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Interview d’un expert
Avez-vous besoin d’un “Chief Digital Ocer” (CDO) ?
Dans les années 2000, au fur et à mesure que la révolution digitale aectait toutes les
facettes de l’économie, beaucoup d’entreprises se sont posé la question de la création
du poste de “Chief Digital Ocer” (CDO) et certaines, pour la plupart de très grands
groupes, sont d’ailleurs passées à l’acte.
Poste aux attributions diverses, voué pour certains à disparaître comme le Chief
Electricity Ocer du 19ème siècle, le rôle du CDO est-il toujours d’actualité ?
Pour faire un premier bilan de ces quelques dernières années, nous avons rencontré une
dizaine de CDO appartenant à des industries aussi diverses que les biens de grande
consommation et de luxe, l’industrie automobile, les medias ou les transports. Nous
avons tiré de ces échanges quelques réexions sur la pertinence de ce poste dans les
organisations, et si oui, sur son contenu et ses enjeux.
Analysez tout d’abord l’inuence réelle du digital dans
votre secteur
Quel est l’impact du numérique sur votre secteur : est-ce le cœur de métier qui est
concerné ou seulement les fonctions périphériques ?
Dans le secteur des petites annonces, c’est la manière même de produire le contenu,
de le commercialiser et de le distribuer qui est impacté par le digital. De même, dans le
secteur de l’édition de logiciel, c’est le modèle économique qui est impacté, de l’achat
de boîtes de logiciels à la “location” via le modèle du SaaS.
Mais même dans le cas où le cœur de métier de l’entreprise ne change pas et reste
par dénition ancré dans le monde physique - vendre des voitures ou remplir des
avions - ce peut-être une fonction clé qui est impactée, comme souvent l’est la fonction
marketing ou la fonction vente. Quand plus des trois quarts des achats d’automobile
sont préparés en ligne, même si la transaction peut encore être eectuée “o-line”, ce
sont toutes les étapes marketing et commerciales, de l’information du prospect jusque
l’acte d’achat, qui sont remises en question.
D’autre part, dans quel ordre de priorité devez-vous “digitaliser” l’entreprise ? Est-ce
plus important de mettre en place un réseau social d’entreprise (RSE) pour favoriser
la collaboration transversale entre employés, ou d’avoir une équipe marketing rompue
aux techniques du SEO, SEM, Real-time bidding et Social Media ? Si l’entreprise est
essentiellement fondée sur l’information et le partage de connaissances, comme une
société de conseil, le RSE est probablement la priorité. Si l’entreprise dépend de plus en
plus de sa réputation et des recommandations en ligne sur ces produits, comme le sont
beaucoup d’entreprises B2C, c’est probablement l’aspect marketing qui prime. Refonte
du CRM, transactions en ligne, participation des clients à la conception en amont des
produits, autant d’exemples qui posent la question du degré d’urgence de chacun de
ces changements par rapport aux mutations du secteur.
A ce stade doit donc se proler une vision transversale des chantiers liés à la révolution
digitale, et à leur importance relative pour le succès de l’entreprise. La pertinence d’un
rôle de CDO se jauge aussi au travers d’un autre prisme, la culture de l’entreprise et sa
capacité à embrasser le changement.
Evaluez ensuite les capacités et besoins
de votre organisation :
Internet est-il vu en interne par les diérents départements de l’entreprise comme une
chance ou une menace pour l’organisation et sa pérennité ? Chez beaucoup de medias
ou de distributeurs, le site web est parfois encore vu comme un concurrent. Dans un
réseau de franchisés, ce sont des clients parfois mieux informés que les vendeurs ou
adeptes du “showrooming”, venant pour tester le produit avant de l’acheter en ligne, qui
remettent en question le cycle de vente.
Cette appréhension des évolutions digitales est-elle partagée de la même manière
à tous les niveaux de l’entreprise ? Un cadre de direction qui voit dans un RSE un
simple “facebook de l’entreprise”, via le prisme de ses enfants adolescents, n’aura pas
forcément la même vision que celui qui jongle déjà avec les problématiques du Cloud,
du BYOD, du X-canal ou des AdEx (acronymes utilisés volontairement …)
Enn et surtout, l’entreprise a-t-elle une tradition de management “top-down” ou est-
elle en train de se convertir à la tendance du “bottom-up” ? Est-elle une collection
de business units farouchement indépendantes et jalouses de leurs budgets ou
un ensemble d’équipes habituées à travailler, au-delà de leurs responsabilités
opérationnelles, sur des projets transversaux.
De cette culture de l’entreprise (qui se doit d’être analysée sans concession dans ce
cadre), avide ou non d’innovations, habituée ou plutôt réfractaire au changement,
alignée derrière un leader omniprésent ou complètement décentralisée, dépendra la
capacité d’un CDO de mener à bien les missions qui lui auront été conées.
Décidez enn du type de poste nécessaire
et de ses attributions :
En fonction des conclusions aux questions ci-dessus se prolent diérents rôles :
a/ L’entreprise a déjà lancé quelques pilotes sur ces sujets mais hésite encore sur la voie
à suivre et la liste des gros chantiers de transformations (et donc d’investissements)
à lancer en premier : c’est d’abord une fonction
d’analyse stratégique qui est requise avec un Chief
Digital Strategy ocer qui travaillera en amont
avec les membres du comité de direction pour
identier et quantier les alternatives et leur retour
sur investissement respectif.
b/ L’entreprise a déjà amorcé sa transformation
avec des individus connaissant bien les apports
du digital dans la plupart des fonctions. Il s’agit
maintenant de passer à la vitesse supérieure,
idéalement en menant de front plusieurs initiatives
surtout si elles sont reliées, par exemple big data
et CRM. Si l’entreprise a l’habitude de travailler
en mode projet, le rôle de Chief Digital Champion
Ocer a toute sa place ; attention néanmoins à lui
laisser quelques responsabilités opérationnelles
pour asseoir sa crédibilité en sus des projets
transversaux.
c/ L’entreprise a conclu qu’une fonction bien
spécique était impactée par la révolution
digitale. Pour beaucoup d’entreprises B2C, ce
sera le marketing et/ou la relation client et le rôle
sera celui de Chief Digital Marketing Ocer. Dans d’autres cas, le rôle évoluera plus
vers l’équivalent d’un Chief Information, Chief Knowledge ou Chief Data ocer, rôles
spéciques qui ont tous en commun d’avoir émergé avec la digitalisation des ux
d’information et donc de décisions pour l’entreprise et ses clients.
d/ L’entreprise tire déjà ou va bientôt tirer une partie grandissante de ces revenus d’une
ore de produits digitalisés ou distribués via des canaux digitaux justiant un P&L
digital distinct. Le rôle dans ce cas tient plus de la gestion de business unit avec
des revenus, voire des prots directement attribués au digital et, dans ce cas, se
rapproche d’un Chief Digital Business Ocer.
Inspirée des travaux de Mark P. McDonald de l’institut Gartner, cette classication peut-
être résumée par le graphe suivant. Les discussions avec les personnes rencontrées
ont montré que leur poste était souvent dans l’un de ces cadrans en fonction des
spécicités de leur entreprise, quitte à évoluer dans le temps.
Enn, il faut aussi
tenir compte de
trois facteurs clés
pour s’assurer du
succès du rôle :
Enn, il faut aussi tenir
compte de trois facteurs
clés pour s’assurer du
succès du rôle :
Le titre de “Chief Digital
Ocer” et ses équivalents
français en terme de poste de direction doit être utilisé avec parcimonie en fonction
de la culture de la société, de la volonté ou non de créer un électrochoc sur le sujet
du digital au sein de l’entreprise et d’envoyer un message aux diérents échelons,
y compris aux membres du comité de direction.
La relation hiérarchique a aussi son importance : si le CDO ou équivalent intervient
en amont dans la transformation de l’entreprise, il doit être rattaché à la direction
générale an de pouvoir peser dans les décisions et l’implémentation des projets.
Enn, le CDO devrait probablement avoir en direct ses propres équipes si la culture
digitale est encore faible, mais de toute façon garder comme objectif le transfert au
plus vite du savoir-faire au niveau des fonctions, pays et/ou business units.
Pour conclure, le rôle de CDO est donc polymorphe par nature et dépend avant tout
de la manière et la vitesse avec laquelle l’entreprise veut embrasser la révolution
digitale. Qu’il soit catalyseur de best practices ou gestionnaire du P&L sur digital, le
CDO – avec toutes les nuances que l’on peut apporter au titre et à ses responsabilités
dans l’organisation – doit d’abord et avant tout cristalliser par des projets et
réalisations tangibles la nécessaire transformation et adaptation de l’entreprise au
monde numérique.
Jouant nalement au quotidien le rôle d’un “Chief Transformation Ocer”,
sa principale réussite ne sera pas tant d’avoir une stratégie pour internet que d’intégrer
rationnellement et concrètement internet dans les axes stratégiques de l’entreprise.
Yann Motte :
Avec une expérience de plus
dans 15 ans dans le digital en
France et à l’étranger, Yann Motte
est actuellement consultant sur
les problématiques B2C et B2B
liés aux changements structurels
apportés par le développement
de l’internet (nouvelles ores,
KPIs, organisation …)
Diplômé de l’ESSEC et d’Harvard,
il a notamment été en charge des
produits de Yahoo ! Europe, co-
fondateur et CEO de Webjam
(réseaux sociaux d’entreprise) et
DGA de NextInteractiveMedia,
la liale digitale du Groupe
NextradioTV.
www.chantalbaudron.fr