Éléments de déformations algébriques

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Université de Sherbrooke
29 septembre 2010
Éléments de déformations algébriques
Grégoire Dupont
Rapport rédigé d'après les notes d'exposés de Juan Carlos Bustamante, Grégoire
Dupont et Ndoune Ndoune au Groupe de Travail Déformations ayant eu lieu entre février
et juin 2010 à l'Université de Sherbrooke.
Avant-propos
Ce survol reprend les notes d'un groupe de travail organisé au Département de Mathématiques de l'université de Sherbrooke de février à juin 2010. Ce groupe de travail
s'adressait à un public d'algébristes à la fois constitué d'étudiants et de chercheurs dont
aucun ne connaissait a priori le domaine. Le groupe de travail s'est donc déroulé dans un
esprit aussi élémentaire que possible, esprit que j'ai cherché à conserver dans ces notes
qui ne nécessitent que très peu de prérequis et devraient être accessibles aux étudiants de
premier cycle ou des cycles supérieurs. L'ensemble des notes manuscrites du groupe de
travail se trouve en ligne : http://pages.usherbrooke.ca/gdupont2/deformations.
Outre ce qui est traité dans le présent survol, ces notes manuscrites contiennent une
série d'exposés additionnels de Patrick Le Meur dédiée au théorème d'Hochschild-KostantRosenberg. Bien que fondamental, ce sujet ne m'a pas semblé incontournable pour une
introduction élémentaire à la théorie des déformations et il a donc volontairement été omis
dans ce survol. J'invite le lecteur désireux d'en savoir plus sur ce théorème à consulter
ces notes manuscrites ou l'article des trois auteurs éponymes [HKR62].
Le but de ce survol étant de surtout de donner une bonne intuition des idées fondatrices
de ce domaine, beaucoup de preuves sont omises ou simplement ébauchées. Cependant, on
trouvera un certain nombre de références au l de l'article, permettant au lecteur curieux
de développer sa lecture plus avant.
Je tiens à remercier tous les participants de l'équipe d'algèbre et de géométrie de
l'Université de Sherbrooke qui ont rendu ce groupe de travail possible. Je remercie particulièrement Juan Carlos Bustamante, Patrick Le Meur et Ndoune Ndoune pour le temps
qu'ils ont accordé à la préparation de leurs exposés à ce groupe de travail. Je remercie
aussi Ibrahim Assem pour m'avoir incité à rédiger ce survol. Enn, je remercie Claude
Roger pour ses conseils bibliographiques éclairés.
Sherbrooke, Août 2010.
2
Table des matières
1 Déformations d'algèbres
1.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.1.1 Rappels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.1.2 Dénitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.1.3 Equivalences de déformations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.1.4 Prolongements, restrictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2 Déformations et cohomologie de Hochschild . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2.1 Le complexe de Hochschild . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2.2 Innitésimaux et cohomologie de Hochschild . . . . . . . . . . . .
1.2.3 Obstructions et cohomologie de Hochschild . . . . . . . . . . . . .
1.3 Structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée et cohomologie de Hochschild
1.3.1 Le crochet de Gerstenhaber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.3.2 L'algèbre de Gerstenhaber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.3.3 Associativité et équation de Maurer-Cartan . . . . . . . . . . . . .
1.4 Rigidités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.4.1 Quelques rappels de géométrie algébrique ane . . . . . . . . . . .
1.4.2 La variété ane des algèbres associatives . . . . . . . . . . . . . .
1.4.3 Rigidité géométrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.4.4 Comparaison des notions de rigidités . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 Déformations de modules
2.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.1.1 Rappels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.1.2 Dénitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.1.3 Déformations de modules et déformations d'algèbres . . . . . . . .
2.1.4 Equivalences de déformations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.1.5 Prolongements, restrictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2 Déformations et cohomologie de Hochschild . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2.1 Le complexe de Hochschild . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2.2 Innitésimaux et cohomologie de Hochschild . . . . . . . . . . . .
2.2.3 Obstructions et cohomologie de Hochschild . . . . . . . . . . . . .
2.3 Structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée et cohomologie de Hochschild
2.3.1 La structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée . . . . . . . . .
2.3.2 L'équation de Maurer-Cartan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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TABLE DES MATIÈRES
2.4 Rigidités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.4.1 Rigidité innitésimale et extensions . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.4.2 Rigidité géométrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A Structures graduées
A.1
A.2
A.3
A.4
Modules gradués . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Algèbres graduées et diérentielles graduées . . . .
Algèbres de Lie graduées et diérentielles graduées
L'équation de Maurer-Cartan . . . . . . . . . . . .
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Introduction
En 1964, Gerstenhaber dénit un cadre théorique pour la déformation des structures
algébriques [Ger64]. Cette dénition peut être vue comme le versant algébrique des déformations analytiques introduites par Frölicher, Kodaira, Nijenhuis et Spencer à la n
des années 1950 [KS58]. Selon Gerstenhaber, l'idée générale d'une théorie de déformation,
qu'elle soit analytique ou algébrique, consiste à dénir une classe d'objets que l'on peut
déformer de manière lisse et dont les déformations innitésimales doivent pouvoir être
naturellement interprétées en termes cohomologiques.
Au-delà de son intérêt propre, la théorie algébrique des déformations a su trouver de
nombreuses applications en mathématiques. L'un des points culminants en est probablement le théorème de quantication par déformation des variétés de Poisson dû à Kontsevich. La quantication des variétés de Poisson était un objectif majeur de la physique
mathématique où les variétés de Poisson jouent le rôle de systèmes mécaniques classiques
alors que leurs quantications jouent le rôle de systèmes mécaniques quantiques. De nombreux travaux se sont concentrés sur des possibilités de quantications de telles variétés et
l'idée d'utiliser la théorie des déformations algébriques, appelée quantication par déformation, revient à Bayen, Flato, Fronsdal, Lichnerowicz et Sternheimer en 1978 [BFF+ 78].
Il faudra cependant attendre 2003 pour que Kontsevich parvienne à démontrer que toute
variété de Poisson admet une quantication par déformation, ce qui lui vaudra la médaille
Fields [Kon03].
Dans ce survol, nous nous concentrerons sur les fondements de la théorie algébrique
des déformations. Nous n'aborderons ni les implications physiques, ni la quantication
des variétés de Poisson. Pour plus de détails sur ce sujet, nous renvoyons par exemple
le lecteur à l'introduction de la thèse de Butin [But09], aux notes d'exposés de Markl
[DMZ07] ou au survol de Keller sur le théorème de quantication par déformation de
Kontsevich [Kel03].
La déformation des algèbres associatives fait maintenant partie du paysage classique
de l'algèbre. On peut cependant raisonnablement imaginer déformer toutes les structures
algébriques en suivant les idées de Gerstenhaber, comme par exemples les modules [Yau05]
ou les algèbres de Lie [NR66]. Dans ce survol, nous avons arbitrairement décidé de nous
restreindre aux déformations des algèbres associatives et aux déformations de modules.
Le premier chapitre présente ainsi la théorie classique de déformations des algèbres associatives. Le second chapitre présente la théorie analogue de la déformation des modules
sur une algèbre associative.
Pour faciliter la lecture et la comparaison des deux théories, le plan des deux chapitres
est volontairement similaire. Dans chacun des chapitres, la première section se consacre
5
TABLE DES MATIÈRES
6
aux dénitions élémentaires relatives aux déformations des structures considérées. Conformément aux idées de Gerstenhaber, nous introduisons dans la deuxième section des
complexes, appelés complexes de Hochschild, dont la cohomologie encode des informations relatives aux déformations. La troisième partie montre que ce complexe peut être
étudié à travers la structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée dont il est muni. Et la
quatrième section présente des résultats complémentaires concernant les interprétations
géométriques de la théorie algébrique des déformations.
Enn, en annexe du présent survol, nous rappelons les dénitions des structures
graduées et diérentielles graduées dont il sera question au long de notre étude.
Chapitre 1
Déformations d'algèbres
Dans ce premier chapitre, nous étudions les propriétés élémentaires et fondamentales
des déformations des algèbres au sens de Gerstenhaber. Nous survolerons les résultats
classiques mettant notamment en interaction la cohomologie de Hochschild d'une algèbre
et ses déformations ainsi que les interprétations géométriques de ces déformations.
La référence principalement utilisée pour ce chapitre est le survol de Fox [Fox93] qui
reprend de manière élémentaire et concise les principaux résultats de l'article original
de Gerstenhaber [Ger64]. Notre exposition adopte aussi en grande partie le vocabulaire
et la présentation modernisés du survol de Keller sur le théorème de quantication par
déformation de Kontsevich [Kel03] ainsi que des notes d'exposés de Geiss pour l'école
d'hiver sur la théorie des représentations à l'ICTP en 2006 [Gei06].
1.1 Généralités
Dans toutes les notes, sauf mention du contraire, k désignera un anneau commutatif
arbitraire. Le symbole ⊗ sans mention de l'anneau de base, désignera toujours le produit tensoriel au-dessus de l'anneau k. Pour tout ensemble X on notera 1X : X−→ X
l'application identité.
1.1.1 Rappels
Nous supposons que le lecteur est familier avec les notions élémentaires d'algèbres et
de modules. Cependant, pour bien dénir la notion de déformation d'une algèbre, il est
nécessaire de préciser la terminologie et les conventions que nous utiliserons.
Soit V un k-module. Une application α ∈ Homk (V ⊗ V, V ) est dite associative si
α(α ⊗ 1V ) = α(1V ⊗ α),
7
CHAPITRE 1.
8
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
autrement dit, si le diagramme suivant commute
V ⊗V ⊗V
α⊗1V
/ V ⊗V
1V ⊗α
V ⊗V
α
/ V.
α
Une k-algèbre (unitaire) est la donnée d'une paire A = (V, α) où V est un k-module
et α ∈ Homk (V ⊗ V, V ) est associative et telle qu'il existe un élément unité 1α ∈ V , c'est
à dire un élément tel que
α(1α ⊗ 1V ) = 1V .
L'application α est appelée la multiplication de A et le k-module V est appelé l'espace
sous-jacent à A.
S'il n'y a pas de confusions possibles, on utilisera aussi la lettre A pour désigner
l'espace sous-jacent V . Cependant, puisque nous allons travailler avec plusieurs multiplications diérentes sur de mêmes espaces sous-jacents, nous ferons autant que possible la
distinction entre une algèbre et son espace sous-jacent.
1.1.2 Dénitions
Intuitivement, la déformation d'une algèbre A peut-être vue comme une famille {At }t
d'algèbres qui varie polynomialement en fonction d'un paramètre t et qui spécialise à A
en t = 0. Il convient cependant de donner un sens précis à ce que l'on entend par varier
polynomialement . Pour cela, nous allons introduire la notion de R-déformation d'une
algèbre A = (V, α) par n'importe quelle algèbre de test R. Comme nous allons le voir, le
procédé de déformation vise à modier la multiplication α et non pas l'espace sous-jacent
V.
On se xe dorénavant une k-algèbre de test (R, m, η), c'est à dire, une k-algèbre
(unitaire) commutative locale R d'idéal maximal m telle que R/m ' k et où la projection
η : R−→ R/m ' k est appelée co-unité.
En pratique, nous nous intéresserons principalement aux algèbres de test suivantes :
la k-algèbre kJtK des séries formelles en une indéterminée sur k ;
la k-algèbre k[t] des polynômes en une indéterminée sur k ;
la k-algèbre k[] = k[t]/(t2 ) des nombres duaux (où désigne la classe de t).
Pour tout k-module V , on notera VR = V ⊗ R.
Dénition 1.1.1. Soit A = (V, α) une k-algèbre. Une R-déformation de A est la donnée
d'un couple (VR , αR ) où
αR ∈ HomR (VR ⊗R VR , VR )
réduit modulo m à α, c'est à dire, est telle que le diagramme suivant commute :
V R ⊗R V R
αR
1V ⊗η
(1V ⊗η)⊗R (1V ⊗η)
V ⊗V
/ VR
α
/ V.
CHAPITRE 1.
9
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
Si cela ne prête pas à confusion, l'application αR elle-même sera appelée R-déformation
de α. On notera que rien n'impose qu'une R-déformation d'algèbre associative reste associative, c'est à dire que le diagramme suivant commute
VR ⊗R VR ⊗R VR
αR ⊗R 1VR
/ V R ⊗R V R
1VR ⊗R αR
VR ⊗R VR
αR
/ VR .
αR
Si c'est le cas, αR est appelée une R-déformation associative de A = (V, α).
Dénition 1.1.2. Pour les algèbres de test classiques, nous avons la terminologie suiv-
ante :
Si R = kJtK, une R-déformation de (V, α) est appelée une déformation formelle.
Si R = k[t], une R-déformation de (V, α) est appelée une déformation polynomiale.
Si R = k[], une R-déformation de (V, α) est appelée une déformation innitésimale
ou déformation au premier ordre.
Exemple 1.1.3. Considérons l'algèbre
A = R[x, y]/(y 2 − x3 ).
Une base R-linéaire de A est donnée par {xn , yxn }n≥0 .
Considérons ensuite l'algèbre
At = R[x, y, t]/(y 2 − x3 − x2 t).
Intuitivement, l'algèbre At peut être vue comme une déformation de l'algèbre A (on peut
pour cela regarder les courbes planes dans R2 obtenues en spécialisant t à diérentes
valeurs). Nous allons voir que At est bien une déformation polynomiale de A au sens où
nous l'avons introduit.
Soit A[t] = A ⊗ k[t] et soit αt ∈ Homk[t] (A[t], A[t]) dénie par
αt :











xm ⊗ xn
y⊗y
y ⊗ xn
xn ⊗ y
n
yx ⊗ yxm
7→
7→
7→
7→
7→
xm+n
x3 + x2 t
xn y
xn y
xm+n+3 + xm+n+2 t
Si on réduit A[t] modulo l'idéal maximal (t) de k[t], on voit que l'on retrouve la
structure d'algèbre sur A. Il s'ensuit donc que A[t] est bien une k[t]-déformation de A.
Maintenant, on vérie immédiatement que l'on a un isomorphisme de R[t]-algèbres
(A[t], αt ) −→
xa y b 7→
At
xa y b .
CHAPITRE 1.
10
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
1.1.3 Equivalences de déformations
On se xe toujours une k-algèbre (V, α) et une algèbre de test (R, m, η). On note ER (V )
l'ensemble des automorphismes du R-module VR qui réduisent modulo m à l'identité, c'est
à dire l'ensemble des g ∈ AutR (VR ) tels que le diagramme suivant commute :
VR
/ VR
g
1V ⊗η
1V ⊗η
V.
V
Il est alors clair que ER (V ) est un sous-groupe de AutR (VR ).
Le groupe AutR (V ) agit sur HomR (VR ⊗R VR , VR ) en posant pour tout g ∈ AutR (V )
et tout αR ∈ HomR (VR ⊗R VR , VR ) :
g
αR
= g −1 α(g ⊗ g).
Ceci induit une action de ER (V ) sur les R-déformations de α et on vérie facilement que
cette action préserve les R-déformations associatives.
Dénition 1.1.4. Deux R-déformations de (V, α) sont dites équivalentes si elles appartiennent à la même orbite sous l'action de ER (V ).
0
On remarquera que deux R-déformations αR et αR
sont équivalentes s'il existe g ∈
AutR (VR ) tel que le diagramme suivant commute :
VR ⊗R VR
αR
/ VR
g
g⊗R g
VR ⊗R VR
α0R
/ VR
autrement dit, si g induit un isomorphisme de R-algèbres (non nécessairement unitaires)
0
).
entre (VR , αR ) et (VR , αR
Dénition 1.1.5. Une R-déformation de A = (V, α) est dite triviale si elle est équivalente
à α où α a naturellement été identié à l'élément α ⊗R 1R de HomR (VR ⊗R VR , VR ).
Remarque 1.1.6. Si k est un corps, on peut décomposer R comme k-espace vectoriel
en
R = k1R ⊕ m.
En vertu de la R-linéarité, un élément g ∈ HomR (VR , VR ) est déterminé par ses composantes k-linéaires. Autrement dit, en abusant les notations, on peut voir g comme un
élément de Homk (V, VR ). Mais
VR ' V ⊗ (k1R ⊕ m) ' V ⊕ V ⊗ m
Ainsi, g ∈ Hom(V, V ⊕ V ⊗ m) se décompose en g = [g0 , gm ]t où g0 ∈ Endk (V ) et
gm ∈ Homk (V, V ⊗ m). Et si g ∈ ER (V ), alors on a g0 = 1V et donc, toujours avec les
abus de notations précédents, on a
ER (V ) = {1V + gm | gm ∈ Homk (V, V ⊗ m)}
CHAPITRE 1.
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
11
Exemple 1.1.7. Si k est un corps, dans le cas des déformations innitésimales, on a
ER (V ) = {1V + g1 ⊗ | g1 ∈ Endk (V )} .
En eet, on a m = k et donc g 7→ g ⊗ induit un isomorphisme Endk (V ) ' Homk (V, V ⊗
m). En abusant encore les notations, on note
ER (V ) = {1V + g1 | g1 ∈ Endk (V )} .
1.1.4 Prolongements, restrictions
Nous nous intéressons maintenant aux questions de savoir si, étant donnée une déformation formelle associative d'une algèbre A, ses restrictions, qui sont des déformations
polynomiales de A, sont aussi associatives. De manière duale, on va s'intéresser à la possibilité de prolonger une déformation polynomiale d'un degré donné en une déformation
formelle. Les références pour cette section sont les premières sections de l'article de Gerstenhaber [Ger64, Ÿ1-2] et la deuxième section de l'article de Fox [Fox93, Ÿ2].
Déformations formelles vs déformations polynomiales
En identiant canoniquement k[t] à un sous-anneau de kJtK, toute déformation polynomiale est aussi une déformation formelle. L'exemple suivant nous montre que toute
déformation formelle n'induit cependant pas une déformation polynomiale.
Considérons l'algèbre A = k[x] des polynômes en une indéterminée munie de la multiplication habituelle, notée α. Soit R = k[t] et A[t] = AR = A ⊗ k[t]. On abusera les
notations en notant ati les éléments de la forme a ⊗ ti .
Considérons l'application
α0 = α0 + α1 t ∈ Homk[t] (A[t], A[t])
où α0 = α et α1 (xm ⊗ xn ) = xm+n . Alors α0 est une R-déformation de α mais elle n'est
pas associative. On remarquera cependant qu'elle l'est modulo l'idéal (t2 ).
On prolonge α0 en α00 en posant
α00 = α0 + α2 t
où α2 (xm ⊗ xn ) = m 2n xm+n . Alors α00 est associative modulo (t3 ) mais pas modulo (t4 ).
On pose donc pour tout n ≥ 1
2
2
α(n) =
n
X
αi ti
i=0
où αi (xm ⊗ xn ) = mi!n xm xn . On vérie que α est associative modulo (tn+2 ) mais pas
modulo (tn+3 ). Finalement, on pose
i
i
α• =
∞
X
αi ti ∈ HomkJtK (AJtK, AJtK).
k=0
qui est une kJtK-déformation associative de A ne se restreignant jamais en une déformation
polynomiale associative.
CHAPITRE 1.
12
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
Innitésimal
OnPconsidère l'anneau R = kJtK des séries formelles en une indéterminée et on pose
i
i≥0 αi t une R-déformation de α.
αR =
Dénition 1.1.8. Si αR 6= α, l'innitésimal de αR est αi
0
∈ Homk (V ⊗ V, V ) où
i0 = min {i > 0|αi 6= 0} .
Sinon, l'innitésimal de α est nul par convention.
Obstruction
Soit R = kJtK l'anneau des séries formelles en une indéterminée et soit αR =
une R-déformation de α.
Lemme 1.1.9.
αR
P
i≥0
αi ti
est associative si et seulement si pour tout n ≥ 0, on a
n
X
αi (αn−i ⊗ 1V ) =
i=0
n
X
αi (1V ⊗ αn−i ).
i=0
Démonstration. Laissée en exercice.
Dénition
1.1.10. Soit n ≥ 1 et soient α0 , . . . , αn−1 ∈ Homk (V ⊗V, V ) tels que α(n−1) =
P
n−1
i=0
αi ti soit une kJtK-déformation associative de A. Alors le terme
n−1
X
αi (αn−i ⊗ 1V ) − αi (1V ⊗ αn−i )
i=1
s'appelle l'obstruction de α(i) .
Remarque 1.1.11. L'emploi de ce mot provient du fait que l'obstruction est le terme
qu'il faut contrôler pour pouvoir prolonger une déformation polynomiale en une déformation polynomiale de degré plus grand. En eet, d'après le lemme 1.1.9, si on on trouve
un αn ∈ Homk (V ⊗ V, V ) tel que α(n) = α(n−1) + αn tn est une déformation associative
de α, alors nécessairement ∂αn est égal à l'obstruction, où ∂ est l'opérateur bord qui sera
déni dans la section 1.2.
1.2 Déformations et cohomologie de Hochschild
Dans cette section, nous verrons comment la cohomologie de Hochschild d'une algèbre
encode des informations sur les déformations de celle-ci. Pour faciliter la tâche au lecteur
non-familier avec l'algèbre homologique, nous travaillerons dans cette section avec une
version élémentaire de la cohomologie de Hochschild. Pour une introduction détaillée à
la cohomologie de Hochschild, nous renvoyons le lecteur à l'article de Redondo [Red01],
tout en prenant garde que certaines conventions changent entre cet article et le présent
survol.
Dans toute cette section k désigne toujours un anneau commutatif et A = (V, α) une
k-algèbre. Quand cela ne prête pas à confusion, la lettre α sera omise et on la notera
comme une simple multiplication, c'est à dire que l'on notera ab pour α(a ⊗ b).
CHAPITRE 1.
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
13
1.2.1 Le complexe de Hochschild
Pour tout n ≥ 1, on pose
C n (A) = Homk (V ⊗n , V )
le n-ème k-module des cochaînes de Hochschild, on note C 0 (A) = V et on pose C • (A) le
k-module N-gradué
M
C • (A) =
C n (A).
n≥0
On dénit l'application bord
∂ ∈ Endk (C • (A))
en posant pour tout n ≥ 0 et tout f ∈ C n (A)
(−1)n ∂f = α(1V ⊗ f ) +
n
X
(−1)i f (1V⊗i−1 ⊗ α ⊗ 1⊗n−i ) + (−1)n+1 α(f ⊗ 1V ) ∈ C n+1 (A).
i=1
Alors ∂ est une application k-linéaire et homogène de degré 1 au sens où
(1.1)
∂(C n (A)) ⊂ C n+1 (A)
pour tout n ≥ 1.
De manière plus prosaïque, l'équation (1.1) peut se réécrire en disant que pour tout
f ∈ C n (A), ∂f ∈ C n+1 (A) est l'application dénie par
(−1)n (∂f )(a1 ⊗ . . . ⊗ an+1 ) = a1 f (a2 ⊗ · · · ⊗ an+1 )
− f (a1 a2 ⊗ · · · ⊗ an+1 ) + · · · + (−1)n f (a1 ⊗ · · · ⊗ an an+1 )
+ (−1)n+1 f (a1 ⊗ · · · ⊗ an )an+1
Remarque 1.2.1. On prendra garde que le signe (−1)n apparaissant dans le membre de
gauche de la dénition de l'application bord n'est pas standard. Il n'apparaît par exemple
pas dans certaines des références que nous mentionnons comme l'article de Redondo
[Red01]. Mais comme nous le verrons dans la suite, ce signe est nécessaire pour dénir
une structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée compatible avec l'application bord.
Néanmoins, pour toutes les considérations purement cohomologiques, la présence de ce
signe est sans inuence.
Lemme 1.2.2.
∂ ◦ ∂ = 0.
Démonstration. C'est un résultat classique. On pourra par exemple se référer à [Red01].
CHAPITRE 1.
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
14
Ainsi, (C • (A), ∂) est un complexe, appelé complexe de Hochschild de A. On prendra
garde que ce complexe dépend du choix de la multiplication α de A et non pas simplement
de l'espace sous-jacent V .
Pour tout n ≥ 0, on note
Z n (A) = Ker(∂) ∩ C n (A)
le k-module des n-cocycles de Hochschild et
B n (A) = Im(∂) ∩ C n (A)
le k-module des n-cobords de Hochschild avec la convention que B 0 (A) = 0.
D'après le lemme 1.2.2, on a ∂ ◦ ∂ = 0 et donc pour tout n ≥ 0, on a B n (A) ⊂ Z n (A).
Il s'ensuit qu'on peut former le k-module quotient
H n (A) = Z n (A)/B n (A)
appelé n-ème k-module de cohomologie de Hochschild de A.
En d'autres termes, (C • (A), ∂) est un complexe de k-modules, appelé complexe de
Hochschild de A = (V, α), dont le n-ème module de cohomologie est noté H n (A).
Remarque 1.2.3. On remarquera que, en abusant les notations,
Z 1 (A) = {f ∈ Endk (V )|∂f = 0}
= {f ∈ Endk (V )|f (ab) = af (b) + f (a)b pour tous a, b ∈ V }
est l'ensemble des dérivations k-linéaires de V .
L'ensemble B 1 (A) est l'ensemble des dérivations intérieures de V , c'est à dire l'ensemble des endomorphismes k-linéaires de V de la forme
b 7→ ab − ba
où a ∈ V .
Il s'ensuit que le premier k-module de cohomologie est le quotient des dérivations par
les dérivations intérieures.
Remarque 1.2.4. Puisque nous nous intéressons principalement aux multiplications sur
V , c'est à dire à des éléments de Homk (V ⊗ V, V ) = C 2 (A), il peut être utile d'avoir une
description explicite de l'ensemble des 2-cobords et des 2-cocycles. Il suit immédiatement
des dénitions que
B 2 (A) = {f ∈ Homk (V ⊗ V, V )|∃g ∈ Endk (V ) tq ∂g = f }
= {f ∈ Homk (V ⊗ V, V )|∃g ∈ Endk (V ) tq α(1V ⊗ g) − gα + α(g + 1V ) = f }
et
Z 2 (A) = {f ∈ Homk (V ⊗ V, V )|∂f = 0} .
Ainsi, f ∈ Homk (V ⊗ V, V ) est un 2-cocyle si et seulement si, pour tous a, b, c ∈ V , on a
af (b ⊗ c) − f (ab ⊗ c) + f (a ⊗ bc) − f (a ⊗ b)c = 0.
CHAPITRE 1.
15
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
1.2.2 Innitésimaux et cohomologie de Hochschild
Théorème 1.2.5. Soit R = kJtK et soit αR une déformation formelle de α. Si αR est
associative alors l'innitésimal de αR est un 2-cocycle.
Démonstration. Il surait d'appliquer le lemme 1.1.9 mais, pour se familiariser
avec les
P
notions ici présentées, nous donnons une esquisse de preuve. Soit αR = i≥0 αi ti une
déformation formelle de α avec αi ∈ C 2 (A) = Homk (V ⊗V, V ) pour tout i ≥ 0. Si αR = α
alors son innitésimal est nul par dénition. Sinon, on note αk son innitésimal. On peut
donc écrire
!
αR = α + αk tk +
X
αi ti−k−1
tk+1 .
i>k
Ainsi, si αR est associative, pour tous a, b, c ∈ V , αR (ab ⊗ c) = αR (a ⊗ bc) et donc, en
réduisant modulo (tk+1 ), on a
(ab)c + (αk (a ⊗ b)c + αk (ab ⊗ c))tk = a(bc) + (aαk (b ⊗ c) + αk (a ⊗ bc))tk
mais α est associative donc
αk (a ⊗ b)c + αk (ab ⊗ c) = aαk (b ⊗ c) + αk (a ⊗ bc),
c'est à dire
α(1V ⊗ αk ) − αk (α ⊗ 1V ) + αk (1V ⊗ α) − αk (1V ⊗ α) = 0,
autrement dit, ∂αk = 0 et donc αk ∈ Ker(∂) ∩ C 2 (A) = Z 2 (A).
Proposition 1.2.6. Soient αR = α + α1 et αR0 = α + α10 deux k[]-déformations
associatives de α. Alors αR et αR0 sont équivalentes si et seulement si α1 et α10 ont les
mêmes classes de cohomologie dans H 2 (A).
Démonstration. Puisque, R = k[], nous avons vu à l'exemple 1.1.7 que le groupe ER (V )
est constitué des éléments de la forme g = 1V + g1 où g1 parcourt Endk (V ). Ainsi,
g
0
0
αR ' αR
⇔ ∃g ∈ ER (V ) ; αR
= αR
⇔ ∃g ∈ ER (V ) ; (α + α10 ) = g −1 (α + α1 )(g ⊗ g)
⇔ ∃g ∈ ER (V ) ; g(α + α10 ) = (α + α1 )(g ⊗ g)
⇔ ∃g1 ∈ Endk (V ) ; (1V + g1 )(α + α10 ) = (α + α1 )((1V + g1 ) ⊗ (1V + g1 ))
⇔ ∃g1 ∈ Endk (V ) ; α + α10 + g1 α = α + α(g1 + 1V ) + α(1V ⊗ g1 ) + α1
⇔ ∃g1 ∈ Endk (V ) ; α10 + g1 α = α(g1 + 1V ) + α(1V ⊗ g1 ) + α1
⇔ ∃g1 ∈ Endk (V ) ; α10 − α1 = α(1V ⊗ g1 ) − g1 α + α(g1 + 1V )
⇔ ∃g1 ∈ Endk (V ) ; α10 − α1 = ∂g1
⇔ α10 − α1 ∈ B 2 (A)
0
Mais puisque αR et αR
sont des R-déformations associatives de α, il suit du théorème 1.2.5
0
0
que α1 et α1 appartiennent à Z 2 (A). Ainsi, αR et αR
sont équivalentes si et seulement si
0
α1 et α1 ont les mêmes classes de cohomologie dans H 2 (A).
CHAPITRE 1.
16
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
De manière générale, on a les résultats suivants :
Théorème 1.2.7. Toute déformation formelle associative non-triviale de α est équivalente à une déformation formelle associative de α dont l'innitésimal n'est pas un cobord.
Démonstration. Voir [Fox93, Théorème 3.2].
Théorème 1.2.8. Si H 2 (A) = 0, alors toutes les
triviales.
Démonstration. Voir [Fox93, Théorème 3.1].
kJtK-déformations
associatives sont
En conséquence, on peut poser la dénition suivante :
Dénition 1.2.9. Une algèbre A est dite innitésimalement rigide si H 2 (A) = 0.
1.2.3 Obstructions et cohomologie de Hochschild
De manière analogue, les obstructions peuvent être réalisées grâce au complexe de
Hochschild :
Théorème 1.2.10. Soit n ≥ 1 et soient α0 , . . . , αn−1 ∈ Homk (V ⊗ V, V ) tels que
i
i=0 αi t est une déformation formelle associative de α. Alors, l'obstruction
Pn−1
n−1
X
αi (αn−i ⊗ 1V ) − αi (1V ⊗ αn−i )
i=1
est un 3-cocycle de Hochschild.
Démonstration. Voir [Ger64, Proposition 3] ou [Fox93, Théorème 9.1].
Corollaire 1.2.11. Si H 3 (A) = 0, alors tout 2-cocyle peut se prolonger en une déformation formelle associative de A.
On pose alors la dénition suivante :
Dénition 1.2.12. Une algèbre A est dite analytiquement rigide si toute les kJtKdéformations associatives de A sont triviales.
Nous comparerons à la section 1.4.4 les notions de rigidités analytique et innitésimale
ainsi qu'une troisième notion de rigidité géométrique que nous dénirons à la section 1.4.3.
1.3 Structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée et
cohomologie de Hochschild
Nous équipons maintenant le complexe de Hochschild d'une structure d'algèbre de Lie
diérentielle graduée. Nous verrons que l'associativité d'une déformation peut s'exprimer
en termes de l'équation de Maurer-Cartan dans cette algèbre de Lie diérentielle graduée.
Pour les dénitions concernant les algèbres de Lie diérentielles graduées et les structures
graduées en général, nous renvoyons à l'annexe A.
Dans cette section k désignera un anneau commutatif et A = (V, α) une k-algèbre
associative unitaire.
CHAPITRE 1.
17
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
1.3.1 Le crochet de Gerstenhaber
Soient p > 0, q ≥ 0 des entiers. Pour tout i ∈ {0, . . . , p − 1}, et f ∈ C p (A), g ∈ C q (A),
on dénit :
f ◦i g ∈ C p+q−1 (A) = Homk (V ⊗p+q−1 , V )
en posant
⊗p+i−1
(f ◦i g) = f (1⊗i
)
V ⊗ g ⊗ 1V
ou, de manière plus prosaïque, pour tous a1 , . . . , ap+q−1 ∈ V , on a
(f ◦i g)(a1 ⊗ · · · ⊗ ap+q−1 ) = f (a1 ⊗ · · · ⊗ ai ⊗ g(ai+1 ⊗ · · · ⊗ ai+q ) ⊗ ai+q+1 ⊗ · · · ⊗ ap+q−1 ).
Et on pose
f ◦g =
p−1
X
(−1)i(q+1) (f ◦i g) ∈ Homk (V ⊗p+q−1 , V ).
i=0
On dénit le crochet de Gerstenhaber en posant pour f ∈ C p (A) et g ∈ C q (A) :
[f, g] = f ◦ g − (−1)(p−1)(q−1) g ◦ f.
Le lemme suivant montre que le crochet de Gerstenhaber étend naturellement la notion
d'application bord ∂ :
Lemme 1.3.1. Pour tout g ∈ C • (A), on a [α, g] = −∂g.
Démonstration. Il sut de le montrer pour g homogène. Soit donc
α◦g ∈C
q+1
(A) est donné par
g ∈ C q (A), alors
(α ◦ g)(a1 ⊗ · · · ⊗ aq+1 ) = α(g(a1 ⊗ · · · ⊗ aq ) ⊗ aq+1 ) − (−1)q+1 α(a1 ⊗ g(a2 ⊗ · · · ⊗ aq+1 ))
et g ◦ α ∈ C q+1 (A) est donné par
q−1
X
(g ◦ α)(a1 ⊗ · · · ⊗ aq+1 ) =
(−1)i g(a1 ⊗ · · · ⊗ α(ai ⊗ ai+1 ) ⊗ · · · ⊗ aq+1 ).
i=1
et nalement, il vient
[α, g] = −∂g.
Lemme 1.3.2. Si la caractéristique de k est diérente de 2, alors un élément β ∈ C 2 (A)
est associatif si et seulement si 12 [β, β] = 0.
Démonstration. Soit β ∈ C 2 (A) = Homk (V ⊗ V, V ). Alors
[β, β] = β ◦ β − (−1)β ◦ β = 2β ◦ β.
Mais pour tous a, b, c ∈ V ,
(β ◦ β)(a ⊗ b ⊗ c) = β(β(a ⊗ b) ⊗ c) − β(a ⊗ β(b ⊗ c)).
Ainsi, β est associative si et seulement si β ◦ β = 2[β, β] = 0.
CHAPITRE 1.
18
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
1.3.2 L'algèbre de Gerstenhaber
On note
L• (A) = C • (A)[1]
le complexe de Hochschild décalé de 1. C'est à dire tel que pour tout n ∈ N,
Ln (A) = C n+1 (A)
et dont la diérentielle, induite par celle de C • (A), est toujours notée ∂ .
Proposition 1.3.3. (L• (A), [−, −], ∂) est une algèbre de Lie diérentielle graduée.
Démonstration. L'énoncé n'est pas totalement trivial car l'application ◦ n'est en général
pas associative sur C • (A). Cependant, son associateur A(f, g, h) = (f ◦ g) ◦ h − f ◦ (g ◦ h)
est super-symétrique au sens où pour tous f, g, h homogènes de degrés respectifs p, q et
r, on a
A(f, g, h) = (−1)(q−1)(r−1) A(f, h, g).
Il suit alors que (L• (A), [−, −], ∂) est une algèbre de Lie diérentielle graduée (voir annexe
A).
1.3.3 Associativité et équation de Maurer-Cartan
Dans cette section, k désigne un corps.
Par dénition, MC(L• (A)) est l'ensemble des f ∈ L1 (A) = C 2 (A) = Homk (V ⊗ V, V )
qui satisfont à l'équation de Maurer-Cartan, c'est à dire tels que
1
∂f + [f, f ] = 0
2
(voir la section A.4.)
On xe maintenant une k-algèbre de test (R, m, η) et une R-déformation αR de α. En
abusant les notations comme précédemment, on écrit
αR = α + αm
où αm ∈ Homk (V ⊗ V, V ⊗ m).
Alors, αR est associative si et seulement si
α(αm ⊗ 1V − 1V ⊗ αm ) + αm (α ⊗ 1V − 1V ⊗ α) + αm (αm ⊗ 1V − 1V ⊗ αm ) = 0. (1.2)
On peut naturellement munir L• (A) ⊗ m d'une structure d'algèbre de Lie diérentielle
graduée. Dans cette algèbre, αm est un élément de degré 1 et on a
α(αm ⊗ 1V − 1V ⊗m ⊗ αm ) + αm (α ⊗ 1V − 1V ⊗ α) = −[α, αm ] = ∂αm .
et
αm (αm ⊗ 1V ) − (1V ⊗ αm ) =
1
[αm , αm ].
2
Ainsi, il suit de l'équation (1.2) :
Proposition 1.3.4. Une R-déformation αR de α est associative si et seulement αm est
un élément de MC(L• (A) ⊗ m).
CHAPITRE 1.
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
19
1.4 Rigidités
Bien que la terminologie soit empruntée à la géométrie, les notions de déformations
d'algèbres telle qu'elles ont été ici introduites semblent indépendantes de toute notion
géométrique. Nous verrons dans cette section qu'il existe cependant bien une interprétation des déformations en termes de géométrie algébrique.
L'un des points culminants de ces interactions est probablement les articles de Kontsevich et de Yekutieli sur la déformation par quantication des variétés algébriques
[Kon01, Yek05] mais ces interactions profondes dépassent largement le cadre de ce survol.
Ici, nous resterons dans un cadre parfaitement élémentaire dont nous rappellerons toutes
les dénitions. Pour des résultats légèrement plus avancés sur ces liens, le lecteur pourra
consulter les dernières sections des notes de Geiss [Gei06, Ÿ4-7].
Dans toute cette section k désignera un corps.
1.4.1 Quelques rappels de géométrie algébrique ane
Pour une introduction détaillée à la géométrie algébrique ane, nous renvoyons le
lecteur au livre de Northcott [Nor80] ou aux premiers chapitres du livre de Geck [Gec03,
Ÿ1-2].
Soit n ≥ 1 un entier. Les polynômes dans k[X1 , . . . , Xn ] sont naturellement vues
comme des fonctions de kn dans k.
Un ensemble algébrique dans kn est un sous-ensemble V ⊂ kn tel qu'il existe un
sous-ensemble non-vide S de k[X1 , . . . , Xn ] tel que
V = {x ∈ kn | f (x) = 0 pour tout f ∈ S} .
La famille des complémentaires d'ensembles algébriques dans kn forme une topologie
sur kn (exercice), appelée topologie de Zariski, et on note An l'espace topologique ainsi
construit, appelé espace ane de dimension n.
Un ensemble X ⊂ An est dit localement fermé s'il est l'intersection d'un ouvert et
d'un fermé de An .
À tout ensemble localement fermé X , on peut associer l'anneau des fonctions régulières
sur X comme étant l'ensemble O(X) des fonctions θ : X−→ k qui s'écrivent localement
comme un quotient de polynômes. Formellement, c'est l'ensemble des fonctions θ : X−→ k
telles que pour tout x ∈ X , il existe un voisinage ouvert Ux de x dans X et des polynômes
f, g ∈ k[X1 , . . . , Xn ] tels que pour tout y ∈ Ux , g(y) 6= 0 et
θ(y) =
f (y)
.
g(y)
C'est un exercice classique que de vérier que O(X) est un anneau pour la multiplication
et l'addition point par point.
Un morphisme entre deux espaces localement fermés X ⊂ An et Y ⊂ Am est une
application φ : X−→ Y qui est continue et telle que, pour tout ouvert U ⊂ Y et toute
fonction θ ∈ O(U ), la composition
φ
θ
φ−1 (U ) −
→U −
→k
CHAPITRE 1.
20
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
est dans l'anneau O(φ−1 (U )) des fonctions régulières sur φ−1 (U ).
Un morphisme φ : X−→ Y entre deux espaces localement fermés X et Y est appelé
un isomorphisme s'il existe un morphisme ψ : Y −→ X tel que ψφ = 1X et φψ = 1Y .
Remarque 1.4.1. Il est clair qu'un isomorphisme est en particulier un morphisme bijectif. En revanche, tout morphisme bijectif n'est pas nécessairement un isomorphisme.
Par exemple, si k est algébriquement clos et si p > 1, l'application φ : A1 −→ A1 qui a x
associe xp est un morphisme bijectif qui n'admet pas de morphisme inverse.
Dénition 1.4.2. Une variété ane est un ensemble localement fermé X ⊂ An qui est
isomorphe à un fermé dans un espace ane Am (où m ≥ 1 est un entier non nécessairement
égal à n).
1.4.2 La variété ane des algèbres associatives
Pour parler de déformation d'une algèbre en un sens géométrique du terme, il convient d'abord de dénir la variété algébrique dans laquelle nous considèrerons les algèbres
en question. Pour de plus amples références sur le sujet, nous renvoyons le lecteur aux
notes de Crawley-Boevey sur la géométrie des représentations [CB93]. Pour le lien avec la
théorie des déformations formelles, nous renvoyons au second chapitre de l'article initial
de Gerstenhaber [Ger64, II.1].
Soit k un corps et V un k-espace vectoriel de dimension nie n. La variété avec laquelle
nous travaillerons est celle des constantes de structures d'algèbres sur l'espace vectoriel
V . Dorénavant, on se xe une base e = (e1 , . . . , en ) de V .
Soit α ∈ Homk (V ⊗ V, V ), alors pour tous i, j ∈ {1, . . . , n}, α(ei ⊗ ej ) est un élément
de V , on a donc une famille (Γlij )1≤l≤n) ⊂ k de scalaires appelés constantes de structure
de α tels que
α(ei ⊗ ej ) =
n
X
Γlij el .
l=1
Ainsi, l'application
Homk (V ⊗ V, V ) −→
α 7→
3
kn
(Γlij )1≤i,j,l≤n
identie Homk (V ⊗ V, V ) à l'espace ane An de dimension n3 .
On considère alors l'ensemble des éléments associatifs de Homk (V ⊗ V, V ) :
3
Ass(V ) = {α ∈ Homk (V ⊗ V, V )|α(α ⊗ 1V ) = α(1V ⊗ α)} .
Ainsi, α ∈ Ass(V ) si et seulement si, pour tous i, j, l ∈ {1, . . . , n}, on a
α(α(ei ⊗ ej ) ⊗ el ) = α(ei ⊗ α(ej ⊗ el )).
En termes de constantes de structures, on obtient
α ∈ Ass(V ) ⇔
n
X
Γsij Γtsl − Γtis Γsjl = 0, pour tous 1 ≤ i, j, l, t ≤ n.
s=1
Il s'ensuit que Ass(V ) est fermé dans Homk (V ⊗ V, V ) et donc en particulier :
CHAPITRE 1.
21
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
Proposition 1.4.3.
Ass(V )
est une variété algébrique ane.
Comme nous nous intéressons aux structures d'algèbres, il convient aussi de prendre
en compte l'existence d'un élément unité pour la multiplication considérée. On dénit
donc l'ensemble Alg(V ) des structures d'algèbres sur V en posant :
Alg(V ) = {α ∈ Ass(V ) | ∃1α ∈ V tel que α(1α ⊗ 1V ) = α(1V ⊗ 1α ) = 1V } .
Proposition 1.4.4.
Alg(V )
est un ouvert de Ass(V ).
Démonstration. Soit α ∈ Ass(V ). Pour tout a ∈ V , on pose laα = α(a ⊗ 1V ) ∈ Endk (V )
la multiplication par a à gauche et raα = α(1V ⊗ a) ∈ Endk (V ) la multiplication par a
à droite. Alors on peut montrer (exercice) qu'il existe un élément neutre 1α pour α si et
seulement si les applications laα et raα sont inversibles et dans ce cas, on a 1α = (laα )−1 (a).
Pour tout a ∈ V , on pose
Da = {α ∈ Ass(V ) | det(laα ) det(raα ) 6= 0}
qui est un ouvert de Ass(V ) (le déterminant est une fonction polynomiale).
Il s'ensuit que
[
Alg(V ) =
Da
a∈V
est un ouvert de Ass(V ).
Théorème 1.4.5.
Alg(V )
est une variété algébrique ane.
Démonstration. La proposition 1.4.4 montre que Alg(V ) est un espace localement fermé
dans An . Pour munir Alg(V ) d'une structure de variété ane, il faut montrer que Alg(V )
est isomorphe à un fermé dans un espace ane Am pour un certain entier m ≥ 1.
Considérons l'application
3
θ:
Alg(V ) −→
α 7→
V
1α .
Il suit de la preuve de la proposition 1.4.4 que localement sur Da , l'application θ s'écrit
comme α 7→ (laα )−1 (a) qui est une fonction régulière sur Da . Il s'ensuit que θ ∈ O(Alg(V )).
Mais alors on obtient un isomorphisme
(1, θ) :
Alg(V ) −→
α 7→
{(α, a) ∈ Ass(V ) × V |a = 1α }
(α, (laα )−1 (a))
dont l'inverse est donné par la première projection.
L'ensemble {(α, a) ∈ Ass(V ) × V |a = 1α } étant la préimage de 1α sous la seconde
projection Ass(V ) × V −→ V , il s'ensuit que c'est un fermé de Ass(V ) × V et donc Alg(V )
3
est isomorphe à un fermé de An × An , ce qui prouve le théorème.
CHAPITRE 1.
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
22
1.4.3 Rigidité géométrique
Intuitivement, une algèbre A = (V, α) est géométriquement rigide, si elle est invariante
par de petites perturbations. Nous donnons maintenant un cadre formel à cette idée
intuitive.
Le groupe linéaire GL(V ) agit sur Alg(V ) en posant
g.α = g −1 α(g ⊗ g)
de sorte que le quotient Alg(V )/GL(V ) s'identie naturellement aux classes d'isomorphisme de structures d'algèbres sur V .
Dénition 1.4.6. On dit qu'une algèbre
A = (V, α) est géométriquement rigide s'il
existe un voisinage ouvert Uα de α dans Alg(V ) tel que pour tout α0 ∈ Uα , les algèbres
(V, α) et (V, α0 ) sont isomorphes. De manière équivalente, on dit que A = (V, α) est
géométriquement rigide si GL(V ).α est un ouvert de Alg(V ).
Remarque 1.4.7. On prendra garde qu'en général, la variété Alg(V ) n'est pas irréductible. Ainsi, un ouvert non-vide n'est en général pas dense dans Alg(V ). Lorsque la
dimension de V est petite, le nombre de composantes irréductibles a été dénombré par
Gabriel [Gab74].
1.4.4 Comparaison des notions de rigidités
Dans cette section, nous comparons brièvement les notions de rigidités issues de la
géométrie algébrique d'une part et de la théorie des déformations formelles d'autre part.
Pour plus de détails concernant la comparaison des diérents concepts de rigidités, nous
renvoyons le lecteur à l'article de Gerstenhaber et Schack [GS86, Ÿ3] ou aux notes d'exposés de Markl [DMZ07, Ÿ3].
Dans cette section, k désigne un corps et A = (V, α) est une k-algèbre de dimension
nie sur k.
Nous remarquons d'abord qu'il suit du théorème 1.2.8 que si A est innitésimalement
rigide, alors A est analytiquement rigide. Gerstenhaber et Schack ont démontré que la
réciproque est fausse si la caractéristique du corps k est positive [GS86].
La proposition suivante montre cependant que, sous une hypothèse supplémentaire,
la réciproque est vraie sur n'importe quel corps :
Proposition 1.4.8. Si A est analytiquement rigide et H 3 (A) = 0, alors H 2 (A) = 0.
Démonstration. Soient f = α + f1 et g = α + g1 deux k[]-déformations associatives de
α. Alors puisque H 3 (A, α) = 0, elles s'intègrent en des déformations formelles associatives
f˜ et g̃ de α. Puisque A est analytiquement rigide, il s'ensuit que f˜ et g̃ sont dans la même
orbite sous l'action de EkJtK (V ) et donc, en réduisant modulo (t2 ), il suit que f et g sont
deux déformations innitésimales équivalentes. Mais il suit alors de la Proposition 1.2.6
que H 2 (A) = 0.
Le lien avec la rigidité géométrique a été donné par Gerstenhaber et Schack [GS86] :
Théorème 1.4.9. Si A est analytiquement rigide, alors A est géométriquement rigide.
CHAPITRE 1.
DÉFORMATIONS D'ALGÈBRES
23
De plus, Nijenhuis et Richardson ont démontré que sous l'hypothèse que le troisième
espace de cohomologie de A s'annule, toutes ces notions sont équivalentes [NR66] :
Théorème 1.4.10. Si H 3 (A) = 0, alors les conditions suivantes sont équivalentes :
1. A est innitésimalement rigide ;
2. A est analytiquement rigide ;
3. A est géométriquement rigide.
Dans le cas où le corps k est de caractéristique nulle, Nijenhuis et Richardson ont
de plus démontré qu'une algèbre A est analytiquement rigide si et seulement si elle est
géométriquement rigide [NR66].
Chapitre 2
Déformations de modules
Dans ce second chapitre, nous proposons une introduction à la théorie des déformations
de modules. Analogue à la théorie des déformations d'algèbres, de nombreux résultats
peuvent en être adaptés directement. L'une des premières investigations formelles de
ce sujet a été menée par Donald et Flanigan [DF74] mais pour ce survol, nous avons
principalement utilisé les notes de Geiss [Gei06] et l'article de Yau [Yau05].
Dans tout ce chapitre, sauf mention du contraire, k désignera un anneau commutatif
et A = (V, α) désignera une k-algèbre (associative unitaire) d'élément neutre 1α . Si il n'y
a pas de précisions supplémentaires, R désignera toujours une k-algèbre de test d'idéal
maximal m telle que R/m ' k et où la projection est notée η : R−→ R/m ' k.
2.1 Généralités
2.1.1 Rappels
Nous supposons depuis le début de ce survol que le lecteur est familier avec la notion
de module sur une algèbre. Cependant, pour bien comprendre la notion de déformation
de module, il peut être utile de préciser ici les dénitions que nous utiliserons.
Dénition 2.1.1. Un A-module est la donnée d'une paire (W, µ) où :
1. W est un k-module, appelé espace sous-jacent à M ;
2. µ ∈ Homk (V ⊗ W, W ), appelée structure de module de M est telle que :
(M1) le diagramme suivant commute :
V ⊗V ⊗W
1V ⊗µ
α⊗1W
/ V ⊗W
µ
V ⊗W
µ
(M2) µ(1α ⊗ 1W ) = 1W .
24
/ W,
CHAPITRE 2.
25
DÉFORMATIONS DE MODULES
De par son analogie avec la condition d'associativité pour les algèbres, la condition
(M1) sera appelée associativité de µ.
Comme dans le cas des algèbres, quand cela ne prête pas à confusion, on pourra utiliser
la lettre M pour désigner l'espace sous-jacent W . Cependant, puisque nous travaillerons
avec plusieurs structures de modules diérentes sur le même espace sous-jacent, nous
ferons autant que possible la distinction entre un module et son espace sous-jacent.
2.1.2 Dénitions
Soit (R, m, k) une k-algèbre de test. Comme au chapitre 1, si X est un k-module, on
notera XR = X ⊗ R. De plus, en abusant les notations, on identiera toujours l'élément
α ∈ Homk (V ⊗ V, V ) à la R-déformation triviale canonique dans HomR (VR ⊗R VR , VR ).
Dénition 2.1.2. Soit M
d'un couple (WR , µR ) où
= (W, µ) un A-module. Une R-déformation de M est la donnée
µR ∈ HomR (VR ⊗R WR , WR )
est telle que le diagramme suivant commute
VR ⊗R VR ⊗R WR
α⊗R 1WR
1VR ⊗R µR
/ VR ⊗R WR
µR
/ WR .
V R ⊗R W R
µR
et qui réduit modulo m à µ, c'est à dire, est telle que le diagramme suivant commute :
V R ⊗R W R
µR
1W ⊗η
(1V ⊗η)⊗R (1W ⊗η)
V ⊗W
/ WR
α
/ W.
On remarquera en particulier que, contrairement au cas des algèbres où l'on n'imposait
pas à une déformation d'être associative, on supposera toujours dans ces notes que les
déformations de modules le sont.
Comme pour le cas des algèbres, on parlera de déformations formelles, de déformations polynomiales et de déformations innitésimales (aussi appelées au premier ordre )
si l'algèbre de test considérée est l'algèbre de séries formelles en une variable, l'algèbre
des polynômes en une variable ou l'algèbre des nombre duaux.
2.1.3 Déformations de modules et déformations d'algèbres
Une k-algèbre A = (V, α) est naturellement un A-module pour la structure de module
induite par la multiplication. Il est alors naturel de se demander si les notions de déformations de A vu comme A-module et comme k-algèbre associative coïncident. Si αR est
une R-déformation associative de A comme k-algèbre, alors on a
αR (αR ⊗ 1VR ) = αR (1VR ⊗ αR ),
CHAPITRE 2.
26
DÉFORMATIONS DE MODULES
ce qui n'est en général pas équivalent à demander que αR soit une R-déformation du
A-module A puisque dans ce cas on demande que
αR (α ⊗ 1VR ) = αR (1VR ⊗ αR ),
c'est à dire que la multiplication de l'anneau agissant (ici α vu comme multiplication
dans A) est xée, alors qu'elle est aussi déformée dans le cas des k-algèbres. Nous verrons
cependant que les deux théories sont très analogues.
2.1.4 Equivalences de déformations
Comme au chapitre 1, ER (W ) désigne le sous-groupe de AutR (WR ) constitué des
g ∈ AutR (WR ) tels que le diagramme suivant commute :
WR
/ WR
g
1W ⊗η
1W ⊗η
W.
W
On fait agir ER (W ) sur HomR (VR ⊗ WR , WR ) en posant pour tout g ∈ ER (W ) et
tout µ ∈ HomR (VR ⊗ WR , WR )
µgR = g −1 µ(1VR ⊗ g).
On vérie que cette action induit une action de ER (W ) sur les R-déformations de µ.
Dénition 2.1.3. Deux R-déformations de (W, µ) sont dites équivalentes si elles appartiennent à la même orbite sous l'action de ER (W ).
On remarquera que deux R-déformations µR et µ0R sont équivalentes s'il existe g ∈
AutR (WR ) tel que le diagramme suivant commute :
V R ⊗R W R
1VR ⊗R g
µR
/ WR
g
V R ⊗R W R
µ0R
/ WR
autrement dit, si on omet l'axiome (M2), si g induit un isomorphisme de R-modules entre
(WR , µR ) et (WR , µ0R ).
Dénition 2.1.4. Une R-déformation de M = (W, µ) est dite triviale si elle est équivalente à µ où µ est canoniquement identié à un élément de HomR (VR ⊗R WR , WR ).
2.1.5 Prolongements, restrictions
Comme pour le cas des algèbres, nous nous intéresserons aux obstructions et aux
innitésimaux. Cependant, par souci de concision nous étudierons directement ces notions
à l'aide du complexe de Hochschild que nous introduisons maintenant.
CHAPITRE 2.
DÉFORMATIONS DE MODULES
27
2.2 Déformations et cohomologie de Hochschild
De manière analogue au cas des algèbres, nous associerons à tout module un complexe, appelé complexe de Hochschild de l'algèbre à coecients dans le module, dont la
cohomologie encode des informations relatives aux déformations du module.
Dans toute cette section k désigne un anneau commutatif, A = (V, α) désigne une
k-algèbre et M = (W, µ) désigne un A-module.
2.2.1 Le complexe de Hochschild
Pour tout n ≥ 0, on pose
C n (A, M ) = Homk (V ⊗n ⊗ W, W )
et on pose C • (M ) le k-module N-gradué
C • (A, M ) =
M
C n (A, M ).
n≥0
Soit dµ ∈ Endk (C • (A, M )) dénie par
dµ f = µ(1V ⊗ f ) +
n
X
(−1)i f (1V⊗i−1 ⊗ α ⊗ 1⊗n−i ⊗ 1W ) + (−1)n+1 f (1⊗n
V ⊗ 1W ).
i=1
pour tout entier n ≥ 0 et tout f ∈ C n (A, M ). Alors dµ est une application k-linéaire
homogène de degré 1 et on vérie que c'est une diérentielle au sens où dµ ◦ dµ = 0. Ainsi
(C • (A, M ), dµ ) est un complexe, appelé complexe de Hochschild (à coecients dans M ).
Pour tout n ≥ 0, on note
Z n (A, M ) = Ker(dµ ) ∩ C n (A, M )
le k-module des n-cocycles de Hochschild (de A à coecients dans M ) et
B n (A) = Im(dµ ) ∩ C n (A, M )
le k-module des n-cobords de Hochschild (de A à coecients dans M ).
Puisque dµ ◦ dµ = 0, on a B n (A, M ) ⊂ Z n (A, M ) pour tout n ≥ 1. Il s'ensuit qu'on
peut former le k-module quotient
H n (A, M ) = Z n (A, M )/B n (A, M )
appelé n-ème k-module de cohomologie de Hochschild (de A à coecients dans M ).
Exemple 2.2.1. Si g ∈ C 0 (A, M ) = Endk (W ), alors
dµ (g) = µ(1V ⊗ g) − gµ
autrement dit, pour tous a ∈ V et m ∈ W , en utilisant des notations abusives, on a
dµ (g)(a ⊗ mw) = ag(m) − g(am).
Ainsi, g ∈ Endk (W ) est A-linéaire si et seulement si g ∈ Z 0 (A, M ).
CHAPITRE 2.
28
DÉFORMATIONS DE MODULES
Remarque 2.2.2. On prendra garde que les notations C • (A) du complexe de Hochschild
de l'algèbre A introduit au chapitre 1 et le complexe C • (A, A) de l'algèbre A à coecients
dans le A-module A désignent des complexes diérents.
Remarque 2.2.3. Puisque nous nous intéressons principalement aux structures de mod-
ules sur W , nous nous intéresserons particulièrement aux éléments de Homk (V ⊗W, W ) =
C 1 (A, M ). Il peut donc être utile d'avoir une description explicite de l'ensemble des 1cobords et des 1-cocycles. Il suit immédiatement des dénitions que
B 1 (A, M ) = {f ∈ Homk (V ⊗ W, W ) | ∃g ∈ Endk (W ) tel que dµ g = f }
donc f ∈ B 1 (A, M ) si et seulement s'il existe g ∈ Endk (W ) tel que pour tous a ∈ V et
m ∈ W , on a
f (a ⊗ m) = ag(m) − g(am).
Et si f ∈ C (A, M ) = Homk (V ⊗ W, W ), alors
1
dµ (f ) = µ(1V ⊗ f ) − f (α ⊗ 1W ) + f (1V ⊗ µ)
autrement dit, pour tous a, b ∈ V et m ∈ W , en utilisant des notations abusives, on a
dµ (f )(a ⊗ b ⊗ m) = af (b ⊗ m) − f (ab ⊗ m) + f (a ⊗ bm).
Ainsi,
f ∈ Z 1 (A, M ) ⇔ f (ab ⊗ m) = af (b ⊗ m) + f (a ⊗ bm).
Remarque 2.2.4. Dans certaines références que nous citons, comme l'article de Yau
[Yau05], le livre de Weibel [Wei94] ou la thèse de Eriksen [Eri00], la dénition du complexe
de Hochschild dière légèrement de celle que nous prenons au sens où, pour tout n ≥ 0,
l'espace C n (A, M ) est déni comme étant Homk (V ⊗n , Endk (W )). Pour faire coïncider
les deux dénitions, il sut de remarquer que l'on a un isomorphisme canonique
Homk (V ⊗n , Endk (W )) ' Homk (V ⊗n ⊗ W, W )
qui à f ∈ Homk (V ⊗n , Endk (W )), associe g ∈ Homk (V ⊗n ⊗ W, W ) donnée par
g(v1 ⊗ · · · ⊗ vn ⊗ w) = f (v1 ⊗ · · · ⊗ vn )(w)
pour tous v1 , . . . , vn ∈ V , w ∈ W .
2.2.2 Innitésimaux et cohomologie de Hochschild
Dans cette section, on considère
l'anneau R = k[[t]] des séries formelles en une inP
déterminée et on pose µR = i≥0 µi ti une R-déformation de µ.
Dénition 2.2.5. Si µR 6= µ, l'innitésimal de µR est µi
0
i0 = min {i > 0|µi 6= 0} .
L'innitésimal de µ est nul par convention.
∈ Homk (V ⊗ W, W ) où
CHAPITRE 2.
DÉFORMATIONS DE MODULES
29
On peut montrer l'analogue du théorème 1.2.5 :
Théorème 2.2.6. Soit R = k[[t]] et soit µR une déformation formelle de µ. Alors l'innitésimal de µR est un 1-cocycle.
Démonstration. Si µR = µ sonPinnitésimal est nul et appartient donc appartient à
Z 1 (A, M ). Sinon, on écrit µR =
µi ti et on note µk son innitésimal, de sorte que
!
X
µR = µ + µk tk +
µi ti−k−1 tk+1 .
i≥0
i>k
De l'associativité et de la R-linéarité, on déduit que pour tous a, b ∈ V et m ∈ W , on a
µR (α(a ⊗ b) ⊗ m) = µR (a ⊗ µR (b ⊗ m)).
En réduisant modulo (tk+1 ), on obtient
µ(α(a⊗b)⊗m)+tk µk (α(a⊗b)⊗m) = µ(a⊗µ(b⊗m))+tk (µk (a⊗µ(b⊗m))+µ(a⊗µk (b⊗m))
mais µ satisfait (M1) donc
µk (α(a ⊗ b) ⊗ m) = µk (a ⊗ µ(b ⊗ m)) + µ(a ⊗ µk (b ⊗ m)
c'est à dire, en abusant les notations,
µk (ab ⊗ m) = aµk (b ⊗ m) + µk (a ⊗ bm),
et donc, en utilisant la remarque 2.2.3, on voit que µk ∈ Z 1 (A, M ), ce qui prouve le
théorème.
De plus, on peut montrer l'analogue de la proposition 1.2.6, à savoir qu'à équivalence
près, les déformations innitésimales de M sont classiées par H 1 (A, M ) :
Lemme 2.2.7. Soient µR = µ + µ1 et µ0R = µ + µ01 deux k[]-déformations de µ. Alors
µR et µ0R sont équivalentes si et seulement si µ1 et µ01 appartiennent à la même classe de
cohomologie dans H 1 (A, M ).
Démonstration. Le groupe ER (W ) est formé des éléments de la forme g = 1W + g1 où
g1 parcourt Endk (W ). Ainsi,
µR ' µ0R ⇔ ∃g ∈ ER (W ) ; µ0R = µgR
⇔ ∃g ∈ ER (W ) ; gµ0R = µR (1V ⊗ g)
⇔ ∃g1 ∈ Endk (W ) ; (1W + g1 )(µ + µ01 ) = (µ + µ1 )(1V ⊗ (1W + g1 ))
⇔ ∃g1 ∈ Endk (W ) ; µ + µ01 + g1 µ = µ + µ(1V ⊗ g1 ) + µ1
⇔ ∃g1 ∈ Endk (W ) ; µ01 + g1 µ = µ(1V ⊗ g1 ) + µ1
⇔ ∃g1 ∈ Endk (W ) ; µ01 − µ1 = µ(1V ⊗ g1 ) − g1 µ
⇔ ∃g1 ∈ Endk (W ) ; µ01 − µ1 = dµ (g1 )
⇔ ∃g1 ∈ Endk (W ) ; µ01 − µ1 ∈ B 1 (A, M ).
Puisque µR et µ0R sont des R-déformations de µ, il suit du théorème 2.2.6 que µ1 et µ01
appartiennent à Z 1 (A, M ). Ainsi, µR et µ0R sont des déformations équivalentes ssi µ1 et
µ01 appartiennent à la même classe de cohomologie dans H 1 (A, M ).
CHAPITRE 2.
30
DÉFORMATIONS DE MODULES
De manière générale, on peut aussi démontrer l'analogue du théorème 1.2.7 :
Théorème 2.2.8. Toute déformation formelle non-triviale de µ est équivalente à une
déformation formelle de µ dont l'innitésimal n'est pas un cobord.
Démonstration. Voir [Yau05, Théorème 3.2].
Et en corollaire, l'analogue du théorème 1.2.8 :
Théorème 2.2.9. Si H 1 (A, M ) = 0, alors toutes les k[[t]]-déformations de µ sont triviales.
En conséquence, on pose la dénition suivante :
Dénition 2.2.10. Un A-module M est dit innitésimalement rigide si H 1 (A, M ) = 0.
2.2.3 Obstructions et cohomologie de Hochschild
i
Soit R = k[[t]] l'anneau des séries formelles en une indéterminée et soit n−1
i=0 µi t une
R-déformation polynomiale de µ. On dénit son obstruction comme étant l'élément
P
X
µi (1V ⊗ µj ).
i+j=n
Comme dans le cas des algèbres (théorème 1.2.10), les obstructions peuvent être réalisées grâce au complexe de Hochschild :
Théorème
2.2.11. Soit n ≥ 1 et soient µ0 , . . . , µn−1 ∈ Homk (V ⊗ W, W ) tels que
Pn−1
i
µ
t
est
une déformation formelle de µ. Alors, l'obstruction de cette déformation
i=0 i
est un 2-cocycle de Hochschild.
Démonstration. [Yau05, Lemme 4.1].
Théorème 2.2.12. Une déformation polynomiale de µ de degré n s'étend en une déformation polynomiale de µ de degré n + 1 si et seulement si son obstruction est un 2-cobord.
Démonstration. [Yau05, Théorème 4.2].
2.3 Structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée et
cohomologie de Hochschild
Nous munissons maintenant le complexe de Hochschild C • (A, M ) d'une structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée et nous verrons que les déformations de M correspondent aux solutions de l'équation de Maurer-Cartan dans cette algèbre de Lie diérentielle
graduée. Pour les dénitions concernant les algèbres de Lie diérentielles graduées, nous
renvoyons à l'annexe A.
Dans cette section k désigne un corps, A = (V, α) une k-algèbre associative unitaire
et M = (W, µ) un A-module.
CHAPITRE 2.
31
DÉFORMATIONS DE MODULES
2.3.1 La structure d'algèbre de Lie diérentielle graduée
On considère l'application k-bilinéaire
◦:
C • (A, M ) × C • (A, M ) −→
(f, g) 7→
C • (A, M )
f ◦ g.
où, pour f et g homogènes de degrés respectifs p et q , on a posé
p+q
f ◦ g = f (1⊗p
(A, M ).
V ⊗ g) ∈ C
Alors (C • (A, M ), ◦, dµ ) est une algèbre diérentielle graduée (voir la section A.2), au
sens où
dµ (f ◦ g) = dµ (f ) ◦ g − (−1)n f ◦ dµ (g)
pour tout n ≥ 0 et tout f ∈ C n (A, M ) et tout g ∈ C • (A, M ).
Le crochet est alors déni par
[f, g] = f ◦ g − (−1)pq g ◦ f
pour tous p, q ≥ 0 et tous f et g homogènes de degrés respectifs p et q dans C • (A, M ).
Lemme 2.3.1.
(C • (A, M ), [, ], dµ )
est une algèbre de Lie diérentielle graduée.
Démonstration. Laissée en exercice.
Remarque 2.3.2. On remarquera que contrairement au cas des algèbres, il n'est pas
nécessaire d'eectuer un décalage pour obtenir la structure d'algèbre de Lie diérentielle
graduée sur le complexe de Hochschild C • (A, M ).
2.3.2 L'équation de Maurer-Cartan
SiP(µi )i≥1 est une famille d'applications dans Homk (V ⊗ W, W ), l'application µR =
i
i≥1 µi t est une déformation formelle de µ si et seulement si pour tout n ≥ 1, on a
µ+
µ(1V ⊗ µn ) − µn (α ⊗ 1W ) + µn (1V ⊗ µ) +
X
µi (1V ⊗ µj ) = 0.
i+j=n
En termes d'algèbres graduées, on peut le réécrire en disant que µR est une déformation
formelle de µ si et seulement si
dµ (µn ) +
X
µi ◦ µj = 0
i+j=n
pour tout n ≥ 1.
De manière générale, si k est un corps de caractéristique diérente de 2 et (R, m, η)
est une k-algèbre de test, alors une R-déformation de µ est entièrement déterminée par
sa composante k-linéaire
µm ∈ Homk (V ⊗ W, W ⊗ m).
CHAPITRE 2.
32
DÉFORMATIONS DE MODULES
Alors, on vérie que pour toute application µm ∈ Homk (V ⊗ W, W ⊗ m), l'application
µR = µ + µm est une R-déformation de µ si et seulement si on a
1
dµ (µm ) + [µm , µm ] = 0
2
dans l'algèbre de Lie diérentielle graduée C • (A, M ) ⊗ m. En d'autres termes, µR est une
R-déformation de µ si et seulement si µm ∈ MC(C • (A, M ) ⊗ m).
2.4 Rigidités
2.4.1 Rigidité innitésimale et extensions
Dans cette section, k est un corps, A = (V, α) est une k-algèbre et M = (W, µ) est un
A-module.
Nous étudions maintenant des liens élémentaires entre la cohomologie de Hochschild
et les extensions de A-modules. Pour plus de détails sur ces espaces et ces liens, nous
renvoyons le lecteur à un livre traitant d'algèbre homologique comme par exemple le livre
de Benson [Ben98] ou celui de Weibel [Wei94].
On rappelle qu'une auto-extension de M est la donnée d'un triplet (E, f, g) où E
est à un A-module, où f ∈ HomA (M, E) est un monomorphisme, g ∈ HomA (E, M ) est
un épimorphisme et Im f = Ker g . On note EA (M, M ) l'ensemble de toutes les autoextensions de M et un élément (E, f, g) de EA (M, M ) est noté
f
g
0−→ M −
→E−
→ M −→ 0.
On dénit une relation d'équivalence sur EA (M, M ) en disant que deux suites exactes
(E, f, g) et (E 0 , f 0 , g 0 ) sont équivalentes, ce que l'on note (E, f, g) ∼ (E 0 , f 0 , g 0 ), s'il existe
un morphisme de A-modules φ ∈ HomA (E, E 0 ) tel que le diagramme suivant commute :
0
/M
f
/M
f0
/E
g
/M
/0
g0
/M
/ 0.
φ
0
On pose alors
/ E0
Ext1A (M, M ) = EA (M, M )/ ∼ .
Proposition 2.4.1. L'espace Z 1 (A, M ) est en bijection avec EA (M, M )
De plus, cette bijection induit une bijection une bijection
H 1 (A, M ) ' Ext1A (M, M ).
Démonstration. Montrons que EA (M, M ) est en bijection avec Z 1 (A, M ).
Soit une auto-extension de M :
f
g
0−→ M −
→E−
→ M −→ 0.
CHAPITRE 2.
33
DÉFORMATIONS DE MODULES
Le k-espace vectoriel sous-jacent à E est isomorphe à W ⊕ W et on peut supposer que les
composantes k-linéaires de f et g sont respectivement la première inclusion et la seconde
projection. La structure de A-module sur E est donc donnée par β ∈ Homk (V ⊗ (W ⊕
W ), W ⊕ W ) que l'on note
β11
β21
β=
β12
β22
où chaque βij est dans Homk (V ⊗ W, W ).
Comme f est A-linéaire, en abusant les notations, on a pour tous m1 , m2 ∈ W et tout
a∈V,
µ(a ⊗ m1 )
0
= f (am1 ) = af (m1 ) = β(a ⊗ (m1 , 0))
et, comme g est A-linéaire,
am2 = ag(m1 , m2 ) = g(β(a ⊗ (m1 , m2 )))
or β(a ⊗ (m1 , m2 )) est donné par
β11
β21
β12
β22
a ⊗ m1
a ⊗ m2
=
β11 (a ⊗ m1 ) + β12 (a ⊗ m2 )
β21 (a ⊗ m1 ) + β22 (a ⊗ m2 )
.
Mais alors am2 = µ(a ⊗ m2 ) = β21 (a ⊗ m1 ) + β22 (a ⊗ m2 ) pour tous m1 , m2 ∈ W
et a ∈ V . Et donc β21 = 0 et β22 = µ. De la même manière, on montre que β11 = µ et
β12 ∈ Homk (V ⊗ W, W ) est arbitraire.
Mais puisque β est une structure de module, elle vérie pour tous m1 , m2 ∈ W et tous
v, v 0 ∈ V ,
β(v 0 ⊗ β(v ⊗ (m1 , m2 ))) = β(α(v 0 ⊗ v) ⊗ (m1 , m2 )).
Mais le membre de gauche est égal à
µ(v 0 ⊗ µ(v ⊗ m1 )) + µ(v 0 ⊗ β12 (v ⊗ m2 )) + β12 (v 0 ⊗ µ(v ⊗ m2 ))
µ(v 0 ⊗ µ(v ⊗ m2 ))
et celui de droite à
µ(α(v 0 ⊗ v) ⊗ m1 ) + β12 (α(v 0 ⊗ v) ⊗ m2 )
µ(α(v 0 ⊗ v) ⊗ m2 )
,
donc, puisque µ est une structure de module, on en déduit que β est une structure de
module si et seulement si
µ(v 0 ⊗ β12 (v ⊗ m2 )) + β12 (v 0 ⊗ µ(v ⊗ m2 )) = β12 (α(v 0 ⊗ v) ⊗ m2 ).
Autrement dit, β est une structure de module si et seulement si β12 ∈ Z 1 (A, M ), ce qui
établit la bijection.
Montrons que
Ext1A (M, M ) est en bijection avec H 1 (A, M ).
Soient (E, f, g) et (E 0 , f 0 , g 0 ) deux suites exactes dans EA (M, M ). On note β et β 0 les
structures de modules sur E et E 0 que l'on peut donc écrire
0
µ β12
µ β12
0
β=
et β =
0 µ
0 µ
CHAPITRE 2.
DÉFORMATIONS DE MODULES
34
0
avec β12 , β12
∈ Z 1 (A, M ).
Soit φ ∈ HomA (E, E 0 ) induisant une équivalence (E, f, g) ∼ (E 0 , f 0 , g 0 ), alors, on peut
écrire k-linéairement
φ=
φ11
φ21
φ12
φ22
avec chaque φij ∈ Endk (W ). On vérie alors facilement que
φ11 = φ22 = 1W et φ21 = 0.
De plus, comme φ est A-linéaire, on a pour tout a ∈ V et tous m1 , m2 ∈ W ,
φ(β(a ⊗ (m1 , m2 ))) = β 0 (a ⊗ φ(m1 , m2 ))
et donc
0
β12 − β12
= dµ (φ12 ) ∈ B 1 (A, M ).
0
Réciproquement, si β12 − β12
∈ B 1 (A, M ), on peut construire une équivalence φ en0
0 0
tre (E, f, g) et (E , f , g ). Ainsi, le quotient Z 1 (A, M )/B 1 (A, M ) est en bijection avec
EA (M, M )/ ∼ .
Remarque 2.4.2. De manière générale, on peut montrer que la cohomologie de Hochschild
encode toutes les informations relatives aux extensions. Par exemple, on peut montrer
que pour tout n ≥ 1, il existe un isomorphisme de k-espaces vectoriels H n (A, M ) '
ExtnA (M, M ). Une version encore plus générale de ce résultat est par exemple démontrée
dans la thèse de Eriksen [Eri00, Annexe A] ou dans le livre de Weibel [Wei94, Ÿ9.1].
Une conséquence directe de la proposition 2.4.1 est :
Corollaire 2.4.3. Un A-module M est innitésimalement rigide si et seulement si Ext1A (M, M ) =
0.
2.4.2 Rigidité géométrique
Nous conclurons ce chapitre en mentionnant que de manière analogue au cas des
algèbres, on peut dénir une notion de rigidité géométrique d'un module en dénissant
une variété algébrique des structures de modules sur un espace vectoriel de dimension
ni W . Dans ce cadre, le lemme de Voigt fournit une description de Ext1A (M, M ) comme
l'espace cotangent à la structure de module de M dans cette variété. Comme dans le cas
des algèbres, on peut donc en déduire une interprétation de la rigidité innitésimale en
termes géométriques. Les détails concernant cette construction dépassant le cadre de ce
survol, nous renvoyons le lecteur intéressé aux notes de Geiss [Gei06, Ÿ6] ou de CrawleyBoevey [CB93, Ÿ5].
Annexe A
Structures graduées
Les structures graduées et diérentielles graduées sont des généralisations naturelles
des structures algébriques usuelles (anneaux, modules, algèbres, algèbres de Lie, etc...) qui
apparaissent dans de nombreux domaines mathématiques et physiques. Dans cette annexe,
nous ne présentons que les dénitions élémentaires des structures graduées impliquées
dans le présent survol.
Dans toute cette annexe, sauf mention contraire, k désigne un anneau commutatif
unitaire.
On prendra garde que dans cette section, si S est une structure algébrique graduée
(anneau, module, etc...), alors pour tout entier n, la notation S n ne désigne pas le produit
de n copies de S mais un certain groupe abélien indexé par n, qui sera précisé dans les
dénitions suivantes.
A.1 Modules gradués
Dénition A.1.1. Un anneau k est dit N-gradué si il s'écrit comme une somme directe
de groupes abéliens
k=
M
kn
n∈N
et si pour tout m, n ∈ N, on a
km kn ⊂ km+n .
On dit qu'un anneau est concentré en degré 0 si k = k0 . En particulier les anneaux
usuels sont des anneaux N-gradués concentrés en degré 0.
Dénition A.1.2. Si k est un anneau N-gradué, un k-module N-gradué est un k-module
M qui s'écrit comme une somme directe de groupes abéliens
M
M=
Mn
n∈N
et tel que pour tout m, n ∈ N, on a
km M n ⊂ M m+n .
35
ANNEXE A.
36
STRUCTURES GRADUÉES
Pour tout n ∈ N, un élément x de M n est dit homogène de degré n et on note |x| = n
son degré.
On dit que M est concentré en degré 0 si M = M 0 . En particulier les modules usuels
sur les anneaux usuels sont des modules N-gradués concentrés en degré 0.
On remarquera par ailleurs que si M est un k-module N-gradué sur un anneau usuel,
alors chaque M n est lui-même muni d'une structure de k-module.
Une application f ∈ Endk (M ) est dite homogène de degré d ∈ N si pour tout n ∈ N
on a
f (M n ) ⊂ M n+d .
A.2 Algèbres graduées et diérentielles graduées
Soit k un anneau commutatif unitaire (concentré en degré 0).
Dénition A.2.1. Une k-algèbre N-graduée est la donnée d'un k-module N-gradué
B=
M
Bi
i∈N
et d'une multiplication k-bilinéaire associative satisfaisant :
1. l'existence d'un élément neutre dans B 0 ;
2. B m B n ⊂ B m+n pour tous m, n ∈ N.
0.
En particulier, toute k-algèbre usuelle est une k-algèbre N-graduée concentrée en degré
Dénition A.2.2. Une k-algèbre diérentielle
N-graduée B munie d'une application linéaire
graduée est la donnée d'une k-algèbre
∂ ∈ Endk (B),
appelée diérentielle, satisfaisant :
1. ∂ ◦ ∂ = 0 ;
2. ∂ est homogène de degré 1 ;
3. ∂(ab) = ∂(a)b + (−1)|a| a∂(b) pour tous a, b homogènes dans B .
En particulier, toute k-algèbre usuelle est une algèbre diérentielle graduée concentrée
en degré 0 et munie d'une diérentielle nulle.
A.3 Algèbres de Lie graduées et diérentielles graduées
Soit k un anneau commutatif unitaire (concentré en degré 0).
ANNEXE A.
37
STRUCTURES GRADUÉES
Dénition A.3.1. Une algèbre de Lie N-graduée est un k-module N-gradué
L=
M
Li
i∈N
muni d'une opération k-bilinéaire
[−, −] : L ⊗ L−→ L,
appelée crochet de Lie, telle que :
1. [Lm , Ln ] ⊂ Lm+n pour tous m, n ∈ N ;
2. [x, y] = (−1)|x||y| [y, x] pour tous x, y homogènes dans L ;
3. [x, [y, z]] = [[x, y], z] + (−1)|x||y| [y, [x, z]] pour tous x, y homogènes dans L et tout
z ∈ L.
Dénition A.3.2. Une algèbre de Lie diérentielle graduée est un triplet (L, [, ], ∂) où
(L, [, ]) est une algèbre de Lie N-graduée et d ∈ Homk (L, L), appelée diérentielle, satisfait :
1. ∂ ◦ ∂ = 0 ;
2. ∂ est homogène de degré 1 ;
3. ∂[x, y] = [∂(x), y] + (−1)|x| [x, ∂(y)] pour tout x homogène dans L et tout y ∈ L.
En particulier, toute algèbre de Lie usuelle est une algèbre de Lie diérentielle graduée
concentrée en degré 0 et munie d'une diérentielle nulle.
A.4 L'équation de Maurer-Cartan
Soit L une algèbre de Lie diérentielle graduée et supposons que la caractéristique de
k est diérente de 2. On dit qu'un élément x de L satisfait à l'équation de Maurer-Cartan
si
1
∂(x) + [x, x] = 0.
2
On note MC(L) l'ensemble des éléments satisfaisant à l'équation de Maurer-Cartan
dans l'algèbre de Lie diérentielle graduée L et on remarquera que nécessairement, MC(L)
et contenu dans L1 .
Les éléments satisfaisant l'équation de Maurer-Cartan joue un rôle privilégié dans le
cadre des déformations et du théorème de déformation par quantication de Kontsevich.
Pour plus de détails à ce propos, nous renvoyons le lecteur intéressé aux notes d'exposés
de Markl [DMZ07, Ÿ5].
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