MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
SECRÉTARIAT GÉNÉRAL POUR L’ADMINISTRATION
CAHIERS DU CENTRE D’ÉTUDES D’HISTOIRE DE LA DÉFENSE
HISTOIRE DES RAPPORTS
DIPLOMATICO-STRATÉGIQUES II
sous la direction du professeur
Georges-Henri S
OUTOU
professeur à l’université Paris IV-Sorbonne
CAHIER N° 29
2006
AVANT-PROPOS
par Georges-Henri Soutou......................................................................................................................7
THÉOPHILE DELCASSÉ: MARINE ET DIPLOMATIE
par Martin Motte ....................................................................................................................................9
LES RELATIONS POLITICO-STRATEGIQUES ENTRE LA FRANCE, L’UNION SOVIÉTIQUE
ET LA POLOGNE (1924-1935)
par Frédéric Dessberg ..........................................................................................................................29
LE CAUCASE DANS LES PLANS STRATÉGIQUES DE L’ALLEMAGNE (1941-1945)
par Georges Mamoulia..........................................................................................................................43
LA PROBLÉMATIQUE DE L’ALLIANCE FRANCO-BRITANNIQUE (1943-1947)
par Yann Lamézec ................................................................................................................................91
LÂCHER LA PROIE POUR L’OMBRE ?
LA FUSION DES FORCES ALLEMANDES DANS L’ARMÉE EUROPÉENNE, VUE PAR LES
AUTORITÉS MILITAIRES FRANÇAISES (1951-1954)
par François David ..............................................................................................................................117
ORIGINE, SIGNIFICATION ET PORTÉE DE LA CONTROVERSE ARON/GALLOIS À
L’ÉPOQUE DU « GRAND DÉBAT » (1959-1963)
par Christian Malis ............................................................................................................................141
LE DÉVELOPPEMENT DES CAPACITÉS MILITAIRES DE L’UE : VERS L’AUTONOMIE?
Édouard Pflimlin ................................................................................................................................167
BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................................211
ANNEXES ............................................................................................................................................213
TABLE DES MATIÈRES
7
GEORGES-HENRI SOUTOU
AVANT-PROPOS
par Georges-Henri SOUTOU
Professeur à l’Université de Sorbonne - Paris IV
Ce quatrième Cahier réunit des travaux faits dans le séminaire commun au
CEHD et à l’Université de Paris-IV et consacré à l’histoire des rapports diplomati-
co-stratégiques. Il couvre, comme les précédents, une large palette, qui illustre bien
la richesse de cette problématique. En effet le renouvellement des méthodes de
l’histoire des relations internationales, l’accent mis depuis quelques années sur les
questions stratégiques dans leur rapport avec la diplomatie, ainsi que la mise en
valeur récente de la notion de « système international », accompagnent le considé-
rable enrichissement méthodologique que connaît en ce moment l’histoire militaire,
en particulier en France, aussi grâce à une politique désormais plus audacieuse
d’ouverture des archives.
De Delcassé, ministre de la Marine trop peu connu dans cette fonction, à la poli-
tique de défense de l’Union européenne, en passant par le triangle politico-straté-
gique crucial franco-soviéto-polonais de l’entre-deux-guerres et par le Caucase,
zone essentielle pour la stratégie hitlérienne, en continuant par le traité de
Dunkerque, bien oublié aujourd’hui mais qui a constitué une étape importante des
années ambiguës qui ont suivi 1945, et par la CED, on va voir la vitalité des re-
cherches récentes, qui toutes ont déjà abouti ou vont aboutir à des thèses ou à des
habilitations importantes.
À l’heure où les systèmes universitaires et les organisations de recherche en
Europe et en France se trouvent en pleine mutation, à l’heure aussi où l’actualité
montre qu’à nouveau les considérations de sécurité et de stratégie reprennent une
place essentielle dans les relations internationales, après la fin des illusions de la
« fin de l’Histoire » et du Soft power propagées pendant les années de l’immédiat
après-Guerre froide, il est bon que ce Cahier témoigne de l’existence d’une nou-
velle et riche génération d’historiens qui s’intéressent aux mécanismes vitaux, et
rudes, de notre temps.
THÉOPHILE DELCASSÉ : MARINE ET DIPLOMATIE
par Martin MOTTE(1)
Célébrant en 2004 le centenaire de l’Entente cordiale, diplomates et historiens
n’ont pas manqué de saluer en Delcassé l’un de nos plus remarquables ministres
des Affaires étrangères. Mais a-t-on prêté suffisamment attention à son rôle dans le
redressement de la marine, dont il fut le ministre en 1911-1913 ? Et a-t-on souligné
la place essentielle qu’eurent dans sa réflexion les questions navales, dès son entrée
en politique ? Nous nous y sommes essayés en quatre grandes étapes : la genèse de
la pensée de Delcassé (1877-1893), la préparation de la mission Congo-Nil (1893-
1898), la redéfinition des buts diplomatiques entre Fachoda et la naissance de la
Triple Entente (1898-1907), la refonte subséquente de la flotte (1908-1913).
La définition initiale des objectifs (1877-1893)
Naissance d’une vocation
Delcassé vint à la politique par le journalisme, écrivant à partir de 1877 dans la
presse gambettiste. C’est l’affaire d’Égypte qui le fit connaître du grand public.
Tout commença en 1881 par la révolte nationaliste du colonel Arabi Pacha, qui exi-
geait la suppression du condominium anglo-français établi sur l’Égypte cinq ans
plus tôt. Gambetta et son homologue britannique Gladstone décidèrent d’intervenir,
mais l’extrême-droite et l’extrême-gauche françaises, marquées par le traumatisme
de 1870-1871, craignaient des complications avec les empires centraux. Leur coali-
tion entraîna la chute de Gambetta le 26 janvier 1882. Dans la nuit du 26 au 27,
Delcassé rédigea d’une traite une brochure au titre éloquent, Alerte! Où allons-
nous?, qui soulignait l’importance stratégique de Suez et dénonçait l’inconscience
de députés trop obsédés par la ligne bleue des Vosges pour comprendre les grands
enjeux maritimes. Cette brochure rencontra un très vif succès. La suite des événe-
ments allait pourtant démontrer que Delcassé n’avait pas réussi à retourner l’opi-
nion. Comme les troubles persistaient en Égypte, la Royal Navy bombarda
Alexandrie et y jeta ses corps de débarquement le 11 juillet 1882. Les jours sui-
vants, le débat rebondit au Palais-Bourbon : fallait-il ou ne fallait-il pas épauler
l’intervention britannique ? Toujours partisan de la fermeté, Gambetta revenait à la
charge, proclamant la nécessité de sauvegarder « notre influence en Méditerranée »
et de ne pas gaspiller le précieux capital de l’amitié franco-anglaise(2).
Pendant que les députés français palabraient, les troupes britanniques prenaient
le contrôle total de l’Égypte. Maîtresse de Suez, l’Angleterre retrouvait la main-
mise sur la route de l’extrême-Orient que lui avait autrefois donné le contrôle du
Cap ; la France, inversement, avait perdu le plus brillant héritage géostratégique du
Second Empire. Comprenant trop tard l’énormité de son erreur, elle demanda aux
Anglais le rétablissement du condominium de 1876, mais ceux-ci eurent beau jeu
de répliquer que le gouvernement français n’avait pas été à la hauteur de ses res-
ponsabilités et ils rompirent les pourparlers le 3 janvier 1883. Le torchon brûlait à
MARTIN MOTTE
9
(1) Ancien élève de l’ENS-Ulm, Martin Motte est agrégé et docteur en Histoire. Enseignant-
chercheur en histoire des relations internationales au Centre de Recherche des Écoles militaires de Coëtquidan.
(2) Gambetta, cité par Albéric NETON, ancien secrétaire de Delcassé, Delcassé (1852-1923), Paris,
Académie diplomatique internationale, 1952, p. 57.
nouveau entre les deux rives de la Manche, à la grande satisfaction de Bismarck :
dans cette affaire, le chancelier allemand avait tout fait pour brouiller Paris et
Londres, de même qu’il avait encouragé la France à saisir la Tunisie en 1881 pour
envenimer les rapports franco-italiens…
Gambetta, quant à lui, était décédé fin 1882, mais il n’est sans doute pas inexact
d’affirmer qu’il se survécut en Théophile Delcassé. De la politique de l’un à celle
de l’autre, on retrouvera les mêmes amers: d’abord la nécessité de l’expansion
coloniale, non seulement pour des motifs économiques mais aussi pour « redevenir
une grande puissance(3) » ; ensuite la recherche de l’entente franco-britannique
comme préalable à tout face-à-face entre la France et l’Allemagne: « Au prix des
plus grands sacrifices, ne rompez jamais l’alliance anglaise(4) » ; enfin le besoin
d’une flotte puissante pour surmonter la contradiction entre les deux premiers
points, le seul moyen de désamorcer la rivalité coloniale franco-britannique étant
d’en imposer suffisamment à l’Angleterre pour qu’elle accepte un partage concerté
des zones d’expansion: « Les Anglais, en bons politiques qu’ils sont, n’estiment
que les alliés qui savent se faire respecter, et compter avec leurs intérêts(5) ».
L’affirmation de Delcassé dans le débat diplomatique
Gambetta mort, Delcassé mit sa plume au service de Ferry, dont il soutint la
politique d’expansion au Tonkin et à Madagascar (1883-1885). En dépit de ces suc-
cès, les députés restaient méfiants envers les entreprises coloniales, et l’on sait
comment Ferry, le 30 mars 1885, fut renversé suite à l’accrochage de Lang-Son.
Delcassé, qui lui rendit visite quelques heures plus tard, comprit alors la nécessité
de créer une opinion coloniale pour éviter que les maîtres d’œuvre de l’expansion
française fussent à la merci des cabales parlementaires.
Parmi les arguments colonialistes alors en vogue figurait la constitution d’un
réseau planétaire de bases navales. Jusqu’à la décennie 1880, la France en avait
cruellement manqué : Obock était bien isolé face à la base britannique d’Aden,
comme Dakar face à celles de l’Ascension, de Sainte-Hélène et du Cap. Mais les
conquêtes réalisées de 1881 à 1885 changeaient la donne : Bizerte faisait contre-
poids à Malte, Madagascar au Cap et la consolidation de la présence française en
Indochine permettait de transformer Saïgon en un arsenal majeur surveillant Hong-
Kong et Singapour. Les bâtiments français pouvaient dès lors, sur le papier au
moins, couper les artères vitales de l’empire britannique. Une brochure anonyme
parue en 1885, Les colonies nécessaires, en tirait les conséquences diplomatiques:
« la valeur offensive » nouvelle de la flotte française, y lisait-on, « rend notre neu-
tralité ou notre alliance […] précieuse(6) ». En particulier, elle plaidait pour un rap-
prochement entre la France et la Russie, celle-ci ayant maille à partir avec
l’Angleterre en Asie centrale comme celle-là en Méditerranée ; le cas échéant, une
« diversion » navale française conduite depuis Madagascar et Saïgon faciliterait
grandement la progression des Russes vers les Indes(7). Les facteurs terrestres
CAHIERS DU CEHD
10
(3) Gambetta, cité par Christopher ANDREW, Théophile Delcassé and the Making of the Entente cor-
diale, Londres, Macmillan, 1968, p. 27.
(4) Gambetta, cité par ANDREW, ibid., p. 22.
(5) Delcassé, cité par NETON, op. cit., p. 289.
(6) Les colonies nécessaires, par un marin, Paris, Paul Ollendorff, 1885, p. 13.
(7) Ibid.
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