Rien Sous la direction de J’ai conçu la présente anthologie comme une ressource réunissant des textes et des idées susceptibles d’aider qui le voudra à approfondir sa connaissance d’une riche tradition de pensée et de militantisme, une tradition qui me semble conserver aujourd’hui sa fraîcheur et sa pertinence, tout particulièrement en ces heures de laïcité supposée ouverte et de multiplication des accommodements avec la religion. Normand Baillargeon Dans cet ouvrage, des penseurs de toutes les époques et de diverses cultures exposent les grandes positions que l’on retrouve au sein de la famille de l’incroyance, les principaux arguments pour et contre l’existence de Dieu, les explications naturalistes des sources de la croyance religieuse, les méfaits de la religion, les éthiques non religieuses et le principe de laïcité dans l’espace public et en éducation. Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée Normand Baillargeon collection Quand la philosophie fait Normand Baillargeon il n’y a rien il n’y a Rien Sous la direction de Là-haut, Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée il n’y a Là-haut, Là-haut, Là-haut, il n’y a Rien Sous la direction de Normand Baillargeon Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée collection Quand la philosophie fait Couverture : iStockphoto collection Quand la philosophie fait ISBN 978-2-7637-8761-9 Philosophie Là-haut, il n’y a RIEN Quand la philosophie fait pop ! Exploration philosophique de la culture populaire Collection dirigée par Normand Baillargeon et Christian Boissinot. Philosophie : discipline qui pose depuis plus de 2 500 ans ces grandes et fondamentales questions concernant le sens de la vie, la nature de la vérité, le bien, le beau, etc. ; Culture populaire : désigne cette partie de la culture réservée au peuple, généralement opposée à la culture savante, propre à l’élite ; Faire pop : éclatement des frontières de la philosophie, ouverture à des sujets plus prosaïques, mise à l’écart d’une terminologie trop technique ; L’ambition de cette collection : cerner philosophiquement les aspects de notre condition humaine que nous révèle la culture populaire, en conjuguant accessibilité et humour. Déjà parus dans la même collection Je pense, donc je ris. Humour et philosophie, sous la direction de Normand ­Baillargeon et Christian Boissinot (2010). Raison oblige. Essai de philosophie sociale et politique, Normand ­Baillargeon (2009). La vraie dureté du mental. Hockey et philosophie, sous la direction de Normand ­Baillargeon et Christian Boissinot (2009). Là-haut, il n’y a RIEN Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée Textes réunis et présentés par Normand Baillargeon Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la ­Société d’aide au développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Maquette de couverture : Laurie Patry Mise en pages : Mariette Montambault ISBN 978-2-7637-8761-9 pdf ISBN 9782763707617 © Les Presses de l’Université Laval 2010 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 3e trimestre 2010 Les Presses de l’Université Laval 2305, rue de l’Université Pavillon Pollack, bureau 3103 Université Laval, Québec Canada, G1V 0A6 www.pulaval.com Table des matières Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1.POSITIONS : PETITE CARTOGRAPHIE DE L’INCROYANCE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 1.1Les variétés d’incroyance. L’incertitude absolue est aussi intenable que la certitude absolue (David Rand) . . . . . . . . . 17 1.2Lettre à Hérodote (Épicure). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 1.3Addition aux pensées philosophiques ou objections diverses contre les écrits de différents théologiens (Denis Diderot). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 1.4La philosophie de l’athéisme (Emma Goldman). . . . . . . . . . 36 1.5L’agnosticisme (Thomas Huxley). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 1.6Les brights (Richard Dawkins). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 2.L’EXISTENCE DE DIEU. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 2.1Critique de l’argument téléologique (David Hume). . . . . . . 59 2.2Dessein ? Oui. Intelligent ? Non. (Massimo Pigliucci). . . . . 74 2.3L’argument de l’incohérence (Michael Martin). . . . . . . . . . . 87 2.4Quelques preuves de l’inexistence de Dieu (Sébastien Faure). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 3.EXPLICATIONS ­NATURALISTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 3.1Les méfaits de la religion et leur remède (Lucrèce). . . . . . . . 104 3.2Le politique et la religion : la funeste alliance (Jean Meslier) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 3.3L’opium du peuple (Karl Marx). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 VIII LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée 3.4L’origine des religions (Michel Bakounine). . . . . . . . . . . . . . 115 3.5Une illusion et son avenir (Sigmund Freud). . . . . . . . . . . . . 124 3.6Sur le miracle (Anatole France) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 3.7Dieu est-il dans notre cerveau ? (Massimo Pigliucci) . . . . . . 138 3.8La religion comme produit dérivé (Daniel Baril). . . . . . . . . 144 4.MISÈRE ET MÉFAITS DES RELIGIONS. . . . . . . . . . . . . . . 155 4.1Un ancien esclave se souvient (Frederick Douglass) . . . . . . . 155 4.2Massacres au Guatemala (Bartholomé de Las Casas) . . . . . . 162 4.3Quand Benoît XVI rédigeait le catéchisme (Jocelyn Bézecourt et Gérard da Silva). . . . . . . . . . . . . . . . . 167 4.4Le gériniol (Richard Dawkins). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 4.5Les trois impulsions contenues dans la religion sont la crainte, la suffisance et la haine (Bertrand Russell) . . . . . . 180 4.6Femmes brisées, journée risible (Taslima Nasreen). . . . . . . . 186 4.7L’affaire Rushdie et le vrai visage de l’intolérance islamique (Ibn Warraq) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192 4.8L’opium hindouiste des intellectuels occidentaux (Talisma Nasreen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 4.9La circoncision (Siné). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 5.LA VEINE ANTICLÉRICALE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 5.1À la niche, les glapisseurs de dieu ! (Tract surréaliste). . . . . . 205 5.2Pater Noster (Jacques Prévert) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 5.3Loi contre le christianisme. Promulguée au jour du Salut, premier jour de l’An Un (le 30 septembre 1888 du faux calendrier) (Friedrich Nietzsche). . . . . . . . . . . . . . . 211 5.4L’anticléricale (Montéhus). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 5.5Adresse au pape (Antonin Artaud). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 5.6Lettre au Dr Laura (Anonyme). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Table des matières IX 6.L’ÉTHIQUE SANS LA RELIGION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 6.1Le dilemme d’Euthyphron (Platon). . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 6.2Lettre à Ménécée (Épicure) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 6.3La morale utilitariste (John Stuart Mill). . . . . . . . . . . . . . . . 230 6.4La morale déontologique (Emmanuel Kant) . . . . . . . . . . . . 235 6.5La morale arététique (Aristote). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 6.6Les valeurs humaines (Paul Kurtz). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 7.LA LAÏCITÉ DANS L’ÉDUCATION ET DANS L’ESPACE PUBLIC. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 7.1Une éducation a-théiste (John Stuart Mill) . . . . . . . . . . . . . 257 7.2La liberté de l’enseignement (Victor Hugo). . . . . . . . . . . . . 262 7.3Aux instituteurs (Jules Ferry). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271 7.4Les principes de l’idéal laïque (Henri Pena-Ruiz). . . . . . . . . 275 7.5Déclaration de St.Petersburg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 7.6Science et religion : l’irréductible antagonisme (Jean Bricmont). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290 8.L’ATHÉISME ET LA LIBRE-PENSÉE… EN VERVE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305 Intermède : paroles de croyants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310 Reprise des hostilités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314 Légères difficultés à méditer pour qui veut perdre son temps . . . 325 Annexe Acte d’apostasie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329 Remerciements P our réaliser ce livre, j’ai eu le meilleur des accompagnements de la part de M. André Baril, philosophe, qui travaille aux Presses de l’Université Laval. Je le remercie chaleureusement de sa grande patience et de ses précieux conseils. Trouver un titre à cet ouvrage n’aura pas été facile, pour toutes sortes de raisons. C’est finalement Jean Bricmont qui m’a proposé celui qu’il porte : je le remercie de m’avoir offert cette belle trouvaille. INTRODUCTION Ni Dieu ni maître Mieux d’être Jacques Prévert *** L a présente anthologie est consacrée à l’incroyance sous toutes ses formes, à ses penseurs, à leurs idées, à ce qu’ils attaquent et condamnent ainsi qu’à ce qu’ils défendent et célèbrent. Je l’ai conçue comme une ressource réunissant des textes et des idées susceptibles d’aider qui le voudra à approfondir sa connaissance d’une riche tradition de pensée et de militantisme, une tradition qui me semble conserver aujourd’hui encore sa fraîcheur et sa pertinence, tout particulièrement en ces heures de laïcité supposée ouverte et de multiplication des accommodements avec la religion. Mais, avant d’exposer le contenu des huit chapitres qui composent ce livre, je voudrais dire un mot sur ce qui m’a incité à préparer cette anthologie1. *** Alors qu’il séjournait en France, fêté des philosophes, le sceptique écossais David Hume, dont on pourra lire ici plusieurs textes, aurait déclaré, à la table d’un homme dont il était l’invité, qu’il n’avait jamais rencontré d’athée. Son hôte lui aurait alors répondu que, sur les quinze 1. Quelques paragraphes de cette introduction reprennent des passages de mon chapitre publié ainsi que d’un texte qui était ma contribution à l’introduction de Heureux sans Dieu (Normand Baillargeon et Daniel Baril), Montréal, VLB, 2009. 2 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée personnes présentes à sa table, treize étaient athées, les deux autres n’ayant pas encore terminé leur réflexion sur la question. Hume, dit-on, en fut déconcerté. Dès lors qu’on se rappelle que tout cela se passait en Europe, au XVIIIe siècle, on peut comprendre que Hume n’eut encore jamais fait pareille rencontre : c’est que l’incroyance en général et l’athéisme en particulier n’étaient pas, à cette époque pas si lointaine, des positions qu’on pouvait sans péril afficher publiquement. Pareil aveu pouvait en effet vous valoir de nombreux désagréments et Hume lui-même, qui fut possiblement athée, était bien placé pour le savoir, puisque des accusations d’incroyance lancées contre lui avaient suffi, par deux fois, à faire écarter sa candidature à un poste de professeur qu’il convoitait. Mais quand on ajoute que cela se passait en France et que l’hôte en question était le baron d’Holbach, on s’étonne aussi de la surprise de Hume de rencontrer pareille assemblée. C’est que le XVIIIe siècle européen, tout particulièrement en France, est celui des Lumières et, partant, le siècle d’un vaste et ambitieux projet politique, économique, social et pédagogique d’émancipation intellectuelle et de construction et de valorisation de l’autonomie rationnelle des sujets. Ce siècle, on le sait, annonce entre autres choses la laïcité, la fin du traitement préférentiel accordé aux religions, la séparation de l’Église et de l’État, ainsi que l’instruction publique gratuite, universelle et laïque. Or, le domicile du baron d’Holbach était précisément un des hauts lieux où germaient de telles idées et c’est là, sans doute plus que nulle part ailleurs en Europe, qu’on avait la chance de rencontrer des athées — mais aussi des incroyants, des agnostiques et des anticléricaux. De ces philosophes naissait, en même temps que l’espérance de la diffusion et du triomphe des idées pour lesquelles ils se battaient, l’espoir raisonnable que viendrait ce moment où la religion serait affaire privée, sans privilège d’aucune sorte entre toutes les autres croyances des êtres humains : dès lors, l’athéisme, l’agnosticisme et l’incroyance seraient des convictions qu’on pourrait sans gêne ni honte avouer devant tous. Des progrès énormes ont été faits sur tous ces plans et nul n’en doute moins que moi. Pourtant, nous sommes encore bien loin de l’idéal visé, notamment en ce qui concerne la place, le statut et l’importance des religions. Introduction 3 C’est ainsi que le moindre regard sur l’actualité laisse voir que la religion et la croyance en un dieu personnel occupent encore, dans bien des endroits du monde, une place prépondérante dans les affaires publiques, et qu’elles sont, l’une comme l’autre, une cause importante de conflits, de tensions, de guerres, de misères et de souffrances, en même temps qu’une source, semble-t-il inépuisable, de croyances délirantes et malsaines et de comportements qui leur sont associés. À qui rappelle ces faits, on rétorque souvent que des croyances religieuses de cette nature et ayant de tels déplorables effets sévissent sans doute, mais que c’est dans des régions particulières du monde et cruellement marquées, outre par la misère économique, par le manque de livres, d’éducation et de culture. C’est en partie exact et l’on trouvera en effet dans ces régions, et en grand nombre, de ces imams, ayatollahs, rabbins, pasteurs, prêtres, et autres chefs spirituels ayant des amis imaginaires et invisibles, profitant de l’ignorance et de la pauvreté de millions de personnes endoctrinées dès l’enfance qui suivent aveuglément leurs souvent déplorables préceptes et diktats. Mais on en trouve encore ici, chez nous, où ils y étaient légion et puissants il n’y a pas si longtemps. De plus, on aurait grand tort, apercevant au loin cette sinistre forêt, de ne pas porter attention à ce qui se passe plus près de nous, par exemple au cœur même de la plus puissante et riche nation du monde, notre voisine, où des millions de fondamentalistes chrétiens attendent, en ­l’appelant de leurs vœux, la fin des temps qu’ils nomment « rapture » ou « armageddon ». Ces formes de la croyance religieuse sont bien entendu extrêmes et, pour ces raisons, faciles à apercevoir et à dénoncer. C’est notamment contre elles que furent inventées la laïcité, la séparation de l’Église et de l’État, la liberté de conscience. Mais au cœur même des sociétés supposées laïques et des riches démocraties libérales, on assiste, en ce moment même, sinon à un net effritement et à un substantiel recul de l’idéal laïque de neutralité, du moins à son érosion et à la multiplication de certaines formes, subtiles ou moins subtiles, de traitement préférentiel des religions. C’est ainsi que, faisant entorse au principe capital de la liberté d’expression, on entend ici promulguer des lois contre le blasphème ; qu’on n’hésite pas, là, à menacer de censure, voire à réellement censurer, un livre, une caricature, une représentation théâtrale, un film ou quiconque critique la religion avec une dureté qu’on ne remet pas en question quand 4 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée il s’agit de tout autre objet ; c’est ainsi qu’ailleurs encore on tolère, parce qu’ils sont le fait de représentants d’une foi donnée, des agissements et des paroles qu’on ne tolérerait jamais s’il s’agissait d’autres personnes ; et c’est encore ainsi qu’on accorde, dès lors que des motifs religieux sont invoqués, des privilèges ou des accommodements qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de demander — et encore moins d’accorder — pour tout autre motif ou toute autre croyance. Au Québec, l’idée d’un enseignement culturel des religions a, avec raison, paru aux partisans de la laïcité (et pas seulement aux incroyants) représenter une grave menace à l’idée d’une école laïque et constituer une manière à peine déguisée de continuer à accorder dans l’école un traitement préférentiel aux croyances religieuses. En avril 2008, la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport expliquait d’ailleurs, sans que cela suscite de vive réaction indignée, que si les rites et les symboles de cinq grandes religions et des spiritualités autochtones seraient enseignées dans ce nouveau programme intitulé Éthique et culture religieuse, on n’y traitera pas de l’athéisme (Le Devoir, 19 avril 2008, page a3), ce terme étant, aux yeux du ministère de l’Éducation et de ses experts, « connoté négativement ». De même, simplement au nom de la laïcité correctement comprise, bien des demandes d’accommodement religieux devraient d’emblée nous paraître absolument irrecevables : leur acceptation, dès lors qu’on n’accorderait pas ces accommodements si un motif autre que religieux était invoqué, témoigne, cette fois encore, de notre propension collective à consentir, parmi l’ensemble des croyances, un traitement préférentiel aux croyances religieuses. Devant tout cela, j’ai donc souhaité, par cette anthologie, rappeler qu’il existe une très longue, très riche et très respectable tradition de pensée incroyante. J’ai voulu montrer, aux Hume d’aujourd’hui qui n’en auraient jamais rencontrés, qu’il existe des incroyants et des athées, qu’il est tout à fait possible de vivre une vie pleine, riche et heureuse en étant incroyant, et que cette position n’a rien de honteux et d’inavouable. Mieux : que les idées que défendent les incroyants sont de celles qui nous aident à mieux vivre et surtout à vivre debout, en faisant lucidement face au monde pour donner un sens à notre vie, en restant à l’abri d’illusions qui sont peut-être réconfortantes, mais qui n’en demeurent pas moins infantilisantes et dangereuses. Pareilles idées, me semble-t-il, méritent amplement d’être connues, discutées et méditées, puisque, osons le dire Introduction 5 sans ambages, bien des reculs des religions sont des avancées pour l’humanité. Le fait est, fort heureusement — et n’en déplaise aux commissaires, aux experts patentés, aux ministres et à leurs fonctionnaires —, que les idées de la grande famille de l’incroyance, qui comprend les athées, les agnostiques, les libres penseurs, les humanistes, les défenseurs de la laïcité et, plus récemment, les brights, sont aujourd’hui de plus en plus connues, discutées, entendues et surtout jugées crédibles. En témoigne par exemple cette intense activité éditoriale qui a récemment produit de nombreux ouvrages, dont certains ont connu d’inattendus mais retentissants succès de librairie. Citons pour mémoire, et entre de très nombreux autres : Pour en finir avec Dieu, de Richard Dawkins, Breaking the Spell, de Daniel Dennett, God is not Great, de Christopher Hitchens, Atheist Universe, de David Mills, God : The Failed Hypothesis : How Science Shows that God does not Exist, de Victor J. Stenger, et Traité d’athéologie, de Michel Onfray. En témoigne aussi, et plusieurs lecteurs, à l’instar de Hume, seront sans doute étonnés de l’apprendre, le grand nombre d’incroyants, d’athées et d’agnostiques qu’on trouve désormais dans plusieurs régions du monde. Certes, de telles données doivent être prises avec des réserves puisqu’on devine aisément qu’il est malaisé de mesurer de tels phénomènes. Néanmoins, toutes les données les plus crédibles dont nous disposons indiquent bien, du moins pour un grand nombre de pays du Nord et dans plusieurs des démocraties libérales, une nette tendance à la progression de l’incroyance. (Les États-Unis, avec des niveaux et des contenus de croyance religieuse qui rappellent ceux des pays les plus pauvres du tiers-monde, sont ici exception.) Il y aurait vraisemblablement, en ce moment, entre 500 et 750 millions de personnes qui ne croient pas en Dieu et on découvrira à la lecture du tableau reproduit à la fin de cette introduction les 50 pays qui sont les premiers de classe de l’incroyance — on notera alors que l’athéisme est presque inexistant en Afrique, en Amérique latine, en Asie et au Moyen-Orient. Commentant ces chiffres, leur compilateur, Phil Zuckerman, a écrit : « Au vu de ces estimations, on peut conclure qu’il y a approximativement 58 fois plus d’athées que de mormons, 41 fois plus d’athées que de juifs, 35 fois plus d’athées que de sikhs et deux fois plus 6 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée d’athées que de bouddhistes. Enfin, si l’on classe selon leur nombre ­d’adhérents les grands systèmes de croyances, l’athéisme arrive en quatrième position, après le christianisme (2 milliards), l’islam (1,2 milliard) et l’hindouisme (900 millions)2 ». Incroyants de tous les pays, vous êtes très nombreux : sortez fièrement du placard ! *** On a désigné différentes choses par le mot religion et je voudrais distinguer et commenter ses acceptions qui me semblent particulièrement centrales. Pour commencer, on désigne par ce mot, mutatis mutandis, des systèmes de propositions déclaratives qui prétendent décrire le monde et qui placent au cœur de cette description la croyance en un ou des êtres surnaturels qui agissent sur le monde et avec lequel ou lesquels on peut entretenir des relations. Les auteurs dont les écrits sont ici réunis tiennent généralement ces propositions et les systèmes théoriques construits autour d’elles pour faux. Le même mot de religion sert aussi à désigner des institutions et des acteurs qui y tiennent divers rôles et fonctions, ces institutions et ces personnes servant d’interprètes autorisés de l’être ou des êtres surnaturels et ayant à ce titre joué dans l’histoire (et jouant toujours) des rôles sociaux, politiques et économiques, parfois de tout premier plan. Ici encore, le bilan qu’invite à dresser le présent ouvrage est globalement négatif et les auteurs qu’on va lire soutiennent pour la plupart que les diverses religions, entendues en ce sens, ont été des forces plutôt nuisibles et néfastes dans l’histoire. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’il en ait été ainsi. Le fait qu’elles incluent tant de croyances fausses ou délirantes auxquelles les fidèles adhèrent contre l’évidence le laissait facilement présager, tout comme le fait que ces institutions encouragent chez les croyants la soumission et l’absence de réflexion critique. 2. P. Zuckerman, « Atheism : Contemporary Rates and Patterns », dans M. Martin, The Cambridge Companion to Atheism, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 55. Introduction 7 Notons qu’on peut aussi vouloir désigner par religion des choses qui n’ont, en bout de piste, et il est crucial de le rappeler, à peu près rien à voir avec ce qui précède et que dès lors parler à leur propos de religion est une bien triste et sinistre imposture. C’est ainsi qu’on pourra vouloir désigner comme religion une certaine attitude intellectuelle face au monde (ce fut, par exemple, très probablement le cas de Spinoza, et très certainement celui d’Albert Einstein, proclamant que « dieu ne joue pas aux dés » pour indiquer qu’il existe un ordre mathématiquement accessible et exprimable de la nature) ; ou encore une certaine attitude émotionnelle face à l’univers — qui est au demeurant accessible à tout le monde, que l’on soit ou non croyant — et à laquelle souscriront volontiers la plupart des incroyants, dès lors qu’elle est compatible avec ces valeurs humanistes et de rationalité qui leur sont chères. Mais parler alors de religion sans plus de qualification est une erreur grave et profondément confusionnelle. À propos justement de cette attitude émotionnelle et de ces valeurs que je viens d’évoquer, je voudrais insister sur un point qui me semble très important et qui distingue quelque peu mon propre athéisme de celui qui est professé en ce moment par certains penseurs renommés pour leur incroyance et leur militantisme. Certes, et comme à eux, le fait de développer une forme ou l’autre de scepticisme et d’incroyance à l’endroit des religions — entendues au sens où je les ai décrites précédemment — me semble une saine et importante attitude à adopter. Mais cela ne constitue à mes yeux qu’une condition, souhaitable sans doute, contributive très certainement, mais ni nécessaire ni encore moins suffisante, à la réalisation d’un programme positif pour l’humanité qui m’importe plus que tout, qu’un préalable, donc, à la possible adoption et défense de certaines valeurs intellectuelles et morales desquelles dépend la réalisation de ce programme — qu’on pourra appeler ici, pour faire court, le programme humaniste. Cela explique pourquoi certains incroyants, partageant pourtant avec moi cette attitude sceptique intellectuelle préalable, mais ayant ensuite adopté des valeurs intellectuelles et morales anti-humanistes, me semblent plus étrangers encore que bien des croyants qui ne partagent évidemment pas mon athéisme, mais qui adhèrent sincèrement à bon nombre des valeurs humanistes que je défends. Je préférerais ainsi mille fois passer une soirée avec un père jésuite se battant en Amérique latine au nom de la théologie de la libération, qu’avec Nietzsche, cet athée antihumaniste qui est, par 8 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée presque chacune de ses idées politiques, morales et épistémologiques, un être qui m’est entièrement étranger. *** Si l’incroyance n’y conduit pas nécessairement, la religion, de son côté, contribue-t-elle au déploiement de ce programme humaniste ? J’ai déjà indiqué que les incroyants pensent que les religions ont joué un rôle globalement néfaste dans l’histoire humaine. Mais les théistes tendent à rétorquer que la religion, sans laquelle tout serait permis, joue un indispensable rôle de moralisation individuelle et collective. Voici donc un dernier sens du mot religion, utilisé pour désigner, cette fois, d’un point de vue sociologique et fonctionnaliste, le rôle social présumé bénéfique à l’individu et à la collectivité joué par des systèmes de croyance. Émile Durkheim (1858-1917) a exprimé cet influent point de vue de manière exemplaire. Pour lui, la religion ainsi comprise, et quoi qu’il en soit par ailleurs de sa valeur de vérité, joue un rôle positif en ce qu’elle permet la construction de l’identité personnelle et sociale, encourage la participation de l’individu aux valeurs et aux normes qui caractérisent une société donnée et contribue à la formation de sa cohésion morale — jouant ainsi un rôle indispensable, ou du moins prépondérant, dans la moralisation des personnes. C’est sur ces aspects de la religion que je voudrais m’attarder à présent, pour rappeler ce fait crucial que la recherche empirique, depuis de nombreuses années déjà, a accumulé d’importants résultats qui n’étayent aucunement ces prétentions des croyants. Bref, et en d’autres termes, la recherche actuelle donne plutôt raison à la célèbre boutade de Bertrand Russell : « On dit souvent que c’est un grand mal de s’attaquer aux religions parce que la religion rend l’homme vertueux. C’est ce qu’on dit ; je ne l’ai jamais observé. » *** Plusieurs recherches ont été menées depuis les années 1930 sur les relations, chez l’individu, entre croyances religieuses et divers aspects de la moralité. Shermer en rapporte plusieurs et conclut comme suit sa Introduction 9 synthèse : « [il est clair] que non seulement la religion ne rend pas nécessairement une personne morale, mais qu’elle peut en outre conduire à plus d’intolérance, de racisme, de sexisme et porte atteinte à bien d’autres valeurs qui sont chères à une société libre et démocratique ». Zuckerman3, dont les travaux, on l’a vu, montrent que l’athéisme et l’incroyance sont en progression dans nombre de pays, avance aussi, dans la synthèse qu’il propose de la recherche la plus crédible, qu’athéisme et incroyance tendent à être positivement et fortement corrélés avec le degré d’éducation des individus4, avec des indices d’égalité entre les sexes, avec le degré de sécurité des sociétés, mais aussi avec de faibles taux de criminalité, d’homicide, de divorce, de pauvreté et de mortalité infantile. Ses conclusions sont encore confirmées par une des plus intéressantes études sur ce sujet parues ces dernières années, une riche méta-analyse publiée dans le Journal of Religion and Society en 20075. L’auteur y montre d’abord qu’on assiste bien, dans les démocraties développées, à « un déclin marqué de la religiosité au profit de la sécularisation ». Mais l’auteur rappelle en outre que de très abondantes données concernant les taux de dysfonctionnement et de santé des sociétés sont désormais disponibles, à l’échelle mondiale, et que ces données sont en fait si abondantes et fiables que les études comparatives concernant les taux de religiosité et les conditions des sociétés qu’elles permettent de réaliser constituent « une expérimentation épidémiologique à grande échelle » permettant justement de tester l’hypothèse voulant que des hauts taux de croyance et d’adoration d’un créateur sont des conditions nécessaires d’un taux élevé de santé sociale. La principale conclusion de l’étude est la suivante : « Les corrélations que permettent d’établir les données montrent qu’à presque tous égards les démocraties fortement sécularisées connaissent de bas taux de dysfonc- 3. P. Zuckerman, « Atheism : Contemporary Rates and Patterns », dans M. Martin, The Cambridge Companion to Atheism, Cambridge, Cambridge University Press, 2007. 4. Une étude de Larson et Whitham parue dans Nature en 1998 (vol. 394, no 6691, p. 313) rapportait par exemple que 93 % des membres de la National Academy of Science, donc des scientifiques les plus prestigieux, ne croyaient pas en Dieu ou doutaient de son existence. 5. Gregory S. Paul, « Cross-National Correlations of Quantifiable Societal Health with Popular Religiosity and Secularism in the Prosperous Democracies », Journal of Religion and Society, 7 : 1-17 (2005). 10 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée tionnement social », cela a contrario de la société américaine, qui est justement pro-religieuse — en même temps qu’anti-évolutionniste. On évitera de tirer des conclusions définitives, bien entendu ; et la question causale, très complexe, reste posée. Mais jusqu’à ce que nous ayons plus d’information, entre l’hypothèse selon laquelle la religion cause des dysfonctionnements sociaux et celle selon laquelle la religion fleurit là où existent des dysfonctionnements sociaux, le moins que l’on puisse dire est que ces corrélations sont loin d’être encourageantes pour quiconque souhaite attribuer un rôle social positif et bénéfique à la religion. *** J’ai rappelé plus haut le rôle que l’implantation du nouveau programme Éthique et de culture religieuse a joué dans ma décision de préparer ce livre. C’est avec les principes mêmes qui ont présidé à son élaboration que je suis en fondamental désaccord, parce que j’y décèle la perpétuation d’une attitude envers la religion avec laquelle je pense qu’il est indispensable que notre société en général et notre système d’éducation en particulier opèrent une radicale rupture. Cette attitude, je l’ai évoqué à quelques reprises, consiste à traiter les opinions religieuses de manière différente et préférentielle par rapport aux autres opinions et croyances, par exemple politiques. Je suggère à ce propos qu’un test de laïcité devrait être fait dans tous les cas où un traitement préférentiel est revendiqué : si un accommodement donné nous paraît impossible à accorder s’il est demandé pour des raisons politiques, alors on ne peut l’accorder pour des raisons religieuses. Dans le cas du nouveau programme, le message envoyé aux enfants, et en fait à tout le monde, est qu’il est en quelque sorte normal d’avoir une religion, tandis que le fait de n’en pas avoir ou de juger négativement toutes les religions sans aucune exception est passé sous silence. À la religion et à elle seule, parmi toutes les croyances, est accordé ce privilège de faire à l’école l’objet d’un enseignement particulier. On s’interdit de la sorte de reconnaître que les croyances religieuses, comme les autres croyances, consistent en des opinions dont on pourrait éventuellement, si cela était jugé pertinent, discuter à l’intérieur des autres disciplines enseignées à l’école. Dans cette perspective, qui est la seule qui soit défen- Introduction 11 dable dans une société laïque, et plus encore dans une société laïque multi-confessionnelle, la part de ce que les religions disent et enseignent dont la connaissance paraîtrait constituer un héritage culturel à transmettre par l’école serait enseignée dans les classes où s’enseignent les seules choses que doit transmettre l’école, c’est-à-dire des savoirs — donc, notamment, en classe de science, d’histoire et de littérature où tout cela serait enseigné en extériorité, à charge ensuite pour chacun de décider comment se situer face à ces informations par lesquelles seront rendues manifestes d’irréductibles contradictions entre certaines croyances religieuses et le savoir accumulé de l’humanité ainsi qu’avec certaines des valeurs communément admises dans notre société. On touche ici à ce qui constitue à mes yeux une des idées les plus importantes défendues dans ce livre et qui concerne le maintien et la propagation des croyances religieuses. Je reconnais sans ambages à tous les adultes tous les droits à leurs croyances qu’on voudra, mais je m’inscris en faux contre l’opinion communément admise selon laquelle des adultes ont un droit que rien ne viendrait tempérer d’imposer ces croyances à leurs enfants. Les Jésuites, ces éducateurs, ne s’y trompaient pas quand ils demandaient seulement qu’on leur confie les enfants, promettant de rendre ensuite à la religion un adulte à sa convenance. Je pense pour ma part que les enfants ont le droit, en matière de religion, à un avenir ouvert, dans lequel ils pourront choisir d’adhérer ou non à une religion ou de ne pas avoir de religion du tout et que c’est précisément le rôle de l’école publique de rendre ce droit effectif et de lui donner de la substance. Le programme Éthique et culture religieuse nous éloigne de cet objectif et je le déplore amèrement. Mais il y a, bien entendu, bien pire et, aujourd’hui encore, on considère dans certains milieux, dans certaines cultures et dans certaines sociétés, qu’il est légitime que des parents envoient leurs enfants à des écoles d’une confession religieuse donnée, ces mêmes enfants étant appelés, au seul motif du hasard de leur naissance, des « petits juifs », des « petits musulmans », et ainsi de suite. Les religions qui existent aujourd’hui n’ont pas toujours existé et, si elles demeurent vivantes et prospères après des temps aussi longs, c’est qu’elles sont particulièrement bien adaptées pour survivre parmi les êtres humains. Pour briser le cycle de leur reproduction, il faudra briser celui de leur propagation d’une génération à l’autre qui est rendue possible par 12 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée cette terrible idée reçue selon laquelle un enfant a nécessairement une religion et que cette religion est nécessairement celle de ses parents. *** J’en viens à présent à l’exposé de ce qu’on trouvera dans les huit chapitres qui composent ce livre. Le premier est une entrée en matière : il présente les diverses positions qui constituent la grande famille de l’incroyance et en dégage la portée et la signification. Le deuxième se penche sur la question de l’existence de Dieu. Les principaux arguments en sa faveur, que les traditions théologique et philosophique nous ont légués, sont examinés et critiqués ; puis, des arguments contre l’existence de Dieu sont mis de l’avant. Le troisième chapitre rappelle les principales explications naturalistes de la religion et de la croyance religieuse. On y trouve donc les grandes thèses classiques (celles de Freud, de Marx, de Comte et de Bakounine, par exemple), mais aussi des thèses et des idées plus récentes, que je pense profondément éclairantes et qui sont notamment issues de la biologie et de la psychologie évolutionniste et cognitive. Le quatrième chapitre expose certains des méfaits de la religion. Disons simplement que la matière était ici surabondante et que les choix qui ont été faits ont été déchirants. Tout naturellement, le chapitre qui suit donne la parole aux anticléricaux, ces membres parfois virulents, souvent badins, mais indispensables de la grande famille de l’incroyance. Le sixième chapitre s’ouvre sur le dilemme d’Euthyphron, aperçu par Platon, et qui montre que l’éthique est logiquement indépendante de Dieu ; ayant ainsi récusé le sophisme dans lequel des croyants voudraient enfermer les incroyants (quand ils arguent fallacieusement que « si Dieu n’existe pas, tout est permis »), ce chapitre rappelle ensuite quelques grandes traditions d’éthiques non religieuses — utilitarisme, éthique arététique, éthique déontologique et humanisme laïque contemporain. Le septième et avant-dernier chapitre du livre réunit des textes qui précisent et défendent l’idéal de laïcité et en dégage la signification, notamment pour l’espace public et pour l’éducation. Introduction 13 Finalement, le huitième chapitre de cette anthologie propose une collection d’aphorismes qui expriment, toujours avec verve et le plus souvent avec humour, le large éventail des positions incroyantes. Ce livre a été préparé pour le grand public et j’ai mis énormément de soin à choisir des textes qui sont, sinon toujours facilement accessibles, du moins compréhensibles si l’on consent à fournir un effort minimal. Des présentations, de longueur très variables, précèdent chacun des textes et ont justement pour but d’en faciliter la lecture. Certains des textes retenus sont célèbres et il était indispensable de les présenter ici ; d’autres sont moins connus et ont été moins souvent, sinon jamais, repris dans des anthologies, mais ils sont à mes yeux tout aussi importants et éclairants que les précédents ; d’autres textes, enfin, ont été traduits par mes soins et paraissent pour la première fois en français. Tous les efforts ont été faits pour rejoindre les éventuels détenteurs des droits des textes reproduits et pour obtenir les autorisations nécessaires. Au besoin, prière de communiquer avec notre maison d’édition, Les Presses de l’Université Laval. Tous ensemble, ces écrits, c’est du moins ce que je voulais accomplir en préparant cette anthologie, donnent un vaste et je l’espère fidèle aperçu de la grande famille de l’incroyance. Si des lecteurs et des lectrices trouvaient ici de quoi alimenter une réflexion libre sur la religion, je me trouverais heureux d’avoir pu contribuer à ce qui, en bout de piste, sur ce sujet comme sur tous les autres, est le plus important : penser par soi-même. On trouvera à la fin de l’ouvrage un formulaire d’apostasie que certains, après réflexion, voudront utiliser : j’espère pour ma part que ces documents et éventuellement d’autres semblables valables pour les autres religions donneront, dans les mois et les années à venir, une énorme charge de travail aux paroisses, aux mosquées, aux synagogues et aux temples de toute sorte. 14 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée Tableau 1 Les 50 pays comprenant la plus grande proportion d’athées et d’agnostiques Pays Suède Population totale (2004) Pourcentage d’athées, d’agnostiques et d’incroyants en un dieu personnel (%) Nombre d’athées, d’agnostiques et d’incroyants 8 986 000 46 - 85 82 690 000 81 Danemark 5 413 000 43 - 80 2 327 590 – 4 330 400 Norvège 4 575 000 31 - 72 1 418 250 – 3 294 000 127 333 000 64 - 65 81 493 120 – 82 766 450 10 246 100 54 - 61 5 328 940 – 6 250 121 5 215 000 28 - 60 1 460 200 – 3 129 000 France 60 424 000 43 - 54 25 982 320 – 32 628 960 Corée du Sud 48 598 000 30 - 52 14 579 400 – 25 270 960 1 342 000 49 82 425 000 41 - 49 33 794 250 – 40 388 250 143 782 000 24 - 48 34 507 680 – 69 015 360 Hongrie 10 032 000 32 - 46 3 210 240 – 4 614 720 Pays-Bas 16 318 000 39 - 44 6 364 020 – 7 179 920 Grande-Bretagne 60 271 000 31 - 44 18 684 010 – 26 519 240 Vietnam Japon République tchèque Finlande Estonie Allemagne Russie 4 133 560 – 7 638 100 66 978 900 657 580 Pays Introduction Population totale (2004) Pourcentage d’athées, d’agnostiques et d’incroyants en un dieu personnel (%) 15 Nombre d’athées, d’agnostiques et d’incroyants Belgique 10 348 000 42 - 43 4 346 160 – 4 449 640 Bulgarie 7 518 000 34 - 40 2 556 120 – 3 007 200 Slovénie 2 011 000 35 - 38 703 850 – 764 180 Israël 6 199 000 15 – 37 929 850 – 2 293 630 Canada 32 508 000 19 - 30 6 176 520 – 9 752 400 Lettonie 2 306 000 20 - 29 461 200 – 668 740 Slovaquie 5 424 000 10 - 28 542 400 – 1 518 720 Suisse 7 451 000 17 - 27 1 266 670 – 2 011 770 Autriche 8 175 000 18 - 26 1 471 500 – 2 125 500 Australie 19 913 000 24 - 25 4 779 120 – 4 978 250 Taiwan 22 750 000 24 Espagne 40 281 000 15 – 24 6 042 150 – 9 667 440 294 000 16 - 23 47 040 – 67 620 3 994 000 20 - 22 798 800 – 878 680 Ukraine 47 732 000 20 9 546 400 Biélorussie 10 311 000 17 1 752 870 Grèce 10 648 000 16 1 703 680 Corée du Nord* 22 698 000 15* 3 404 700 Islande Nouvelle-Zélande 5 460 000 16 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée Pays Italie Arménie Population totale (2004) Pourcentage d’athées, d’agnostiques et d’incroyants en un dieu personnel (%) Nombre d’athées, d’agnostiques et d’incroyants 58 057 000 6 - 15 3 483 420 – 8 708 550 2 991 000 14 418 740 Chine* 1 298 848 000 Lituanie 3 608 000 13 469 040 Singapour 4 354 000 13 566 020 Uruguay 3 399 000 12 407 880 15 144 000 11 – 12 1 665 840 – 1 817 280 Estonie 1 342 000 11 122 000 Mongolie 2 751 000 9 247 590 Portugal 10 524 000 4-9 420 960 – 947 160 États-Unis 293 028 000 3-9 8 790 840 – 26 822 520 3 545 000 8 283 600 39 145 000 4-8 1 565 800 – 3 131 600 Kirghizistan 5 081 000 7 355 670 République ­dominicaine 8 834 000 7 618 380 Cuba* 11 309 000 7* 791 630 Croatie 4 497 000 7 314 790 Kazakhstan Albanie Argentine 8 - 14* 103 907 840 – 181 838 720 * Ces données ont une validité et une fiabilité très faibles. (Adapté de : P. Zuckerman, « Atheism : Contemporary Rates and Patterns », dans : M. Martin, The Cambridge Companion to Atheism, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, p. 56-57.) Notez que ces chiffres ne représentent pas nécessairement le nombre d’athées, puisque qu’il comprend des agnostiques et des incroyants et aussi parce que des personnes peuvent affirmer ne pas croire en Dieu, mais ne pas souhaiter se définir comme athées. 1 POSITIONS : PETITE CARTOGRAPHIE DE L’INCROYANCE C e premier chapitre présente les orientations que l’on trouve au sein de la grande famille de l’incroyance, et expose les argumentaires des athées, des agnostiques et des brights sans bien entendu oublier de donner à entendre l’argumentaire rationaliste et naturaliste qui fonde toutes ces positions et au nom duquel se déploie notamment une attitude critique envers les différentes manifestions de la religion. 1.1Les variétés d’incroyance. L’incertitude absolue est aussi intenable que la certitude absolue (David Rand) Le Québécois David Rand est militant laïque et l’animateur du site Internet Vivre sans religion (http://atheisme.ca/), d’où est extrait ce texte, qui propose un premier et très utile repérage du territoire de l’incroyance. Source : http://atheisme.ca/repertoire/rand_david/agnost_fr.html. 18 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée 2 Parmi les incroyants, il semble plus courant de se dire agnostique, plutôt que de se déclarer ouvertement athée. Les sondages sur l’appartenance religieuse font normalement peu de distinctions entre les différents niveaux d’incroyance. Si l’on voulait faire des distinctions, pour que les résultats soient utiles, il faudrait préalablement des définitions claires des termes utilisés dans les questions. Il conviendrait donc de réfléchir au sens de ces deux étiquettes. Que signifie donc le mot « agnostique » ? Le mot « athée » ? D’abord, partons du principe que le sens générique du mot « athéisme » est « a-théisme », c’est-à-dire « sans théisme », où le « a » est privatif, signifiant l’absence. Le théisme est généralement défini comme la croyance en un dieu personnel, créateur de l’univers ; ce dieu est « distinct du monde mais exerçant une action sur lui » (Petit Robert), donc intervenant dans les affaires humaines. (Le présent article ne traite pas du déisme — croyance en un dieu créateur mais non personnel, rejetant l’intervention divine et la révélation —, ni du panthéisme. L’athéisme se définit donc ici par opposition au théisme.) Cette interprétation du mot « athéisme » n’est pas la seule possible. On peut comprendre le préfixe « a » au sens de la négation, et l’athéisme serait alors la négation de l’existence du dieu théiste, donc l’affirmation de sa non-existence. Mais je préfère nettement la définition « athéisme » = « absence de théisme » car la signification négative s’apparente à l’athéisme fidéiste que j’aborderai plus bas. L’agnosticisme est un terme assez moderne. Selon le Petit Robert, le mot français a été emprunté à l’anglais en 1884. Effectivement, c’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle que Thomas H. Huxley1, orateur et célèbre partisan du darwinisme, a conçu le mot « Agnosticism » (la majuscule est de Huxley) pour désigner le sain scepticisme qu’il prônait face à toute idée préconçue ou hypothèse gratuite. Il est signifiant que le terme « agnosticisme » se construit par opposition à « gnostique », indiquant le rejet de la religion mystique. 1. Thomas Henry Huxley, Agnosticism and Christianity and other Essays, Buffalo, Prometheus Books, 1992. 1. POSITIONS : PETITE CARTOGRAPHIE DE L’INCROYANCE 19 Foi et raison La grille 1 permet de placer plusieurs termes dans un contexte, faisant ressortir les rapports avec d’autres termes semblables, connexes ou contraires. Ce schéma est inévitablement simpliste, car les nuances d’incroyance et de croyance ne se mettent pas facilement dans de petites boîtes, mais c’est une ébauche informelle. Les croyances et incroyances peuvent s’appuyer sur la foi ou sur l’observation et la raison, ou peuvent être adoptées naïvement, sans réflexion, assimilées passivement du milieu social. C’est cette diversité qui est représentée dans les trois colonnes A, B et C, plaçant la foi et la raison aux pôles. Le théisme s’appuie surtout sur la foi (case A3), mais est souvent adopté par simple conformisme (case B3). Parfois, les théistes essaient d’établir leur croyance sur la base de la raison (case C3). Un exemple de cette dernière approche est celle de Swinburne2, qui tâche de prouver, à l’aide du théorème de Bayes, que la probabilité de l’existence du Dieu chrétien est supérieure à 50 %. Son argumentation est loin d’être convaincante, mais il faut apprécier l’effort. L’axe vertical de ce schéma représente donc la dimension croyanceincroyance ; en montant, on s’éloigne du théisme. L’axe horizontal représente la dimension foi-raison ; en se déplaçant vers la droite, on s’éloigne du fidéisme, que j’associe à une façon absolue de croire ou de ne pas croire. 2. Richard Swinburne, The Existence of God (édition révisée), Oxford, Clarendon Press, 1991. 20 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée A Absolu ou fidéiste B Naïf ou pratique C Rationnel ou raisonnable 1. Athéisme Athéisme fidéiste : « J’ai la certitude absolue qu’aucun dieu n’existe ni ne peut exister. » Athéisme pratique : « La croyance en Dieu m’est complètement inutile ; je vis ma vie sans jamais y penser. » Athéisme rationnel : « Je n’ai aucune croyance en Dieu. » 2. Agnosticisme Agnosticisme symétrique : « L’existence et l’inexistence de Dieu sont également indémontrables et indécidables. » Agnosticisme indifférent : « Je ne suis ni croyant ni incroyant ; je ne sais pas. » Agnosticisme rationnel : « Je n’ai aucune croyance en dieu. » 3. Théisme Théisme fidéiste : « J’ai une foi absolue en Dieu, mon Dieu. » Théisme conformiste : « Je crois en Dieu comme tout le monde. » Théisme rationnel : « L’existence de Dieu se constate ou se prouve de par Sa création et Ses œuvres. » Agnosticisme absolu ou symétrique À la case A2 se trouve la variante d’agnosticisme que j’appelle « symétrique », car il accorde à la croyance et à l’incroyance des parts égales. Appliqué au théisme, l’agnosticisme symétrique part du constat du manque de preuves absolues dans les deux sens pour conclure que l’existence et l’inexistence de « Dieu » ont la même probabilité. De toute évidence, cette attitude n’est pas raisonnable, car elle ne tient pas compte de la vraisemblance de chacune des deux hypothèses. Si l’on applique cette forme d’agnosticisme partout, l’absence de preuves absolues impliquerait une incertitude complète dans tous les domaines, et toute conclusion et toute connaissance deviennent impossibles. On arrive donc à un scepticisme absolu, à un relativisme fort, au tout-se-vaut. On est très loin de l’agnosticisme de Huxley. 1. POSITIONS : PETITE CARTOGRAPHIE DE L’INCROYANCE 21 Les certitudes absolues n’existent qu’en mathématiques, en logique pure et... dans les dogmes religieux. Dans le vrai monde, nous devons nous contenter de connaissances plus ou moins certaines ou, au mieux, ayant une certitude hors de tout doute raisonnable. Mon dernier cours de thermodynamique date de très loin, mais, si ma mémoire est bonne, il n’est pas absolument impossible que la surface d’un lac soit couverte de glace épaisse par une journée d’été de 35 °C. Mais la probabilité de cette éventualité est tellement petite qu’elle est négligeable, et nous pouvons dire, avec une certitude raisonnable, que cela n’arrivera jamais. Si nous adoptons une attitude de scepticisme absolu et admettons que l’existence (ou non) de Jéhovah est indécidable, il faudrait admettre aussi que l’existence (ou non) du père Noël est indécidable. Cette comparaison entre un dieu et un mythe enfantin n’est pas frivole ; elle éclaire la futilité de l’agnosticisme symétrique. Théisme L’agnostique symétrique adopte donc une attitude équivoque face au théisme. Pourtant, le théisme est intenable pour plusieurs raisons. D’abord, malgré toute l’ambiguïté qu’il peut y avoir dans les dogmes, chaque théisme propose néanmoins un dieu personnel et un monde bien particulier, avec des caractéristiques invraisemblables et souvent contradictoires. Avec chaque particularité ajoutée à la sauce (un messie par-ci, un ange par-là, etc.), le résultat devient de plus en plus invraisemblable. Tout cela s’appuie sur des hypothèses entièrement gratuites tandis que, suivant le principe célèbre des sceptiques Carl Sagan et David Hume, les affirmations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires. Il incombe aux théistes de prouver la véracité de leurs dogmes, pas aux incroyants de prouver le contraire. De plus, nous savons que les théismes sont des mythologies dont les origines se trouvent dans l’imaginaire le l’humanité préscientifique. La fausseté des théismes est la conclusion raisonnable. (Noter que cette discussion ne porte pas sur une éventuelle valeur pragmatique de la pratique religieuse, mais seulement sur la véracité ou la fausseté des énoncés religieux.) Même si nous faisons abstraction de l’invraisemblance de ses dogmes, il reste un autre niveau à franchir avant qu’un théisme soit crédible, celui de l’autorité. Les porte-parole de tout théisme s’expriment au nom de leur divinité, prétextant une connaissance privilégiée de sa volonté. Or, cette prétention est aussi invraisemblable, car comment peut-on affirmer 22 LÀ-HAUT, IL N’Y A RIEN — Anthologie de l’incroyance et de la libre-pensée qu’un pape ou un ayatollah aurait une meilleure connaissance de la volonté du créateur qu’aurait Britney Spears ou un paysan vietnamien ? Le produit de deux probabilités infinitésimales est une quantité encore plus négligeable. Athéisme fidéiste L’athéisme fidéiste (case A1) consiste à s’appuyer sur la foi pour rejeter le théisme. C’est un peu comme tuer une mouche avec de la dynamite. L’aspect fidéiste est de trop. Il est inutile de dire « j’ai la foi absolue que la terre n’est pas plate », car la non-platitude de la terre est une conclusion dont nous pouvons être raisonnablement certains. Nul besoin de la foi. De la même manière, il serait inutile de dire « j’ai la foi absolue qu’il n’y a aucun monstre invisible et intangible dans mon salon », car, même en l’absence de preuves, il est raisonnable de rejeter cette hypothèse arbitraire. De même pour les théismes. Nul besoin de la foi pour les abandonner. Il est intéressant de noter que Huxley rejetait l’athéisme, qu’il assimilait apparemment à sa variante fidéiste. Mais son agnosticisme, bien ancré dans la colonne C, était loin d’être symétrique ! Agnosticisme et athéisme raisonnables Dans la grille 1, le séparateur entre les cases C1 et C2 est presque absent, car, à force d’appliquer une attitude raisonnablement sceptique aux théismes, l’athée et l’agnostique arrivent à des conclusions sensiblement identiques. En effet, la principale distinction entre les deux est le choix de l’étiquette. Les deux rejettent les théismes, et pour des raisons semblables. Les théismes sont des mythologies dont la fausseté est raisonnablement certaine. Pour résumer : l’agnosticisme non fidéiste aboutit inévitablement à l’athéisme ou, en d’autres mots, l’athéisme (non fidéiste) n’est que le résultat de l’application du doute au théisme. En s’éloignant du fidéisme, il y a, à mon avis, convergence entre agnosticisme et athéisme. 1. POSITIONS : PETITE CARTOGRAPHIE DE L’INCROYANCE 23 Les porte-parole de l’au-delà Il y a quelques années, j’ai fait la connaissance d’un sympathique monsieur qui croyait que le monde de Star Trek existait réellement dans un avenir concret et que les gens de ce monde pouvaient communiquer avec nous par des ondes qui se transmettaient à travers le temps, du futur au passé, jusqu’à notre présent. À part un petit sourire, ma seule réaction a été de hausser un peu les épaules pour indiquer que je n’en étais pas tout à fait convaincu. Mais ce serait différent si des millions de gens croyaient la même chose, et ce serait plus inquiétant encore si certains de ces croyants avaient la prétention de pouvoir capter personnellement ces ondes « trekkiennes » et devenir par ce fait porte-parole de l’avenir, avec toute l’autorité qu’un tel privilège impliquerait. Cette secte « trekkienne » deviendrait nettement dangereuse si de plus ses porte-parole affirmaient que la connaissance acquise au moyen de ces transmissions était nécessaire pour bien vivre et que, par conséquent, il fallait se méfier de tous ceux — les « atrekkiens » — qui restaient en dehors de la secte et n’écoutaient pas les rapports de transmission. Or, c’est à peu près cela qui se passe avec les grands théismes. Des millions de gens ont une croyance semblable, cette croyance se basant sur des hypothèses gratuites. Des porte-parole — les autorités religieuses chrétiennes, musulmanes ou juives (ou, pour prendre un exemple polythéiste, hindoues) — se sont établis, ayant la prétention de parler au nom de l’agent hypothétique qui est au centre de cette croyance. Et ces autorités ont aussi la prétention de déclarer que la connaissance ainsi acquise est nécessaire afin de vivre moralement. Ce n’est que dans l’histoire récente que quelques-unes de ces autorités, les plus modérées, évitent de faire cette dernière déclaration trop souvent ou trop ouvertement. Quoique incapable de prouver que mon ami trekkie avait tort, j’ai quand même décidé que son hypothèse était fausse, et ce, avec une certitude raisonnable, car j’estimais que la probabilité de vérité était infinitésimale, c’est-à-dire négligeable. Je pourrais toujours nuancer ou modifier ma conclusion dans l’éventualité (que j’estimais extrêmement peu probable) que de nouvelles données viennent un jour la mettre en cause. Je ne me suis pas dit — comme se dirait un agnostique symétrique —, « Ah ! C’est indécidable, car je n’en ai ni la preuve ni la preuve du contraire. » Or, c’est précisément ce que beaucoup de critiques de l’athéisme proposent : rester indécis devant les théismes, ces vieilles