée
technique et professionnelle,,18.
Dans la première, il est associé à "la presse féminine" dans une souscatégorie "santé et beauté" bien qu'on puisse en trouver des aspects, par
exemple, dans la presse familiale ou du 3ème âge. En 1995, on y relève 18
titres sur 78 dont, par exemple, Bio Santé, Médecine naturelle, Santé
magazine, Top Santé etc...
en plus, des "recettes" en réponse à des préoccupations précises mais, sauf exception, ne
traitent guère de l'actualité médicale sous tous ses aspects.
17 On attend avec intérêt la publication de la volumineuse thèse d'État de Gilles Feyel,
L'annonce et la nouvelle. La presse d'information et son évolution sous l'Ancien régime
(1630-1788),Fondation Voltaire, Oxford, 1999, qui est consacrée aux origines de la presse
française et qui préfigure les débats relatifs à l'information médiatisée.
18Le SITIC est une instance administrative relevant du Premier ministre. Ses données
statistiques sur la presse sont les seules à avoir une dimension exhaustive fondée sur une
enquête annuelle dont les résultats sont disponibles deux ans après. Les trois autres catégories
de sa classification sont la "presse nationale d'information générale et politique", hr "presse
locale (ou régionale) d'information générale", et la "presse gratuite d'annonces". Cf
Tableaux statistiques de la presse. Données détaillées 1995 SJTIC-Documentation française,
décembre 1997.
L'augmentation des titres de la "presse médicale" est une des plus fortes de la catégorie de la
presse technique et professionnelle où l'on observe une stagnation, voire une récession dans
la plupart des sous-catégories comme celles de la presse agricole, de l'agro-alimentaire, du
bâtiment et des travaux publics, du commerce, des finances etc..
18
Dans la seconde, la presse médicale est une sous-catégorie qui compte
325 titres sur 1312 publications de cette catégorie, soit environ un quart19.
On y trouve une presse médicale généraliste (44 titres) -dont la périodicité
dominante est quotidienne et hebdomadaire (Le Quotidien du médecin, Le
Généraliste...) - et une presse "spécialisée" (202 titres) dont la périodicité est
plutôt mensuelle et trimestrielle et dont une partie n'est pas inscrite dans
l'économie marchande à proprement parler. Elle est largement représentée
par ce que l'on nomme dans les milieux professionnels les "abstracts" (ceux
de "cardio" , de "dermato" , de " gastro" etc .) , les "annales" (de "chirur g ie" ,
de "pédiatrie" ou de villes ayant une faculté de médecine etc ), et les
bulletins et revues diverses comme Le Bulletin du cancer, Le Journal de
traumatologie du sport, Thérapeutique et pratique hospitalières etc..
Ces indications signifient déjà que la presse médicale est fortement
diversifiée. Si le tirage moyen est 'de 8 000 exemplaires par titre, dans
beaucoup de cas il n'est que de quelques centaines. Malgré de légères
augmentations des titres d'une année à l'autre -96 titres supplémentaires ont
été comptabilisés de 1982 à 1995- la diffusion spécifique (51 %
d'abonnements en moyenne, mais 44,8% de "services gratuits") est en
baisse. Par exemple, la diffusion totale est passée de 91,3 millions
d'exemplaires à 89,2 de 1994 à 1995. Elle était de 92,5 millions en 1985.
Comme on dénombre 2783 titres dans le secteur commercial (toutes
catégories confondues et hors presse gratuite), la presse médicale représente,
à elle seule, près de 12% de cet effectif total. C'est dire son importance en
nombre et, en même temps, sa saturation dans le secteur marchand.
La presse "santé et beauté" a augmenté sa diffusion en 1995 à 23,9
millions d'exemplaires (35,3 millions de tirage -soit 32,4% d'invendus- et
185 000 exemplaires en moyenne par titre). L'année précédente sa diffusion
était de 21,9 millions (tirage de 32,5 millions d'exemplaires, soit 32,8%
d'invendus). En 1995, elle représentait 9,4% de la diffusion de la "presse
féminine". C'est une presse vendue essentiellement en kiosques dont le
chiffre d'affaires était, cette année-là, de 459 millions de F pour près de 382
millions en 1994 (soit 11,2% de celui de la "presse féminine").
En 1995, la presse médicale a tiré, elle, à 92,5 millions d'exemplaires
pour une diffusion de 89,2 millions (soit 3,8% d'invendus). Elle a réalisé un
chiffre d'affaires de 1,139 milliard de francs (dont 62,6% de recettes
commerciales
- 713,5
millions
de F- et 3,4% de petites
annonces
-38,8
millions de francs), soit 17,8% du chiffre d'affaires de la catégorie "presse
technique et professionnelle". Ce chiffre d'affaires est en baisse par rapport à
19En 1982, on dénombrait 229 titres sur les 1109 de la catégorie soit une augmentation de 96
unités qui représente près de 50% de la hausse de l'effectif de la presse médicale. La situation
a changé depuis puisqu'on a constaté une récession à compter de 1990.
19
celui de 1993, le plus élevé de la période allant de 1985 à 1995, qui était de
1,189 milliard.
La presse médicale: fragilité et restructuration
Ces indications tpanifestent la récession économique que la presse
médicale a connue depuis 1990. Toutes les formes de presse réunies ont
constitué un chiffre d'affaires global de 55,7 milliards de francs (hors
journaux gratuits) dont 40% de recettes de publicité. Le chiffre d'affaires de
la presse médicale ne représente que 2% de ce total, c'est dire que son
impact est restreint. Rien de surprenant à cela en raison du statut-même de
ses principaux titres comme Le Quotidien du médecin, Le Généraliste, Le
Panorama du médecin, Impact médecin hebdo, Impact quotidien, La Revue
du praticien MG, Thérapeutiques, Le Concours médical, Jim, La Gazette
médicale et autres. Cette presse porte davantage sur l'information et la
formation continue de ses lecteurs qui appartiennent soit au public des
étudiants avancés et des chercheurs des secteurs privé ou public, soit au
public des praticiens travaillant en libéral ou à l'hôpital, des universitaires
des facultés de médecine, de pharmacie, des écoles vétérinaires etc?O C'est
dans beaucoup de ces publications, et selon un processus connu, qu'une
partie de la recherche médicale s'expose et se critique auprès des pairs (le
microcosme des savants) avant d'être -théoriquement- validée par eux, puis
entre dans la culture commune par l'intermédiaire des "grands médias" et de
leurs effets amplificateurs.
On l'aura compris, en l'état actuel du marché de la presse française, il
n'y a pas de "presse grand public" très développée sur le thème de la santé.
La presse médicale spécialisée reste fragmentée, fragile et fait l'objet d'une
concentration relative qui a donné lieu à des interrogations aussi bien de la
part des syndicats d'éditeurs que des journalistes spécialisés. En effet, on l'a
vu par quelques chiffres, la diffusion gratuite d'une part de ses titres cache
une dépendance à l'égard des annonceurs, en l'occurrence les laboratoires
pharmaceutiques qui, pour l'essentiel, concentrent leurs investissements
publicitaires sur quelques titres21. Cette concentration a pris une acuité
20Les ordonnances de 1996 relatives à la maîtrise des dépenses de soins (dites "Juppé") font
de la formation médicale continue une obligation alors qu'elle n'était qu'un devoir
déontologique jusqu'alors. La presse destinée aux praticiens se fondait déjà sur ce principe.
La loi renforce ainsi le rôle de la presse médicale. Selon l'enquête du Centre de démographie
et de sociologie médicale de décembre 1996, 95,4% des médecins utilisaient cette presse à
des fins de formation et 61,8% la considéraient comme un des moyens les plus importants
pour leur formation continue. Mais leur disponibilité quotidienne est aussi relative: 15 à 30
minutes à consacrer pour l'information professionnelle en 1992 ! (source SITIC, Dix ans de
statistiques de presse (1982-1992), Paris, 1995.
21 Sur les quelques 300 publications, seulement 7 titres se partageaient 80% du marché
publicitaire (source SITIC).
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