
DISSIMULATION ET
DEVOILEMENT
SCENOGRAPHIE
La Tondue est une pièce courte (60 minutes), qui se déroule dans un espace intime, peu
chargé, aux dimensions réduites : l’atelier d’Antoine.
De petites boites en carton, étiquetées minutieusement, s’y entassent. Ce sont les boîtes de
cheveux. L’empilement exagéré de ces petites boites closes est exemplaire des tentatives des
trois personnages de sceller leurs secrets respectifs.
Sur l’établi du perruquier, trône une perruque en cours de confection, qui rappelle précisément la
chevelure d’Alsace. Sa réalisation progresse au fil de la pièce.
La partie sonore est une création originale de Thierry Simoulin. Coudoiements dans la rue,
chuchotements et pas furtifs, piétinements aux abords de la boutique du perruquier ; verrouillages
de portes à double tour, fermetures de boîtes ou de tiroirs… L’ambiance sonore approfondit les
principes de tabou et de non-dit qui régissent les rapports de ce trio familial.
La lumière, dans sa grande simplicité, alterne entre éclairages crus et obscurité, jouant sur ce
couple d’idées que forment dissimulation et dévoilement. Un jet de lumière matérialise le
soupirail dans le fond de l’atelier, tel une trouée dans l’ombre.
Enfin, les costumes symbolisent l’esprit de l’époque mais ne recherchent aucun effet
pittoresque. Ils soulignent, sans outrance, les caractères représentés : ridicule patriotique de
Zéphirin, beauté triste d’Alsace, vieillesse charismatique d’Antoine.
EXTRAIT…
.
(debout, au centre de la scène)
Je le savais. Je sentais que les choses tournaient pas bien.
Ça, j’ai eu le nez creux. Résultat, le vieux, je l’ai remis à sa
place. Et je vais pas verser des larmes là-dessus. Il m’en
fait voir de toutes les couleurs, le beau-père. Il croit toujours
pouvoir disposer de moi comme d’une chose. Il est
méchant comme un âne rouge, celui-là. Moi qui me suis
rompu l’échine à tenir la maison en ordre. Voilà ma
récompense. Il se moque de moi à longueur de jour ! Cette
fois je lui ai glacé la plaisanterie sur les lèvres, au vieillard.
Monsieur parle en maître, il crève d’importance et aussi il
voudrait me tenir sous son talon. La bonne blague ! Comme
si j’allais me débiner devant lui !
Avec ses yeux noirs comme des trous de vrilles. Il est
moche, vieux et malade : ça fait trois fois malade, ça ! Toi
aussi, tu vas payer, vieillard ! Après tout, le patron de la
maison, c’est toi, c’est pas moi. Alors si ça chatouille
quelqu’un de savoir que les Allemands ont passé un an ici,
qu’il s’adresse au patriarche. Pas à moi ! Seulement le
patriarche, il cherche à se couler dans l’ombre, l’oreille
basse. Il veut se planquer dans son trou, mais il se fera
fumer comme un renard.
Tiens, mais j’y pense, rusé comme il est, va savoir s’il
est pas déjà allé raconter des histoires sur mon compte. Il a
peut être dit des choses à Mme Cardot. Cette naine à face
de fouine, qui est venue me dire avec une ruse de chatte
que les affaires marchaient bien dans notre boutique
veut dire quoi, ça ? C’est des mots à double entente, ça !
Est-ce que c’est mon crime si mon commerce s’est pas
cassé la pipe comme le sien
? Mais c’est la jalousie qui lui
mord la jambe, à celle là ! Eh bien sur, le beau père lui a
soufflé des mensonges à l’oreille. Ces deux vipères, elles
se sont bien reconnues pour être sorti du même œuf ! Mais
la Cardot, je pourrais parler sur elle, moi aussi. Sur sa fille,
la grande Lise, et la bosse de son ventre qui lui remonte la
jupe jusqu’à la jarretière. Quel nom va-t elle donner à la
race qu’on va voir sortir d’entre ses cuisses ? Je la
toucherai au vif de sa plaie, moi, la Cardot. Sa fille, c’est
moi qui lui tondrai le crâne. Elle qui rate jamais l’occasion
de venir se remplir les yeux quand on en rase une sur la
Place du Capitole, j’aimerais savoir si elle viendra voir aussi
sa putain de fille.
Mais c’est pas croyable comme l’idée fixe peut planter
son clou dans la cervelle des gens ! Sous le joli prétexte
que j’ai servi la soupe aux allemands. Ah, je vous jure !
C’est un pavé attaché à mon cou, cette histoire ! Je suis
vraiment né avec une mauvaise chance, moi. Les gens
comprennent pas. Ils comprennent pas que même la tête
sur le billot, j’aurais jamais trahi mes compatriotes. C’est
pas mon crime si les Allemands sont venus chez moi ! Les
gens veulent pas comprendre. (…)