nouveau entre les deux rives de la Manche, à la grande satisfaction de Bismarck :
dans cette affaire, le chancelier allemand avait tout fait pour brouiller Paris et
Londres, de même qu’il avait encouragé la France à saisir la Tunisie en 1881 pour
envenimer les rapports franco-italiens…
Gambetta, quant à lui, était décédé fin 1882, mais il n’est sans doute pas inexact
d’affirmer qu’il se survécut en Théophile Delcassé. De la politique de l’un à celle
de l’autre, on retrouvera les mêmes amers: d’abord la nécessité de l’expansion
coloniale, non seulement pour des motifs économiques mais aussi pour « redevenir
une grande puissance(3) » ; ensuite la recherche de l’entente franco-britannique
comme préalable à tout face-à-face entre la France et l’Allemagne: « Au prix des
plus grands sacrifices, ne rompez jamais l’alliance anglaise(4) » ; enfin le besoin
d’une flotte puissante pour surmonter la contradiction entre les deux premiers
points, le seul moyen de désamorcer la rivalité coloniale franco-britannique étant
d’en imposer suffisamment à l’Angleterre pour qu’elle accepte un partage concerté
des zones d’expansion: « Les Anglais, en bons politiques qu’ils sont, n’estiment
que les alliés qui savent se faire respecter, et compter avec leurs intérêts(5) ».
L’affirmation de Delcassé dans le débat diplomatique
Gambetta mort, Delcassé mit sa plume au service de Ferry, dont il soutint la
politique d’expansion au Tonkin et à Madagascar (1883-1885). En dépit de ces suc-
cès, les députés restaient méfiants envers les entreprises coloniales, et l’on sait
comment Ferry, le 30 mars 1885, fut renversé suite à l’accrochage de Lang-Son.
Delcassé, qui lui rendit visite quelques heures plus tard, comprit alors la nécessité
de créer une opinion coloniale pour éviter que les maîtres d’œuvre de l’expansion
française fussent à la merci des cabales parlementaires.
Parmi les arguments colonialistes alors en vogue figurait la constitution d’un
réseau planétaire de bases navales. Jusqu’à la décennie 1880, la France en avait
cruellement manqué : Obock était bien isolé face à la base britannique d’Aden,
comme Dakar face à celles de l’Ascension, de Sainte-Hélène et du Cap. Mais les
conquêtes réalisées de 1881 à 1885 changeaient la donne : Bizerte faisait contre-
poids à Malte, Madagascar au Cap et la consolidation de la présence française en
Indochine permettait de transformer Saïgon en un arsenal majeur surveillant Hong-
Kong et Singapour. Les bâtiments français pouvaient dès lors, sur le papier au
moins, couper les artères vitales de l’empire britannique. Une brochure anonyme
parue en 1885, Les colonies nécessaires, en tirait les conséquences diplomatiques:
« la valeur offensive » nouvelle de la flotte française, y lisait-on, « rend notre neu-
tralité ou notre alliance […] précieuse(6) ». En particulier, elle plaidait pour un rap-
prochement entre la France et la Russie, celle-ci ayant maille à partir avec
l’Angleterre en Asie centrale comme celle-là en Méditerranée ; le cas échéant, une
« diversion » navale française conduite depuis Madagascar et Saïgon faciliterait
grandement la progression des Russes vers les Indes(7). Les facteurs terrestres
CAHIERS DU CEHD
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(3) Gambetta, cité par Christopher ANDREW, Théophile Delcassé and the Making of the Entente cor-
diale, Londres, Macmillan, 1968, p. 27.
(4) Gambetta, cité par ANDREW, ibid., p. 22.
(5) Delcassé, cité par NETON, op. cit., p. 289.
(6) Les colonies nécessaires, par un marin, Paris, Paul Ollendorff, 1885, p. 13.
(7) Ibid.