Paroles d’Acadie Anthologie de la littérature acadienne (1958-2009) Préface, choix et notices de David Lonergan Prise deparole Liérature Agora Paroles d’Acadie Anthologie de la littérature acadienne (1958-2009) Du même auteur Tintamarre. Chroniques de littérature dans l’Acadie d’aujourd’hui, Sudbury, Éditions prise de parole, coll. « Agora », 2008, 365 p. L’homme qui était sans couleurs (illustrations d’Anne Brouillard), conte, Moncton, Bouton d’or, coll. « Acadie », 2003, 48 p. La création à cœur : l’histoire du théâtre l’Escaouette, monographie, Tracadie-Sheila, La Grande Marée, 2000, 48 p. Paroles de l’Est, anthologie de la littérature de l’Est du Québec, Grenoble, Éditeq, 1993, 322 p. La Bolduc, la vie de Mary Travers, biographie, Montréal, Triptyque, 1992, 216 p. L’été des carcasses, théâtre, Bic, Isaac-Dion Éditeur, 1991, 153 p. Blanche, roman biographique, Montréal, Guérin Littérature, 1989, 296 p. L’anthologie de Blanche Lamontagne-Beauregard, essai biographique, choix de textes et bibliographie complète, Montréal, Guérin Littérature, 1989, 509 p. Les otages, théâtre, Rimouski, Éditeq, 1987, 100 p. Sortie de secours, théâtre, coauteur sous la direction du Théâtre Petit à Petit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 140 p. Paroles d’Acadie Anthologie de la littérature acadienne (1958-2009) Préface, choix et notices de David Lonergan collection agora Éditions Prise de parole Sudbury 2010 Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada Paroles d’Acadie : anthologie de la littérature acadienne (1958-2009) / présentation, choix de textes et notices biobibliographiques de David Lonergan. (Agora) Comprend des réf. bibliogr. ISBN 978-2-89423-256-9 1. Littérature acadienne. 2. Littérature acadienne – Bio-bibliographie. I. Lonergan, David II. Collection : Collection Agora (Sudbury, Ont.) PS8255.A23P37 2010 C840.809715 C2010-905685-X Distribution au Québec : Diffusion Prologue • 1650, boul. Lionel-Bertrand • Boisbriand (QC) J7H 1N7 • 450-434-0306 Prise deparole Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de pa­role appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contem­poraine. La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (programme Développement des communautés de langue officielle et Fonds du livre du Canada) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier. La collection « Agora » publie des études en sciences humaines sur la francophonie, en privilégiant une perspective canadienne. Photographies des auteurs : Francine Dion Conception de la page de couverture et mise en pages : Olivier Lasser Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Imprimé au Canada. Copyright © Ottawa, 2010 Éditions Prise de parole C.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2 http://pdp.recf.ca ISBN 978-2-89423-256-9 ISBN 978-2-89423-347-4 (Numérique) 5 REMERCIEMENTS ette anthologie doit beaucoup à Marguerite Maillet, pionnière des études en littérature acadienne. En 1979, avec Gérard LeBlanc et Bernard Émond, elle publie une monumentale Anthologie de textes littéraires acadiens 1606-1975 de plus de 600 pages qui est rééditée en 1992. En 1983, elle complète ce travail par une Histoire de la littérature acadienne, joliment sous titrée De rêve en rêve, qui couvre sensiblement la même période, y ajoutant un court chapitre sur les années 1970. Le choix des auteurs, tout en demeurant subjectif, a été soumis aux professeurs Raoul Boudreau et Marie-Linda Lord de l’Université de Moncton et à quelques autres personnes. Toutes les photos sont de Francine Dion. Ronald Després, Huguette Bourgeois et Laurier Melanson ont préféré ne pas voir de photos d’eux publiées. Le travail d’édition de ce type d’ouvrage est complexe et doit tout à denise truax, la directrice de Prise de parole. La saisie des textes est exigeante et elle est l’œuvre de Micheline Blanchard. Plusieurs auteurs m’ont fourni des renseignements biographiques tandis que d’autres informations étaient accessibles par différentes sources dont, pour certains, leurs sites Internet. Que toutes ces personnes soient remerciées ! C Note de l’éditeur Nous tenons à remercier tous les auteurs et les éditeurs qui nous ont permis de reproduire, ici, des extraits d’œuvres. Sans leur collaboration, cette anthologie n’aurait pu voir le jour. 7 AVANT-PROPOS our proposer des modèles aux élèves, quelqu’un eut un jour Ppossible. l’idée de réunir des textes de différents auteurs, grands si L’anthologie était née. Il va de soi que l’on s’intéresse davantage aux grandes littératures. Ainsi, au Québec, les manuels des religieuses ou des frères laissaient la plus grande place aux auteurs français, et une petite aux auteurs canadiens-français. Qui dit anthologie, affirme au départ une volonté qualitative, comme en témoigne les définitions du Larousse étymologique et du Petit Robert : « anthologie (1574, du grec anthologia = recueil de fleurs ; anthos = fleur, legein = cueillir), recueil de pièces de vers choisies, de morceaux choisis en prose ou en vers. Morceau d’anthologie, page brillante digne de figurer dans une anthologie. » La première anthologie canadienne-française n’en est pas véritablement une. Le Répertoire national de James Huston collige, en 4 volumes, l’ensemble de la production littéraire du Canada français d’avant 1848, prouvant ainsi à Lord Durham — qui affirmait péremptoirement que ce peuple était sans histoire et sans littérature —, l’existence d’une littérature nationale. En Acadie, soulignons la publication en 1893 du recueil collectif du Collège Saint-Joseph, L’Album-souvenir des Noces d’argent de la Société Saint-Jean-Baptiste. Histoire – morceaux – poésies (Memramcook, 364 p.), suivie, longtemps après, des trois anthologies de la poésie acadienne publiées par Perce- 8 PAROLES D’ACADIE Neige (1988 par Gérald Leblanc et Claude Beausoleil ; 1999 par Gérald Leblanc et 2009 par Serge Patrice Thibodeau), sans oublier la monumentale Anthologie de textes littéraires acadiens, 1606-1975 de Marguerite Maillet, Gérard LeBlanc et Bernard Émont publiée par les Éditions d’Acadie en 1979. Les anthologies se développent au fur et à mesure que le nombre d’œuvres d’une littérature augmente. Souvent pensées en fonction de la salle de classe, elles deviennent un moyen de faciliter le contact avec des auteurs sans avoir à parcourir toute leur production. La floraison d’anthologies au Québec et au Canada depuis 1980 correspond à l’essor de la production dans ces milieux. Le phénomène s’est répercuté régionalement, dans « les littératures de l’exiguïté », comme les appelle le chercheur François Paré. À l’accroissement de la mainmise de la métropole sur la culture s’oppose la montée des capitales régionales comme lieux culturels. Le dynamisme régional est en bonne partie lié aux recherches de professeurs d’universités (par exemple feu René Dionne de l’Université d’Ottawa, feu Gilles Lamontagne de l’Université du Québec à Rimouski, Guildo Rousseau de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Johanne Melançon de l’Université Laurentienne, Raoul Boudreau de l’Université de Moncton), aux activités des associations d’auteurs (comme celles de l’Estrie, de la Gaspésie, de l’Ontario), aux Salons du livre (Rimouski, Saguenay, Sudbury, Edmundston, Shippagan) et aux éditeurs. Paroles d’Acadie. Anthologie de la littérature acadienne (19582009) s’inscrit à la suite de l’anthologie de Marguerite Maillet. Alors qu’en 1979, la littérature acadienne émergeait, Maillet, LeBlanc et Émond sont remontés aux origines de la production littéraire en Acadie. Ils ont réuni un ensemble de textes qu’ils ont répartis selon cinq périodes : épopée pré-acadienne (16061755), Acadie de la nuit (1755-1880), Acadie de l’histoire et du discours (1880-1930), expansion de la visée littéraire (1930-1960) et récupération et contestation (1960-1975). Cette anthologie s’arrête donc peu après la création des Éditions d’Acadie (1972) et alors que s’amorce la floraison de la littérature AVANT -PROPOS 9 acadienne. Les essais et les textes historiques y occupent une place importante, surtout dans les trois premières parties. À deux exceptions près (Ronald Després et Antonine Maillet), notre anthologie, Paroles d’Acadie, se concentre sur la période qui s’ouvre avec la naissance des Éditions d’Acadie en 1972 et se termine à la fin de la première décennie du XXIe siècle. C’est dire que les deux anthologies sont complémentaires. Elle s’adresse à tous ceux et celles qui s’intéressent à la littérature acadienne, en particulier aux étudiants et étudiantes de la fin du secondaire et de l’universitaire. En présentant des textes des principaux auteurs acadiens, elle permet de découvrir la richesse et la diversité de notre littérature, tout en servant d’introduction aux œuvres des auteurs. Construire une anthologie implique faire des choix, et ce en fonction d’un certain nombre de critères. Le premier a été de limiter les genres littéraires en tenant compte de l’esprit à donner à l’ensemble. Ainsi, les essais et les textes de nature historique ont été écartés afin de mettre en relief les auteurs littéraires qui écrivent tantôt pour les adultes tantôt pour la jeunesse, de la poésie, du roman, du conte, de la nouvelle ou du théâtre. Il a fallu ensuite déterminer qui est un auteur acadien. À cette fin, les critères que René Dionne avait définis dans La littérature régionale aux confins de l’histoire et de la géographie (Éditions Prise de parole, 1993) ont été retenus. Selon Dionne, pour être considéré comme un auteur provenant d’une région, il faut : 1. Être né dans la région, autre que fortuitement, même si depuis l’auteur a quitté la région ; 2. Résider dans la région, sauf si l’installation y est provisoire ; 3. Écrire ses œuvres (ou la plupart) pendant qu’il habite cette région. Selon Dionne, les provinces sont des régions. Dans le cadre du présent ouvrage, l’Acadie recouvre les Provinces atlantiques, même si elle n’a pas de frontières officielles. 10 PAROLES D’ACADIE La reconnaissance de l’institution littéraire (acadienne et nationale) a été le principal critère qualitatif. Les prix obtenus, les articles savants publiés sur les auteurs, les critiques et d’une façon plus générale la couverture médiatique, tant au niveau provincial que national et international, ont été pris en considération,. D’autres critères secondaires se sont ajoutés, surtout pour les auteurs dont la reconnaissance institutionnelle était plus mince : chacun d’eux devait avoir publié au moins trois ouvrages chez des éditeurs reconnus (à l’exception des auteurs de la section « nouvelles voix »); nous avons ensuite vérifié la cote que leur accordait les responsables du Dictionnaire des œuvres littéraires de l’Acadie des Maritimes (à paraître aux Éditions Prise de parole), avant de faire valider leur sélection par des professeurs de littérature acadienne. Le nombre de pages accordé à chaque auteur a été déterminé en fonction de son importance et de son impact au sein de la littérature acadienne, ce que révélait la reconnaissance institutionnelle. Tout en demeurant affaire de goût, le choix des extraits a tenu compte de l’importance de certaines œuvres considérées comme incontournables ; par exemple, La Sagouine d’Antonine Maillet, « Cri de terre » de Raymond Guy LeBlanc, « Eugénie Malenfant » d’Herménégilde Chiasson, « Éloge du chiac » de Gérald LeBlanc. Les limites physiques de l’ouvrage ont également eu un impact sur le nombre d’auteurs. Ainsi, parmi les auteurs peu ou pas reconnus institutionnellement, la sélection est plus personnelle que scientifique. Les auteurs sont placés dans l’ordre de leur première publication, afin de refléter la façon dont s’est développé le mouvement littéraire et de mieux saisir l’impact d’un auteur au moment de son apparition. Dans Les littératures de l’exiguïté (Le Nordir, 1992) François Paré aborde le phénomène des anthologies en affirmant qu’« avoir une littérature dont on peut retracer l’histoire et rassembler anthologiquement les auteurs, c’est déjà exister comme AVANT -PROPOS 11 collectivité nationale » (p. 43), peu importe la taille de la collectivité. Reprenant la réflexion de François Ricard (« L’inventaire : reflet et création », Liberté, 134, mars-avril 1981, p. 33-34), il précise que celui-ci « distingue deux sortes de répertoire anthologique : celui qui vise à refléter les acquis d’une littérature, et celui qui a plutôt pour objectif d’engendrer à partir de rien de tels acquis littéraires. Il existe alors, pour Ricard, des inventaires produits et des inventaires producteurs. Les grandes cultures, plus établies (mais pas nécessairement plus anciennes), tendent à engendrer du reflet (inventaires produits), tandis que les plus petites littératures, dans leur fragilité, se donnent l’illusion d’exister en accumulant les répertoires et les anthologies (inventaires producteurs). Ricard constate qu’ainsi les petites littératures en viennent à bénéficier du caractère fortement institutionnel de l’anthologie » (p. 85). L’anthologie « tend donc à briser temporairement l’étau de l’indifférence et de la solitude, d’une part, et à renforcer l’institution littéraire collective, d’autre part, dans la mesure où elle fait office de manuel scolaire » (p. 86). Finalement, Paré conclut en reprenant Ricard : « François Ricard reconnaît dans tout projet anthologique le désir de constituer une mémoire, d’inscrire l’espace spécifique dans un temps spécifique. C’est pourquoi l’anthologie est sacrale : elle consacre les écrivains qui y sont cités et sacralise le processus de formation d’une littérature autonome » (p. 87). 13 PRÉFACE UN PEU D’HISTOIRE 1. 1958 – 1971 L’accession à la modernité n peut affirmer que la littérature acadienne est née en même temps que l’édition en Acadie, en 1972. De fait, de 1972 jusqu’au début des années 2000, presque toute la production littéraire acadienne a été publiée chez des éditeurs acadiens, et aucun écrivain acadien d’importance n’a été publié en premier à l’extérieur de l’Acadie, exception faite de Ronald Després et d’Antonine Maillet, qui ont commencé à écrire et à publier bien avant que l’édition acadienne n’existe. Ronald Després ayant presque toujours vécu à l’extérieur de l’Acadie, il est demeuré à l’écart de la mouvance littéraire acadienne bien que les jeunes poètes le considèrent aujourd’hui comme le pionnier. À l’opposé, Antonine Maillet est devenue, dès la parution de son premier ouvrage, presque immédiatement la porte-parole de l’Acadie. En s’inspirant systématiquement de son vécu, elle a créé une œuvre profondément originale, enracinée dans son milieu natal (la région de Bouctouche) et, en même temps, universelle. À la fin des années 1960, l’Acadie voit émerger des écrivains qui veulent faire œuvre en Acadie mais qui, pour ce faire, n’ont O 14 PAROLES D’ACADIE d’autre choix que d’être publiés au Québec, comme c’est déjà le cas de Ronald Després et d’Antonine Maillet, qui vivent et travaillent respectivement en Ontario et au Québec. Certains ont d’ailleurs publié des textes, en 1969, dans Liberté, la plus importante revue littéraire québécoise de l’époque, dans son numéro consacré à l’Acadie. Mais ils sont réticents à soumettre leurs manuscrits aux maisons québécoises. L’Acadie vit alors une effervescence nationaliste qui culmine avec la fondation du Parti acadien en 1972, parti calqué sur le modèle du Parti québécois et qui revendique, plutôt que l’indépendance, la création d’une province acadienne. 2. 1972 à 1979 : Un pays à inventer Plusieurs événements marquent le paysage culturel acadien en 1972-1973 : lancement de L’étoile maganée, un « antilivre » réalisé par les frères Jacques (poèmes) et Gilles (photos) Savoie et Herménégilde Chiasson (dessins, graphisme) ; à l’Université de Moncton, fondation du Département d’arts visuels et création du premier cours en littérature canadienne-française, donné par Marguerite Maillet ; lancement du premier 45 tours de la chanteuse Édith Butler ; début de la carrière nationale du personnage La Sagouine d’Antonine Maillet, telle qu’incarné par Viola Léger ; début également des travaux de construction du Village historique acadien dans la Péninsule acadienne ; scandale autour du film de Léonard Forest, Un soleil pas comme ailleurs ; prix du Gouverneur général remis à Antonine Maillet pour son roman Don l’Orignal ; création de la revue gauchiste L’Acayen ; et, à l’été 1973, organisation du premier Frolic acadien à Memramcook. Les Éditions d’Acadie sont nées dans cette mouvance. Créées en 1972 par des professeurs de l’Université de Moncton regroupés autour de Melvin Gallant, la maison d’édition devient le catalyseur d’une prise de parole qui avait débuté quelques années auparavant mais qui ne bénéficiait pas d’un lieu d’édition et de diffusion autre que celui des revues littéraires et des soirées de poésie. La première génération d’écrivains s’y retrouvera au complet. PRÉFACE 15 Durant l’automne, les fondateurs définissent le mandat de la maison, tel qu’énoncé dans le premier catalogue paru en 1978 : « Promouvoir la création littéraire en Acadie et répondre aux besoins du milieu dans tous les domaines où le livre doit jouer un rôle indispensable. » La première publication de la nouvelle maison, Cri de terre de Raymond Guy LeBlanc paraît en décembre 1972. Dans la publicité qui entoure sa publication, on écrit : « Avec Cri de terre, Raymond [Guy] LeBlanc témoigne de la renaissance culturelle d’une Acadie qui fourmille en secret et refuse de se laisser mourir. » LeBlanc devient le chantre d’une poésie issue du pays, vécue dans le pays, s’adressant à tous ceux qui cherchent à créer une Acadie moderne qui s’affirme et s’affiche. Les trois recueils qui suivent ouvriront de nouvelles pistes à l’écriture. Acadie rock (1973) de l’adolescent d’alors, Guy Arsenault, utilise une langue proche de l’oralité dans laquelle le poète intègre le chiac ; Saisons antérieures (1973) de Léonard Forest pose un regard romantique, voire nostalgique, sur l’Acadie ; et Mourir à Scoudouc (1974) d’Herménégilde Chiasson oppose, dans sa quête d’un pays dont il faut définir les contours et les frontières, modernité et folklorisation, affirmation de l’identité acadienne et assimilation. Les premières publications ayant rencontré la faveur du public, les administrateurs des Éditions d’Acadie rêvent grand en ce début de 1975. Ils se surprennent à envisager la création de nouvelles collections accueillant une diversité d’ouvrages qui rejoindraient toutes les clientèles. Et de fait, l’année sera placée sous le signe de la diversification : la maison cherche (comme elle cherchera toujours) à servir toutes les clientèles dans tous les genres. Cette diversification avait été entamée avec la publication en 1973 d’un recueil de contes de Melvin Gallant, Ti-Jean, suivie en 1974 de Charmante Miscou de Louis Haché, qui mêle récit, nouvelle et conte. Aux prises avec des difficultés financières, les Éditions d’Acadie publient peu d’œuvres littéraires de 1976 à 1978. Paraissent cependant en 1977 Rapport sur l’état de mes illusions 16 PAROLES D’ACADIE d’Herménégilde Chiasson, Tabous aux épines de sang d’Ulysse Landry et L’Acadien reprend son pays de Claude Le Bouthillier. Le théâtre vit également des changements importants au cours des années 1970. En 1974, Laval Goupil écrit Tête d’eau que produit la troupe communautaire Les Feux Chalins de Moncton. Il en est l’un des interprètes tout en assurant la mise en scène. La pièce sera reprise par les Productions de l’Étoile de Caraquet, que viennent de fonder Laval Goupil, Maurice Arseneault et Réjean Poirier, qui ont tous travaillé aux Feux Chalins. Dès sa fondation, la compagnie affirme sa détermination à implanter un théâtre professionnel et prend rapidement le nom de Théâtre populaire d’Acadie (TPA), reflet de sa mission. En 1975, le TPA crée Louis Mailloux, texte de Jules Boudreau et chansons de Calixte Duguay. Ce drame musical connaît un tel succès qu’il sera régulièrement repris par la compagnie (en 1976, 1978, 1981 et 1992). Un disque accompagné du livret paraîtra en 1980 et les Éditions d’Acadie le publieront en 1994 à l’occasion d’une nouvelle production. Antonine Maillet, même si elle est un peu en marge de la dynamique littéraire locale, n’en demeure pas moins la personnalité la plus marquante. Durant cette période, elle continue à construire son œuvre monumentale. Les romans se succèdent : Don l’Orignal (1972) et Mariaagélas (1973), à partir desquels sera bâti le cycle de ce qui deviendra le Pays de la Sagouine ; suivent Les Cordes-de-bois (1977) et Pélagie-la-Charrette (1979) — qui vaut à son auteure le prestigieux prix Goncourt et la transforme en véritable icône pour les Acadiens. En 1972, La Sagouine lui avait ouvert les portes du Théâtre du Rideau Vert à Montréal, qui créera toutes ses pièces par la suite. Cette première époque se termine avec la publication de l’Anthologie de textes littéraires acadiens, 1606-1975 (1979), de Bernard Émont, Gérard LeBlanc et Marguerite Maillet, ouvrage fondamental de 624 pages qui démontre, s’il en était besoin, que la littérature acadienne existe et qu’elle est en plein développement. En 1983, Marguerite Maillet publiera son Histoire PRÉFACE 17 de la littérature acadienne. Peu de publications des années 1970 sont recensées dans ces deux ouvrages. Parallèlement aux Éditions d’Acadie, d’autres organismes naissent. En 1977, les premiers finissants du Département d’art dramatique de l’Université de Moncton fondent une coopérative théâtrale, le théâtre l’Escaouette, qui se consacrera au théâtre pour l’enfance et la jeunesse, domaines que ne touche pas alors le TPA. Au printemps 1978, la compagnie produit Ti-Jean, d’après un texte de Laval Goupil créé à partir de légendes traditionnelles. Le mouvement littéraire prenant de l’ampleur, les auteurs fondent l’Association des écrivains acadiens (1979), qui donnera naissance à la revue de création Éloizes (1980-2003) et aux Éditions Perce-Neige (1980). 3. 1980 à 1989 : L’Acadie à l’heure de la parole Durant les années 1980, la dynamique littéraire sera nourrie par l’Association des écrivains acadiens (AÉA), les deux maisons d’édition et les deux compagnies de théâtre. À la fin des années 1970, le nombre de manuscrits reçus par les Éditions d’Acadie dépasse les cinquante par année. L’écart entre la date de dépôt du texte et sa publication s’accroît ; et la maison n’a pas les moyens de publier tous les textes qui émergent. Les Éditions Perce-Neige, dont le conseil d’administration sera formé d’écrivains engagés dans l’Association, sont créées. La nouvelle maison a pour mission de dépister les nouveaux auteurs en publiant « leur premier ouvrage » ; dès le deuxième, les auteurs seraient pris en charge par les Éditions d’Acadie. Quoique l’idée soit intéressante et que l’on comprenne qu’elle soit née du désir de ne pas diviser le milieu, cette façon de faire empêchera de facto les Éditions Perce-Neige de développer leur propre catalogue, les obligeant à demeurer dans l’ombre des Éditions d’Acadie. Perce-Neige cessera de publier en 1989, sans pour autant fermer ses portes. Presque tous les poètes importants des années 1980 y auront publié leur premier recueil. Perce-Neige fait une entrée remarquée en 1980 avec Graines de fées de Dyane Léger, première femme à publier un recueil de 18 PAROLES D’ACADIE poésie en Acadie. Perce-Neige récidive dans sa volonté d’amener de nouvelles paroles en publiant Comme un otage du quotidien (1981) de Gérald Leblanc, qui était déjà connu puisqu’il était l’un des principaux paroliers du groupe de folk-rock 1755, alors au sommet de sa popularité. Au fil des ans, d’autres poètes importants s’ajoutent : Rose Després, Martin Pître, Daniel Dugas, Rino Morin Rossignol et Georges Bourgeois. En 1984, les Éditions d’Acadie sont en pleine croissance... et connaissent de sérieuses difficultés financières. C’est que la maison a décidé d’investir le champ du livre pédagogique sans nécessairement avoir ni l’expertise ni les moyens de se confronter aux exigences du ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick. La production littéraire en subit les contrecoups. Cette situation entraîne la démission du directeur, Michel Henry, qui décide de fonder en 1986 la maison qui portera son nom. Certains des auteurs les plus importants des Éditions d’Acadie, dont Herménégilde Chiasson, Gérald Leblanc, Raymond Guy LeBlanc, Guy Arsenault, et un auteur de PerceNeige, Daniel Dugas, le suivront dans cette nouvelle aventure. Michel Henry Éditeur accorde une place importante au théâtre. La maison publie quatre pièces de Gracia Couturier, dont deux pour enfants créées par le théâtre l’Escaouette, ainsi que Atarelle et les Pacmaniens (1986), une pièce pour la jeunesse qu’Herménégilde Chiasson avait écrite pour la même compagnie. L’aventure durera trois ans, durant lesquels la maison publiera au total une douzaine d’ouvrages, Michel Henry n’arrivant pas à développer un réseau de distribution ni à intéresser les médias. Tous ces livres passeront à peu près inaperçus, tant en Acadie que dans le reste du Canada. En 1988, quand Perce-Neige suspend ses opérations, tous ses auteurs — et parmi eux ses principaux bénévoles —, étant maintenant publiés aux Éditions d’Acadie, la maison a très peu de revenus, elle est incapable de se payer un employé, et elle n’a pas de distribution réelle. Achevé d’imprimer en octobre deux mille dix sur les presses de l’imprimerie Gauvin, Gatineau (Québec). Paroles d’Acadie est la première anthologie générale de la litté­ rature acadienne à voir le jour depuis la parution, en 1979, de l’Anthologie de textes littéraires acadiens, 1606-1975 de Marguerite Maillet, Gérard LeBlanc et Bernard Émont. Paroles d’Acadie s’ouvre sur la première publication d’Antonine Maillet en 1958 pour se clore à la fin de la pre­mière décennie du XXIe siècle, alors que la littérature acadienne a connu un véritable essor et que plusieurs auteurs sont reconnus tant nationalement qu’interna­tio­nalement. Paroles d’Acadie regroupe 49 auteurs — de romans, de pièces de théâtre, de poésie et de nouvelles — qui écrivent pour les adultes ou la jeunesse. Chaque auteur est présenté par une notice biographique, suivie d’une courte introduction à son œuvre et d’un choix d’extraits. Une photo et une bibliographie complètent l’ensemble. De plus, une présentation générale trace le portrait de cette littérature telle qu’elle s’est développée au cours des 40 dernières années, situant les auteurs et leurs œuvres dans leur contexte. Dans Les littératures de l’exiguïté (Le Nordir, 1992) François Paré affirme qu’« avoir une littérature dont on peut retracer l’histoire et rassembler anthologiquement les auteurs, c’est déjà exister comme collectivité nationale », peu importe la taille de la collectivité. Les Acadiens des provinces atlantiques sont environ 300 000. Leur litté­rature, comme en témoigne cette anthologie, exprime aussi bien leur réalité nationale, leur dynamisme que leur pouvoir créateur. David Lonergan tient depuis 1994 une chronique hebdo­ madaire sur la production culturelle acadienne dans le quotidien L’Acadie Nouvelle. Une collection de ces chro­ni­ques, Tintamarre – Chroniques de la littérature dans l’Acadie d’aujourd’hui, a été couronné du prix Antonine-Maillet/Acadie Vie. http://pdp.recf.ca Paroles d’Acadie s’adresse à tous ceux et celles qui s’inté­ressent à la littérature acadienne : public lecteur curieux, étudiants et étudiantes de la fin du secondaire et de l’universitaire, enseignants et professeurs.