www.europhilosophie-editions.eu
5
apparemment irréversible de l’espace italien, cet espace étant en
revanche, entre les années soixante et soixante-dix, un site
d’expérimentation politique et culturelle d’avant-garde, dont les
créations furent étudiées et discutées à peu près dans le monde entier.
La Nuova Sinistra s’est constituée au cours de plusieurs
étapes, dont la première – que les protagonistes faisaient eux-mêmes
commencer en 1956 – prolonge en effet des tendances déjà actives à
partir de l’immédiat après-guerre, voire des années 1930 et 1940, lors
de la réorganisation clandestine des partis socialiste (PSI) et
communiste (PCI). 1956 est une date symbolique pour la formation
de la Nuova Sinistra à cause des deux événements qui marquent cette
année-là : le « Rapport Khrouchtchev », qui, en légitimant la critique
à l’égard de Staline et de l’URSS, avait sapé les fondements mêmes
du monolithisme des PC et de leurs pratiques d’intimidation et
chantage, et l’invasion de la Hongrie, qui avait par contre montré
dans sa brutalité la réalité de la politique de grande puissance menée
par l’URSS. L’Union Soviétique avait donc perdu son charisme : non
seulement elle n’était plus guère présentable comme « modèle »,
indépassable et soustrait à toute critique, de socialisme réalisé, mais,
de façon plus décisive, ce qui retrouvait une plausibilité face aux
événements historiques et aux aveux demi-involontaires des
dirigeants soviétiques eux-mêmes, c’était la thèse selon laquelle
l’expérience soviétique dans son ensemble avait échoué à amorcer un
processus de construction du socialisme, et cela justement à cause
des pratiques staliniennes dénoncées avec encore trop de réticences
par la formule mystificatrice du « culte de la personnalité » –
symptôme, elle, d’un « clochement » bien autrement décisif dans la
structure sociale et politique de l’URSS, dont l’invasion de la
Hongrie témoignait avec éloquence.
La Guerre Froide commençait à laisser la place à une
situation nouvelle, et les voix critiques purent refaire surface, ce qui
présupposait leur existence préalable. En effet, sur la scène italienne,
en particulier, l’existence de courants représentant une critique de
gauche de l’orthodoxie soviétique et tiers-internationaliste était un
facteur politique de longue durée. L’historien Diego Giachetti
rappelle que les années soixante et la fin des années cinquante