DOSITEJ OBRADOVIĆ ET L’EUROPE DES LUMIÈRES
œuvre, sur le plan militaire et politique, au recouvrement de la souveraine-
té nationale, cherche à se doter d’un appareil intellectuel propre à effec-
tuer un tel ouvrage culturel. Saint Sava, par sa personnalité et par ses
œuvres, incarnait la plénitude de la culture serbe médiévale ; Dositej, dans
un mouvement similaire, incarnera donc la figure fondatrice de la culture
serbe moderne.
Saint Sava et Dositej Obradović font tous deux des voyages initia-
tiques dont le but est l’élévation culturelle de leur milieu d’origine ainsi
que son émancipation politique. Culture et politique ne font qu’une seule
et même chose : de tous les auteurs des Lumières, Dositej est celui qui
marie avec le plus de succès ces deux inclinations pédagogiques : l’enga-
gement par l’enseignement et le biais des livres, ainsi que l’engagement
par la voie politique et diplomatique (d’une part par le financement direct
de l’Insurrection serbe, ensuite par sa participation active à ses débouchés
politiques, diplomatiques et culturels). Ayant goûté aux meilleurs centres
universitaires d’Europe, Dositej, nous l’avons dit, finit sa carrière pédago-
gique par l’établissement de la Grande école de Belgrade (précurseur de
l’Université), au titre de ministre de l’Éducation.
L’évolution rationaliste de Dositej procède par étapes. Il subit
d’abord l’influence de l’école de Sremski Karlovci, au monastère de Ho-
povo, c’est-à-dire celle de l’encyclopédisme hellénistique, par la lecture
du « Recueil » (ouvrage manuscrit à caractère encyclopédique) du moine
Spiridon Jovanović, des études scholastiques de Isaija Kopinski et no-
tamment celles de Teofan Prokopovič. Viennent ensuite l’influence de
l’Académie de Jerotej Dedron, à Smyrne, puis celle des intellectuels slo-
vaques évangélistes, qui ouvrent la voie à l’influence protestante, qui sera
prépondérante (Rousseau, Still, Adisson, etc.). Dositej découvre que la
référence aux classiques est identique, aussi bien chez les orthodoxes que
chez les occidentaux, ce qui ouvre son esprit aux philosophes du classi-
cisme. Après ses études à Halle, Dositej, dans sa maturité, fera le choix du
déisme et se prononcera contre le quiétisme de Fénelon, auteur dont il
admirera les œuvres au point de les traduire et d’aller se recueillir sur sa
tombe lors de son voyage initiatique entre Paris et Londres. Vuk et Nje-
goš, par-delà leurs critiques du déisme ou du sentimentalisme de Dositej,
hériteront sa vision d’une action concertée, programmée, positive, sur la
société. Dositej est déiste notamment du fait de sa critique des relations
interconfessionnelles entre Serbes de confessions différentes. Son déisme
est une forme de mysticisme rationnel, apaisé.
Dositej est, par ses œuvres littéraires et philosophiques, à la fois
fondateur et précurseur. En philosophie, ses traductions d’auteurs slaves,
grecs, occidentaux et leur popularisation au sein de la société serbe
s’inscrivent directement dans son effort de l’élévation culturelle par le
biais du divertissement. Dositej est en ce sens un auteur qui s’efforce de
toucher le plus grand nombre. C’est aussi la raison de son choix de la
forme littéraire (l’essai) ainsi que du langage (vernaculaire). L’exercice de