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Touffut Jean-Philippe (sous la direction de),
Changement de climat, changement d’économie ?
Paris : Albin Michel, 2010, ISBN : 978-2-226-20885-9
Antoine Missemer
OEconomia / Volume 2011 / Issue 04 / December 2011, pp 616 - 621
DOI: 10.4074/S211352071101406X, Published online: 25 January 2012
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Jean-Philippe Touffut (sous la direction de),
Changement de climat, changement d’économie ?
Paris : Albin Michel, 2010, ISBN : 978-2-226-20885-9
Antoine Missemer*
Un an après le relatif échec des négociations sur le climat conduites
à Copenhague en décembre 2009, la publication de Changement de
climat, changement d’économie ? nous permet de prendre de la hauteur
sur un thème politiquement et socialement sensible, et d’appréhender
le climat à la mesure des économistes. L’ouvrage coordonné et
introduit par Jean-Philippe Touffut (à partir des contributions à
une conférence du Centre Cournot organisée en décembre 2008)
ambitionne d’étudier les relations entre une discipline en mouvement,
l’économie, et un objet structurellement singulier, le climat.
Olivier Godard dresse dans un premier temps un panorama de
l’évolution de la pensée économique sur le sujet environnemental
(«La discipline économique face à la crise de l’environnement :
partie de la solution ou partie du problème ? ») ; Thomas Schelling
se concentre ensuite sur le problème de l’incertitude («Un faisceau
d’incertitudes ») ; Jean-Pierre Dupuy interroge quant à lui le concept
de principe de précaution («Pour un catastrophisme éclairé ») ; Michel
Armatte revient sur le rôle de l’économie dans la modélisation du
climat («La crise des scénarios du changement climatique ») ; Martin
Weitzman teste la résilience des modèles d’analyse coûts-bénéfices
dans des contextes d’événements climatiques cataclysmiques
(«Changements climatiques extrêmes et économie ») ; enfin, Thomas
Sterner se place sur un terrain analytique plus étroit en examinant les
effets du taux d’actualisation et des prix relatifs sur la modélisation
des scénarios climatiques («Pour une économie du climat
pertinente »). L’ouvrage est conclu par une table ronde réunissant
Inge Kaul, Thomas Schelling, Robert Solow, Nicholas Stern, Thomas
Sterner et Martin Weitzman.
Trois thèmes essentiels occupent les différents contributeurs : la
question épistémologique des relations entre discipline économique
et objet climatique, le problème analytique du choix des outils
* Université de Lausanne et Université Lyon 2
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économiques dans les études climatiques, et enfin la question poli-
tique et institutionnelle qui anime non seulement les communautés
d’experts, mais aussi les systèmes sociaux et les États face à des enjeux
à la fois transfrontaliers et intergénérationnels. Nous insisterons ici
sur les deux premiers aspects.
Commençons par la question des relations entre le climat et le
paradigme néoclassique. L’ouvrage traite la question des rapports
entre discipline économique et objet climatique sous deux angles. Le
premier consiste à évaluer les effets du paradigme néoclassique sur la
compréhension que l’on a des enjeux climatiques. Le second consiste
à inverser cette lecture et à mesurer les changements paradigmatiques
induits par les spécificités structurelles du climat.
En ce qui concerne le premier aspect, les différents contributeurs
n’hésitent pas à souligner un certain «économisme »ambiant dans la
lecture des enjeux climatiques (Dupuy, 87, 91). Usant de la statistique
et des modélisations formalisées, les experts du GIEC se sont en
effet largement inspirés des habitudes de la discipline économique
(Touffut, 13 ; Armatte, 102-103) ; et cette tendance se confirme dans
les études les plus récentes à un point tel qu’Armatte en vient à parler
de la prise de pouvoir d’une «perspective gestionnaire »dans le
champ du climat, en lieu et place d’une perspective qui se voulait plus
«épistémique »auparavant (Armatte, 126). L’influence du paradigme
néoclassique sur les études concernant le climat s’étend d’ailleurs
au-delà du déterminisme normatif et de ses méthodes afférentes,
elle couvre également la définition même de l’objet environnemental.
Conçu dans la tradition écologique comme un tout systémique
indivisible, à la manière de l’hypothèse Gaïa (Lovelock, 2010),
l’environnement apparaît dans les débats contemporains comme un
ensemble d’objets ontologiques (climat, ressources, paysages, etc.)
qui forment une collection de biens à la disposition des agents
économiques (Godard, 34). Tous les contributeurs mettent donc en
garde contre un économisme tout-puissant. Certes, ce sont davantage
les pratiques économiques que la théorie seule qui exercent une
influence directe sur notre lecture des enjeux environnementaux
(Godard, 20). Mais cette frontière entre propositions théoriques et
expériences pratiques reste ténue.
Changement de climat, changement d’économie ? met en évidence
combien les spécificités structurelles de l’environnement tendent
également à changer la nature du paradigme néoclassique lorsque
celui-ci est appliqué au changement climatique. Sur ce point,
deux éléments essentiels sont mis en évidence : le climat a pour
caractéristiques structurelles 1) d’être soumis à de larges incertitudes,
et 2) de poser des problèmes qui ont une importance capitale
(la survie de l’humanité) et qui sont par définition irréversibles
(Dupuy, 88-89). L’incertitude et l’irréversibilité obligent l’économiste
à raisonner dans un cadre nouveau où l’analyse coûts-bénéfices
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n’est pas nécessairement opérante dans son état courant (Weitzman,
134 et 140-141 ; Dupuy, 92-93), et où le déterminisme ne peut
constituer un positionnement épistémologique satisfaisant (Touffut,
18), dans la mesure où l’univers d’incertitudes dans lequel évolue
l’objet climatique conduit à des indéterminations structurelles de
long terme.
Plusieurs contributeurs soulignent la mutation en cours du
paradigme néoclassique face aux exigences des enjeux climatiques.
Pour Godard (58n), cette mutation est en grande partie inconsciente,
tandis que pour Armatte (125), elle reste trop partielle en se
limitant à la seule économie du climat (Armatte, 125). Pour
apercevoir un véritable «changement d’économie »au sens large,
de nouvelles approches mériteraient d’être mobilisées face aux
défis environnementaux. Godard en identifie trois : 1) l’approche
néoclassique habituelle, qui se concentre sur l’allocation des biens
environnementaux, 2) l’économie écologique (ecological economics), qui
conçoit le système économique comme un système écologique à part
entière, et 3) l’approche socio-économique, qui étudie les institutions
à l’interface entre l’homme et la nature (Godard, 29). L’approche néo-
classique est handicapée par son «réductionnisme autoréférentiel »
(Godard, 44), c’est-à-dire anthropocentré (évaluation des risques
strictement du point de vue de l’espèce humaine, c’est-à-dire en
termes de gains et de pertes d’utilité). L’économie écologique
n’échappe pas non plus au réductionnisme, «hétéroréférentiel »
cette fois (Godard, 44), c’est-à-dire écocentré (évaluation des risques
du point de vue de toutes les espèces, sans hiérarchie entre elles).
Si l’approche socio-économique obtient les faveurs de Godard –
seul contributeur à interroger les alternatives au paradigme
néoclassique –, ce dernier plaide avant tout pour un pluralisme
méthodologique qui consisterait à étudier l’objet climatique selon
l’approche la plus adaptée à certains enjeux particuliers (allocation de
ressources rares, biodiversité, adaptation au changement climatique
d’une population, etc.) (Godard, 46-47). Les autres contributions
s’inscrivent davantage dans des logiques de réforme interne ; elles
forment un ensemble de propositions suffisamment convaincantes
pour rendre crédible la piste d’une réforme substantielle des
méthodes et des pratiques de l’économie du climat.
Sur le plan analytique, les usages des probabilités et du taux
d’actualisation sont mis en question. L’objet climatique possède
des caractéristiques structurelles (incertitude et irréversibilité) qui
invitent les économistes à ajuster leurs pratiques de recherche.
L’incertitude porte d’abord sur l’estimation des changements de
température à venir (de +1,5C à +4,5C en cas de doublement
de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère).
Cette incertitude a d’ailleurs tendance à croître au fil des ans, à
mesure que l’on découvre la complexité immense de la machine
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climatique (Schelling, 70-71). Les économistes, de surcroît, doivent
faire face à un deuxième niveau d’incertitude : les incertitudes
concernant les effets du changement climatique sur le bien-être,
et les incertitudes sur l’actualisation de ces effets (Weitzman, 144).
À la méconnaissance du climat de long terme s’ajoute donc la
méconnaissance de l’évolution des systèmes économiques, ce qui
rend la tâche du chercheur encore plus ardue. Même si cette
incertitude n’atteint pas un niveau totalement insurmontable (Solow,
196), elle questionne nécessairement l’utilisation des outils standard
de l’analyse économique, comme l’analyse coûts-bénéfices. Ainsi
pour Weitzman, l’incertitude liée à l’objet climatique, couplée à
un certain niveau d’aversion pour le risque, rend nécessaire la
prise en compte d’événements quasi-improbables. On peut résumer
l’argument de Weitzman sur cette question : les distributions de
probabilité du changement climatique doivent être considérées
comme des distributions à queue épaisse, c’est-à-dire admettant
une décroissance lente de leurs densités de probabilité pour les
événements situés aux extrémités du panel des possibles (ex :
réchauffement climatique supérieur à 10C voire 20Caucours
du XXIesiècle). Mises en commun, ces densités de probabilité
extrêmes forment un ensemble d’événements qui, dans un contexte
d’incertitude forte, ne peuvent être totalement négligés. De cela
résultent des démarches économiques différentes, qui consistent à ne
pas se limiter à l’observation des tendances statistiques centrales. La
responsabilité des économistes du climat est d’inclure la possibilité
d’événements extrêmes dans les analyses coûts-bénéfices (Weitzman,
164-165), au risque de produire des résultats s’apparentant à la
promotion d’un «principe de précaution généralisé »(Weitzman,
155). Les probabilités apparaissent ainsi comme un instrument
incontournable de la politique climatique, même si leur usage n’a
été promu par les experts du GIEC qu’à partir du milieu des
années 2000 (Armatte, 116-117). Utilisées avec précaution, elles sont la
contrepartie analytique de l’incertitude dans un contexte où l’analyse
économique est non seulement sollicitée par les experts climatiques,
mais également par les décideurs politiques (Armatte, 119 ; voir
également sur ce point Chassonery-Zaïgouche, 2011).
La lutte contre le changement climatique s’inscrit dans une
longue tradition économique d’analyse des externalités (Godard,
48-52). Mesurer et corriger une externalité, ici globale, nécessite
notamment un arbitrage temporel (quand faut-il agir ?). Pour mener
à bien cet arbitrage, les économistes utilisent habituellement un taux
d’actualisation qui permet de réaliser une analyse coûts-bénéfices
en dynamique. Le choix de ce taux d’actualisation joue un rôle
crucial dans les conclusions des modèles. En témoigne l’importance
qu’il prend dans la confrontation entre Nicholas Stern et William
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