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Les journaux français vont très mal, on
le sait, mais on sait moins à quel point
ils sont sous perfusion
Le MCC est depuis longtemps plus attentif à la
Communication qu’à la Culture : sur 7,2 milliards
d’euros du budget de 2014, 4,5 milliards sont
affectés aux médias et aux industries culturelles,
dont l’essentiel à l’audiovisuel public (3,8 milliards).
Reste en 2014 plus de 450 millions d’aides à la
presse écrite. Ce qui représente une baisse de 56
millions, puisqu’en 2013 ces aides s’élevaient à
506 millions. Pour comparaison, le budget que
l’État consacre au spectacle vivant en 2014 s’élève
à 355 millions.
En fait la presse écrite coûte à l’État nettement
plus cher que cela : en plus de ces aides directes
et indirectes1, la TVA «super réduite», à 2.1% 2,
représente un manque à gagner pour les finances
nationales, et une exception exclusive, ainsi que
les tarifs postaux. Les journaux français, quotidiens
ou magazines, bénéficieraient donc d’1.2 milliard
par an de financements d’État.
Les raisons en sont structurelles et historiques. La
presse relève de l’économie privée, mais l’égalité
d’accès des citoyens à l’information est une mission
de service public : l’acheminement des journaux
représente donc 276 millions sur les 456, le reste
étant une dotation à l’AFP, des aides directes aux
quotidiens nationaux, et surtout des fonds de
modernisation qui concernent, depuis les États
Généraux de la presse mis en place par Nicolas
Sarkozy en 2008, toute la chaîne de la presse, de
la numérisation des titres à leur diffusion.
Des aides efficaces ?
L’existence d’une presse diverse, accessible à tous,
libre de tout contrôle de ses contenus, hors la
déontologie qu’elle-même se fixe
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, est indispensable
à la vie démocratique. La diminution importante
des aides décidée par le MCC déséquilibre donc
un système qui peinait déjà à survivre, et prenait
l’eau de toutes parts : les ventes ne cessent de
baisser, les kiosquiers de fermer, les distributeurs
d’être sauvés in extremis de la faillite, et les titres
de se concentrer dans les mains de quatre grands
groupes dont les rédactions sont poussées à faire
des Unes aguichantes, de la réécriture de dépêches
AFP et de moins en moins d’enquêtes, d’analyses
poussées et de critiques. L’État doit-il fermer le
robinet ou changer les règles ?
La défense de la pluralité de la presse nécessite
qu’il ne mette pas le nez dans son contenu et
affecte ses subsides sur des critères comptables,
et non sur ses orientations politiques ou ses choix
éditoriaux. Toute la difficulté de l’attribution de
ces aides vient de là : tous les journaux payants, y
compris les plus infâmes torchons, ou les magazines
spécialisés dans l’auto, le foot ou la mode, perçoivent
automatiquement des aides à l’acheminement,
bénéficient de la TVA «super réduite», et bien
souvent d’aides directes.
Ainsi le PS arrivé au pouvoir s’est ému de voir qu’en
2011 des magazines télé
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s’étaient taillé la part
du lion, en dizaines de millions d’euros. Michel
Françaix, député PS ayant commandé le rapport sur
la presse, a fermement dénoncé ces dérives, et les a
en partie corrigées : il n’est plus question aujourd’hui
de distribuer des fonds à une revue médicale ou un
magazine de tennis… Ils sont réservés à la presse
payante IPG (Information Politique et Générale)
et la presse magazine «récréative» en est exclue,
la presse gratuite n’y ayant jamais eu accès. Par
ailleurs, les «pure players»
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vont bénéficier des
mêmes aides et de la même TVA «super réduite»
que la presse papier.
Et si on changeait vraiment ?
Mais les préconisations de 2013 sont loin de remplir
les objectifs de 2012. Michel Françaix voulait favoriser
la «presse citoyenne», appliquer une TVA pleine et
des tarifs postaux normaux à des publications comme
Voici… ce qu’il n’a pas réussi à faire. Il voulait aussi
trouver des solutions durables à la mutation de la
presse, compatibles avec le nouveau modèle de
lecture. Car depuis Internet, personne ne cherche
de l’info dans un journal papier : c’est son analyse
que le lecteur de presse attend, l’esprit critique,
l’enquête, la mise en perspective, la satire. Bref,
l’indépendance et la prise de recul. Or les journaux
français ont encaissé les fonds pour la modernisation
sans se moderniser, et en s’amenuisant…
Ils continuent en revanche à exercer des pressions :
les commissions d’attribution des aides à la presse,
ou de reconnaissance d’un organe de presse
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, sont
composées… de professionnels de la presse d’IPG
payante, qui n’admettent que leur modèle. C’est-
à-dire centralisé, souvent dirigé par des hommes,
Des changements dans le budget 2014 du ministère de la Culture
et de la Communication ? Pas vraiment, sauf la baisse globale prévue de 2%,
la fin des grands chantiers, l’absence du rééquilibrage Paris/Région
annoncé et… une réduction des aides à la presse
réduisant les pages culture à une
maigre cerise sur le gâteau et
préférant les Unes sportives ou
accrocheuses, parce que les ventes
augmentent.
Parlons de nous…
S’il faut préserver la presse IPG,
du Figaro (sans Madame Figaro
ou les suppléments télé !) à
l’Huma, il est temps d’admettre
qu’il existe d’autres modèles. Des
«pure players» comme Médiapart,
des journaux indépendants et
régionaux comme Le Ravi, mais
aussi peut-être des gratuits qui
se lisent ?
Ainsi, si vous tenez Zibeline entre
vos mains, sachez que vous ne
lisez pas un journal : la Commis-
sion Paritaire ne reconnait pas
l’existence des journaux gratuits,
qui ne bénéficient d’aucune aide
directe ou indirecte, payent la
poste au tarif normal… et
reversent 19.6% de leurs revenus
publicitaires à l’État. Il est donc
plus «citoyen» de vivre des aides
de l’État comme TéléZ et de vendre
Nabila, ou 343 salauds, que de
se pencher sur la vie culturelle
en toute indépendance.
En revanche si vous nous lisez sur
écran, vous êtes un vrai lecteur
de presse, le site est agréé !
Comme à la radio, on y admet
que l’information soit gratuite…
AGNÈS FRESCHEL
1 Remboursement à la Poste des
tarifs réduits dont la presse payante
bénéficie
2 19.6% taux normal, bientôt 20%, 7
ou 5% taux réduit
3 Devoir d’informer, d’enquêter,
de divulguer la vérité quelles qu’en
soient les conséquences pour
soi-même ou son employeur, de
protéger ses sources, de ne pas
inciter à la violence, de s’interdire le
plagiat, de respecter la vie privée si
elle n’affecte pas la vie publique…
(Charte de Munich de 1971
régissant le journalisme européen)
4 TéléZ, TéléLoisirs, Télé 7 Jours et
TéléStar
5 Site de presse n’existant qu’en
ligne, comme Médiapart
6 Commissions Paritaires des
Publications et Agences de Presse,
dépendant du MCC
Comment l’État
aide la presse