
8 COUP DE FOUDRE
l’a soudainement frappé a été dévastateur : il a fallu bien vite
tronçonner les restes calcinés des vieilles branches et du véné-
rable tronc. Il n’est finalement resté du grand vieil arbre que
quelques stères de bois de chauffage. Rien de comparable pour
Jean-Baptiste et Dorothée : pour eux, rien de dévastateur. Oui,
j’entends des rires sardoniques : je leur demande de s’inter-
rompre, ils ne sont nullement justifiés par le sens de l’expres-
sion. Et je reprends, sereinement : pour eux, rien de dévastateur
dans le coup de foudre. Bien au contraire : la naissance, brutale,
il est vrai, d’un amour durable (quinze jours, c’est déjà de la
durée, n’est-ce pas ? Et ça a sans doute continué après le ma-
riage…). Quant à l’achat, sur un coup de foudre, du gros 4 x 4
coréen, il a été aussi soudain que les deux autres coups de fou-
dre. Mais il n’est menaçant qu’à terme, et seulement pour le
budget du jeune couple.
Le premier problème est double : il consiste à repérer à la
fois la distance qui sépare les trois signifiés et ce qu’ils ont en
commun. L’auteure s’acquitte de cette tâche avec le plus grand
sérieux, en commençant par étudier séparément les éléments
constitutifs de l’expression : le coup, la foudre et, bien sûr, le
de. L’analyse formelle est fort bien menée, et pleinement
convaincante. C’est tout au plus si, page 61, je suis tenté de
contester la description diachronique qui est faite de coup. Non,
coup n’est pas un exemple du « procédé de dérivation régres-
sive » qui forme un « déverbal » en privant un verbe de ses
marques morphologiques. C’est l’inverse qui s’est produit :
coup représente en français le latin col(a)phus – comme il est
d’ailleurs explicitement dit page 40 –, et c’est le verbe couper
qui a été formé sur le nom coup. Oui. Mais je devine ce que
Houna Oudis va me répondre, et, de son point de vue, elle aura
raison. Du strict point de vue synchronique, la différence entre
les deux analyses s’annule. Ce qui est pertinent, c’est que
« coup est morphologiquement apparenté au verbe couper ».
C’est seulement la chronologie – coup est, très largement, anté-
rieur à couper – qui permet de retenir l’hypothèse de la forma-
tion du verbe sur le nom plutôt que l’inverse.
Après l’analyse de la distance et des traits communs, reste
un second problème, encore plus difficile. C’est celui qui est à
la fois décrit et résolu par le vieux nom de métaphore. Car, on
s’en souvient, la métaphore, étymologiquement, ce n’est rien
d’autre que le « transport » – l’auteure parle, page 120, de
« transposition » – du « sens » d’une unité linguistique. Trans-