Le management capillaire

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LE MANAGEMENT CAPILLAIRE :
UN LIVRE DONT VOUS ETES LE HEROS
EMBA MANAGEMENT HOSPITALIER ET DES STRUCTURES DE SANTE
ANNEE UNIVERSITAIRE 2014 / 2015
Sylvain HENRY
Tuteur : Thierry NOBRE
1
SOMMAIRE
p.4
INTRODUCTION
1 Une goutte d'encre
1.1
La gestion des lits, où est le problème ?
p.5
p.7
1.1.1
Situation initiale
p.8
1.1.2
Objectifs visés
p.8
1.1.3
Périmètre et acteurs
p.8
1.1.4
Méthodologie
p.9
1.1.5
Principaux résultats en termes de changement
p.13
1.2
Moi Président...
p.14
1.3
Une certification en dessert
p.18
1.4
Du pain sur la planche : coordonner les projets, gérer l’inconnu
p.21
1.5
1.4.1
De nombreux chantiers en cours
p.22
1.4.2
Les inconnues du moment
p.24
1.4.3
Il y a un pilote dans l’avion
p.25
Analyse
2 Les bases conceptuelles du management capillaire
p.26
p.27
2.1
Le concept d’émergence et d’intention de MINTZBERG
p.27
2.2
Le processus induit et autonome de BURGELMAN
p.30
2.3
Les comportements stratégiques induits et autonomes
2.2.2
Le processus induit et autonome de formation de la stratégie :
p.31
le paradigme Variation – Sélection – Rétention
p.33
2.2.3
La conduite du changement stratégique
p.35
2.2.4
Laissez régner le chaos pour l’enrayer !
p.36
2.2.5
Quel lien ?
p.37
La logique de la capillarité de BOURION
p.38
2.3.1
L’environnement de la logique capillaire
p.38
2.3.2
La peur de se tromper au moment de décider
p.39
2.3.3
La gestion capillaire des situations à problème
p.40
2.3.4
L’apprentissage capillaire
p.40
2.3.5
Quel lien ?
p.40
Le management agile de BARRAND
2.4.1
Moi Tarzan
p.41
p.42
2
2.4
2.2.1
2.4.2
Les principes de l’agilité
p.42
2.4.3
Quid de l’organisation ?
p.45
2.4.4
Etre agile : qui ? quoi ? comment ?
p.46
2.4.5
Quel lien ?
p.51
3 Le modèle capillaire applicable à l'hôpital :
le Lean agile (C=LA3H)
p.52
3.1
p.53
Le LEAN comme culture
3.1.1
Présentation générale
p.53
3.1.2
Outils et méthodes
p.54
3.1.3
Un exemple de déploiement
p.58
3.1.4
Les limites du LEAN
p.59
3.2
Les fondements du modèle capillaire C=LA3H
p.60
3.2.1
La culture client
p.60
3.2.2
L’agilité et le progrès permanent
p.61
3.2.3
Le partage des valeurs
p.62
La méthode d’implémentation dans les structures hospitalières
3.3
p.63
3.3.1
L’analyse structurelle
p.63
3.3.2
L’étude d’impacts
p.64
3.3.3
La communication
p.65
3.3.4
Les outils à utiliser
p.66
L’impact sur la gestion des ressources humaines et les organisations
3.4
p.67
3.4.1
Une GPMC dynamisée : la vision satisfait-satisfait
p.67
3.4.2
Focus sur la formation des acteurs capillaires
p.68
3.4.3
Le manager capillaire : l’anti-héros solitaire
p.68
3.4.4
La nécessité d’une organisation coopérative ou
le modèle C=LA3H+
p.69
CONCLUSION
p.71
BIBLIOGRAPHIE
p.72
GLOSSAIRE
p.74
RESUME
p.75
3
INTRODUCTION
Le monde de la santé ne doit plus changer, il doit faire sa révolution ! Nous avons trop longtemps
cru que, loin des astreintes économiques usuelles, la somme des talents des grands patrons de
l'hôpital était la seule formule permettant de tenir la destinée de l'institution (Minvielle, 2004). La
médecine ne doit pas être soumise au diktat de l'argent, les soins n'ont pas de prix. Dont acte. Et
pourtant. Les difficultés économiques liées à la succession de crises, les cures d'austérité et les
obligations d'efficience font maintenant, bon gré mal gré, partie du vocabulaire des soignants. Sans
l'avoir jamais appris sur les bancs des facultés et des écoles, ils doivent participer à cette révolution,
de la manière la plus active qu'il soit, en synergie avec l'ensemble des acteurs de la santé et en
premier lieu leur direction. Comment dès lors peuvent-ils et doivent-ils imaginer, construire et
manager les changements obligatoires de l'hôpital, qu'ils soient induits ou imposés par les tutelles ?
Comment, par petits pas, vont-ils apprendre à co-construire le monde de la santé de demain,
intégrant les progrès de la science, la nécessaire juste et haute qualité des soins et les obligations
« administratives » parfois contradictoires ?
A travers l'exemple du CH de WISSEMBOURG, nous allons dans un premier temps montrer
comment, à partir d'un projet de gestion de lits, les enjeux du changement se sont diffusés à travers
l'organisation de l'hôpital, à la manière de l'encre sur un buvard, sans avoir forcément suivi un
chemin prédéfini. Nous évoquerons ensuite les principes majeurs du changement stratégique par
l’étude des travaux de Mintzberg sur la stratégie délibérée et émergente, puis nous suivrons les
écrits de Burgelman sur les processus induits et autonomes de formation de la stratégie. Nous
expliciterons ensuite la logique de cette capillarité à travers les travaux de Bourion. Nous ouvrirons
ensuite le débat vers la stratégie agile développée par Barrand. Enfin, nous proposerons un modèle
managérial applicable à l'hôpital découlant de ces deux approches.
4
Une goutte d’encre
5
1 Une goutte d'encre
« Le livre dont on est le héros » est un ouvrage où le lecteur, au fil des pages, choisit lui-même la
suite de l'histoire en optant pour l'une ou l'autre des propositions présentées en fin de chaque
paragraphe ou chapitre. Il devient à la fois un acteur « actif » du scénario en activant lui-même le
levier de son aventure, mais reste sous la contrainte du déterminisme d'un choix à deux ou trois
occurrences. Par le récit (Mahy, 2008), nous allons voir comment, à partir d'une réflexion autour de
l'actualisation du projet médical et l'inscription à un projet national de gestion des lits, notre
établissement s'est engagé sur la voie du changement en s'adaptant aux opportunités et enjeux de
son milieu. A la suite, ce sont les élections à la CME de novembre 2014 qui donneront une nouvelle
orientation à la voie suivie et influeront sur les projets organisationnels et structurels. Les réflexions
autours du futur projet de loi santé seront également incorporées au « jeu de piste managérial »
entrepris.
6
La gestion des lits, où est le problème ?
EMBA MH2S
CHT
Projet Gestion des lits
Centre Hospitalier Intercommunal de la Lauter WISSEMBOURG
7
1.1
La gestion des lits, où est le problème ?
1.1.1
Situation initiale
Au printemps 2013, le Centre Hospitalier Intercommunal de la Lauter est en cours de
réactualisation de son projet médical et travaille parallèlement à la mise en place d'une
Communauté Hospitalière de Territoire avec les hôpitaux de Haguenau, Bischwiller et Saverne.
Dans cette optique, la Direction a identifié la possibilité d’optimiser l’utilisation des moyens en
ayant le souci d’améliorer le parcours patient. Ainsi, elle a présenté sa candidature au programme
gestion des lits de l’ANAP et a désigné, comme prévu par le format du projet, un binôme médecinsoignant. La gestion des lits revêt un caractère stratégique pour un déploiement cohérent des
activités et un enjeu opérationnel pour une meilleure disponibilité des moyens.
1.1.2
Objectifs visés
Le but de l’inscription du CHIL à ce programme est :

D’identifier les leviers d’améliorations de la prise en charge des patients (délais,
gestion des flux, anticipation de l’activité, simplification des circuits)

De favoriser l’amélioration des conditions de travail (repositionner les soignants au
cœur du soin en réduisant le coût de gestion de recherche d’un lit ou de déplacements de
patients)

De s’assurer une meilleure maitrise de l’activité avec une allocation de ressources au
plus près des besoins
1.1.3
Périmètre et acteurs
Il a été défini que le Directoire serait le COPIL de ce projet. Une équipe projet est mise en place,
réunie autour des deux chefs de projets (Mme Ghislaine Jodin, cadre de santé, M. Sylvain Henry,
praticien hospitalier) : Mme Fany Campara, contrôleur de gestion et M. Philippe Schaeffer, médecin
DIM. Plus tard, cette équipe sera renforcée par Mme Rebecca Fritz, cadre supérieure de santé. Le
choix a été arrêté sur une équipe volontairement restreinte en raison de la taille de l’établissement
(récurrence des acteurs) et surtout pour assurer une dynamique de travail hebdomadaire.
8
1.1.4
Méthodologie
La méthode en mode projet a été imposée par l’ANAP selon des modalités identiques aux 160
établissements retenus dans le programme. Animées par un coach pour chaque groupe de cinq à six
établissements, les sessions de travail ont suivi le plan décrit ici (présentation générale du
programme)
9
1.1.4.1
La formation
La session de formation s’est déroulée sur deux journées pour l’ensemble des cinq binômes du
groupe Alsace. Les points suivants ont été abordés :
 Rôle du coach
Le coach assure l’accompagnement du groupe en tant que référent méthodologique ; il veille à
autonomiser les binômes dans la démarche en lui transmettant les outils et les réflexes du « faire
faire » et à transmettre les facteurs clés de succès de la conduite du changement dans les hôpitaux. Il
assure également le reporting vers l’échelon national de gouvernance.
 Formation au mode projet
Les 5 phases sont présentées et explicitées :
CADRAGE-DIAGNOSTIC-PLAN D’ACTION-MISE EN ŒUVRE-BILAN
10
Pour chaque phase, les livrables demandés sont détaillés, en insistant sur les exigences de la
fonction de pilotage, de la production conjointe d’un plan de communication et les notions
principales de conduite du changement.
 Formation à la gestion des réunions
 Formation aux outils de diagnostic
Les binômes sont formés à l’utilisation de la matrice SWOT et à la cartographie d’actions
QUICKSCAN.
 Formation à l’outil d’autodiagnostic ANAP
La dernière phase de formation est consacrée à l’apprentissage de l’outil d’autodiagnostic ANAP. A
partir des fichiers RSS et administratif, paramétré sur douze mois glissants, l’outil (« la moulinette
ANAP ») propose une analyse des capacités d’hébergement et des mouvements. Cette approche
permet : un diagnostic synthétique de l’occupation des lits, des simulations de regroupements. Il
permet la production d’indicateurs tels que : IPDMS, taux d’occupation, potentiel de lits à convertir
ou fermer, la répartition des RUM selon la DMS.
1.1.4.2
Chronologie du projet
 La phase de diagnostic
D’une durée de quatre mois, elle consiste à renseigner les différents outils proposés,
principalement l’outil d’autodiagnostic. A partir des données quantitatives et qualitatives,
des problématiques d’organisation sont identifiées et analysées à chaque étape du parcours
patient ; les principaux leviers d’actions sont relevés en fonction des principaux éléments du
diagnostic :

Maitrise de la DMS

Organisation et fluidification des séjours

Redéploiement ou transformation de lits
 Le plan d’actions
Un plan d’actions est proposé et validé par les instances au bout des quatre mois ; il
11
comprend huit actions principales, déclinées en sous actions :
12
 Le déploiement
Il consiste en la mise en œuvre sur le terrain du plan d’actions avec mise en place de
responsables
ayant chacun une fiche action rappelant les données primordiales de la
thématique. Rythmé par les rencontres hebdomadaires de l’équipe-projet (suivi de
l’avancement, analyse des indicateurs, plan de communication), des sessions collectives du
groupe animées par le coach avec la participation de l’ARS Alsace, des rendez-vous
institutionnels (Directoire, CME) et des réunions avec les responsables d’actions, le
déploiement est la phase de concrétisation du projet.
1.1.5
Principaux résultats en termes de changement
Ce projet gestion des lits a permis, outre l'aboutissement total ou partiel des actions menées, un
apport majeur en termes de changement et de stratégie :

Réussir à apporter une véritable politique de fluidification des parcours patients à partir
d’une analyse interne de nos propres atouts et faiblesses.

Adapter au fil de l’eau le plan d’actions en intégrant les données actualisées du moment

Proposer sur le périmètre de l’établissement des actions concrètes restructurantes sous
l’angle de l’efficience et la pertinence des parcours patients

Anticiper les grands mouvements de réorganisations des structures hospitalières

Associer les acteurs hospitaliers et la tutelle autour d’une vision commune de la
performance strictement adaptée à la structure de l’établissement
Travailler pendant dis-huit mois sur un projet de gestion des lits pour un établissement qui n’a pas,
stricto sensu, de problème de lits est en soi une innovation managériale dont la conséquence
heureuse est la réflexion « au-delà » sur les éléments de restructuration plus amples. En effet, les
sujets abordés ont rapidement dépassé le cadre du projet et ont incité le top management à saisir
cette opportunité pour réfléchir notamment à des aménagements capacitaires majeurs et à la
politique stratégique de l'établissement. Ainsi, pour pouvoir mener avec efficience ces nouveaux
défis, la direction a proposé d'inscrire deux candidats à l'Ecole de Management de Strasbourg, en
EMBA MH2S.
13
Moi Président
Ambulatoire
Capacités
Projet médical
Parcours patient
CME
ARS
Stratégie
Macro environnement
EMBA MH2S
CHT
Projet Gestion des lits
Centre Hospitalier Intercommunal de la Lauter WISSEMBOURG
14
1.2
Moi Président...
En parallèle à cette inscription à l'EM Strasbourg, nous avons proposé notre candidature pour la
présidence de la Commission Médicale d'Etablissement. Notre programme est basé sur les enjeux
du moment pour l'établissement :

rédiger le futur projet médical en lien avec la médecine de ville

garantir la meilleure qualité des soins à toutes les étapes du parcours patient

assurer la pérennité de la structure
Au-delà, il s'agit également de poursuivre le travail en lien direct avec les éléments du plan d'actions
du projet gestion des lits : les pistes ouvertes et les impacts possibles sur l'organisation sont tels
qu'ils doivent être intégrés à toute réflexion. Notre élection en novembre 2014 permet de formaliser
ces propositions et de préparer un plan d'actions devant aboutir à l'écriture du projet médical, puis
projet stratégique de l'établissement.
15
16
Ainsi validée par la direction, la mise en œuvre de ce projet a débuté par une réflexion avec les
chefs de pôles sur la partie strictement médicale de notre activité : bilan des anciens projets
médicaux, adéquation avec le présent projet médical, brainstorming sur les nouvelles activités
pouvant être développées dans notre CH en lien avec les potentialités de notre équipe médicale en
place et les possibilités de recrutement.
A la suite, un séminaire a été organisé en février 2015 avec l'ensemble des dirigeants des pôles,
médicaux, soignants et administratifs. Les thèmes abordés ont été :

revue des données macro-environnementales et d'attractivité

impacts du programme gestion des lits

cadrage du contrôle et du dialogue de gestion

constat et réflexions sur le parcours patient
Dans le même temps, les rencontres avec l'ARS s'enchainent en vue de la mise en place des futurs
Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) dans le cadre du projet de loi santé. Gardant ce sujet
sous vigilance étant données les incertitudes, nous faisons le choix de concentrer notre énergie sur
les enjeux internes en proposant 3 axes de travail en préliminaire à la rédaction du projet médical et
projet stratégique :

Parcours patient

Ambulatoire

Redimensionnement capacitaire
Les trois groupes de travail sont sous l'autorité du Directoire et pilotés par la directrice (capacités),
le directeur des soins (ambulatoire) et le président de la CME (parcours patient). Ces groupes
intègrent la synthèse des réflexions menées en séminaire, en lien avec la certification V4 prévue fin
septembre 2015. Ainsi, il est décidé de mettre en commun pour début septembre les conclusions des
trois groupes et de proposer un plan d'actions unique.
Enfin, un séminaire de formation à la gestion des pôles est organisé avec un consultant extérieur ; il
réunit les trios de pôles autours des enjeux du management des pôles, du dialogue de gestion, des
contrats de pôles. Un groupe de travail est formé avec pour mission de proposer pour septembre
2015 une trame de contrat de pôle ainsi qu'une charte de management des pôles.
Fort de ces projets et groupes de travail, il s'agit alors « d'écrire la musique » afin de ne pas
17
disperser les énergies et éviter ainsi les travaux redondants.
Une certification en dessert
Compte-qualité
V4
Patient traceur
Risques
Ambulatoire
Capacités
Projet médical
Parcours patient
CME
ARS
Stratégie
Macro environnement
EMBA MH2S
CHT
Projet Gestion des lits
Centre Hospitalier Intercommunal de la Lauter WISSEMBOURG
18
1.3
Une certification en dessert
« Introduite au sein du système de santé français par l'ordonnance n°96-346 du 24 avril 1996
portant réforme hospitalière, la certification des établissements de santé a pour objectif de porter
une appréciation indépendante sur la qualité et la sécurité des soins dispensés » (Manuel de
certification des établissements de santé V2010, janvier 2014. HAS). La version 2014 (V4) de la
certification repose sur le même manuel que pour la précédente version mais apporte plusieurs
évolutions majeures :

Mise en place d'un compte qualité remplaçant l'ancienne auto-évaluation. Envoyé 6 mois avant
la visite puis tous les deux ans à l'HAS, il consiste en une identification des principaux risques
d'un processus (cartographie des risques) selon des critères de fréquence, gravité et criticité ainsi
que du niveau de maitrise perçu par l'établissement. A cette identification, s'ajoute l'ensemble
des résultats d'évaluations et d'indicateurs des différentes thématiques dont l'analyse des
résultats doit aboutir à un plan d'actions avec calendrier de mise en œuvre

Modification des modalités de visite avec mise en vigueur du patient traceur (évaluation de la
prise en compte des critères de la certification lors de la prise en charge réelle d'un patient) et
des audits de processus (investigation sur les thèmes de la certification pour s'assurer de leur
maitrise en terme de pilotage, d'évaluation, de contrôles et d'amélioration continue ainsi que de
leur efficacité)
Le principe général sous-tendant à ces évolutions est de développer une certification au service des
démarches d'amélioration propres aux établissements. L'ambition est d'intéresser et d'impliquer les
équipes sur les points où ils sont en mesure d'agir, en fonction d'une liste de 20 thèmes choisis en
fonction de 3 priorités :

Promouvoir les démarches sur des thèmes d'impulsion (bientraitance des patients, qualité de vie
au travail)

Fournir aux professionnels des leviers spécifiques d'amélioration des prises en charge

Consolider les acquis sur les pratiques exigibles prioritaires (sujets fondamentaux pour
l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins)
Pour notre établissement, la visite des experts-visiteurs est prévue du 22 au 25 septembre 2015.
dédiée. Sous la direction du responsable de la qualité et de la gestion des risques, les pilotes des
19
Selon le calendrier décrit plus haut, le compte qualité est déposé sur la plateforme numérique
thématiques et les médecins référents sont proposés puis validés par les instances. Les groupes de
travail sont constitués et une information est largement diffusée auprès de l'ensemble du personnel,
via les « Flashs certification » et les formations organisées par la cellule qualité.
Rapidement, les travaux des différents groupes pointent les priorités sur lesquelles les efforts
doivent être concentrés (ex : dossier patient). En lien avec la direction, la CME s'assure que ces
sujets soient traités avec la plus grande vigilance et que des plans d'actions soient déployés dans les
meilleurs délais. L'analyse individualisée des thématiques en lien avec nos propres forces et
faiblesses, la qualité de la relation et la confiance qui lient le Directoire, la direction des soins et la
CME, permettent une gestion efficace et au plus près des besoins propres de notre établissement en
vue de la visite de septembre.
Les points relevés dans cette démarche recoupent certains autres projets institutionnels. L'enjeu est
alors de travailler sur la coordination à donner à la gestion de l'ensemble de ces projets, dans une
période où de nombreuses inconnues empêchent une vision et un pilotage stratégiques clairs de
l'hôpital.
20
Du pain sur la planche : coordonner les projets, gérer l’inconnu
Transfrontalier
Plan triennal
GHT
COPS
CAQOS
Compte-qualité
V4
?
Patient traceur
EHPAD
Risques
?
?
PAA
Ambulatoire
?
?
?
?
Capacités
Projet médical
?
Parcours patient
CME
?
?
ARS
Stratégie
Macro environnement
EMBA MH2S
CHT
Projet Gestion des lits
Centre Hospitalier Intercommunal de la Lauter WISSEMBOURG
21
1.4
Du pain sur la planche : coordonner les projets, gérer l'inconnu
1.4.1
De nombreux chantiers en cours
Au-delà de ces projets, d'autres chantiers rythment la vie de la structure : impliquant souvent les
mêmes ressources et en relation également avec la cohésion stratégique de l'ensemble de
l'établissement, leur impact n'est évidemment pas neutre et demande une vigilance et une souplesse
dans le management global.
 EHPAD : Accompagnement pour l’optimisation de la performance en EHPAD.
Plan réalisé selon trois axes prioritaires dans quatre des six EHPAD :
1. L’optimisation de l’organisation et du fonctionnement dans le respect des prestations
assurées aux résidents
2. L’amélioration de la fidélisation et du présentéisme du personnel
3. L’adaptation des outils ressources humaines aux enjeux de maîtrise des dépenses de
personnel
 Plan Actions Achat (PAA)
A partir d’un diagnostic de l’existant et en intégrant les recommandations du programme national
PHARE (Performance Hospitalière pour des Achats Responsables) lancé en 2011, construction d’un
plan d’actions spécifique pour les achats au niveau de l’établissement.
 Déploiement du contrôle de gestion, du management de pôle et des contrats de
pôle
Embauche d’un contrôleur de gestion, formation des trios de pôle, travail sur une charte de
management des pôles et proposition de trame commune de contrat de pôle.
 Coopération transfrontalière
Développer et renforcer les liens transfrontaliers à partir des acquis (ex : couverture médicale précharge des AVC), et des éléments d’analyse recueillis par le groupe de travail Santé Transfrontalière
22
hospitalière par le SMUR Wissembourg la nuit sur un secteur allemand), des projets (ex : prise en
(mémoire IEP 2015) : « Etre un hôpital au cœur de l’Union Européenne : une opportunité à saisir ou
un handicap à surmonter ? ». Mise en place d’une équipe médico-administrative en septembre 2015.
 COPS (Commission de l’Organisation de la Permanence des Soins)
Mise en œuvre de la réforme de la gestion du temps de travail médical (Instruction n°
DGOS/RH4/2014/101 du 31 mars 2014 relative à la mise en œuvre de l’arrêté du 8 novembre 2013
modifiant l’arrêté du 30 avril 2003 relatif à l’organisation et à l’indemnisation de la continuité des
soins et de la permanence pharmaceutique dans les établissements publics de santé et dans les
établissements publics d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), mise en œuvre du
référentiel national de la gestion du temps de travail applicable aux urgentistes (instruction
DGOS/RH4/2015/234 du 10 juillet 2015 relative au référentiel national de gestion du temps de
travail médical applicable dans les structures de médecine d’urgence prévu par la circulaire
DGOS/2014/359 du 22 décembre 2014 relative aux modalités d’organisation du travail applicables
dans les structures d’urgences-SAMU-SMUR).
 CAQOS (Contrats d’Amélioration de la Qualité et de l’Organisation des Soins)
Evaluation des contrats, rencontres et plan d’actions concernant la pertinence des soins dans le
domaine des transports et des médicaments.
 Création d’un guichet unique
Rénovation architecturale du hall d’entrée de l’établissement permettant de créer un guichet unique
d’accueil des patients (circuit programmé) ; redéfinition des taches des secrétariats.
 CHT (Communauté Hospitalière de Territoire)
Convention constitutive en juin 2014, travail sur un socle commun du projet médical autours des
coopérations déjà en fonction, réflexions sur les extensions envisageables et modalités pratiques de
mise en œuvre
En fil rouge de l’ensemble de ces projets, il y a la « vie normale » des instances d’un établissement
23
de santé dont les orientations viennent également influencer la réflexion stratégique globale. La
difficulté croissante de cette réflexion est d’y intégrer les inconnues de plus en plus nombreuses et
touchant le cœur même des structures hospitalières.
1.4.2

Les inconnues du moment
La réforme territoriale
La loi du 16 janvier 2015 définit les contours des 13 nouvelles régions métropolitaines entrainant
une redistribution des différentes directions du service public. Cette nouvelle donne, avec
notamment un déménagement de l’ARS vers Nancy, demandera une adaptation des modalités de
pilotage des tutelles.

Le projet de loi santé
Toujours en attente d’une adoption définitive à l’Assemblée Nationale, ce texte contient notamment,
parmi une soixantaine d’articles, les modalités de mise en place des futurs GHT (Groupements
Hospitaliers de Territoire). Dépourvus de personnalité morale, articulés autour d’un établissement
référent et d’un projet médical partagé, avec une participation obligatoire de tous les établissements
publics de santé, les GHT joueront (joueraient ?) la carte de la mutualisation : équipes médicales
communes, centralisation de certaines activités (DIM, services médicotechniques, SIH, etc..). La
promulgation de la loi de modernisation du système de santé (examinée en session extraordinaire au
Sénat à partir du 14 septembre 2015) est bien entendu très attendue et le point sur la personnalité
morale des GHT sera le focus principal des acteurs hospitaliers.
En région Alsace, le point GHT a été évoqué très en amont puisque dès janvier 2015, à la demande
du directeur général de l’ARS, les directeurs d’établissements et les présidents de CME se sont
réunis pour travailler sur une « pré-configuration » des futurs groupements. Le postulat proposé par
le DGARS est de tenir compte des CHT déjà formées ou en cours de formation, des périmètres des
quatre territoires de santé de la région, des filières et des coopérations déjà existantes. Il est
également proposé que le CHU de Strasbourg ne fasse pas partie du GHT intéressant son territoire
mais participe aux projets médicaux de l’ensemble des GHT de la région. L’arrivée du nouveau
directeur d’ARS de la région ACAL (déjà en place en Lorraine et Champagne-Ardenne) et du
positionnement du DG du CHU de Strasbourg pourraient remettre en cause ce schéma et changer
24
totalement le pilotage stratégique des établissements au sein de leur bassin de population.

Plan triennal
Le plan triennal ONDAM vise « une évolution structurelle du système de santé en 3 ans, alliant
qualité des soins et maitrise des dépenses de santé » autour de 4 objectifs :

Améliorer la qualité de l’offre hospitalière

Prendre le virage ambulatoire et mieux adapter les prises en charge en
établissement

Poursuivre les efforts sur les prix des médicaments et l’adoption des génériques

Améliorer la pertinence et le bon usage des soins
Ce plan concerne tous les établissements sans exception et est copiloté par les ARS et l’Assurance
Maladie autour de douze blocs opérationnels (maitrise de la masse salariale, virage ambulatoire,
transports, prescriptions médicamenteuses, etc..). Un programme d’appui complète ce plan,
proposant aux établissements retenus un accompagnement sur les différentes thématiques. Le choix
des établissements accompagnés s’effectue en fonction des données remontées par la rédaction du
plan stratégique et du macro diagnostic (outil ANAP MACRODIAG), réalisés entre juillet et
septembre 2015. De là et après une phase de diagnostic détaillé, un plan d’actions est arrêté avec un
support méthodologique type coaching pendant les 26 mois du projet
De manière chiffrée, il s’agit d’économiser 10 milliards d’euros d’ici à 2017 dans le système de
santé français avec notamment un ONDAM limité à 1.75% en 2016 contre 2.6% en 2014.
Sans détailler au-delà les différents projets en cours au Centre Hospitalier de Wissembourg et avant
d’analyser les éléments présentés ici, le Directoire a retenu le principe structurant de concentrer son
énergie et celle des personnels de l’établissement sur le pilotage et la mise en œuvre des différents
dossiers exposés ici afin d’éviter un empilement stérile de projets inaboutis.
1.4.3
Il y a un pilote dans l'avion
25
Le canevas des projets, le rythme de leur mise en œuvre et l’impact sur la qualité des soins
prodigués au patient ne répondent pas à un ordonnancement fini dont les règles majeures seraient
établies dans un cadre strict et une vision à long terme ; ils appartiennent à une démarche
dynamique qui, s’étendant de proche en proche à la manière de l’encre jetée sur un buvard, ne
semblent pas exiger de guide pour se propager mais de quelques contraintes qui participent à leur
évolution. Dans le modèle capillaire proposé ici, nous verrons qu’il y a de facto un pilote aux
commandes de l’avion, qui fixe le cap, analyse les contraintes et les objectifs, utilise son agilité afin
d’opter pour le moins mauvais chemin à suivre en cas d’intempéries et ainsi arriver à bon port
malgré les incertitudes.
1.5
Analyse
Comme nous l’avons évoqué, partir d’un programme de gestion des lits et en exploiter tout le
potentiel structurant pour un établissement qui n’a pas de problème de disponibilité de lits n’est pas
une démarche usuelle et impose une réactivité et une agilité du management, afin d’aboutir aux
changements pressentis. Que pouvons-nous retenir de cette histoire dont nous sommes les héros ?
La nécessaire capacité d’intégrer le prévu et l’imprévu
A travers les différents contrats qui lient les établissements et les tutelles, il existe une somme
importante de données dont la gestion est obligatoire, cadrée, déterminée dans le temps et dans les
résultats (ex : CPOM, CAQOS, IPAQSS, etc…). Ces données sont généralement intégrables dans
un plan global permettant un pilotage et une vision stratégique. Malgré des inconnues, leur
exploitation dans ce cadre défini reste prévisible, partiellement anticipable et accessible à un niveau
élevé de contrôle de la part de l’organisation. En ce sens, elles répondent à une vision délibérée de
la stratégie, telle que le présentent Mintzberg et Waters comme nous le développerons plus loin.
Nous évoquerons également ici le modèle de Burgelman et l’aspect induit du comportement
stratégique.
En sus, l’addition des éléments imprévus nous oblige à adapter les schémas préétablis ; l’impact de
la stratégie émergente (au gré des évènements) et du comportement stratégique autonome prôné par
les auteurs cités plus haut, devient de plus en plus prégnant dans le management actuel des hôpitaux
et demande aux dirigeants une haute capacité à intégrer ces deux composantes.
Particulièrement sensible dans les structures hospitalières de taille modeste, la question de la mise
26
Mobilisation et initiatives des mêmes acteurs
en œuvre et de l’aboutissement des différents projets reposent le plus souvent sur un nombre
restreint d’acteurs. Ce qui est le cas dans les exemples cités dans la première partie de ce travail.
Sans intervenir sur les raisons qui motivent les uns et les autres à s’engager dans la démarche, il faut
relever cette réalité et les impacts qui en découlent. Il est nécessaire pour les managers impliqués
d’y trouver une motivation pérenne dans le temps et une reconnaissance en relation avec le temps
consacré aux projets, généralement en plus du temps passé au lit du patient. De son côté, il est
fondamental que le top management reconnaisse ce travail et approuve l’autonomisation des
équipes et valide les initiatives qu’ils proposent, tout en restant maître du pilotage stratégique global
de la structure. Cette affirmation implique une coordination et une bonne entente entre les membres
du top management !
Coordination du management
Dans les projets explicités plus haut, la coordination entre les membres du top management a
permis de guider, d’aiguiller la propagation des projets alors même que, à l’image de l’encre sur le
buvard, beaucoup d’alternatives pouvaient se présenter dans le déroulé des actions. Ainsi, les jalons
posés sur ce parcours ont permis d’aboutir à une véritable stratégie d’établissement liant l’ensemble
des obligations externes ou internes et les initiatives à haute valeur ajoutée. Outre sur une bonne
entente, cette coordination repose bien entendu sur le professionnalisme et une formation à cet
exercice de la part de ses membres
Dans cette première partie, nous nous sommes appuyés sur des exemples concrets de projets menés
dans notre établissement afin d’appréhender un modèle de management dit capillaire, compatible
avec les contraintes de gestion d’une structure hospitalière. Alliant déterminisme, apprentissage
incrémental, gestion de l’imprévu, ce modèle s’appuie sur les travaux de Burgelman et Mintzberg
par la nature des changements et apprentissages organisationnels qu’ils impliquent. Nous verrons
également que Bourion a abondé dans le sens du modèle capillaire dans son article sur la logique de
la capillarité. Enfin, nous rapprocherons cette étude du travail de Barrand sur le management agile.
2 Les bases conceptuelles du management capillaire
2.1
Le concept d’émergence et d’intention de Mintzberg
Dans un article de 1985, Mintzberg et Waters proposent une analyse très précise des modalités de
de structures de différents horizons (journal, grossiste, fabricant automobile, etc…). La stratégie est
27
formulation de la stratégie au sein de l’entreprise à partir d’un large panel d’études menées auprès
pour Mintzberg « un modèle dans un flot de décisions ». Ce travail novateur propose une approche
plus dynamique et plus flexible du management stratégique par rapport aux modèles classiques de
planification stratégique, très critiqués par l’auteur. En effet, ses travaux ont mis en évidence un
décalage entre les intentions et les plans des dirigeants, et la réalité des actions dans la vie de
l’entreprise. Les auteurs mettent également en avant le rôle déterminant de l’intuition et du
jugement, non seulement de la part des dirigeants, mais également chez tous les acteurs de la
société. Pour Mintzberg, la stratégie comporte deux volets indissociables situés dans le même
continuum :

La stratégie délibérée (deliberate strategy) qui est conçue par les dirigeants à partir
d’éléments de réflexions et de négociations internes à la société. Elle correspond à la mise
en œuvre effective de la stratégie intentionnelle (intended strategy). En théorie, c’est-à-dire
en l’envisageant dans sa version pure, la stratégie délibérée doit répondre à trois conditions :
-
Les intentions stratégiques sont décrites précisément dans la structure avant le
déploiement du plan d’action.
-
Ces intentions sont partagées par tous.
-
Ces intentions sont réalisées exactement comme prévues par le plan, sans
interventions d’éléments extérieurs (politique, technologique, conjoncturel), ce qui
signifie un contrôle total de l’organisation sur ces éléments.

La stratégie émergente qui suppose l’absence de toute intention préalable. Elle se
construit progressivement, en s’adaptant aux données issues de son environnement et aux
différentes décisions inférées par l’action elle-même.
D’après MINTZBERG et WATERS
Stratégie émergente
28
Stratégie non
réalisée
Les stratégies pures, qu’elles soient délibérées ou émergentes, n’existent pas en pratique car cela
reviendrait à dire qu’elles seraient développées, soit sans apprentissage, soit sans contrôle. Ainsi, les
auteurs proposent une typologie des différentes stratégies en fonction de la force de leur
caractéristique « intentionnelle » ou « émergente ».
Type de stratégie
Eléments principaux

Symbolisation
Existence d’intentions précises formulées
dans un plan rédigé et articulé par les
Stratégie planifiée
dirigeants

Contrôles formels de l’implémentation pour
éviter des distorsions dans les intentions
Stratégie
entrepreneuriale

Un environnement prévisible et contrôlé

Un leader qui impose à l’organisation sa
Vision 1
vision de la direction à suivre

Un leader qui adapte sa vision en fonction
Vision 2
des opportunités

Souvent retrouvée dans les sociétés jeunes
ou de petite taille

valeurs partagées

Les intentions sont collectives et partagées
par tous

Intentions
Stratégie idéologique
Normative des comportements selon des
L’organisation reste proactive vis-à-vis de
son environnement

Elle permet un contrôle des actions au
travers d’objectifs et de limites clairs, mais à
l’intérieur desquels il est possible d’agir par
Stratégie parapluie
soi-même

Les limites et les grandes lignes sont
définies par les dirigeants qui guident leur
action entre pro action et réaction
Associe à la fois la vision délibérée et
émergente de la stratégie
29

Type de stratégie
Eléments principaux

Symbolisation
Un acteur mène une stratégie totalement
déconnectée des autres activités, dans les
Stratégie
limites du cadre de la société, mais pouvant
déconnectée
être en contradiction avec les intentions
initiales

Modèle pouvant être retrouvé dans les
universités
Stratégie du
consensus

Absence de contrôle central

Les acteurs convergent naturellement vers
un même but, adaptent mutuellement la
stratégie au fil des apprentissages

Stratégie imposée
La stratégie est issue de l’environnement qui
dicte les modalités de l’action à suivre

Cette vision imposée peut parfois être
internalisée et appropriée par la structure
D’après Mintzberg
Le changement dans les organisations et dans leurs stratégies appartient donc à un continuum sur
lequel naviguent les dirigeants au gré des évolutions de l’environnement, des contraintes internes, et
des apprentissages au fil du temps. Mintzberg insiste sur l’importance de l’apprentissage stratégique
dans le concept d’émergence : la réalisation mais également (surtout ?) la non-réalisation des
intentions de départ, adaptée aux vicissitudes de l’environnement, conduit les dirigeants a, sans
cesse, mener leur action en s’appuyant sur une jambe « délibérée » et l’autre « émergente ». Cette
conception trouve un écho dans les travaux de Burgelman sur les processus d’adaptation des
entreprises
2.2
Le processus induit et autonome de Burgelman
Les travaux de recherche de Burgelman portent sur l'impact de la construction stratégique dans
l'évolution des entreprises. Il a, en particulier, étudié, le développement de stratégies lors de l'entrée
par des organisations dans de nouveaux marchés, conjointement à la sortie de marchés existants,
Dans notre contexte, nous nous intéresserons à son modèle d’écologie d’initiatives intra-
30
dans le processus d'adaptation continue des entreprises.
organisationnelles développé dans les années 80 à partir de son travail sur l’intrapreunariat qui
combine des projets engendrés par la stratégie et d’autres engendrés par les niveaux intermédiaires
de l’organisation et parfois en opposition avec la stratégie. Nous verrons comment, à partir de son
modèle sur les comportements stratégiques induits et autonomes (Burgelman, 1983), il a poussé son
concept pour l’insérer dans un processus plus large de formation de la stratégie répondant à des
phases de variation, sélection et rétention (Burgelman, 1991). Ensuite, nous exposerons sa vision de
conduite du changement en fonction du processus retenu, induit ou autonome. Nous aborderons
enfin sa théorie des cycles stratégiques comme élément dynamique fondamental à la survie des
entreprises
2.2.1
Les comportements stratégiques induits et autonomes
Dans son travail de 1983, Burgelman nous propose un modèle basé sur deux comportements
stratégiques :

Un comportement dit induit, correspondant à la mise en œuvre de projets ou de
recherche d’opportunités répondant au cadre stratégique en cours dans l’organisation

Un comportement autonome : ce sont, à l’inverse, les projets ou les opportunités qui
vont pouvoir introduire un nouveau cadre stratégique à l’entreprise.
Le principe du modèle de Burgelman est l’interaction entre ces deux comportements et deux
contextes organisationnels (stratégique et structurel) qui influencent directement la stratégie
d’entreprise.
L’interaction entre un comportement induit et un contexte structurel correspond aux travaux de
Chandler qui a étudié le développement des principales entreprises américaines entre 1919 et 1959 :
« structure follows strategy », c’est-à-dire que ce sont les changements de stratégie décidés par le
top management qui induisent un changement de structure. A l’inverse, la vision autonome du
comportement stratégique (Cyert et March 1936, Cohen, March et Olsen 1972) à travers le concept
de « prise de décision » ou la stratégie incrémentaliste de Lindblom (1959), autorise une vision
bottom-up dans laquelle le rôle du top management n’est pas forcément « prépondérant ».
Burgelman résume son modèle par le schéma ci-dessous :
31
D’après Burgelman
Ainsi exposé, le modèle de Burgelman propose :

Pour la partie induite du modèle (partie inférieure du schéma) : c’est le top management
qui définit la stratégie de l’entreprise et qui peut donc, par ses choix, soit influencer le
comportement stratégique des acteurs de l’organisation (c’est la stratégie qui oriente les actions
engagées par l’ensemble des membres de l’organisation), soit influencer le contexte structurel
(planification stratégique, systèmes de contrôle, règles de répartition des ressources). Ainsi, le
contexte ainsi modelé aboutit à une sélection des initiatives internes en cohérence avec la ligne
définie, sans remise en cause de celle-ci, avec plutôt un renforcement des choix stratégiques arrêtés
par les dirigeants.

Pour la partie autonome du modèle (partie supérieure du schéma) : les managers
intermédiaires de la structure proposent des projets ayant un potentiel stratégique pour l’entreprise,
pas forcément en lien direct avec la stratégie en cours. Ces initiatives des managers (dénommés
« intrapreneurs »), sont favorisés par le top management ; une évaluation des projets est réalisée
pour sélectionner ceux qui ont le potentiel stratégique le plus important pour l’organisation.
L’importance du modèle coévolutif de Burgelman réside dans la complémentarité et l’interaction de
ces 2 visions, résumée par l’auteur en 8 propositions (« maintaining a pragmatic balance between
these fundamentally different requirements present à major challenge for top management »). Il
vulgarise son concept ainsi : « la stratégie globale de l’entreprise est « ce qui doit être dit », sur la
base d’avantages compétitifs qui déterminent l’action stratégique dont le résultat, « ce qui est
effectivement réalisé », est l’expression de compétences propres ».
comportements décrits plus haut dans un processus plus large de formation de la stratégie, selon le
32
En 1991, Burgelman développe encore son modèle selon un axe plus évolutionniste, intégrant les
paradigme Variation-Sélection-Rétention.
2.2.2
Le processus induit et autonome de formation de la stratégie : le paradigme
Variation-Sélection-Rétention
Le processus (appelé processus écologique interne) intégrant les comportements induits et
autonomes évolue suivant des phases de variation, sélection et rétention.

La variation correspond à l’action (initiative) stratégique, qu’elle soit induite ou
autonome, résultant de la volonté des managers intermédiaires de mettre en valeur des compétences
particulières.

La sélection renvoie au contexte interne (stratégique ou structurel) et aux mécanismes
qui régulent la sélection des initiatives (allocation des ressources).

La rétention correspond à la diffusion dans l’organisation du concept stratégique
global, essentiellement déterminé par 4 critères : la compétence propre de l’entreprise (la vision
qu’en a la direction), son application dans un domaine du marché, les core values (valeurs
fondamentales) de la structure, les objectifs.
Ces 3 phases évoluent selon un processus induit (la stratégie est formulée de façon à assurer la
survie de l’entreprise en se basant sur des éléments rétrospectifs et les expériences passées) ou
autonome (la vision future de la stratégie est façonnée en fonction des initiatives individuelles) de
formation de la stratégie. L’ordre de ces phases est différent :

Dans le cas du processus induit, la première phase est celle de rétention, c’est-à-dire à
la mise en place et la diffusion de la stratégie par le top management, reflet de leur expérience. Afin
de se protéger d’initiatives ou projets pouvant perturber ce processus, ils déploient un ensemble de
mécanismes sélectifs (phase de sélection), permettant de calibrer les projets dans le cadre énoncé.
La dernière phase, la variation s’en trouve ainsi extrêmement réduite.
RETENTION

SELECTION
VARIATION
Dans le processus autonome, c’est à l’inverse les initiatives internes qui sont d’abord
mises en avant (variation) avec comme élément distinctif le fait de se démarquer des projets induits
par un aspect innovant (nouvelle technologie, nouvelles cibles par exemple). A la suite, ces projets
élaborer la nouvelle stratégie. La phase de rétention consiste à diffuser et développer ces initiatives
33
sont évalués par les dirigeants en fonction de leur potentiel et sélectionnés (phase de sélection) pour
dans la structure en leur octroyant les moyens nécessaires.
VARIATION
SELECTION
RETENTION
Burgelman s’est servi de son expérience INTEL, fabricant de microprocesseurs, dont il a consacré
de longues années d’études pour proposer ce modèle. Il semble que sa grande réussite dans sa
collaboration avec cette société est d’avoir pu transmettre son message à l’ensemble des équipes en
utilisant avec simplicité un code couleur (bleu pour le processus induit et vert pour le processus
autonome) qui a permis d’appréhender de manière aisée son concept, la place des différents
éléments le constituant et les interactions qui les lient.
Dans la dernière partie de son étude, l’auteur nous propose d’associer à chaque processus un type de
changement, dont le principal, en toute logique, est associé au processus autonome.
34
2.2.3
Proces
La conduite du changement stratégique
Variation
Sélection
Rétention
Type de changement
sus
Des initiatives s’inscrivant
Ces initiatives sont
Les initiatives retenues
Inertie relative : la
dans le cadre de la stratégie
sélectionnées par le
sont ensuite
survie de l’organisation
actuelle de l’organisation
contexte structurel
incorporées dans le
est due à la cohérence
sont à la recherche de
fonctionnement de
entre les processus de
ressources
l’organisation faisant
sélections internes et
l’objet d’un
l’environnement
Induit
apprentissage
Des initiatives s’emparent
Le contexte structurel
L’ensemble de ces
Ajustements : des
d’opportunités en
interne s’adapte pour
éléments nouveaux
changements mineurs de
provenance de
faire face aux
sont introduits dans la
faible ampleur, viennent
l’environnement, ou tentent
opportunités et aux
vision stratégique de
modifier la stratégie
de faire face à des menaces,
menaces de
l’organisation, venant
pour mieux l’adapter
tout en restant dans le
l’environnement, sans
la modifier à la marge
aux évolutions de
domaine stratégique actuel
changer de façon
l’environnement
radicale
La Direction prend elle-
Il s’en suit un
Des changements
Réorientation : des
même l’initiative de donner
changement de
majeurs sont introduits
changements majeurs de
une nouvelle direction à la
contexte structurel
dans les activités de
la stratégie sont
l’organisation
introduits en réponse au
stratégie de l’organisation
changement de
Autonome
l’environnement
Des initiatives sont
Un nouveau contexte
Le changement aboutit
Changement
conduites en dehors du
stratégique émerge,
à un apprentissage
stratégique : un
champ de la stratégie
reposant sur la
organisationnel, se
changement majeur
actuelle de l’organisation
recherche de ressources
traduisant par de
dans la stratégie de
en dehors du processus
nouvelles compétences,
l’organisation précédé
d’allocation de
de développement de
par des
ressource en vigueur, la
nouvelles activités, qui
expérimentations,
démonstration de la
conduisent le top
offrant la possibilité
viabilité stratégique des
management à
d’entrer sur de
initiatives, le
reconnaitre la nécessité
nouveaux marchés,
développement de
d’un changement de
produits ou niches
nouvelles compétences
stratégie
e
Autissier, Vandangeon-Derumez, Vas : Conduite du changement, concepts clés, 2 édition 2014. Adapté de Burgelman (1991, p.254)
Dans ce tableau, on remarque que la typologie du changement dans le contexte induit aboutit soit à
35
des ajustements mineurs (impact de l’environnement), une inertie relative (impact au sein de la
structure) ou à des changements majeurs répondant à des variations de l’environnement
(réorientation). Ici, les changements restent dans le cadre de la stratégie actuelle de la structure, ne
la modifiant qu’à la marge.
Par contre, dans le cadre du processus autonome, il faut souligner que le changement est qualifié de
majeur et réoriente le contexte stratégique (changement stratégique) : les initiatives qui ont été
menées hors du cadre stratégique en cours dans la structure aboutissent à des nouvelles
compétences ou de nouvelles activités qui conduisent les dirigeants à modifier la stratégie : il faut
changer !
Ainsi, il est primordial pour Burgelman que le management intermédiaire puisse porter des
initiatives autonomes, aidé par un top management favorable à leur émergence, également en
dehors du cadre stratégique actuel de l’organisation. La nouvelle stratégie se construit par le milieu,
par des managers décomplexés, se servant de leurs compétences pour développer des projets parfois
en dehors de leur périmètre de travail initial. Le but ici est d’augmenter la polyvalence de ces
managers, gage de réussite des changements stratégiques. A ceci, il faut ajouter l’évolution
nécessaire du leadership des top managers devant les rendre capables de voir ou d’anticiper les
changements probables dans l’environnement interne ou externe et d’adapter la stratégie en
conséquence. Le changement devient alors plus progressif, plus intégré, et non pas un mouvement
radical dicté par les dirigeants. Pour ces derniers, le défi est de trouver la juste répartition entre les
processus induits et autonomes et de laisser, au regard des éléments extérieurs, se développer les
initiatives internes en cohabitation intelligente avec les contraintes structurelles. Et ceci dans un seul
but : la longévité de l’organisation, sujet abordé dans des travaux récents de Burgelman (2007) en
association avec Grove. Le titre de leur exposé est provocateur et prometteur : « Let chaos reign,
then rein in chaos-repeatedly : managing stratégic dynamics for corporate longevity».
2.2.4
Laissez régner le chaos pour l’enrayer !
En utilisant à nouveau sa longue expérience avec INTEL, Burgelman cherche à répondre à la
question de la survie des entreprises dans un système social de plus en plus complexe et de leur
capacité à entrevoir une stratégie associant les éléments prédictifs et faciles à comprendre de leur
environnement (linéaires) et ceux dont l’écho dans les transformations engendrées ne sont pas
directement reliés à la cause les ayant provoqués (non linéaire). Plus simplement, l’auteur cherche à
modéliser leur capacité à s’adapter à un environnement changeant ou à en chercher un nouveau.
durant presque 40 ans, Burgelman propose que la longévité d’une organisation réside dans sa
36
A partir d’un cadre conceptuel de recherche appliqué aux évolutions stratégiques chez INTEL
capacité à adapter son leadership (à rapprocher de l’agilité), aux moments clés de son évolution, en
assurant au plus juste des enjeux externes, l’enchainement et la répartition des processus induits et
autonomes (« balancing cycles »).
Il s’agit maintenant de lier le modèle de Burgelman aux données de notre expérience.
2.2.5
Quel lien ?
Le cadre légal de l’hôpital public en France impose de facto aux dirigeants de la structure tout un
ensemble de projets répondant aux comportements stratégiques induits développés par l’auteur :
CPOM, EPRD, certification HAS, GHT, CAQOS, etc…Parfois présentés selon le mode injonctif
par les tutelles, ces projets ne représentent pas stricto sensu la vision stratégique propre à
l’établissement de soins mais, de par leur caractère obligatoire, doivent être intégrés par le top
management et déclinés comme tel. Prenons dans notre exemple, le cas de la certification V4. Les
modalités de la certification des établissements de santé, fixés par l’HAS, imposent le même cadre
de contrôle à l’ensemble des structures. Ainsi, elles doivent entrer dans la réflexion stratégique des
dirigeants et vont influencer le contexte structurel (ex : création de groupes de travail par
thématiques, élaboration d’une politique et d’objectifs ciblés, par thématique). Les phases de
rétention et de sélection étant liées à la rigidité du cadre imposé, les potentialités de variation s’en
trouvent extrêmement réduites. Dans ce cas de figure, le changement réside essentiellement dans
des ajustements (ex : mise à jour de protocoles, adaptation des procédures en fonction de la
cartographie des risques).
Pourtant, dans ce même exemple lié à la certification, nous avons pu identifier une initiative
résultante d’un constat dévoilé lors des travaux sur les différentes thématiques, pour laquelle un
comportement stratégique autonome a été mis en œuvre : la gestion du dossier patient. En effet,
l’analyse de l’existant et les faiblesses du dispositif actuel ont vu émerger le projet d’informatisation
complète du dossier patient, recueillant le soutien du top management qui intègrera ce point dans le
projet stratégique de l’établissement.
Avec Mintzberg et Burgelman, nous voyons les similitudes d’approches de la formulation de la
stratégie et des changements qu’elles impliquent. Entre l’intention et l’induit, l’émergent et
l’autonome, ces deux auteurs nous laissent entrevoir la capacité, voire la faculté, que doit avoir un
dirigeant pour piloter une organisation au regard de la complexité des milieux dans lesquelles la
structure évolue : l’adaptabilité.
de la capillarité, une approche plus psychologique de notre relation à une situation inconnue pour
37
Notre démarche nous amène ainsi à évoquer maintenant les travaux de Bourion (2000) et sa logique
laquelle notre décision est attendue (« comment faire face à la peur de se tromper ?), pour finir
notre propos sur l’agilité managériale développée par Barrand.
2.3
La logique de la capillarité de Bourion
Les ouvrages et publications de Bourion font une large place à la logique émotionnelle en tant
qu’élément fondamental des processus de prise de décisions et dans la nature des relations entre les
acteurs et leur environnement. L’auteur replace le cerveau humain au cœur du processus
décisionnel, en cela que la somme des apprentissages antérieurs et l’intégration de la perception
émotionnelle de la situation, permettent au décideur d’orienter son choix, non plus coute que coute
vers un objectif prédéfini, mais en tirant parti des évènements et des possibilités se présentant à lui.
2.3.1
L’environnement de la logique capillaire
Pour Bourion, la logique de la capillarité renvoie aux notions physiques (« Ensemble des
phénomènes relatifs au comportement des liquides dans des tubes très fins, et, de façon plus
générale, à toutes les situations où une surface de séparation rencontre une paroi solide ».
Dictionnaire Larousse) qu’il applique au modèle des organisations. L’image classique du
phénomène capillaire, le fameux « canard » dans le café ou la liqueur, trouve ses correspondances
dans le monde des entreprises : une logique de diffusion de proche en proche (proximité), à
mémoire courte, fortement sous l’action de la conjoncture et faiblement sous l’action de la structure.
Ainsi appliqué, ce modèle repose aussi sur le vécu et les expériences passées pour adapter, par
petites touches, les actions des décideurs. Ainsi, les décisions n’entrent plus dans le cadre strict de la
rationalité (SIMON, Le décideur à rationalité limitée) mais rejoignent en partie le modèle
émotionnel (LABORIT, Le décideur Emotionnellement actif) qui reconnait la part de l’activité
émotionnelle dans le processus de décision. La logique de la capillarité propose un modèle que
Bourion qualifie de plus humble, entrant dans le cadre de la rationalité limitée auquel il ajoute
l’importance des processus d’adaptation et d’apprentissage, en fonction des acquis antérieurs. Cette
phrase pourrait résumer la pensée de l’auteur : « L’action est menée en tirant parti de savoirs acquis
antérieurement, de ce qui est à proximité géographique et temporelle et en établissant les objectifs
et buts ex post pour les adapter aux opportunités, au fur et à mesure que les choses se font ou se
défont, suivant un processus à mémoire courte. Ce qui compte n’est plus ce que l’on veut faire, mais
ce que l’on peut faire et le sentiment de satisfaction ne vient pas d’avoir atteint des objectifs, mais
Mais au moment de décider, il existe un conflit interne lié à une certaine pression émotionnelle qui
38
d’avoir tiré parti des situations qui se présentent ».
renvoie à la non-assurance d’avoir fait le bon choix, en un mot, la peur de se tromper.
2.3.2
La peur de se tromper au moment de décider
Ce conflit interne est imagé par Bourion par le syndrome du Bernard l’Ermite. Ce coquillage
rythme sa vie par les changements de coquilles réguliers en raison de sa croissance ; ce geste est
vital car il s’agit pour lui de protéger son abdomen mou de la chaleur et des prédateurs. A chaque
changement, il vit un conflit interne au moment de choisir sa nouvelle protection selon le
modèle « approche et évitement » résumé ici :
La nouvelle coquille
L’ancienne coquille
Approche
Approche
S’emparer
Evitement
de
sa
nouvelle Garder l’ancienne et renoncer à
coquille mais conserver quand la nouvelle
même l’ancienne
Evitement
S’emparer
de
la
nouvelle, Se passer de coquille et mourir
renoncer à l’ancienne
Le dilemme du Bernard l’Ermite, d’après Christian BOURION
Cette image symbolise la peur de se tromper que le processus capillaire tend à « minimiser » pour
n’en retenir que le conflit « approche-approche » du tableau, moins lourd émotionnellement car, au
pire, il est source d’apprentissage. Pour être tout à fait complet avec le petit coquillage et l’image
qu’il véhicule ici, il faut remarquer que lui aussi est capable de s’adapter à la manière capillaire : en
effet, la voie que choisissent parfois les Bernard l’Ermite est celle de la bourse d’échanges, grand
lieu de rencontres entre congénères ou, les uns après les autres, ils se séparent de leur coquille pour
immédiatement prendre celle laissée dans la chaine par un camarade.
Le choix est ici la résultante du vécu, d’une approche par petits pas et d’opportunités, à laquelle la
pression émotionnelle (peur de se tromper) contribue à donner un processus décisionnel éloigné des
modèles rationnels classiques.
Dans la vie professionnelle, sans remettre en cause l’utilité du coquillage et de sa coquille, les
dirigeants sont de plus en plus confrontés à des situations complexes nécessitant des prises de
décisions face à des problèmes pouvant aboutir à des conflits. La logique capillaire y apporte aussi
sa contribution.
39
2.3.3
La gestion capillaire des situations à problème
Devant des situations qui se dégradent, les signes avant-coureurs et les tendances sont les classiques
signaux d’alarme avant l’arrivée du problème. Le modèle capillaire propose que la définition de la
situation ayant abouti au problème ne se conçoit pas comme une phase statique du processus de
décision, mais comme un élément dynamique se déroulant en même temps que la recherche de la
solution : il n’y a pas, à proprement parlé, de phase consciente de définition de la situation, celle-ci
étant confondue avec la solution. Ce sont nos émotions et notre intuition qui nous aident à choisir
dans ces situations dégradées. Avec en fil rouge, la force de nos apprentissages antérieurs.
2.3.4
L’apprentissage capillaire
Le grand principe des organisations devant chaque prise de décision est que le choix retenu, le
mode de résolution du problème, ne puisse pas, même en cas de gestion optimale de ce dernier, en
engendrer d’autres plus importants, plus « lourds » à gérer, voire non résolvables. Cela présuppose,
comme nous l’avons déjà évoqué, une gestion de nos savoirs anciens qui va apporter un éclairage
sur la situation. Devant une nouvelle situation, Bourion affirme que nous nous servons de ces acquis
et que l’on va créer, au fur et à mesure, tout un programme de solutions, développé au contact
même de la nouvelle situation. C’est ainsi que nous apprenons, à chaque nouvelle expérience, que
nous nous améliorons, que l’on accroit sa confiance et ses compétences.
Recherchons maintenant la logique de la capillarité dans les éléments de notre propre expérience.
2.3.5
Quel lien ?
Nous trouvons un écho aux écrits de Bourion dans notre projet de redimensionnement capacitaire.
Ce projet a vu le jour suite au séminaire organisé en vue de préparer la rédaction du nouveau projet
médical 2016-2020. En septembre 2014, le feu vert est donné pour une étude de faisabilité
concernant le déménagement de deux unités, le regroupement des activités de consultations et
ambulatoires, et la fermeture de quatre lits de surveillance continue de cardiologie. Les éléments
contextuels :
Des chefs d’unités favorables à l’opération

Les paramédicaux plus réservés

Un débat tendu sur les lits de cardiologie
40


Une adéquation des ressources humaines complexe à organiser

Un profond remodelage des activités ambulatoires

Des travaux nécessaires
Au moment de valider les choix, des questions se posent :

Quels lieux ? Quelles surfaces ?

Combien de lits ?

Ne pénalise-t-on pas des évolutions futures ?

Evolution de l’activité de surveillance continue ?
Malgré une étude exhaustive menée par l’équipe-projet, il est décidé de poursuivre l’analyse sur
certains points, notamment en termes de RH.
Au final, après l’apport et la pertinence des éléments complémentaires, il a été décidé :
- de transformer les quatre lits d’USC cardio en lits de médecine à orientation cardiologique avec
suivi des taux d’occupation et DMS et adaptation si nécessaire
- de valider le projet initial dans les grandes lignes
- de proposer à l’automne 2015 le calendrier et les modalités de déploiement de ce programme
On retrouve ici la notion de « peur » au moment de choisir (certains choix antérieurs en termes de
déménagement de structure auraient pu être plus pertinents, à postériori), une adaptation et une
gestion approche-approche de la décision concernant les lits de cardiologie : la volonté du chef de
structure de ne pas perdre de lits, la méconnaissance des impacts en termes d’activité. L’expérience
acquise, la réflexion simultanée situation-solution, a permis d’affiner la décision aux réalités
actuelles du terrain.
C’est cette adaptabilité constante du dirigeant qui caractérise l’évolution des managers dans le
monde actuel de l’entreprise et doit se propager au milieu hospitalier de la même manière. Barrand
propose un modèle en totale adéquation avec cette nouvelle donnée, et qui rejoint les modèles
présentées plus haut : le manager agile.
2.4
Le management agile de Barrand
Barrand développe le concept de l’agilité depuis une dizaine d’années. Il propose une vision
« depuis que l’Homme est Homme », des réformes ou ruptures dans les domaines industriel,
41
novatrice du management en s’appuyant sur une étude historique des grands mouvements sociétaux
économique ou de l’information. Ces changements – révolutions parfois – modifient notre relation à
la notion de temps, d’espace, créent des modes de fonctionnements individuels de plus en plus
importants, variés, dont la répercussion pour les entreprises, est une obligation d’adaptation et de
soutien qui passe par la recherche d’un nouvel équilibre. Atteignable par l’auteur à travers le modèle
agile. Nous définirons dans un premier temps le terme d’agilité à travers la métaphore de Tarzan
utilisée par Barrand. Nous développerons ensuite les principes qui régissent le concept à partir de
ses fondements psychosociaux et environnementaux. Nous aborderons à la suite les impacts du
modèle agile sur les organisations, puis la méthode pour disséminer l’agilité dans les pratiques
entrepreneuriales. Nous ferons enfin le lien avec notre propre expérience
2.4.1
Moi Tarzan
Le principe de Tarzan a été développé par Richard Kirby, (The Tarzan Principle for Career
Advancement). A travers les talents et les capacités du héros de la jungle, transposés au monde de
l’entreprise, l’auteur aborde les grandes lignes de ce qu’est l’agilité :

Il est sensible aux signaux pertinents de la jungle

Il invente des solutions innovantes pour survivre dans un milieu turbulent, hostile, fait
de menaces et d’opportunités

Il cherche à vivre en équilibre et à communiquer avec son environnement

Il crée des alliances intelligentes (ou de circonstance) en permanence pour survivre
parmi ses prédateurs

Il a des objectifs (survivre en conservant l’équilibre de l’ensemble) et donc un sens à sa
vie

Il ne cherche pas à être le maitre absolu mais co-construit et régule son environnement
avec les autres, avec respect et simplicité
Non pas qu’il faille que les leaders de ce siècle revêtissent le pagne en hurlant à s’en époumoner
pour être certains de diriger « dans le bon tempo », mais cette image de Tarzan permet à Barrand de
placer les bases de l’agilité.
2.4.2
Les principes de l’agilité
Pour l’auteur, il existe 4 principes fondateurs de l’agilité :
L’EFFISSENS (le management par le sens)

L’ANTICIPACTION (l’anticipation pour réduire l’incertitude)

LA PROOPERATION (la coopération pour vivre en réseau)
42


LA JUSTINNOVATION (la nécessité d’innover autrement)
Nous allons dans un premier temps comprendre les origines de ces principes fondamentaux, au
cœur même des changements sociétaux. Puis, nous nous attacherons à les présenter en détail ce qui
nous amènera, dans le chapitre suivant, à en envisager conséquences au niveau des organisations.
2.4.2.1
Aux origines
Le concept trouve ses origines aux Etats-Unis aux débuts des années 90 alors que, dans un monde
de plus en plus complexe (Thiétart, 2000) et basculant dans la société de communication, les
entreprises américaines se trouvaient incapables d’adapter leur management aux nouvelles
obligations de flexibilité, d’anticipation et de rapidité de réaction. Il leur fallait trouver une parade
en se plongeant dans les mutations de leur environnement afin d’en comprendre le sens et les
conséquences. Le concept d’agilité allait naitre autours de cinq remarques à propos de cet
environnement :

La montée du sentiment de finitude : prise de conscience que notre système n’est pas
infini : les ressources n’étant pas infinies, les systèmes de substitution qui « maintiennent sous
perfusion le système infini » ayant également leur limite, les dirigeants sont bien obligés d’en
prendre acte et d’accepter les nouvelles règles qui en découlent. Une nouvelle
« responsabilisation » voit le jour, axée sur la qualité, le sens, le partage de ce sens avec les
collaborateurs internes et les clients.

La montée de la complexité : pour Barrand, la complexité est le fruit de la
multiplication de la variété par l’évolution et par l’interconnection : les éléments sont reliés
entre eux et avec l’extérieur par de nombreuses relations qui agissent selon des boucles
d’influence et de rétroaction (interdépendance), telles qu’il est difficile d’en appréhender de
manière simple toute la logique. A la différence de ce qui est compliqué, la notion de
complexité renvoie à une certaine incertitude, imprévisibilité (lien avec l’émergence de
Mintzberg) : il faut accepter de d’adapter et d’évoluer en permanence, il faut accepter d’être
incapable de tout maitriser en permanence, il faut accepter ce qui pouvait être inacceptable
hier…en permanence. Nous verrons plus loin les conséquences de cette complexité sur les
organisations.

La montée de l’individualité : les individus, par absence de grands leaders, de grands
penseurs ou de dirigeants charismatiques, prennent en main leur destin en étant à la fois actifs
évolution que l’on participe à transformer). Il y a fusion entre le domaine de la pensée et le
43
(agir selon des règles préétablies) et agissants (penser et interagir dans un système en
domaine de l’action.

L’incertitude développe l’impératif de réactivité : la stabilité n’étant plus forcément au
rendez-vous, les entreprises doivent de plus en plus miser sur un retour sur investissement
rapide. Elles doivent donc être plus réactives, plus anticipatrices et raisonner en connaissance
de conséquences.

L’interdépendance pousse au partage du pouvoir : la force du dirigeant est de partager
l’information, de créer avec tous ses partenaires internes ou externes une relation partenariale
« satisfait-satisfait » basée sur la coopération, afin de permettre à chacun d’être plus agissant.
C’est par ce partage intelligent que les entreprises peuvent reconfigurer leurs processus en
permanence, en fonction des besoins du client.
Ces fondements de l’agilité pousse l’entreprise à développer une véritable culture client à qui on va
offrir des produits de plus en plus individualisés, de tenter de réduire la complexité du système et de
faire du changement une seconde nature ( « ce n’est pas le changement qu’il faut manager mais le
management qu’il faut changer »).
Développons maintenant les quatre principes fondateurs de l’agilité présentés plus haut.
2.4.2.2
Le management pas le sens
L’EFFISSENS est la mise en commun, au sein d’une société, d’un sens et d’une cohérence
partagés. La finalité d’une structure agile doit être bien établie, réfléchie collectivement, partagée,
entretenue, et permettre l’anticipation. C’est ainsi qu’elle doit permettre de limiter la complexité.
La cohérence est « la construction d’une démarche collaborative garantissant l’équilibre d’un
système par les respect mutuel des actions des uns par rapport aux autres ». SENS-COHERENCE
2.4.2.3
L’anticipation pour réduire l’incertitude
L’ANTICIPACTION « c’est mener l’action en anticipant les évènements mais aussi les ruptures,
en étant proactif et en envisageant les conséquences de ses décisions ». Cette qualité « agile » n’est
pas réservée aux dirigeants mais doit être l’apanage de tous dans la structure. Elle permet ainsi la
flexibilité, l’adaptabilité, la rapidité de réflexion et une vision globale et systémique des évènements
futurs possibles (la prospective : se préparer aujourd’hui à demain). ANTICIPATION-ACTION
La coopération pour vivre en réseau
44
2.4.2.4
La PROOPERATION consiste, « à travailler, non seulement l’un avec l’autre, mais plus encore,
de travailler l’un au service de l’autre, l’un pour l’autre, et tous orientés vers un même sens ». Les
entreprises ont tendance à se spécialiser sur l’un des maillons des activités dites principales selon le
principe de la chaine de valeur développée par Porter ; la nuance ici par rapport à une simple
coopération avec des sous-traitants est marquée par une réelle relation de partenariat et de
confiance, pouvant aboutir à des similitudes de schéma organisationnel par exemple. Au-delà, ce
principe s’applique également à l’intérieur de l’organisation, où cette « coopération » pour une
même finalité contribue à faire évoluer l’institution d’une logique hiérarchique vers une logique
coopérative. COOPERATION-MOBILISATION
2.4.2.5
La nécessité d’innover autrement
La JUSTINNOVATION est la conséquence des trois principes développés avant : il ne s’agit plus
pour les entreprises d’innover selon les directives de tel ou spécialiste de la question, mais en
incitant chacun à participer l’innovation. La « bonne » innovation est celle qui intègre la réflexion
sur la complexité du monde, la nécessité d’anticiper et de coopérer, permettant à la fois de distancer
les concurrents et de se rapprocher des clients (logique one to one). Barrand introduit également la
notion de transparence totale entre les acteurs – internes ou externes – à sa définition. INNOVER
COLLECTIVEMENT.
On retrouve en partie ces grands principes dans le modèle de Garibian, (Garibian, L’Arbre de la
Performance®, 2002), notamment dans la puissance du management de proximité (exploitation
systématique des leviers micros, c’est-à-dire l’interdépendance des acteurs internes).
Ces quatre principes de l’agilité imposent un nouveau modèle d’organisation pour les entreprises
qui doivent évoluer dans leur globalité dans toute leurs dimensions - management, stratégie, projets
– afin que chaque individu, chaque équipe puisse intégrer une vision systémique de la structure.
2.4.3
Quid de l’organisation ?
Pour Barrand, l’entreprise agile doit « proposer une solution globale, au prix d’une offre standard
mais avec un haut niveau de différenciation, incluant service et information […]. L’entreprise agile
est constituée d’unités à taille humaine dotées d’une culture d’agilité et orientées vers une finalité
Le découpage en unités plus petites permet à la société de rendre la complexité des systèmes plus
45
commune claire […] L’entreprise agile est extrêmement centrée sur le client».
« raisonnable », sous-entendu un haut niveau de coopération entre-elles, une autonomie et une
finalité propre mais dans le but de servir une finalité commune. Ces sous-unités doivent être
évolutives, disposées à la mutation dans le cadre d’une vraie culture du changement (source de
progrès et d’équilibre). En leur sein, elles fonctionnent en s’appuyant sur des individus valorisés,
plus coopératifs visant la satisfaction du client final (vision satisfait-satisfait remplaçant le gagnantgagnant des structures plus hiérarchiques) au travers d’une organisation en processus (logique
relationnelle visant à l’optimisation des liens) autocontrôlée par l’écoute. On quitte ici la norme
dictée par la procédure qui définit une optimisation individuelle de chaque tâche, contrôlée par un
principe disciplinaire.
Cette organisation met donc l’humain au cœur de son fonctionnement optimisé autours de trois
éléments fondamentaux que sont le sens, le contexte environnemental, le système d’information.
La question qui se pose alors est : comment devient-on agile ?
2.4.4
Etre agile : qui ? quoi ? comment ?
L’agilité peut avoir pour certains managers un côté intuitif qui leur permet d’être agiles sans le
savoir. La simple lecture du modèle de Barrand peut suffire à les accréditer en ce sens. Mais cette
posture n’est pas aisée à acquérir pour beaucoup d’autres dirigeants et, même pour certains érudits,
la mise en place et la propagation de la culture agile ne peuvent se faire sans un certain nombre de
prérequis. Nous verrons ici, dans un premier temps, l’importance de réaliser un diagnostic d’agilité
de sa structure. Ensuite, nous explorerons les modalités de mise en œuvre de la stratégie agile dans
la structure, pour terminer ce propos par une présentation du pédigrée du manager agile.
2.4.4.1
Le diagnostic d’agilité
Nous ne décrirons pas l’outil diagnostique développé par Barrand mais uniquement les quatre axes
qu’il se propose d’évaluer : la posture stratégique, l’adhésion aux principes de l’agilité, l’adoption
des comportements de base, les pratiques managériales.

Evaluer le degré d’agilité de sa stratégie. L’auteur cite dans un premier temps
L’Encyclopédie Universelle qui donne une définition de la stratégie à la fois précise et en
parfaite adéquation avec les principes de l’agilité : « L’intelligence stratégique consiste en
l’art de faire concourir des moyens hétérogènes et des actions dissemblables à la réalisation
d’objectifs globaux. Cette pensée n’est pas rationnelle au sens logique du terme car elle
diverse, dont certaines, parmi les plus importantes, ne sont pas quantifiables. Elle combine
46
implique la prise en considération, dans un même raisonnement, des variables de nature
les Hommes et les choses, les grandeurs et les qualités, la nécessité et les aléas. Elle est en
outre confrontée à une difficulté supplémentaire : les progrès technologiques rendent
rapidement caduques les leçons de l’expérience, si bien que les précédents peuvent rarement
servir d’exemple ». Une action ne peut être agile que si la stratégie l’est. Ainsi, Barrand
explore la maturité stratégique de l’entreprise en terme d’agilité selon :
 Le choix par le manager d’un processus participatif de prise de décision
(manager = coordonnateur).
 Le partage de la finalité entre tous acteurs (identité de la structure, partage des
valeurs, culture)
 Le type de leadership (manager = catalyseur des énergies)
 L’évaluation de la performance (des performances : individuelle, collective et
des processus).
 La
reconfigurabilité
de
toutes
les
ressources
(polyvalence,
synergies,
redéploiement) en vue de s’adapter au contexte.
 La logique de création de valeur (l’innovation permanente)
 L’intensité des coopérations (internes ou externes)

Evaluer l’adhésion aux principes de l’agilité. Sur le même modèle de questionnaire,
l’auteur propose d’évaluer les principes présentés plus haut : l’anticipaction, la proopération,
la jutinnovation, la culture client, la culture du changement, l’offre globale (le produit et
« tout ce qui l’entoure » qui concourt à la satisfaction du client), la complexité. Comme pour
la stratégie, les résultats du questionnaire sont donnés sous forme de schéma d’étoile radar et
analysés avec les dirigeants concernés.

Evaluer les pratiques comportementales agiles. Le partage, la confiance, la
responsabilité, l’hybridation (concept sui consiste en la prise de conscience que c’est la
richesse et la mixité des points de vue et des profils des acteurs qui modèlent la performance),
l’aptitude au changement. Comme insiste Barrand, « on aura beau mettre en œuvre les plus
beaux outils du monde et instaurer les organisations les plus performantes, si le
comportement de tous les individus de l’organisation n’est pas compatible et cohérent, alors
la performance ne suivra pas ».

Evaluer les pratiques managériales. L’évaluation est réalisée ici selon dix critères :
 Le fonctionnement par processus (savoir si le système fonctionne réellement dans
le sens du client (interne ou externe) et s’il est autorégulé
même temps son « savoir-faire », son « savoir réagir », son « savoir anticiper »
47
 La symbiose environnementale c’est-à-dire la capacité de l’entreprise à gérer en
 La modularité synergique (capacité à optimiser et capitaliser les ressources
communes existantes dans le but de mener différents projets)
 L’autonomie des équipes et des individus
 La pédagogie managériale (apprendre plutôt que d’imposer par autorité)
 La communication
 L’interopérabilité des systèmes d’information
 La veille ou l’écoute de l’environnement
 Les dynamiques collaboratives (partage optimal de la connaissance)
 Les perspectives d’épanouissement
La densité des informations recueillies par l’évaluation des axes selon cette méthode permet
d’établir un diagnostic très précis de la maturité d’une organisation dans le domaine de l’agilité ; audelà, ce sont également des pistes de développement et d’apprentissage que nous propose ce
modèle, adapté au plus près des besoins propres de la structure. En pratique, comment fait-on pour
déployer le modèle dans l’organisation ?
2.4.4.2
L’analyse structurelle stratégique
Barrand envisage un outil pour mettre en pratique l’agilité au sein d’une entreprise, qu’il dénomme
« analyse structurelle stratégique ou A2S ». Il permet aux managers, grâce à une démarche
participative, d’appréhender la complexité de l’ensemble du système (logique systémique). La
méthode consiste dans un premier temps en un diagnostic stratégique permettant de lister les
facteurs clés d’évolution de l’entreprise et d’en déterminer un certain nombre de variables à
hiérarchiser dans un schéma matriciel. Ensuite, il s’agit de mettre en œuvre les actions définies à
partir de cette analyse en déployant un management par processus et un système d’évaluation de ces
processus. A ce concept, il ajoute un focus sur la puissance d’un système d’information performant.
En préambule, l’auteur précise l’importance de l’histoire et de la culture de l’entreprise au moment
de déployer cette analyse. Il nous rend également sensible au nécessaire changement de
comportements dans la structure pour réussir la transformation agile.
Comme nous le verrons plus tard, les principes de l’A2S existent déjà dans le monde hospitalier et
tendent à s’y développer.
Barrand
Analyse de
l’entreprise
Mise
en
cohérence
Analyse de
l’environne
ment
Identificati
on
des
enjeux
stratégiques
majeurs
Options
stratégiques
48
La démarche AS2, d’après
Objectifs et
valeurs de
la direction
2.4.4.2.1 Le diagnostic structurel
Il est réalisé en commun avec l’ensemble des dirigeants en s’appuyant sur la classique analyse
SWOT à laquelle l’auteur ajoute une prise en compte de l’influence de chaque facteur clé
d’évolution sur les autres, qu’ils soient internes ou externes. Ensuite, et toujours de manière
collective, une matrice des impacts croisés est réalisée en fonction de l’intensité de l’influence de
chaque variable l’une sur l’autre. De là, on construit un graphique deux axes selon deux
indicateurs : la motricité et la dépendance
2.4.4.2.2 Le plan motricité-dépendance
La motricité correspond à la somme des influences engendrées par une variable ; la dépendance
correspond à la somme des influences subies par une variable. La force des influences de motricité
et d’influence est ensuite reportée sur un graphique et détermine le plan motricité-dépendance.
Score de
motricité
Fort
C.A.S
M.A.S
Faible
O.S
Faible
Fort
Score de
dépendance
Le plan motricité –dépendance, d’après Barrand
Ainsi classées, les variables définissent les champs d’action stratégique (C.A.S) qui détermine les
moyens d’action stratégique (M.A.S) à déployer en vue d’atteindre les objectifs stratégiques (O.S).
M.A.S des éléments internes ou externes dont en grande partie maitrisables par l’entreprise.
49
Pour simplifier, les C.A.S correspondent les plus souvent aux éléments environnementaux et les
L’outil nécessite une mobilisation et un temps de construction importants mais sa puissance
(participatif, réflexion systémique) permet d’appréhender au mieux un système complexe afin
d’élaborer une stratégie « agile », c’est-à-dire au plus près des réalités et enjeux.
Au quotidien, la déclinaison opérationnelle de cette stratégie correspond à un management lui aussi
adapté aux principes de l’agilité, en particulier la culture client, qu’il soit interne ou externe : le
travail par processus.
2.4.4.2.3 Le management par processus
Le processus est « une succession de relations réciproques entre des acteurs ; ces relations
consistent en l’échange entre un émetteur et un récepteur d’objets, d’argent ou d’informations ».
Chaque acteur est ainsi vu sous l’angle d’un client interne satisfait de la qualité de ce qu’il reçoit de
l’acteur situé en amont de lui et satisfait de la qualité du produit qu’il transmet à l’acteur situé en
aval. La somme de tous ces acteurs aboutit à une résultante unique : la satisfaction du client final.
La force du processus est le lien bidirectionnel qui unit les acteurs internes et la reconfigurabilité de
la chaine à tout moment en vue d’optimiser le système. Il permet une approche transversale de
l’entreprise dans une vision partagée et assumée de la stratégie. L’esprit même de ce management
par processus permet de rendre plus accessible et acceptable son évaluation.
2.4.4.2.4 L’évaluation
Le système d’évaluation est lui aussi adapté au principe d’agilité. Il s’agit dans un premier temps de
vérifier le niveau d’acceptation de la finalité de l’entreprise. L’individu est évalué par les acteurs
d’amont et d’aval de la chaine du processus, sous la coordination du manager, montrant ainsi toute
l’importance de l’optimisation du fonctionnement par rapport aux résultats. La culture de cette
évaluation est d’apporter un apprentissage plutôt qu’une sanction en cas de dysfonctionnement : on
parle d’erreur et non de faute. Ce travail de coaching à toutes les phases du processus agile repose
sur un dirigeant qui doit lui aussi faire évoluer son approche de l’entreprise : le manager agile.
2.4.4.3
Le manager agile
Les caractéristiques du manager agile sont lui permettent de tenir 3 attitudes majeures:
Satisfaire le client final, satisfaire l’actionnaire, satisfaire les collaborateurs.

Savoir bricoler c’est-à-dire faire avec les moyens du bord

Manager avec pédagogie c’est-à-dire avec ouverture, en s’appuyant sur le dialogue et
50

les idées exprimées par les collaborateurs (Soparnot, 2004)
Pour résumer le concept d’agilité, reprenons simplement les propos de Barrand :
« L’entreprise agile doit mettre en place une organisation suffisamment flexible et agile pour
modifier pro activement et en temps réel ses processus, ses produits et ses pratiques en fonction des
tendances et opportunités anticipées sur ses marchés et, plus largement, dans son environnement.
Ceci implique une souplesse de l’organisation par le découpage en entités autonomes mobiles et
une mentalité de changement appuyée sur une culture de la confiance, de l’autonomie et de la
responsabilité collective. »
Cette entreprise peut être l’hôpital de demain car, à travers notre exemple, nous voyons que ce qui
semblait être le fruit du hasard ou le résultat d’un management « au fil de l’eau » guidé par un
environnement de plus en plus complexe revêt, par de nombreux aspects, le concept d’agilité
présenté ici.
2.4.5
Quel lien ?
Le modèle de Barrand présente à nos yeux le plus de similitudes avec notre expérience. En voici les
principales :

Notre but : pérenniser l’établissement, en misant sur nos atouts, l’accroissement de notre
activité en cohérence avec notre bassin de population et les contraintes économiques, en
mettant au centre des réflexions le patient. Ici s’inscrit notre finalité, partagée par tous.

Anticiper pro activement : les évolutions de la Loi de santé restent incertaines, les
arbitrages locaux non déterminés (modalités de construction des GHT). Sans attendre, le CH
de Wissembourg saisit l’opportunité de se restructurer à partir du diagnostic réalisé pour le
projet gestion des lits, de mener ses réflexions autour du parcours patient et du lien VilleHôpital, du virage ambulatoire et du dimensionnement capacitaire, avec comme finalité la
construction du projet stratégique à partir du nouveau projet médical.

Développement de la culture du processus avec la certification V4. L’ensemble des
thématiques définies par l’HAS concernant la nouvelle occurrence de la certification des
établissements de santé est vue sous le prisme de l’analyse par processus : par exemple, pour
le parcours du patient, chaque moment clé (accueil, évaluation initiale, continuité et
maillon amont et aval et en interaction avec eux. A chaque processus est identifié un ou
51
coordination de la prise en charge, etc…) est abordé comme un chainon dépendant du
plusieurs risques ; à chaque risque est associée une criticité dépendant à la fois de la
fréquence et de la gravité du risque ; à chaque risque est proposée une réponse (action) ; à
chaque action est attaché un niveau de maitrise. Cette politique ainsi déployée est contrôlée
par les experts-visiteurs de l’HAS suivant la méthode de la roue de Deming ou PDCA pour
Plan-Do-Check-Act :
 P : on définit une politique, les ressources nécessaires, les circuits et
interface, et les responsabilités (pilotage)
 D : on déploie sur le terrain, on contrôle l’effectivité de la mise en
place, on trace
 C : on évalue le fonctionnement du processus
 A : on met en place des actions d’amélioration et on communique
Cette culture est diffusée au CH de Wissembourg grâce au travail de la cellule qualité, en
adéquation avec les recommandations du manuel de certification.
Tous les concepts présentés ici ramènent à la capacité pour une organisation – et donc à son
manager – de déployer une stratégie qui soit une sorte d’émulsion la plus parfaite possible entre ce
que l’on voudrait faire (stratégie délibérée, induite, structurelle) et que ce qui se passe vraiment
dans la vraie vie (l’émergence, l’autonomie) ! Cette capacité est l’adaptabilité. Cette capacité, pour
les établissements de santé, doit s’appuyer sur les principes de l’agilité largement développée ici.
Cette capacité, pour les établissements de santé, doit être envisagée et développée encore plus avant
pour résoudre des problèmes qui leur sont spécifiques, en ajoutant à l’agilité les principes du Lean
management.
Dans la dernière partie de cet exposé, nous rappellerons dans un premier temps les grands principes
du Lean management afin de présenter ensuite les recommandations concernant le modèle capillaire
applicable aux établissements de santé centré sur le LEAN-agile
3 Le modèle capillaire applicable à l'hôpital : le Lean agile (C=LA3H)
Notre expérience dans l’entreprise hospitalière prouve donc qu’il est possible de changer le
management de nos institutions, de l’adapter aux contraintes externes – notamment
économiques – de laisser se développer les initiatives internes tout en progressant et apprenant
ensemble selon la même finalité. En appuyant sa réflexion stratégique sur le principe
d’agilité évoquées par Barrand et de faire évoluer – changer - la structure hospitalière vers un
52
fondamental de l’émergence proposé par Mintzberg, il est envisageable d’adopter les postures
modèle dynamique, flexible, adaptable et adapté à la complexité de son environnement interne
et externe. Ce modèle agile 3.0 version H (pour hôpital) est un clin d’œil au modèle de
management 3.0 (“It is the future of management, which is all about doing the right thing for
your team, involving everyone in improving the system and fostering employee engagement.”) :
le C=LA3H (LEAN Agile 3.0 Hospitalier) est né. Pour être complet, nous ajoutons à ce concept
les principes du Lean management que nous développerons dans un premier temps, avant
d’aborder les principaux atouts de ce modèle capillaire, pour terminer notre propos sur les
modalités d’apprentissage et de déploiement dans le secteur hospitalier.
3.1
Le Lean comme culture
« Les systèmes de santé fonctionnent sur des processus imparfaits dans lesquels des employés
brillants se battent continuellement pour obtenir des résultats moyens ». C’est par cette phrase
« choc » que débute le cours sur le LEAN management assuré par De Coster et Bouzette
(respectivement directeur général et directrice de l’amélioration continue et de la communication du
CHU de Namur) à l’EM Strasbourg. Si le LEAN s’est largement développé dans l’industrie, le
monde hospitalier n’exploite encore que très parcimonieusement ses principes.
Nous ferons dans un premier temps une présentation générale du LEAN (définition, historique,
principes généraux) avant de présenter les différents outils qu’il exploite. Nous verrons ensuite, à
partir d’un exemple concret dans un centre de radiothérapie, les modalités de déploiement
envisageables pour une structure de soins. Nous aborderons enfin les limites du concept.
3.1.1
Présentation générale (Womack, Jones, 2009)
Pour Saint Wikipédia, le management LEAN «est un système d'organisation du travail qui cherche
à mettre à contribution l'ensemble des acteurs afin d'éliminer, selon les adeptes de ce système, les
gaspillages qui réduisent l'efficacité et la performance d'une entreprise, d'une unité de production
ou d'un département notamment ». Cette définition réductrice doit être complétée par quelques
principes. Le Lean est avant tout une démarche qui consiste à regarder ce qui se passe sur le terrain,
au plus proche de la réalité, pour agir en fonction de cette réalité (le GEMBA). Ce qui est regardé,
c’est ce qui a de la valeur pour le client, interne ou final. C’est aussi l’application au quotidien du
principe PDCA (PlanDoCheckAct) ou roue de Demming, déjà évoqué dans notre travail, dans un
principe d’amélioration continue (KAIZEN). La définition la plus complète semble être celle de
pour le client et en éliminant les gaspillages, c’est-à-dire les défauts, les attentes, les déplacements,
53
Zidel : « la philosophie LEAN vise à rechercher l’excellence opérationnelle en maximisant la valeur
les manutentions, les opérations inutiles, les stocks, la surproduction » Zidel, 2006). Le LEAN est
associé à la société TOYOTA en raison de l’application dans sa structure des principes de gestion
proposées en 1962 par Taichi ONO, un ingénieur japonais.
Pour améliorer l’efficience opérationnelle, le LEAN s’appuie sur plusieurs outils et méthodes.
3.1.2
Outils et méthodes
Comme les outils du bricoleur, les outils du LEAN ne sont….que des outils et ils ne prennent de
valeur que par la valeur de celui qui sait les utiliser. Nous présentons ici les principaux outils
utilisés en démarche LEAN, en gardant à l’esprit que la méthode est assez largement basée sur le
visuel.
3.1.2.1
L’A3
L’A3 correspond au format d’affichage utilisé pour présenter les évolutions clés d’un projet. Il
retrace la genèse du projet (pourquoi ? d’où venons-nous), les objectifs fixés, les principales options
retenues, les résultats, les indicateurs d’amélioration.
54
3.1.2.2
Le PDCA (déjà abordé)
Reprenons simplement ce graphique explicite de la roue de Deming
3.1.2.3
Le VSM (Value Stream Mapping)
Le VSM (chaine de valeur) est un outil d’analyse du processus qui permet d’identifier les
caractéristiques des processus clés telles que leur temps de cycle, la rapidité des changements de
configuration et l’enchaînement des activités : c’est l’ensemble de toutes les activités requises pour
réaliser une prestation complète ou service pour un client (patient, prestataire, personnel). Le VSM
donne une vision globale des flux (physiques ou d’information) et constitue une base pour identifier
les activités à valeur ajoutée et les sources de gaspillage. Cet outil signifie qu’il est nécessaire
d’aller sur le terrain pour identifier chaque étape du processus et notamment les zones d’interface
entre chacun d’entre-eux.
55
3.1.2.4
Le diagramme spaghetti
Le diagramme spaghetti est un outil qui sert à donner une vision claire du flux physique des pièces
ou des individus. Il tire son nom de sa ressemblance avec un plat de spaghettis, car lors de son
premier tracé, en général, les flux s’entremêlent. Cette visualisation sert à identifier les flux
redondants, les croisements récurrents et à mesurer le trajet parcouru par chaque produit ou
personne. Il aide à la réimplantation ou réorganisation géographique des machines ou des services
pour limiter les temps de déplacements et leur non-valeur ajoutée. Pour construire un diagramme
spaghetti, il faut tout d’abord définir la zone à étudier, en obtenir les plans et y reporter tous les
éléments importants pour l’étude (pour une unité de soins, ce sera les lits de patients, les bureaux
des infirmiers, les chariots de médicaments, les zones de stockage, etc…). On trace ensuite
l’ensemble des chemins et distances parcourus par le sujet de l’étude (ex : infirmier lors de la
distribution de médicaments.
56
3.1.2.5
Le 5S
Le 5S est un outil également très visuel du LEAN que l’on pourrait résumer ainsi : chaque chose à
sa place, pensez-y à tout instant ! Le but étant de simplifier l’environnement tout en le sécurisant et
en augmentant la valeur ajoutée. 5S signifie :

Sort : Supprimer l’inutile, trier

Set in order : Situer les choses, ranger

Shine : faire Scintiller, nettoyer

Standardize : Standardiser les règles

Sustain : Suivre et progresser, pérenniser
A la manière du PDCA, les cinq actions s’enchainent perpétuellement suivant un schéma circulaire :
le changement est permanent.
3.1.2.6
Le Kanban
Les intérêts de la mise en place de cet outil Kanban sont principalement :
57
Kanban est un terme japonais signifiant « enseigne, panneau ». L'approche Kanban, qui est une
méthode agile, consiste globalement à visualiser le processus de traitement d'une tâche. On met en
place un tableau de bord des items (demandes). Chaque item est placé à un instant donné dans un
état (en cours, à faire, etc..). L'item évolue jusqu'à ce qu'il soit soldé. Chaque état du tableau peut
contenir un nombre maximum prédéfini de tâches simultanées (définies selon les capacités de
l'équipe). Le temps moyen pour compléter une demande est également renseigné, le but à terme
étant de prévoir au mieux cette durée. Le tableau renseigne également les demandes qui posent
problème.


Possibilité de mise en place progressive de la méthodologie
Les points de blocages sont visibles très tôt. La collaboration dans l'équipe est encouragée
pour résoudre les problèmes de manière corrective, le plus tôt possible.
 Facilité de communication sur l'état d'avancement du projet.
 Elle permet de garantir un niveau de qualité constant et défini de manière collective.
La méthode Kanban est une approche augmentée et évolutive de l'amélioration des processus
destinée aux équipes, notamment en terme de gestion de stocks.
Les outils développés dans le LEAN sont avant tout simples et visuels. Ils contribuent au principe
du management visuel. Comme indiqué plus haut, ce ne sont que des outils, à utiliser en fonction
des besoins propres de l’entreprise, sur un périmètre clairement établi, par des personnes
convaincues et impliquées : la ressource humaine reste le levier principal d’amélioration du LEAN.
Voyons maintenant un exemple de déploiement des pratiques LEAN dans une structure de soins, un
centre de radiothérapie.
3.1.3
Un exemple de déploiement (Trilling, Pellet, Delacroix, 2010)
3.1.3.1
Contexte et problématique
Le centre de protonthérapie de l’Institut Curie d’Orsay est l’un des deux centres de protonthérapie
français, le seul centre utilisant des faisceaux de protons à haute énergie pour un traitement médical.
Le problème de ce centre est sa capacité de traitement qui est très inférieure à la demande
grandissante de ce type de thérapeutique : l’enjeu est donc d’augmenter le nombre de patients traités
sans dégrader la qualité et la sécurité de la prise en charge.
3.1.3.2
Réduire le délai entre la décision de traitement et la première séance de traitement
58

Objectifs

Augmenter le nombre de séances de traitement annuelles

Engager l’ensemble du personnel dans une dynamique de progrès permanent
3.1.3.3
Méthode

Phase de communication et de formation à partir d’un premier groupe de travail

Définition d’une ligne directrice : formation de l’ensemble du personnel aux principes
LEAN, cartographie des flux, identification des activités à valeur ajoutée et des
gaspillages, lancement et suivi des chantiers

Suite à la cartographie VSM, quatre chantiers prioritaires ont été retenus : optimisation
de l’utilisation de la salle de traitement, configuration de l’atelier de mécanique,
réduction de la phase de simulation, planification du parcours patient

Dans cette démarche, l’équipe-projet a utilisé l’ensemble des outils LEAN.
3.1.3.4
Résultats

Le LEAN peut être appliqué dans un établissement de soins

Importance majeure de la phase de formation des personnels : construire ensemble

Déploiement d’une culture d’amélioration continue

Stabilisation des processus, réduction du nombre de situations urgentes

En chiffres : réduction de quatre semaines sur l’objectif 1, augmentation de une séance
de traitement par salle et par jour, augmentation significative du nombre de traitements
annuels
Les exemples du CHU de NAMUR et du centre de protonthérapie d’Orsay prouvent que le
management LEAN est possible dans les structures hospitalières. Les avantages de la méthode, le
principe d’amélioration continue centré sur l’humain, incitent à plonger dans la démarche. Il existe
tout de même des limites voire des dangers pour certains auteurs.
3.1.4
Les limites du LEAN
59
Dans un article des Echos paru en avril 2013, Sabine Germain a reçu les confessions de Bertrand
Jaquier, ingénieur, qui a pratiqué les méthodes LEAN pendant plus de 12 ans. Cet ingénieur est
convaincu que le LEAN est un facteur de risque pour la santé des salariés, en ce sens que, loin
d’appliquer le principe majeur de la méthode – amélioration continue centrée sur l’humain –
certains dirigeants (tous ?) ne retiennent que la traduction « maigre » du terme LEAN et ne voient
en lui qu’une manière de réduire les coûts de main d’œuvre en broyant les hommes. Ainsi, la partie
«bien-être des salariés » du triptyque princeps de la méthode - le retour sur investissement, la
satisfaction des clients et le bien-être des salariés – disparait au profit des gains de productivité. Les
exemples de cette dérive du LEAN se retrouvent dans des entreprises en crise qui cherchent une
solution rapide pour retrouver de la compétitivité, en oubliant que le LEAN est une pratique qui
s’inscrit sur le long terme. Tout l’enjeu de la pérennité du concept
Au travers des modèles exposés ici, nous allons maintenant présenter le modèle capillaire de
management hospitalier, fondé sur le principe du Lean Agile. Nous verrons dans un premier temps
les fondements du concept, puis la méthode d’implémentation dans les structures et les outils. Nous
terminerons ce propos par l’impact du management capillaire sur les organisations et les Hommes.
3.2
Les fondements du modèle capillaire C=LA3H
C=LA3H peut être assimilé à une formule chimique : celle qui assure la stabilité entre homéostasie
(qui oriente et canalise les comportements en fonction du paradigme stratégique en vigueur, assure
l’entreprise de la cohérence de sa démarche stratégique) et l’homéorhésie (qui constitue le moyen
pour l’entreprise d’expérimenter les frontières effectives – et non pas supposées – de ses capacités
et des opportunités associées) (Burgelman, 1985)
C=LA3H peut être aussi rapproché à CLASH dans le sens de rupture brutale entre la gestion de
l’hôpital d’aujourd’hui et celle demain. Cela peut en effet ressembler à une rupture, parfois brutale,
source de conflits et de résistances. Et ce d’autant plus que ce sont les contraintes économiques qui
poussent à ce changement de paradigme. Ce point est capital dans la gestion du changement –
capillaire ou non – et doit inciter à une grande vigilance et à un accompagnement constant, dans le
but d’une assimilation complète par les acteurs.
Le modèle capillaire repose sur les principes suivants : la culture client, l’agilité et le progrès
permanent, le partage des valeurs
3.2.1
La culture client
Il y une phrase que l’on répète à tue-tête à chaque brainstorming, chaque réunion d’initiation de
projet : il faut mettre le patient au centre de..., notre priorité c’est le patient. Et puis, il y a les
contraintes du système, les obligations historiques, les revendications corporatistes, la fatigue,
l’usure. Toutes ces raisons sont bonnes, individuellement, dans leur contexte, mais éloignent les
acteurs hospitaliers de la finalité de leur engagement : le client. Le terme fait débat : « client » car il
renvoie au monde du profit et du business, « malade » car il renvoie à l’état morbide, « patient » car
« usager » car il renvoie à l’utilisateur de service public. Mais la personne qui vient dans une
60
il renvoie à l’inconnu, à l’attente, « consommateur », car il renvoie à la notion d’achat de services,
structure de soins doit être considéré comme un client hospitalier ou client de santé « personne qui
reçoit d’une entreprise contre paiement des fournitures commerciales ou des services » selon la
définition du Larousse mais surtout, selon le même dictionnaire « personne qui se place sous la
protection d’un homme puissant ». L’hôpital est à la fois cette entreprise – c’est maintenant un fait –
soumise aux mêmes règles de gestion, de concurrence, de résultats, mais aussi cette institution
puissante qui doit protéger. En cela, « client » est le terme adéquat. Et pour ses clients, elle doit tout
mettre en œuvre pour obtenir sa satisfaction, c’est-à-dire son besoin primaire qui est le juste soin de
la meilleure qualité, mais également tout ce qui touche à son environnement, tout au long de son
parcours :

être bien accueilli, dans des conditions optimales en termes de lieu, de confort et de
confidentialité

avoir accès à tout moment à une information claire et partagée

participer avec l’équipe soignante à la construction de son projet de soins (de vie)
personnalisé

être entendu et écouté
C’est cette culture client qui doit être proposée par la structure, relayée par tous ses agents et en
premier lieu par le top management. Ce point ne doit pas seulement être central dans les prises en
charge et réflexions, il doit être induit. Et il ne faut pas hésiter et aller au-delà de la satisfaction du
client, il faut comprendre ses attentes : en termes agiles, la question se résume ainsi : sommes-nous
en train de construire le bon produit ? Concrètement, le client hospitalier va-t-il préférer un très bon
petit-déjeuner à 6h30 du matin parce que c’est planifié ainsi, ou une offre un peu moins généreuse
mais servie à 8h00, en respect avec ses souhaits ? Si notre réflexion s’arrête au projet de proposer le
meilleur repas qu’il soit, sans tenir compte de la véritable attente du client qui est le juste horaire, la
satisfaction client sera moindre, la satisfaction soignant de même, et, en définitive, nous aurons mis
du temps – donc de l’argent – dans un projet dont la finalité n’ était pas la bonne….sans compter le
coût plus élevé du petit-déjeuner. Aller sur le terrain, et comprendre dans la vraie vie les attentes du
client final.
C’est sur ces bases que seront construits l’agilité et le progrès permanent.
3.2.2
L’agilité et le progrès permanent
Les piliers de l’agilité sont la base du management capillaire :
L’Effisens qui garantit la cohérence du système, la mobilisation constante des acteurs :
on manage avec sens, vers la même finalité : nos clients
61


L’Anticipaction : à tout moment du processus de soins, l’agilité des acteurs permet
d’anticiper et de corriger si nécessaire

La Proopération : on partage le même but, on travaille ensemble dans le même sens,
avec tous les partenaires internes et externes.
Autour de notre client de santé et avec lui, nous devons construire et envisager tous les processus de
soins, les sécuriser, en cartographier les risques, afficher et communiquer la stratégie d’ensemble,
inciter tous les acteurs à adapter à tout moment leur pratique, faire rayonner autour d’eux les
résultats de leur expérience et recommandations, réécrire la partition si besoin ou nécessité.
L’environnement hospitalier rend obligatoire une gestion et une « planification » délibérées de la
stratégie qui doit garantir la cohérence d’une gouvernance territoriale et de sa déclinaison dans
chaque structure de soins. Mais la flexibilité au sein des établissements, des unités organisées « à
taille humaine », est sans nul doute une des clés du changement à opérer dans le système de santé
français. Cette agilité n’est au service du client que dans une vision dynamique, c’est-à-dire
jalonnée de questionnements permanents dans le but de progresser et de s’améliorer à chaque
instant. La roue du PDCA doit tourner en permanence, sécuriser à chaque étape des processus par
les évaluations, les apprentissages, les réflexions à partir d’évènements indésirables du terrain,
confrontés aux cartographies des risques. Ce cycle de progrès doit être perpétuel et la satisfaction du
client de santé doit rester la finalité du travail : le liant en est le partage de valeurs communes.
3.2.3
Le partage des valeurs
Partager les mêmes valeurs est fondamental dans le monde de la santé. Parce que nous sommes en
relation avec l’humain, avec ses souffrances, travailler pour la même finalité, avec des valeurs
communes doit être la tête de gondole de notre vision « émergente » de l’iceberg managérial : c’est
ce qui donne cette différence à forte valeur ajoutée à l’entreprise hôpital dans le tissu socioéconomique. Le monde change, les gens sont de plus en plus individualistes, il n’y a pas de raison
que cela ne touche pas l’hôpital. Non, simplement non. L’hôpital doit rester ce bastion sociétal qui
expose l’importance des relations humaines aux travers de ses valeurs, des valeurs partagées par
tous, co-construites par tous, affichées et assumées. Par unité, par pôle, par établissement, le travail
sur les valeurs communes doit être réalisé, communiqué et intégré au marketing interne.
Ainsi établie, notre équation revient à exprimer le management capillaire de la sorte :
C=LA3H = Ag x (CF/VC) Agilité multipliée par client final sur valeurs communes
62
Les bases ainsi établies, voyons comment distiller cette pratique dans la structure.
3.3
La méthode d’implémentation dans les structures hospitalières
Les modalités de transfert du changement capillaire ne peuvent être qu’incrémentales et intégrées
dans un cycle d’accompagnement : le point de rupture existe dans la décision de « faire de l’agile »,
mais le déploiement sur le terrain doit être progressif et strictement adapté à la structure : il ne peut
exister de kit clé en main d’implémentation du modèle capillaire. Par contre, certains principes
fondamentaux de la conduite du changement sont à respecter ici ; un diagnostic structurel, l’étude
d’impacts, un plan de communication et une phase de formation. Nous ferons également ici un
focus sur les outils spécifiques du modèle, essentiellement tirés du LEAN. A noter que les phases de
gestion des ressources humaines et de pilotage seront abordées séparément à l’issue de ce propos.
3.3.1
L’analyse structurelle
3.3.1.1
La phase de diagnostic
Le schéma classique du diagnostic doit être appliqué. Cette étape clé doit permettre de définir les
étapes fondamentales du processus de changement et dimensionner le chantier.

Réaliser un macro diagnostic en utilisant la matrice SWOT afin de repérer les forces,
faiblesses, opportunités et menaces de la structure interne et de son environnement. Pour
l’entreprise hôpital, cette phase doit être renforcée par une étude plus approfondie du bassin
de population : données statistiques classiques du contexte sociodémographique (moyenne
et pyramide des âges, taux de chômage, etc….la liste doit être exhaustive !), données de flux
de clients par catégories MCO avec secteur d’attractivité et taux de fuite, modalités
d’adressage en fonction des pathologies….BREF : il est nécessaire de maitriser son
environnement proche, les liens avec les autres structures hospitalières du territoire, dans les
trois dimensions temporelles passé-présent-futur. Ce constat doit être réalisé et partagé par
l’ensemble des dirigeants à ce stade

Réaliser une note de cadrage qui doit fixer l’ambition du projet en définissant les enjeux
et objectifs principaux. Elle doit intégrer les données du macro diagnostic et cibler les
principaux résultats attendus, mais également les gains et les risques envisagés. Elle donne
également la liste des acteurs mobilisés pour le changement.
Dimensionner le chantier : en s’appuyant sur les recommandations d’Autissier et Moutot
(2013), il s’agit de mesurer la largeur (nombre d’acteurs, de groupes fonctionnels et de sites
63

concernés) et la profondeur du changement, c’est-à-dire l’intensité du changement, que les
auteurs proposent d’étudier ainsi : périmètre, effort de mobilisation, culture d’entreprise,
engagement du projet, compétences, rôle du management. Les résultats numériques de
l’analyse concernant la largeur et la profondeur du changement sont reportés sur un
graphique croisé concluant à trois configurations types à déployer : mode soutien (faible
ampleur), mode déploiement (ampleur moyenne) et intégration (changements importants).

L’organisation de la conduite du changement et notamment la liaison entre la direction
et l’équipe qui gère le changement, la vigilance sur l’allocation des ressources entre le projet
de changement et le fonctionnement habituel de la structure, et l’animation du groupe. Pour
les auteurs, l’équipe projet positionnée sur une conduite du changement doit se servir
d’acteurs relais au sein de l’organisation pour « permettre une efficace diffusion par
capillarité des changements plutôt que par injonction ».
A ce concept méthodologique général du changement – qui compte déjà dans sa modélisation
des éléments capillaires – la phase de diagnostic doit également inclure un focus sur l’état des
lieux des éléments agiles déjà présents dans l’organisation.
3.3.1.2
Le diagnostic d’agilité
Nous avons déjà développé le diagnostic d’agilité proposé par Barrand et les principes qui
concourent à sa réalisation (évaluation de l’adhésion, des comportements, du management). L’outil
proposé par l’auteur – questionnaire – nécessite des ressources et un temps de mise en œuvre non
négligeables mais son utilité nous parait primordiale à ce stade de l’implémentation car il assure un
calibrage au plus fin des modalités pratiques du changement agile. Et par conséquent, du modèle
capillaire. Ce diagnostic capillaire est l’élément de base de la phase essentielle du cycle
d’accompagnement du changement : l’étude d’impacts.
3.3.2
L’étude d’impacts
L’étude d’impacts consiste à énumérer pour chacune des cibles du changement repérée les microchangements qui vont faire vivre les projets. C’est une étape capitale car elle intègre tous les
éléments macro-environnementaux détaillés pendant le diagnostic et les raccroche à la cible du
changement, ce qui nous renvoie à la notion de complexité du modèle de Barrand. L’étude
postes et emplois, la structure, le mode de management, les indicateurs de performance, les outils et
64
d’impacts permet une analyse selon dix types de changements : les compétences, les procédures, les
systèmes, la culture, le comportement et le pouvoir. Représentés sous forme de diagramme radar,
les résultats donnent une image précise du degré de flexibilité de l’entreprise ainsi que les leviers à
actionner pour assurer la transition vers le nouveau modèle. Après vérification auprès des acteurs
opérationnels et des dirigeants, ces résultats permettent alors de formaliser le plan d’actions qui
commandera à cette transition. En vision agile, cette phase permet de préciser les points clés des
processus de soins qui seront les sources de valeur ajoutée et d’adaptabilité. C’est également dès
cette phase qu’il faut lancer la roue de Deming et déjà réfléchir aux politiques des processus. Ce
travail dense ne peut s’envisager que dans le cadre d’une communication efficiente
3.3.3
La communication
Malgré la complexité des phases présentées, c’est certainement la communication qui remporte la
palme d’or de la difficulté. Un plan de communication mal préparé ou mal suivi peut renverser et
anéantir totalement un projet, d’autant plus s’il s’agit d’un projet de changement. Quels sont les
ingrédients d’un plan de communication dans notre modèle capillaire ?

Comme le nom du modèle, il doit se diffuser partout dans la structure

Il doit porter d’une même voix le message de l’équipe qui le soutient, mais également du
top management

Il doit exprimer la finalité du projet : la satisfaction du client hospitalier

Il doit porter les valeurs de l’organisation

Il doit être multi supports, adapté à la réalité de la structure. Il doit se servir de tout
l’arsenal de la modernité technologique, sans limite. Le postulat qui dit que communiquer
sur des réseaux sociaux, par le biais de mails alors que nous nous adressons à des personnes
âgées éloignées de ces technologies est une hérésie est à rejeter : ces personnes ont toutes
dans leur entourage un enfant, petit-enfant ou arrière petit-enfant qui surfe sur la toile, sur
son écran tactile à la pomme préféré. Exclure ce réseau, c’est empêcher la capillarité de faire
son œuvre. Car la communication est interne mais aussi tournée vers le client final : il est
primordial de l’impliquer dans le processus et donc de l’informer des actions en cours ou à
venir. Enfin, et parce que nous sommes agiles, il faut adapter ce plan aux retours qui en sont
faits et vérifier que le message est vraiment passé et pas uniquement diffusé.
Avant d’aborder le dernier point de ce travail, à savoir les impacts sur l’organisation et la
gestion des ressources humaines, établissons un rapide tour d’horizon des outils utiles au
65
management capillaire qu’il sera bon d’intégrer à la réflexion, dès la phase de diagnostic.
3.3.4
Les outils à utiliser
Comme nous l’avons déjà évoqué, les outils n’ont de valeur que par l’expertise de ceux qui les
utilisent. Ainsi, on pourrait dire que tous les outils qui vont dans le sens de la gestion flexible des
processus sont les bienvenus !

Le mode projet agile : de la gestion de projet à la gestion de produit. Le mode projet
« classique » a une place importante dans le management hospitalier et recueille de bons
résultats dans la majorité des cas, sous réserve d’un pilotage adéquat. C’est donc un outil à
garder dans le management hospitalier à notre avis. Ce modèle peut être encore upgradé à la
sauce agile : la planification ne doit pas restée figée aux réalités du départ, mais, par
itérations successives liées à l’émergence, elle modifie par petites touches le produit pour
l’adapter au plus près de la vision finale qui est celle du client. Dans le monde de
l’informatique, cela se traduit par exemple par la volonté de fournir une version définitive
opérationnelle d’un logiciel, co-construite avec le client final et adaptée au fil de l’eau à ses
exigences. Ainsi, plus de mises à jour 1.2, 1.3, etc…seulement deux jours après la livraison
du produit au client. Cette souplesse dans la gestion agile des projets est un pas de géant
vers l’optimisation du paradigme satisfait-satisfait.

Les outils du LEAN. Les outils présentés plus haut dans le cadre du LEAN sont adaptés
et utilisables dans le modèle capillaire. PDCA et VSM sont les outils les plus remarquables à
notre sens dans le concept : de par leur vision au plus près du terrain des processus, de
l’adaptabilité qu’ils induisent, ils doivent être maitrisés par les équipes capillaires.

Le SCRUM (Kniberg, Skarin, 2009). Le SCRUM (mêlée en termes rugbystiques) est
une méthode agile correspondant à un schéma de développement de produits complexes,
définie par « un cadre de travail permettant de répondre à des problèmes complexes et
changeants tout en livrant de manière productive et créative des produits de la plus grande
valeur possible ». La méthode s’appuie sur le découpage d’un projet en « boites » de temps
nommées « sprints ». Chaque sprint débute par une estimation suivie d’une planification
opérationnelle. Il se termine par une démonstration de ce qui est achevé. Avant de démarrer
un nouveau sprint, l’équipe SCRUM réalise une rétrospective qui permet une analyse et une
amélioration des pratiques. Les sprints pouvant durer de quelques heures à un mois environ,
cette méthode s’adapte parfaitement aux principes de la capillarité : c’est une méthode
empirique (basée sur les expériences de terrain), fondée sur les principes de transparence
(langage commun à tous les acteurs), l’inspection et l’adaptation (participation active du
logiciels ; son intérêt dans la logique capillaire est certain mais serait à évaluer.
66
client). Il s’agit également d’une méthode développée dans les sociétés conceptrices de
Pour clore le sujet, abordons enfin les impacts du management et de la culture capillaires sur les
Hommes et les organisations.
3.4
L’impact sur la gestion des ressources humaines et les organisations
3.4.1
Une GPMC dynamisée : la vision satisfait-satisfait
Nous avons insisté sur le rôle de l’Homme dans la réussite de tout changement dans une
organisation, d’autant plus que ce changement se déroule sur le modèle capillaire. La flexibilité et
l’adaptabilité de l’ensemble de la chaine des processus, des liens avec l’environnement, dépendent
en premier lieu à la capacité des acteurs à intégrer ces principes et à les appliquer au quotidien. La
difficulté apparait dès lors que ces acteurs ne sont pas prêts à ce changement, en ce sens que
l’institution ne les y a pas préparés ou que leur positionnement dans la chaine ne corresponde pas à
leurs compétences réelles (sur ou sous-évaluées). La gestion des ressources humaines doit être sur
ce point l’élément fédérateur et proactif de la démarche : son importance dans la stratégie de
l’entreprise est capitale. Or, dans le monde hospitalier actuel, qui plus est public, le carcan des
statuts et des évolutions de carrière à l’ancienneté révèle son archaïsme et son antinomie avec les
principes agiles. Dans un article des Cahiers Hospitaliers de 2011, Dugast (actuelle Directrice du
CHIL de Wissembourg) faisait ce constat dans son article sur la Gestion Prévisionnelle des Métiers
et Compétences (GPMC). Pour elle, l’implémentation de tout changement dans la structure, avec
les contraintes du système statutaire actuel n’est pas ou peu envisageable aux vues de l’évolution du
contexte global et des nécessités de regroupements, fusions et autres partenariats. L’anticipation des
changements et l’adaptabilité ne peut se faire que par une réelle GPMC qui, pour l’auteure, se
définit par « le pouvoir de positionner un agent au bon endroit, au bon moment ». Elle insiste
également sur l’importance de la prise en compte de l’évolution de la valeur professionnelle dans la
gestion des compétences. Ce modèle « dynamisé » permet de fournir au projet stratégique les justes
compétences « quand il le faut », que ce soit aujourd’hui ou demain, en prenant en compte les
besoins et les attentes des acteurs. Cette satisfaction des personnels correspond à la vision agile de
la relation client, satisfait – satisfait : la satisfaction du client interne (médecin, infirmier, secrétaire,
etc...) apporte une amélioration au processus auquel il participe, et, par diffusion sur la chaine,
aboutit à la satisfaction du client final. La mise en œuvre de la GPMC au sein de l’établissement de
santé doit permettre cette nouvelle donne de la gestion des ressources humaines, au sein de laquelle
humaines, la méthode de conduite du changement respecte les principes décrits plus haut :
67
le lien métier-compétence prend alors tout son sens. Pilotée par les directions des ressources
constitution d’un comité de pilotage, élaboration d’un diagnostic (cartographie des métiers,
intégration du répertoire des métiers), mise en place de groupes de travail et élaboration de fiches
métiers, élaboration d’un plan de communication, accompagnement, évaluation et ajustements.
Ainsi exploitée, la GPMC peut permettre le déploiement du modèle capillaire dans les
établissements de soins, à condition d’être en lien avec un plan de formation des personnels
adéquat.
3.4.2
Focus sur la formation des acteurs capillaires
Le système de santé doit se donner les moyens de former ses collaborateurs, quel que soit le modèle
de management adopté. On ne peut pas réclamer plus de qualité, d’investissement, de présence aux
gens dans un monde qui évolue et qui se complexifie, sans leur donner le moyen d’acquérir les
compétences théoriques nécessaires. Le plan de formation doit permettre l’accès à tous les acteurs
aux formations métiers indispensables à la pratique quotidienne, adaptées aux besoins de la
structure mais aussi aux capacités ou volontés des collaborateurs : cette vision proactive de la
gestion des ressources humaines offre la possibilité de détecter des potentiels au sein des équipes,
de les accompagner et de les positionner sur des postes à plus forte valeur ajoutée, pour
l’amélioration du processus. Dans notre modèle, il est nécessaire de constituer une équipe capillaire,
formée aux principes agile et LEAN. Le dimensionnement et la composition de cette équipe doit
être ajustée à la taille de la structure. Elle doit avoir une reconnaissance au sein de l’organisation
ainsi qu’un temps dédié défini pour assurer les formations internes aux principes capillaires. Elle
doit être associée à tous les projets capillaires et placée sous la responsabilité directe des comités de
direction ou directoires…eux-mêmes formés aux principes capillaires.
3.4.3
Le manager capillaire : l’anti-héros solitaire
Le manager capillaire est lui-même formé aux principes décrits. Il veille au respect des
prescriptions du projet stratégique, tout en étant le garant de l’émergence dans sa structure. Il assure
son management avec agilité : partage, confiance, responsabilisation. Il est pédagogue, gardien du
temple « valeur », protecteur de la finalité de son entreprise : la satisfaction du client final en
harmonie avec la satisfaction de ses collaborateurs. Il est visible sur le terrain, son bureau est la
salle de soins, la cafétéria, la salle d’attente des urgences. Il est fin gestionnaire, maître de sa charge,
sensible au macro environnement et acteur de son évolution. Il n’est pas seul dans son organisation.
Le problème du manager capillaire « à l’aise dans ses baskets » au sein de sa structure capillaire,
organisation mais si le modèle n’est pas diffusé à l’ensemble de la chaine de décision, l’efficience
68
c’est le partage de cette culture avec les autres structures et les tutelles. Il n’est pas seul dans son
du modèle capillaire s’en trouve diminuée et contrainte. Peut-on dès lors envisager d’aller plus
loin ?
3.4.4
La nécessité d’une organisation coopérative ou le modèle C=LA3H+
Le véritable modèle capillaire serait le C=LA3H+. Pour se faire, nous proposons deux évolutions :

La création d’un statut de directeur médical au sein de toutes les structures de santé.
Manager capillaire également, il serait chargé de conduire la politique médicale de
l’établissement, en partenariat avec la commission médicale, dans toutes ses composantes. Il
possèderait un véritable pouvoir décisionnaire dans son champ d’activités. Il serait
l’interlocuteur de la communauté médicale. Il serait le responsable de la qualité et de la
sécurité des soins. Il serait responsable du recrutement des personnels médicaux. Il serait
chargé de structurer les filières de soins, de piloter le développement de la stratégie de
l’établissement en coopération avec le directeur. Il serait membre permanent des comités de
direction et directoires, en lien direct avec le directeur.

Le développement du modèle dans tous les domaines de la santé. Au sein des
communautés de territoire ou futurs GHT en premier lieu, le management capillaire doit
assurer une véritable coopération au service d’une même finalité. Pour piloter ces navires, il
est nécessaire de n’avoir qu’un manager garant de la cohésion de l’ensemble, avec des
adjoints sur chaque site qui assurent la diffusion de la stratégie du territoire. Avec le modèle
capillaire, la flexibilité permet une vision pas uniquement descendante de cette diffusion,
mais bien multidirectionnelle. Au niveau des tutelles, il faut que ce modèle puisse être
également appliqué. Il est, à notre sens, le seul moyen de donner une véritable gouvernance
« effisens » pour chaque territoire, entre chaque territoire, sur l’ensemble des territoires. On
ne peut plus imaginer faire fonctionner efficacement le système de santé au gré des
injonctions contradictoires, sans une véritable vision de terrain des besoins de santé des
populations et d’en envisager une réponse la plus adaptée possible, en y intégrant tous les
acteurs de la santé.
69
Avant de conclure ce travail, il est utile de résumer les principes du management agile

Une finalité : la satisfaction du client hospitalier

Un fonctionnement en processus co-construits avec les acteurs de terrain, les
managers et les clients finaux hospitaliers, adaptés aux besoins de santé.

Un management agile, flexible, basé sur la qualité, l’amélioration perpétuelle, la
confiance, le partage, les valeurs communes.

Un management satisfait-satisfait qui mise sur le développement et la
reconnaissance des compétences des acteurs de la structure, de leur capacités à
interagir avec les processus, au service d’une seule finalité
70
CONCLUSION
La révolution de l’organisation de la santé en France doit se faire, c’est une réalité contre laquelle
nous ne devons plus fermer les yeux, afin de préserver l’un des meilleurs et les des plus justes
systèmes de soins au monde. La contrainte financière ne doit pas être la seule réponse à apporter
pour changer notre modèle : elle ne peut être envisagée que comme l’opportunité d’adapter
vraiment notre organisation aux besoins, de rentabiliser les ressources avec « effisens », c’est-à-dire
au plus juste, sans gaspiller et surtout avec sens et qualité. Le patient doit être vu comme un client
de santé, ainsi que nous l’avons présenté, responsabilisé, acteur de sa propre prise en charge et érigé
comme finalité de toute la stratégie développée. La politiques de santé et la gouvernance qui en
découlent ne peuvent être envisagées que comme la résultante des besoins, adaptées en permanence
aux réalités des territoires, relayées dans ces territoires par des managers agiles, qu’ils soient
affectés aux tutelles ou aux structures de soins, en synergie avec eux.
Le management capillaire propose une réponse à cette nécessité. Un management par le sens, la
qualité, centré sur une finalité et des valeurs communes, donnant les moyens et les outils à tous les
acteurs de la structure de co-construire les processus de soins les plus efficients, adaptés aux
besoins, au plus près des réalités.
« Le management capillaire, un livre dont vous êtes le héros ». Gageons que nous soyons toutes et
tous les héros de cette saga. Pour notre avenir et celui de nos enfants.
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http://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/ressources-humaines/bien-etre-autravail/le-lean-management-un-danger-pour-les-salaries-5925.php
https://management30.com/about/
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GLOSSAIRE
ARS : Agence Régionale de Santé
CAQOS : Contrats d’Amélioration de la Qualité et de l’Organisation des Soins
CHT : Communauté Hospitalière de Territoire
CME : Commission Médicale d’Etablissement
COPS : Commission d’Organisation de la Permanence des Soins
CPOM : Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens
DGARS : Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé
EPRD : Etat Prévisionnel des Recettes et des Dépenses
GHT : Groupement Hospitalier de Territoire
GPMC : Gestion Prévisionnelle des Métiers et des Compétences
HAS : Haute Autorité de Santé
ONDAM : Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie
PAA : Plan Action Achats
PHARE : Performance Hospitalière pour des Achats Responsables
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RESUME
Le management capillaire est une méthode de management agile expérimentale, adaptée au monde
de la santé, et plus particulièrement aux structures de soins. Il repose sur les principes de l’agilité
managériale, couplés aux méthodes LEAN. Il propose une vision innovante de l’organisation des
soins autours de plusieurs principes :
 Un management par le sens et la qualité autours de valeurs communes
 Un management tourné vers une finalité : le client de santé
 L’introduction d’une culture client
 L’adaptabilité et la flexibilité de l’ensemble de la chaine de soins
 Une relation satisfait-satisfait : la satisfaction des acteurs internes et du client final
 Des processus de soins établis, évalués, co-construits par tous dans une volonté de progrès
permanent
 Une réponse sur le terrain à la complexité des organisations
 Des collaborateurs impliqués, écoutés, proactifs, formés et reconnus par les dirigeants
A travers un exemple tiré de notre expérience, nous avons vu l’importance d’une gestion précise des
processus induits et émergents. L’émergence permet cette adaptabilité des structures et des acteurs
devant une planification, certes obligatoire par certains aspects, mais de moins en moins adaptée au
contraintes de l’environnement.
En proposant un modèle managérial inspiré essentiellement des travaux de Mintzberg, Burgelman,
Bourion et Barrand, nous sommes convaincus que la capillarité est une des clés de la réussite de la
conduite du changement dans les organisations de santé. Elle mise sur les Hommes, leur
intelligence et leurs valeurs.
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