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CONDUITE A TENIR DEVANT ...
Ann. Kin ésith ér., 1990, t. 17, n° 9, pp. 469-477
© Masson, Paris, 1990
Spasticité et infirmité motrice cérébrale
M. HYON-JOMIER (1), B. LACHENAL (2).
(1) Neuro-pédiatre.
(2) M C.MK.,
13 1, avenue de la Celle-Saint-Cloud,
1
Chef de service, Centre de Soins et de Rééducation,
F 92420 Vaucresson.
PEP 92, du Lycée de Toulouse-Lautrec,
1
/-"
Le terme: spasticité est un terme ambigu;
de plus, il n y a pas une, mais des spasticités.
L'LM C. dit spastique est d'abord et globalement un insuffisant, même si, lorsqu'il est
relativement peu handicapé, il apparaÎt plus
comme un « raide» que comme un parétique.
La spasticité est en quelque sorte le recours
lorsque les groupes musculaires sont sollicités
au-delà de leurs possibilités; ceci explique la
nocivité de la verticalisation à tout prix sans
le soutien suffisant.
La lenteur est une autre constante qui
aggrave considérablement les difficultés de
maintien du centre de gravité au-dessus de
polygone de sustentation. Le maintien ne peut
être assuré que grâce à l'attitude en schème
de Little de l'LM C. spastique, attitude qui
n'est paradoxale qu'en apparence.
Une meilleure connaissance de l'infirmité
motrice cérébrale par les différents intervenants au cours de la vie de l'LM C. faciliterait
l'étude à longue échéance des résultats
thérapeutiques.
exagération du réflexe d'étirement, le terme n'en
reste pas moins ambigu, ambivalent, tant par
l'usage parfois abusif qui en est fait, que par la
multiplicité et la variété des atteintes qui sont
à l'origine de cette symptomatologie: il n'y a
pas une, mais des spasticités!....
De toute façon, le diagnostic ainsi porté est
bien insuffisant pour orienter des indications
thérapeutiques au cours de la rééducation.
Aussi, voudrions-nous, en ce qui concerne
l'IMC, amener quelques précisions sur ce que
recouvre le terme spasticité dans la réalité des
faits.
En effet, une approche essentiellement clinique au long de la surveillance et de la
rééducation des IMC dits spastiques met en
évidence la complexité des troubles de la
motricité et du jeu musculaire, troubles qui vont
bien au-delà de la seule raideur évoquée par la
terminologie et qui échappent à l'expérimentation neuro-physiologique, aucun modèle expérimental ne pouvant véritablement réaliser une
infirmité motrice cérébrale.
Ce que la spacticité n'est pas
Dans la pratique médicale neurologique il
n'est pas d'examen plus banal que la recherche
d'un syndrome pyramidal.
Constater une exagération des réflexes tendineux et l'existence d'un réflexe cutané plantaire
en extension, c'est attester l'origine centrale des
troubles moteurs examinés, et faire porter le
diagnostic de spacticité avec la connotation de
raideur que ce mot évoque.
Mais, même avec la précision que peut
apporter la définition de la spasticité comme
Tirés à part:
B. LACHENAL,
à l'adresse ci-dessus.
Trop souvent, le terme « enfants spastiques »
englobe tous ceux qui dans la fonction, en
particulier dans la marche, ont des schèmes, des
patterns qui ressemblent de près ou de loin à
celui de l'enfant réellement spastiques, alors qu'il
peut s'agir, entre autres, d'enfants athétosiques,
autrement dit dystoniques-dyskinétiques ayant
un trouble primitif de l'organisation motrice par
atteinte des noyaux gris de la base, essentiellement du striatum, cela par anoxie néo-natale
plus ou moins globale de l'ensemble du cerveau,
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ou, rarement maintenant, par ictère nucléaire.
Notons que cette fragilité élective à l'anoxie des
noyaux gris centraux, liée à leur activité au
moment de la naissance à terme, est confirmée
et expliquée par la mesure du débit sanguin
cérébral régional (DSC) à l'aide de la tomographie par simples photons (SPECT), même si
les valeurs du DSC profond manquent encore
de précision.
En fait actuellement, en raison des progrès
de l'obstétrique et de la réanimation néo-natale,
ainsi que de la prévention de l'ictère nucléaire,
l'athéthose ne se voit plus guère dans sa forme
pure.
Mais il est fréquent, dans l'aggravation des
handicaps suivis en Centres de Rééducation à
laquelle nous assistons actuellement, que des
lésions cérébrales importantes s'étendent aussi
aux noyaux gris, ajoutant aux autres perturbations motrices les difficultés d'organisation.
Il n'est alors pas toujours aisé de distinguer
les différents ordres de troubles : par exemple,
lorsque le contrôle de la tête est mal assuré,
est-ce principalement en raison d'une insuffi. sance de commande ou bien d'un trouble de
l'organisation?
L'existence d'un signe de Babinski devrait
alors pouvoir témoigner de la concomitance
d'une atteinte de type spastique, mais, chez
l'IMC, il n'est pas toujours facile de mettre en
évidence l'existence ou non d'un réflexe cutané
plantaire en extension, sans oublier que la
réponse en extension est normale chez l'enfant
jeune, au moins jusqu'à un an.
Enfin, chez le très jeune IMC dont l'insuffisance de maintien de la tête et du tronc
s'accompagne de raideur des membres, et dont
la gesticulation est limitée, il n'est pas toujours
possible de préciser d'emblée si l'évolution
extériorisera une atteinte de type spastique, ou
bien des troubles de l'organisation dont, avec
l'intensité et la variabilité des contractions, le
signe le plus évident, sinon le seul signe
pathognomonique, est l'aspect même de la
motricité désorganisée.
On peut en outre noter que la banalisation
du terme spasticité est quelque peu confortée par
le fait que, en Angleterre, c'est l'ensemble des
Infirmités Motrices Cérébrales qui relève de la
« Spastic Society ».
---------
Qu'est-ce alors que la spasticité chez l'IMC?
SON ÉTIOLOGIE
Si le cerveau est un tout qui échappe à une
systématisation absolue, il n'en reste pas moins
que chez l'enfant au cerveau lésé, les circonstances de naissance jouent un rôle important, sinon essentiel sur le type de lésions, donc
de troubles séquellaires éventuels.
1) Dans la forme la plus typique et la plus
fréquente de l'atteinte spastique, il s'agit d'un
ancien prématuré.
- les mieux visibles en échographie, donc les
plus faciles à suivre dans leur évolution, sont
les hémorragies.
L'hémorragie sous-épendymaire restant localisée est rarement à l'origine der séquelles
neurologiques.
Plus graves, en fonction de leur importance,
sont les hémorragies intraventriculaires et surtout les hémorragies intraparenchymateuses.
Les images de porencéphalie, bien que le plus
souvent transitoires, peuvent néanmoins être
grevées de séquelles.
- mal visibles en échographie, mieux vues en
IRL malgré les difficultés de ce type d'imagerie
en Centre de néo-natologie, sont les zones de
leucomalacie périventriculaire, dont l'examen
anatomique avait d'ailleurs, depuis longtemps
déjà, montré la fréquence chez le prématuré.
Un des sièges préférentiels de cette leucomalacie, c'est-à-dire de cette atteinte de la substance
blanche, se situe en dehors et près de l'angle
externe de la corne frontale du ventricule latéral,
précisément là où passent les axones constituant
la capsule interne.
Des zones de leucomalacie peuvent également
se trouver dans d'autres régions, dans le centre
ovale, au voisinage des projections optiques ...
Elles peuvent traduire une atteinte antérieure
à la naissance.
Au total, chez le prématuré les lésions
cérébrales susceptibles, en fonction de leur
gravité, de laisser des séquelles neurologiques
siègent de préférence dans les zones blanches,
c'est-à-dire au niveau des voies de transmission.
C'est à ces lésions que correspond chez
l'ancien prématuré l'évolution vers l'atteinte
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motrice dite maladie de Little, forme spastique
de l'Infirmité Motrice Cérébrale.
N'est-ce pas d'ailleurs précisément la localisation des lésions sur les voies de transmission et
non au niveau du cortex qui explique l'aspect
neurologique de ces IMC « raides » autant ou
plus que parétiques.
du tronc et même de la tête, forme très grave
qui implique évidemment des lésions cérébrales
étendues.
b) La globalité du trouble
L'insuffisance atteint tous les muscles, même
si apparemment ils ne sont pas tous également
déficients.
- Au cou, au tronc l'insuffisance de maintien
2) D'autres conditions étiologiques de la forme
spastique de l'IMC sont devenues rares du fait postural est un des symptômes qui d'emblée fait
suspecter l'atteinte motrice chez le bébé à
des progrès de l'obstétrique:
risques:
lorsque l'enfant est maintenu dos contre
- ce sont les difficultés obstétricales survenant
l'examinateur, le niveau de soutien nécessaire se
lors d'un accouchement à terme : présentation
postérieure, accouchement dystonique. L'hyper- situe plus haut que ne le comporterait l'âge de
flexion de la tête entraîne des troubles de l'enfant. En suspension latérale, le tronc ne
vascularisation prédominant dans le territoire s'incurve pas vers le haut.
Chez l'enfant plus grand, l'insuffisance postudes vertébrales, c'est-à-dire dans les régions
rale
du tronc reste un élément majeur avec ses
postérieures, au niveau du tronc cérébral.
conséquences
sur l'évolution orthopédique de la
- lors d'un accouchement en siège, l'éventuacolonne : la cyphose pratiquement constante, la
lité d'une atteinte neurologique peut être le fait
scoliose
surtout chez l'IMC n'ayant pas la
soit d'une anoxie globale à l'origine d'un trouble
station
érigée,
l'hyperlordose surtout chez l'IMC
de l'organisation motrice, soit de difficultés
ayant
la
station
érigée.
d'extraction de la tête entraînant un trauma- Au niveau des hanches, l'insuffisance des
tisme au niveau de la charnière, à l'origine d'une
abducteurs et particulièrement du moyen fessier
atteinte spastique quadriplégique.
est grave par ses conséquences fonctionnelles et
par ses conséquences orthopédiques.
En effet, à la naissance, la hanche est un
LES TROUBLES MOTEURS DE L'IMC SPASTIQUE
« projet cartilagineux » qui sera modelé par
Les lésions cérébrales siégeant essentiellement le jeu des muscles périarticulaires. Le rôle du
sur les voies de transmission, la conséquence moyen fessier dans ce modelage est majeur du
motrice en est d'abord une insuffisance de la fait de son insertion sur le grand trochanter. En
commande musculaire, insuffisance qui va de l'absence de traction exercée sur celui-ci, le
pair, ou qui peut par elle-même, être à l'origine cartilage de croissance sous-capital restant plus
d'autres troubles perturbant le jeu musculaire ou moins horizontal ne peut qu'orienter verticaet dont les principaux sont les raideurs et la lement la croissance du col; la coxa-valga qui
en résulte, comme dans tous les cas d'insuffilenteur.
sance du moyen fessier, est proportionnelle à
cette insuffisance comme on pouvait le préciser,
L'insuffisance
entre autres, dans les cas de polio avec atteinte
Que la commande passe par les fibres cortico- du moyen fessier chez les tout-petits.
spinales ou par d'autres réseaux, son insuffisance
Orthopédiquement, la coxa-valga favorise la
est la base du trouble moteur; c'est son luxation. Fonctionnellement, l'insuffisance des
évaluation fonctionnelle qui mesure l'impor- abducteurs est grave puisque ce sont eux qui
tance du handicap.
assurent l'équilibre du bassin dans le plan
a) La gravité en est extrêmement variable, en frontal.
fonction de l'importance de la lésion cérébrale.
L'insuffisance musculaire est encore aggravée
Elle peut aller d'une simple gêne de la station par les conditions anatomiques crées par la
debout avec marche légèrement perturbée coxa-valga, la verticalisation du col, donc d'une
jusqu'à la grande insuffisance globale avec partie des fibres du moyen fessier, réduisant
hypotonie massive sans possibilité de maintien encore ses possibilités abductrices.
472 Ann. Kin ésithér., 1990, t. 17, n° 9
Cependant, les contractions ne sont pas perma- Au niveau des membres inférieurs, l'insuffisance se révèle par les difficultés de soutien nentes, elles cèdent au repos. N'oublions pas
postural : au cours de l'examen du tout-petit d'ailleurs que le relâchement du muscle est un
lorsque, soutenu sous le bras, il est mis en appui impératif pour pouvoir mettre en évidence une
sur ses membres inférieurs ceux-ci ne supportent exagération du réflexe d'étirement. Mais ce
pas le poids du corps comme ils devraient le faire relâchement est d'autant plus précaire que la
spasticité est plus intense. Dans certains cas de
en fonction de l'âge.
Plus tard, l'insuffisance des muscles antérieurs forte spasticité, la quasi-permanence des
contractions a pu en imposer pour une rigidité.
de la jambe est manifeste.
- En mobilisation passive douce et lente on
Mais cette insuffisance est aussi sous-jacente
peut,
plus ou moins facilement, faire en sorte
aux raideurs des muscles spastiques, même si
celles-ci les masquent et les « compensent» en de ne pas réveiller les contractions.
A vitesse moyenne, c'est-à-dire par exemple
quelque sorte : peut ainsi témoigner de l'insuffisance du triceps dans les cas graves le talus qui lorsqu'on prend l'enfant un peu vivement, on
s'installe chez le grand handicapé sans soutien risque fort de réveiller les contractions, ce qui
n'est alors que la manifestation d'une exagérapostural possible.
tion
du réflexe d'étirement; c'est aussi ce qui
- Aux membres supérieurs, l'atteinte est en
règle moins grave qu'aux membres inférieurs. donne la sensation si caractéristique d'enfant
Mais, en fait, est-elle réellement, organique- raide.
Au cours de l'examen clinique la mobilisation
ment, moindre ou bien paraît-elle ainsi parce que
fonctionnellement l'insuffisance est moins handi- à vitesse rapide réveille le réflexe d'étirement et
capante aux membres supérieurs dans leur rôle permet l'appréciation de l'angle articulaire,
gestuel qu'elle ne l'est aux membres inférieurs c'est-à-dire l'étirement qui déclenche le réflexe.
dans leur rôle de soutien?
En rééducation, l'étirement sans précautions,
qu'il
soit rapide et/ou douloureux, est facteur
Lorsque l'infirmité motrice cérébrale séquelle
de
contractions
réflexes, d'où le danger qu'il
de prématurité est asymétrique, ce qui est une
éventualité fréquente, avec une prépondérance représente s'il n'est pas pratiqué en douceur et
unilatérale telle qu'elle pourrait en imposer pour progressivement.
- En mobilisation active plus ou moins
une hémiplégie, c'est cette moindre atteinte du
volontaire,
le moindre sollicitation déclenche les
membre supérieur qui permet de faire le
contractions.
Du fait de ses difficultés neuromodiagnostic de maladie de Little puisque, dans
les hémiplégies vraies quelle qu'en soit l'origine, trices, l'enfant, dans ses essais de réalisation
c'est au contraire au membre supérieur que le d'activités motrices, doit le plus souvent aller
handicap est le plus important. Ce diagnostic jusqu'au bout de ses possibilités, contractant au
n'est pas sans intérêt puisqu'il implique l'atteinte maximum ses muscles spastiques sans que soit
du membre inférieur controlatéral même si respecté l'asynchronisme normal des fibres
celle-ci est moins évidente, avec les conséquences musculaires, comme le suggère, par exemple en
station érigée, l'aspect et la consistance des
thérapeutiques que cela peut entraîner.
jumeaux remontés vers le creux poplité, même
Les raideurs
en dehors de tout allongement d'Achille; aspect
aussi du quadriceps contracté par l'effort.
Elles sont de deux ordres:
Ces contractions excessives ne sont-elles pas
- la spasticité et les contractions,
alors
comparables à ce qui se passe chez
- les rétractions,
l'individu
normal lorsqu'il fait un effort à la
et il est très important de ne pas les confrondre.
limite supérieure de ses possibilités en mobilisant
1) La spasticité et ses contractions
à la fois toutes ses fibres musculaires.
Même si l'insuffisance est la base, l'origine
a) Caractéristiques des contractions. Le plus
évident, le plus apparent des troubles moteurs même du handicap, lorsqu'elle est relativement
de l'IMC spastique c'est l'hyperexcitabilité de modérée chez un enfant dynamique et/ou très
stimulé, les possibilités fonctionnelles existant es
certains groupes musculaires.
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sont la source de sollicitations motrices excessives ayant comme conséquence une importante
spasticité qui constitue alors l'essentiel du
handicap.
b) Localisation du trouble. A l'opposé de la
globalité de l'insuffisance, la spasticité atteint
essentiellement les muscles les plus sollicités,
c'est-à-dire, aux membres inférieurs les adducteurs, les ischio-jambiers stabilisateurs du bassin,
le quadriceps, le triceps, masquant et compensant plus ou moins leur insuffisance, constituant
en quelque sorte un système de suppléance,
même s'il est peu satisfaisant.
Une question se pose : celle de savoir si ce
sont uniquement les sollicitations excessives de
muscles insuffisants qui entraînent cette spasticité, ou s'il y a d'autres causes favorisantes
anatomiques ou physiologiques : prévalence ou
non de fibres lentes, particularités dans l'innervation, importance
relative du nombre de
fuseaux, etc. Ces questions n'ont pour l'instant
pas de réponse.
c) Une conséquence de la localisation de la
spasticité à certains groupes musculaires est
évidemment le déséquilibre entre antagoniste
raide et antagoniste insuffisant, ce qui aboutit
à la limitation de jeu musculaire, avec raccourcissement du premier et étirement de l'autre.
Parmi les conséquences orthopédiques de la
spasticité des adducteurs, outre le problème bien
connu de la luxation de hanches, plus méconnu
est le rôle des adducteurs dans la torsion interne
du fût fémoral. Leur raideur s'ajoute à la
nocivité de l'attitude si fréquente du jeune IMC
assis entre les talons, cuisses en rotation interne.
Cette torsion interne du fût fémoral explique
l'importance des angles interprétés à tort comme
traduisant seulement l'antéversion du col, alors
même que, supérieurs à l'angle d'antéversion
normale du col à la naissance, ils ne peuvent
relever seulement d'une absence d'évolution.
d) Évolution de la spasticité. Si la spasticité
est contingente dans sa répartition, elle est
également contingente dans le temps : elle
n'apparaît pas d'emblée chez le bébé futur IMC
qui en règle, alors même qu'il a pu y avoir une
phase d'hypertonie
périnatale, est un enfant
globalement hypotonique, insuffisant, un bébé
trop sage dans son berceau. « Tel je le mettais,
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tel je le retrouvais » se souviennent les mères.
La raideur ne deviendra manifeste que plus
ou moins tôt en fonction des sollicitations, tout
particulièrement celles des muscles fixateurs du
bassin : adducteurs, ischio-jambiers, la stabilisation du bassin étant la base de toute activité
motrice de l'axe comme des membres inférieurs.
Cependant l'hyperexcitabilité
aura pu être
annoncée par la constatation d'un clonus des
pieds plus ou moins inépuisable.
Ultérieurement, l'intensité de la spasticité peut
être minimisée
par une rééducation
bien
conduite.
Elle augmente lors de surstimulations, d'où
le danger de la verticalisation à tout prix sans
le soutien suffisant.
Elle peut diminuer lors d'une' mise au repos
ou d'une réduction un peu prolongée des
activités, et même disparaître momentanément
à la suite d'une immobilisation plâtrée postopératoire.
Elle peut ne plus être retrouvée chez l'adolescent ou l'adulte dans le secteur de mobilité laissé
libre par la rétraction.
~
e) Peut-on concevoir une approche explicative
de cet état de fait qu'est la spasticité de l'IMe.
Par définition, la lésion causale étant cérébrale
laisse intacts les systèmes de régulation médullaire, objet de très nombreux travaux sur lesquels
nous n'avons pas à revenir.
C'est donc à partir d'une commande insuffisante, en raison des destructions axonales, que
les systèmes de régulation, quels qu'ils soient;
jouent leur rôle et cela en suivant leurs lois
propres. Répondre à l'ordre donné entraîne une
surstimulation de ces systèmes avec sans doute
l'utilisation aussi d'autres circuits. Or, chez
l'IMC spastique, les réalisations motrices se font
toujours plus ou moins à la limite supérieure des
possibilités ; elles entraînent donc une surstimulation très fréquemment répétée.
La pérennisation de l'état d'hyperexcitabilité
ne peut-elle s'expliquer par un mécanisme
analogue au phénomène de la potentialisation
post-tétanique bien connu en expérimentation
électrophysiologique au niveau du système nerveux périphérique : des stimulations à fréquence
tétanisante laissent persister pendant quelque
temps une hyperexcitabilité avec abaissement
très marqué du seuil d'excitabilité?
474
Ann. Kinésithér.,
1990, t. 17, nO 9
Au niveau de certaines structures cérébrales,
telle l'hippocampe, la potentialisation est beaucoup plus prolongée, d'où le nom de potentialisation à lont terme (PL T) qui traduit une
modification durable de l'efficacité synaptique
à la suite d'une activation répétée et réalise une
forme de plasticité cérébrale.
Au niveau médullaire, les régulations ne
pourraient-elles pas, elles aussi, donner lieu à
une potentialisation:
ceci expliquerait l'abaissement du seuil d'excitabilité
lors de toute
stimulation,
même minime, qui caractérise
l'IMC spastique; expliquerait aussi par voie de
conséquence la survenue et/ou l'aggravation de
la spasticité provoquées par les stimulations
excessives et aussi sa diminution ou même sa
disparition lors de la mise au repos prolongé.
La spasticité de l'IMC dans sa composante
de contractions
excessives serait ainsi une
manifestation de la plasticité nerveuse.
2) Les rétractions
Les muscles spastiques tendent à se rétracter,
ou plus exactement à se fixer dans la situation
correspondant
à leur état de contraction
habituelle.
On a pu invoquer comme cause de cette
rétraction (que les Anglais appellent « fixed
»), des troubles de l'irrigation
contracture
musculaire
entraînés
par l'intensité
des
contractions.
On a aussi incriminé, surtout en ce qui
concerne le triceps, une discordance de croissance entre l'os et le muscle, mais cette
hypothèse ne s'accorde guère avec l'ensemble de
la croissance et les anomalies musculaires de ces
enfants.
Sans doute, plus simplement et plus logiquement, l'évolution vers la rétraction se fait en
conformité avec la physiologie musculaire normale et ses lois : puisque les sarcomères ne se
forment et ne se maintiennent que dans les
limites du jeu musculaire qu'ils réalisent, chez
l'IMC au jeu musculaire limité entre l'agoniste
spastique et l'antagoniste insuffisant, le nombre
de sarcomères s'adapte aux limites de ce jeu.
Ceci va de pair et sans doute explique la
formation de tissu conjonctif abondant dans les
muscles de l'IMC et qui contribue par lui-même
à limiter l'extensibilité.
- La brièveté du corps charnu musculaire
n'est pas le fait des seuls muscles spastiques;
si elle est particulièrement apparente dès l'inspection au niveau des jumeaux remontés vers
le creux poplité même en dehors d'un allongement chirurgical d'Achille, elle n'est pas moins
évidente, en cas d'atteinte des membres supérieurs, au niveau des extenseurs des doigts,
muscles non spastiques dont le corps charnu
anormalement court se prolonge par un long
tendon donnant une trop grande longueur à
l'ensemble muscle-tendon.
- L'état dit de rétraction en relation avec la
limitation du jeu musculaire, s'il est favorisé par
la spasticité et ses contractions excessives, peut
néanmoins atteindre tout muscle insuffisamment
mobilisé.
C'est ce qui menace de se produire chez
l'IMOC gravement handicapé aux possibilités
motrices très limitées, entraînant alors la fixation
des attitudes et l'évolution vers des troubles
orthopédiques, ce qui justifie la prise en charge
kinésithérapiqueet
la surveillance adaptées.
La mesure des rétractions constitue un temps
très important de l'examen, non seulement au
point de vue de l'évolution orthopédique éventuelle, mais aussi comme mesure de l'efficacité
de la rééducation, même si en raison de la gravité
du handicap, celle-ci ne peut que se borner plus
ou moins à la mobilisation passive.
Il est certain que la mobilisation passive limite
l'aggravation de la rétraction, mais son action
se situe-t-elle essentiellement au niveau du tissu
conjonctif?
ou peut-elle aussi favoriser la
formation ou le maintien des sarcomères? La
question est actuellement sans réponse.
La lenteur
Si chez l'enfant très handicapé, la lenteur ne
constitue qu'une gêne de plus parmi les autres
troubles, il n'en est, pas de même chez l'IMC
moins atteint qui peut accéder à la station érigée
et à la marche. Pour lui la lenteur du jeu
musculaire constitue un élément extrêmement
invalidant : maintenir le centre de gravité
au-dessus du polygone de sustentation quand,
outre les difficultés d'équilibration dans le plan
frontal du fait de l'insuffisance des abducteurs,
y a une lenteur des réactions d'équilibration
il
Ann. Kinésithér.,
qui s'oppose à leur nécessaire rapidité et qui
limite, voire empêche, la réalisation de mouvements complexes, cela exige un compromis :
c'est le schème de Little avec ses différentes
adaptations à la gravité du handicap, adaptations qui comportent essentiellement l'organisation du polygone de substentation en fonction
des possibilités qu'a l'enfant de maintenir son
centre de gravité au-dessus d'un polygone plus
ou moins étendu. Malgré ces adaptations, la
précarité de la station érigée, liée en grande
partie à la lenteur, ne permet pas toujours de
faire face à une cause même minime de
déséquilibre surtout si elle est imprévue.
Rappelons ici, à nouveau, que les difficultés
d'équilibration ne sont pas sous la dépendance
d'un quelconque trouble labyrinthique ou autre
au niveau cérébral comme certains ont pu le
penser, mais sont uniquement conditionnées par
les différentes
perturbations
de l'activité
musculaire.
Enfin, une autre difficulté créée par la lenteur
du jeu musculaire est le fait que l'IMC spastique
ne. peut disposer de forces balistiques qui nous
sont un appoint si important dans les activités
motrices, en particulier dans la marche.
- Comment expliquer la lenteur?
- Est-elle liée directement à l'insuffisance par
la nécessité de recruter d'autres circuits ou
réseaux?
- Est-elle due à la spasticité ? Cela sans doute
en grande partie : on sait la lenteur de
décontraction et aussi de contraction du muscle
spastique.
- Est-elle aggravée par la mauvaise connaissance que l'IMC a de son corps et de l'espace,
méconnaissance qui ne lui permet pas, comme
le fait l'individu
normal, de programmer
d'avance ses mouvements; il le fait au fur et à
mesure?
En dernière analyse, cette lenteur motrice
s'explique par la multiplication des relais synaptiques. G. Tardieu concluait de ses recherches sur
le maintien et le soutien posturaux que l'un des
facteurs de l'instabilité posturale de l'IMC était
la perte des circuits courts, ne laissant à la
disposition de cet IMC que des circuits longs.
Cette lenteur de l'IMC n'est pas que motrice:
elle est globale : l'idéation comme la réalisation
sont lentes. N'est-il pas logique de penser que,
1990, t. 17, nO 9
475
au moins en grande partie, elle est la conséquence des manques ou des limitations des
possibilités d'apprentissage
dans tous les domaines sensori-moteurs, manques qui ont marqué les premiers mois de cet enfant au cerveau
lésé, ces mois si essentiels pour la construction
de l'intelligence sensori-motrice comme y insistent Piaget et beaucoup d'autres.
Autres anomalies du jeu musculaire
a) L 'hyperextensibilité. Avant que les rétractions ne s'installent, les muscles, même ceux qui
sont spastiques, sont hyperextensibles comme on
peut le mettre en évidence par mobilisation lente
et décontraction. Cela est particulièrement évident au membre supérieur; alors. même que les
doigts sont fortement fléchis dans la main, il
n'est, en général, pas très difficile de les
décontracter et d'obtenir une hyperextension des
doigts.
D'ailleurs quand le jeune enfant IMC peut
ouvrir spontanément
sa main habituellement
fermée, pour saisir un jouet, il le fait le plus
souvent en hyperextension des doigts.
Il faut noter que l'hyperextensibilité
musculaire fait partie des éléments caractéristiques
de l'hypotonie (André Thomas). Ceci s'oppose
donc au terme d'hypertonie
qui qualifie si
souvent la spasticité;
ceci souligne encore
l'ambiguïté de ce terme.
b) La trop grande longueur de l'ensemble
muscle plus tendon. Le muscle spastique ne se
contracte pas jusqu'au bout de la course qui
serait articulairement possible, ceci même en
l'absence de contraction ou de rétraction de
l'antagoniste: il reste un angle mort: l'exemple
classique est celui du quadriceps ou du grand
fessier qui ne peuvent étendre complètement le
genou ou la hanche alors que cette extension est
passivement possible.
c) Corollaire ou cause de cette trop grande
longueur du muscle. En position raccourcie, il
ne peut développer de force qu'à partir du
moment où il est soumis à une certaine mise en
tension.
Ces deux faits suggèrent des questions?
- Sont-ils réellement des anomalies ou ne
sont-ils que l'exagération d'un fait normal;
on sait en tout cas que chez l'individu normal,
476
Ann. Kinésithér.,
1990, t. 17, nO 9
on peut passivement aller au-delà de l'angle
articulaire
obtenu activement et que, bien
évidemment, dans la situation de raccourcissement extrême ainsi réalisé, le muscle ne peut
développer aucune force?
- Y a-t-il également un angle mort en fin de
course dans l'allongement?
Ceci contribuerait
à expliquer, entre autres, l'inefficacité des abducteurs de hanche et plus généralement
des
antagonistes des muscles spastiques.
d) Troubles trophiques. Les anomalies du jeu
musculaire entraînent des troubles trophiques de
ces muscles, troubles trophiques évidents dans
l'inspection. Cette trophicité insuffisante ne peut
à son tour que retentir péjorativement sur les
possibilités de l'activité musculaire, causes et
conséquences s'enchaînant en un cercle vicieux.
- Mais l'hypotrophie
n'est pas que musculaire. L'insuffisance du jeu musculaire retentit
directement sur la trophicité osseuse dont les
troubles sont fonction de cette insuffisance.
Dans les cas graves, l'ensemble des troubles
trophiques peut aboutir à une hypotrophie
. véritablement impressionnante.
Au total, quoi qu'il en soit de ces multiples
troubles, c'est à travers eux que l'IMC doit
réussir ses performances motrices, affronté à des
difficultés dont la moindre
n'est pas la
complexité, et qui dans la vie courante, en
particulier dans la déambulation lorsqu'elle est
possible, nécessitent un effort à la limite supérieure des possibilités, ce qui entraîne une
dépense énergétique importante comme en témoignent les études faites à ce sujet.
réalisé, non dans des conditions plus ou moins
imposées, mais dans l'aspect spontané des
activités fonctionnelles. L'analyse attentive de
celles-ci, comme celle des raideurs, est la
condition de toute orientation à visée thérapeutique.
L'intérêt évident de cette autre neurologie est
souvent minimisé; elle est pourtant riche d'enseignements, et peut même sans doute être une
porte ouverte vers la recherche, en particulier
sur la plasticité nerveuse.
Il serait très souhaitable que, au cours des
diverses étapes de sa vie de handicapé, de ses
éventuels passages dans les services de Neurologie comme d'Orthopédie,
l'IMC soit mieux
compris dans sa réalité neurologique grâce à une
meilleure communication entre les intervenants,
compréhension qui devrait être facilitée par un
langage commun.
C'est pourquoi, bien que le terme « spasticité » soit un terme mal adapté en ce qui
concerne l'IMC puisqu'il n'évoque ni l'insuffisance ni surtout la lenteur (comme est d'ailleurs
encore plus mal adapté à la réalité du trouble
de l'organisation motrice le terme d'athétose),
ce mot a du moins le mérite d'être un terme
connu; aussi, en conserver l'usage malgré son
ambiguïté n'est-elle pas la moins mauvaise
solution, plutôt que l'emploi d'un quelconque
néologisme, pour éviter de marginaliser encore
un peu plus l'Infirmité Motrice Cérébrale déjà
si méconnue dans sa complexité neuromotrice ?
Références
Conclusion
Lorsqu'un IMC est confié à un Centre de
Rééducation par un service de Neurologie, le
diagnostic d'atteinte cérébrale est le plus souvent
évident, diagnostic complété ou non par une
enquête étiologique lorsqu'il ne s'agit pas d'une
atteinte périnatale.
C'est alors un autre aspect de la neurologie
qui doit être abordé pour faire un bilan non pas
de ce qui est détruit, mais de ce qui est encore
possible. C'est dire l'importance de cet examen
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