Accès au texte intégral du document (PDF 1,2 Mo)

publicité
© Xavier Renauld pour l'INRS
14
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
Conception des lieux et situations de travail
La prévention profite
de l’anticipation
Investir aujourd’hui pour travailler
demain de façon plus sûre et plus
saine. Tel est l’enjeu des démarches
de conception des lieux
et des situations de travail visant
à mieux prendre en compte leur
usage futur par les salariés. L’histoire
économique montre que les périodes
de crise favorisent les mutations.
Afin d’anticiper le redéploiement
des activités et les risques qu'il peut
générer, les concepteurs, les chefs
d’entreprise et les acteurs
de la prévention se dotent
de nouveaux atouts pour mieux
maîtriser les risques professionnels
dès le stade des premières réflexions.
Partant de l’expérience accumulée
depuis près de vingt ans, il s’agit
de changer d’échelle afin que
la dimension sociale des projets
soit mieux prise en compte.
Dossier réalisé par Jean-Paul Richez avec Christine Larcher,
Céline Ravallec et Delphine Vaudoux
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
15
Tour d’horizon
La conception, une marche à ne pas ra
En raison de
sa dimension
pluridisciplinaire, la
conception de lieux et
situations de travail
sûrs et sains constitue
un pivot des actions
de prévention. Avec
la mise en place, en
2008, d’un groupe
expert « conception
des lieux et situations
de travail » (CLST),
l’Assurance maladieRisques professionnels
a décidé d’en pérenniser
les acquis au niveau
national. L’enjeu
consiste à anticiper les
risques afin de mieux
les maîtriser en amont.
16
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
M
algré le ralentis­
sement écono­
mique dû à la
crise, le paysage des activités
économiques continue à se
redéployer. Des entrepôts ou
des plates-formes logistiques
poussent dans les champs
en périphérie des villes, près
des échangeurs d’autoroutes
ou des voies rapides. En zone
urbaine, des parcs d’acti­vités
tertiaires se déploient sur
des friches industrielles. Plus
à l’écart, de nouveaux éta­
blissements dédiés aux soins
d’accompagnement ou de réa­
daptation ainsi qu’à l’accueil
des personnes âgées choisis­
sent des environnements où
règne la tranquillité… Qu’il
s’agisse de répondre aux évo­
lutions de l’organisation éco­
nomique ou à une demande
sociale croissante, ou encore
de faire face à de nouvelles
contraintes environnemen­
tales, ces domaines d’activité
comptent parmi ceux qui se
développent. Si la réflexion
sur la conception des lieux et
situations de travail sûrs et
sains est globale, ces diffé­
rents domaines font actuelle­
ment l’objet d’une déclinaison
spécifique.
Dans la vie d’une entreprise,
la création ou la transforma­
tion de lieux dédiés à l’acti­
vité est un instant privilégié
pour agir sur les différentes
sources de risques profession­
nels. C’est une période propice
pour améliorer les procédés,
les équipements et l’organi­
© Xavier Renauld pour l’INRS
ter
© Patrick Delapierre pour l’INRS
La création ou la transformation
des lieux de travail constitue
un moment propice pour prendre
en compte l'activité réelle et agir
sur la prévention des risques
professionnels.
sation du travail. A contrario,
l’erreur de conception peut
occasionner des surcoûts
dus aux pertes de produc­
tion, de qualité, à la détério­
ration de l’image de marque,
et ses conséquences sur la
santé des salariés ou le climat
social sont toujours néfastes.
L’action nationale mise en
place au début des années
1990 par l’Assurance maladieRisques professionnels part
de ce constat. La campagne
engagée à cette époque à l’in­
tention des différents acteurs
concernés par la réalisation
de bâtiments industriels a fait
naître de nombreuses initia­
tives régionales (1).
Dynamique
de projet
« Le bilan annuel dressé par
les caisses régionales illustre
les points faibles des projets
conduits classiquement par les
maîtres d’ouvrage, présente
Michel Charvolin, ingénieurconseil à la Carsat Normandie,
copilote du groupe expert
“conception des lieux et
situations de travail” (CLST).
Principal constat, ceux-ci ne
traitent généralement pas des
questions de ventilation. La
plupart ne prennent pas non
plus suffisamment en compte
la circulation des personnes
et des engins. Le constat est
plus favorable pour l’acoustique et l’éclairage, même si
un projet sur trois n’est pas
satisfaisant si l’on examine
ces deux critères ensemble. »
« Promouvoir des lieux et
situations de travail plus sûrs
est au cœur de notre métier »,
souligne Dominique Saïtta,
ingénieur-conseil régional à
la Carsat Aquitaine. Un travail
de fond engagé depuis deux
décennies puisque l’obligation
d’intégrer la prévention dès la
conception, fixée par la loi du
6 décembre 1976, a pris une
nouvelle dimension en 1989
avec l’adoption de la directive
cadre européenne 89-391.
En définissant des principes
généraux de prévention, sa
transposition en France dans
le Code du travail (2) en fait
une priorité : l’employeur doit
prévenir tout risque lié à une
nouvelle situation de travail.
Les retombées de l’action
nationale engagée en pre­
nant appui sur ces évolutions
réglementaires ont permis
d’accumuler une expérience
conséquente : sur le plan tech­
nique sur celui de la formation
initiale et continue, ainsi qu’en
En Bretagne,
l’avenir se fait
aujourd’hui
D
ans la perspective de
mieux accompagner
les décideurs et maîtres
d’ouvrage engagés dans
un projet de construction
ou de transformation d’un
lieu de travail, la Carsat
Bretagne a développé, à la
fin des années 1980, son
offre de conseils en matière
de prévention des risques
professionnels. « Nous
avons accompli ce virage
en étoffant nos moyens
techniques et notamment
ceux de notre centre de
mesures physiques (Centre
interrégional de mesures
physiques de l’Ouest)
ainsi qu’en renforçant
l’expertise, en matière de
conception, des ingénieursconseils et contrôleurs de
sécurité, commente Thierry
Balannec, l’ingénieurconseil régional. Le prix
Acanthe, qui récompense,
depuis 1992, un projet de
construction neuve intégrant
la prévention des risques
professionnels dans la qualité
des lieux de travail, nous a
permis de promouvoir cette
démarche en nous appuyant
sur des relais : maîtres
d’œuvre, organisations
professionnelles, chambres
consulaires, collectivités
territoriales. » Deux
décennies après le lancement
du prix, et malgré une
conjoncture économique
défavorable, la caisse
régionale dévoilera
à la fin de l’année les lauréats
de son 5e prix.
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
17
Du plan, à l’usage
Mettre l’homme au centre
des préoccupations
Forts de l’expérience acquise
pour intégrer la prévention
des risques professionnels
lors de la conception
ou la rénovation des lieux
et situations de travail,
l’Assurance maladie-Risques
professionnels et l’INRS
souhaitent aller au-delà.
Les pistes étudiées visent
à donner un nouvel élan
à une action au long cours.
De nouveaux outils sont
envisagés pour permettre
une meilleure reconnaissance
des efforts réalisés
lors de la mise en œuvre
d’un projet.
L
a démarche de « Conception des
lieux et situations de travail » (CLST)
et l’action quotidienne de préven­
tion des risques professionnels au sein
des entreprises se conjuguent. « Malgré
les progrès réalisés en matière de prévention des risques professionnels, celle-ci
relève encore trop souvent de l’action correctrice, souligne Yvon Créau, ingénieurconseil responsable du département de
la prévention des risques professionnels
à la CNAMTS. Lors d’un projet, l’équipe
de conception et le bureau d’études s’attachent d’abord à l’aspect matériel en se
souciant principalement du fruit de l’activité et, d’une façon annexe, des personnes en charge de la conduire. »
L’image des abattoirs de Chicago est res­
tée célèbre : on sait transformer un bœuf
en « corned beef » d’une façon automa­
tisée. Or, même dans ce cas de figure,
l’homme est indispensable. « Il faut
prendre en compte tous ceux qui vont
18
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
concourir à la bonne marche d’un établissement, quelle que soit leur activité, expli­
que l’ingénieur-conseil. C’est vrai dans le
secteur industriel comme dans le domaine
commercial ou des services. » Dans une
banque, par exemple, la relation clientsalarié dépend aussi de l’aménagement
de l’espace clientèle et de la gestion de
la file d’attente. Correctement appré­
hendés, ces deux facteurs contribuent à
réduire le stress et à limiter l’agressivité
au guichet comme dans le bureau du
chargé de clientèle.
Trois secteurs tests
La démarche CLST engagée au niveau
national par l’Assurance maladie-Risques
professionnels et l’INRS vise à inciter les
maîtres d’ouvrage à s’engager dans des
actions volontaires de prévention des
risques professionnels et d’améliora­
tion des conditions de travail, le plus en
amont d’un projet. Pour donner plus de
visibilité aux démarches CLST engagées
par les maîtres d’ouvrage, le réseau pré­
vention propose de valoriser les efforts
accomplis aux différents stades du projet
en certifiant la démarche CLST. Pour en
étudier la faisabilité, l’INRS a lancé une
enquête dont les premiers résultats vien­
nent de paraître (cf. encadré).
« Quelles qu’en soient les modalités
(label ou certification), il faut qu’il y ait
une véritable reconnaissance de la prise
en compte de la santé et sécurité au travail avec un mode d’affichage traduisant
mieux la finalité de cette action de prévention », relève Yvon Créau. C’est l’in­
térêt de l’outil actuellement en cours de
finalisation, qui permettra d'attester que
le projet et sa réalisation ont bien mis la
question de l’homme au travail au centre
des préoccupations. Citons, par exemple,
tout ce qui contribue à une élaboration
participative durant le processus qui va
de l’intention initiale jusqu’à la mise en
service : embauche anticipée de collabo­
rateurs, préparation en amont du projet,
prise en compte de l’activité réelle des
personnes et de l’usage, comptes-rendus
des réunions de travail. « Pour enrichir cet
outil, nous nous fondons sur les démarches CLST réussies et notamment celles
qui se développent dans les secteurs les
plus actifs », précise Yvon Créau. Dans un
premier temps, il sera ainsi proposé d’ex­
périmenter cette démarche dans trois
domaines d’activité tests : assainisse­
ment et traitement des eaux, logistique
et distribution, secteur de l’accueil des
personnes handicapées et dépendantes
(cf. page 20).
J.-P. R.
Une attente
réelle
L
’enquête menée par AfnorCertification auprès d’un panel de
18 000 personnes montre qu’il existe
une demande des entreprises déjà
engagées dans des actions de gestion
de la qualité. La grande majorité
des répondants estime qu’il existe
un retour sur investissement lié
à la prise en compte de la santé
et sécurité du travail dans les projets
de conception des lieux et situations
de travail. Deux tiers d’entre eux
déclarent mettre ou compter mettre
des moyens dans celle-ci. Plus
de la moitié juge plutôt intéressant
le fait de disposer d’une
reconnaissance du type certification
CLST. Enfin, un quart se déclare prêt
à s’engager dans une démarche
de cette nature.
© Gaël Kerbaol/INRS
Les espaces dédiés au travail,
tout comme ceux destinés aux
pauses, doivent faire l'objet d'une
démarche s'appuyant sur une
participation étroite des personnels
et des acteurs de la prévention.
rence. Il s’agit d’abord d’agir
au stade du projet d’entre­
prise comprenant la construc­
tion d’un ouvrage ou son
réaménagement, en tenant
compte de l’usage
qui en sera fait par
tous les personnels,
qu’ils soient per­
manents ou inter­
venants extérieurs.
La charte invite à ce
que tout projet de
conception ou réa­
ménagement d’une
situation de travail
se fonde sur une
démarche caracté­
risée par la partici­
pation étroite des
personnels concer­
nés et des acteurs
de la prévention
ainsi que la prise
en compte de l’en­
semble des com­
© Gaël Kerbaol/INRS
matière de communication et
d’information (3).
Le retour d’expériences du ter­
rain en matière de conception
de lieux de travail a permis
d’approfondir la démarche et
de mieux en maîtriser la dyna­
mique. L’approche initiale,
essentiellement centrée sur
les bâtiments, les flux et les
circulations, s’est élargie aux
situations de travail. « Il n’y
a pas de lieux de travail sans
situations de travail, rappelle
Jean-Louis Pomian, ergonome
et copilote à l'INRS du groupe
expert CLST. L’enveloppe du
bâtiment doit être conçue à
partir de la connaissance précises des situations et des activités réelles de travail. » Pour
formaliser cette évolution et
donner plus de cohérence aux
actions engagées, le réseau
CLST a ainsi élaboré une
charte qui a valeur de réfé­
posantes du projet. Elle doit,
en outre, permettre, à chaque
stade, des allers et retours
afin d’enrichir et de valider les
choix effectués.
Retour
sur investissement
en prévention
L’action concertée avec le
maître d’ouvrage en amont
de la conception permet de
recueillir l’adhésion des utili­
sateurs futurs et de prévenir
à moindre coût les situations
à risques. En présentant
la démarche nationale, le
16 juin dernier, à Lille, lors du
salon Préventica, Jean-Louis
Pomian a insisté sur son inté­
rêt économique : « On estime,
par exemple, que, si le coût de
l’intégration de la prévention
dans le projet peut se chiffrer
à 1 euro lors de la programTravail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
19
Trois secteurs d’activité en évolution rapide
• Logistique, distribution
La part des entrepôts de plus de 10 000 m ne cesse d’augmenter
depuis le début des années 1980 : pour l’année 2000, par
exemple, la part des grands entrepôts atteint 46 %, contre
15 % en moyenne sur la période 1980-2000. Sont ainsi
particulièrement concernées l’Île-de-France, les régions RhôneAlpes et Nord-Pas-de-Calais. Sur ces nouveaux sites, l’activité
de préparation de commandes se développe en complément
de celle d’entreposage. Les grandes enseignes de la distribution
participent largement à ce redéploiement. Bien que le rythme
de création d’hypermarchés se ralentisse, leur nombre continue
à s’accroître : 1 459 hypermarchés en 2008, contre 1 374 en
2006 (Source : Insee 2010). La concurrence des maxidicounts et
l’évolution de la demande obligent également les enseignes à
restructurer leurs espaces de vente : Carrefour Market, Simply
Market, Monop. Afin d’accompagner ces évolutions, la CNAMTS
propose aux grandes enseignes du commerce et de la distribution
d’élaborer des chartes « conception, rénovation » intégrant une
préoccupation de prévention des risques professionnels (cf. pages
23 à 25).
2
• Soins
Dans le secteur des soins, la restructuration hospitalière, tant
publique que privée, est largement entamée. Le vieillissement
de la population conduit également à prévoir une augmentation
des capacités d’hébergement. Le Plan Solidarité grand âge 2007-
occasion, il a détaillé les résul­
tats préliminaires de l’enquête
menée par l’Afnor en début
d’année à la demande de
l’INRS sur le thème de la « cer­
© Guillaume J. Plisson pour l'INRS
mation, il se situe à 10 euros
en phase projet, à 100 euros
pendant la construction et à
1 000 euros en phase d’exploitation », a-t-il expliqué. À cette
20
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
2012, lancé par les pouvoirs publics, prévoit la création d’environ
35 000 lits au rythme annuel d’environ 5 à 7 500 lits au sein des
établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD).
La croissance actuelle des lits médicalisés est d’environ 1,5 % par
an et se traduit par l’extension d’établissements existants ou par
la construction de nouveaux. À ces créations, s’ajoute la mise aux
normes d’un certain nombre. Les établissements ayant signé une
convention tripartite font l’objet d’une réhabilitation partielle ou
totale des chambres et autres pièces communes.
• Assainissement de l’eau et traitement des déchets
Les différents plans gouvernementaux récents en matière de
protection de l’environnement visent à réduire, d’une part, la
pollution des sols et des eaux et, d’autre part, la pollution de
l’air lié aux rejets des usines d’incinération tout en valorisant les
déchets. Il s’agit de réorienter les flux de déchets de la filière
d’élimination vers de nouvelles filières de valorisation. Depuis
1995, le nombre d’usines d’incinération d’ordures ménagères est
passé de 300 à 130. Les nouvelles installations sont capables de
traiter des quantités plus importantes de déchets. Parallèlement,
l’activité de collecte sélective s’est fortement développée. La
nouvelle directive cadre européenne sur les déchets 2008/2009
ainsi que les retombées du Grenelle de l’environnement fixent
un objectif de 50 % de réemploi ou de recyclage en poids global
d’ici 2020. Pour cela, les centres de tri existants doivent être
transformés ou modernisés et de nouveaux centres créés.
tification CLST » et la santé et
sécurité au travail (cf. encadré
page 18). Il apparaît que les
entreprises déjà engagées
dans des actions de gestion
de la qualité sont convaincues
de son intérêt. Reste à mieux
cerner les modalités d’une
certification CLST. C’est un
moyen de favoriser la prise en
compte de la prévention des
risques professionnels dans le
plus grand nombre de projets.
Et l’enjeu est réel : « Sur environ 3 000 projets identifiés par
les caisses régionales comme
relevant d’une approche CLST,
constate Michel Charvolin, les
Le secteur de la logistique fait
partie des trois secteurs retenus
par l'INRS et la CNAMTS pour
tester la démarche CLST.
agents des caisses en suivent
en moyenne environ 300 à 400
en s’inspirant des principes préconisés par l’Assurance maladie-Risques professionnels et
l’INRS. La certification permet
d’espérer un effet démultiplicateur conséquent. »
1. Au début des années 1990, les CRAM
Aquitaine, Rhône-Alpes et de Bretagne
ont, chacune dans leur région, primé
plusieurs dizaines de réalisations
d’entreprises dans le but de promouvoir
l’intégration de la sécurité dès la
conception des lieux de travail : prix
Qualité des lieux de travail en Aquitaine,
prix Arch’enge en Rhône-Alpes et prix
Acanthe en Bretagne.
2. Loi 91-1414 du 31 décembre 1991.
3. En 20 ans, les caisses régionales
et l’INRS ont conjointement élaboré
plus d’une centaine de documents de
référence. La brochure de base Conception
des lieux et des situations de travail (réf.
ED 950) est le document édité par l’INRS
le plus fréquemment consulté (jusqu’à
plus de 80 000 téléchargements par
mois).
J.-P. R.
Station d’épuration
La prévention intégrée entre en Seine
I
nsertion du site dans un
vaste plan d’eau, parc pay­
sager planté d’arbres, pro­
fil de bâtiments épousant la
ligne d’horizon, couvertures
végétalisées : la nouvelle sta­
tion de traitement des eaux
usées de Léry, dans l’Eure,
mérite, à plus d’un titre, le
qualificatif de « STEP verte »
(1). Pour autant, le projet de
la Communauté d’agglomé­
ration Seine-Eure (CASE), qui
en a réalisé la maîtrise d’ou­
vrage, ne s’est pas limité au
seul aspect environnemen­
tal. « Cette nouvelle station
matérialise la politique de
développement durable de la
collectivité territoriale », sou­
ligne Olivier Switala, respon­
sable du service du cycle de
l’eau à la CASE. Mais le déve­
loppement durable ne peut
© Vincent Grémillet pour l'INRS
Située en lisière
de la forêt domaniale
de Bord, dans l’Eure,
la nouvelle station
de traitement des eaux
usées de Léry restitue
des effluents épurés
à la Seine.
En s’engageant
dans une démarche
de prévention intégrée
dès la conception,
la collectivité
d’agglomération
Seine-Eure montre
l’intérêt de prendre
en compte la protection
des salariés.
À noter : à l’occasion de Pollutec,
le salon International des équipements,
des technologies et des services de
l'environnement, l'Assurance MaladieRisques Professionnels et l'INRS
organisent une série de conférences.
Le programme est détaillé page 50.
ignorer la dimension sociale
de l’exploitation de la station
et notamment les conditions
de travail : « Le rôle d’une station d’épuration est avant
tout d’assurer le traitement de
l’eau afin de la restituer dans le
milieu naturel, précise Olivier
Switala. Cette évidence étant
rappelée, la prévention des
risques liés aux conditions d’exploitation et de maintenance
ainsi que tout ce qui conditionne la vie au travail ne doivent pas être sous-estimés. »
La capacité d’épurer l’eau et la
disponibilité des installations
dépendent, en effet, de l’ab­
sence de dysfonctionnement
et de l’efficacité de la main­
tenance. C’est dans cet esprit
que la CASE, Sogeti Ingénierie,
le bureau d’études prenant
en charge la partie technique
de la maîtrise d’œuvre, et
Veolia Eau, le futur exploi­
tant, ont engagé une réflexion
commune dès le stade de
l’avant-projet.
Référence
L’investissement de Léry s’ins­
crit dans le cadre du schéma
directeur de l’agglomération
Seine-Eure. Il s’agit, à terme,
de passer de onze stations
anciennes, aux capacités de
traitement insuffisantes mais
aussi techniquement obso­
lètes, à six. La nouvelle station
de Léry-Val-de-Reuil, d’une
capacité de 60 000 équiva­
lents habitants, remplace ainsi
les anciennes installations de
Val-de-Reuil, Pont-de-l’Arche,
St-Pierre-de-Vauvray et Andé.
Elle répond également aux
besoins de plusieurs autres
communes dont les effluents
étaient jusque-là rejetés direc­
tement dans le milieu natu­
rel. Enfin, outre l’épuration
des eaux traitant la pollution
carbonée, azotée et phospho­
rée, l’ouvrage doit également
absorber les sous-produits de
l’assainissement générés par
les stations du territoire ainsi
que les réseaux de collecte :
graisse, matières de vidange
et de curage. Il doit également
recycler la matière organique
contenue dans les boues afin
de produire un compost par
mélange avec des déchets
verts collectés en déchetteries.
Le projet de la STEP de LéryVal-de-Reuil a bénéficié de l’ex­
périence acquise par la CASE
avec Veolia Eau, en charge
aussi de l’exploitation de la
station voisine de Louviers
construite en 2000. Le maître
d’ouvrage a également sou­
haité que la Carsat Normandie
participe à ce projet. « Depuis
plusieurs années, nous proposons aux différents acteurs de
la filière des métiers de l’eau et
de l’assainissement d’intégrer
la prévention des risques dans
les projets de conception et
d’aménagement des stations,
commente Michel Charvolin,
ingénieur-conseil à la Carsat
Normandie, en charge des
dossiers “eaux, déchets et
assainissement” et “concep­
tion des lieux et situations de
travail” (1). L’expérience développée avec, notamment, la
CASE, le bureau d’études Sogeti
Ingénierie et Veolia Eau, nous
permet d’envisager de pérenniser cette démarche. »
Comme dans tout projet, c’est
en phase amont qu’il s’agit de
bien analyser les besoins afin
de préciser le programme.
Dans le cas d’un ouvrage
public tel que la station de
Léry, cette phase constitue
une obligation. « À l’étape de
la maîtrise d’œuvre, commente
Olivier Switala, la brochure
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
21
La station de traitement
de Léry-Val-de-Reuil en bref
Conception des usines d’épu­
ration des eaux résiduaires a
servi de référence. » Ce docu­
ment de l’INRS apporte des
préconisations à l’intention
des maîtres d’ouvrage en vue
d’assurer la sécurité et la pro­
tection de la santé des per­
sonnels d’exploitation et de
maintenance. Le respect de
ces préconisations constitue
un atout. C’est une garantie
pour que le cahier des charges
intègre les différents éléments
favorables à la prévention
des risques professionnels et
l’amélioration de la qualité
de vie au travail. Accès, cir­
culations, déplacement des
personnes, manutentions,
maintenance, stockage, fac­
teurs d’ambiance : aucun
des éléments conditionnant
l’usage des équipements par
les futurs utilisateurs et mobi­
lisant le facteur humain ne
doit être ignoré.
Programme innovant
Exemples à l’appui, Gilles
Meunier, responsable du
service eau-assainissementmaîtrise d’œuvre de Sogeti,
énumère les retombées posi­
22
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
© Vincent Grémillet pour l'INRS
• Maître d’ouvrage : Communauté d’agglomération Seine-Eure
(Case)
• Financement : Agence de l’eau Seine-Normandie, Conseil
général de l’Eure
• Effectif : 6 personnes.
• Activité : traitement des eaux usées de douze communes dont
Val-de-Reuil, Pont-de-l’Arche, Saint-Pierre-de-Vauvray et Andé.
• Équipements : une unité de prétraitement, deux bassins
de traitement biologique de 1 100 m3, deux bassins de
clarification de 7 900 m3, une unité de compostage des boues.
• Capacité de traitement : 60 000 équivalents habitants.
• Débit journalier moyen annuel : 9 500 m3/j.
• Montant de l’investissement : 25 millions d’euros,
dont 18 pour la station (eau, boues et usine de compostage),
et le reste pour les travaux de canalisation de transfert.
tives de cette démarche glo­
bale et analytique qui met
à contribution les multiples
acteurs et particulièrement
les utilisateurs des lieux et
équipements de travail. Ces
dispositions se sont concré­
tisées dans l’enrichissement
du cahier des charges et en
particulier lors de la rédac­
tion de clauses techniques
particulières.
• Implantation générale et
circulations. Outre l’aspect
fonctionnel, le programme de
l’ouvrage de Léry s’est attaché
à respecter le cadre naturel,
mais aussi à faciliter l’accueil
de visiteurs. Les différents
bâtiments sont implantés
sur le site de telle façon que
les visiteurs peuvent circuler
et découvrir les principaux
équipements de la station
sans perturber l’activité quo­
tidienne. Cheminements,
passerelles, éclairage natu­
rel par baies vitrées : tout est
prévu pour favoriser les che­
minements sûrs en éliminant
les croisements de flux mais
aussi les risques de chute.
L’implantation des ouvrages
assure la séparation du circuit
des piétons et des visiteurs,
de celui réservé aux différents
engins ou véhicules utilitaires.
• Génie civil, acheminement
des gros équipements. Les
clauses du cahier des charges
ont imposé que ces équi­
pements soient livrés après
réalisation des ouvrages.
Ultérieurement, lors d’inter­
ventions de maintenance
lourdes, ceux-ci pourront ainsi
être évacués sans multiplier
les travaux et les risques.
• Atelier de prétraitement,
manutentions, milieux confinés. Le prétraitement des
effluents met en œuvre des
équipements mécaniques
nécessitant une surveillance
régulière et des interven­
tions périodiques fréquentes :
pompes de relèvement,
dégrilleur automatique, sys­
tème d’aération… Ces équi­
pements sont regroupés au
sein d’un atelier clos équipé
de deux ponts roulants des­
servant l’ensemble des postes
et situations de travail. Toutes
les fosses sont couvertes et
dotées de trappes de visite
à barreaudage escamotable
conformes au document de
référence (2) ainsi que d’appa­
reils de détection de niveau.
L’atelier est ventilé par un
réseau de gaines d’assainis­
sement d’air à double flux.
Son atmosphère, mainte­
nue en légère dépression, est
contrôlée en permanence par
des manomètres différen­
tiels. Les caissons d’extraction
munis de filtres assurent ainsi
l’assainissement de l’air, limi­
tent le risque d’intoxication
lié aux émanations d’hydro­
gène sulfuré et garantissent le
confinement des odeurs.
• Unité de compostage. L’usine
assure le traitement et la dés­
hydratation des boues et leur
recyclage par mélange avec
des déchets verts structu­
rants. Cette unité, entière­
ment close, est équipée de
tunnels de fermentation ali­
mentés par une chargeuse
ainsi qu’une machine à ren­
trer. L’installation assure la
désodorisation des gaz de
fermentation et le compos­
tage mécanique. Outre la
prise en compte des risques
mécaniques liés aux dépla­
cements des engins ainsi
qu’aux organes en mouve­
ment, la démarche de préven­
tion conduite au stade de la
conception de l’unité a éga­
lement permis de traiter les
risques chimiques – présence
d’ammoniac et de poussières
de bois – ainsi que biologiques
(endotoxines, moisissures).
1. STEP : STation d’ÉPuration des eaux usées.
2. La brochure Conception des usines
d’épuration des eaux résiduaires ED 968
éditée par l’INRS en 2006 a bénéficié
notamment de ce travail. Ce document
est en cours de refonte.
J.-P. R.
Implantation d’un hypermarché
Un projet aux contraintes multiples
Auchan France vient
d’ouvrir un tout
nouvel hypermarché
au Kremlin-Bicêtre,
en région parisienne.
L’aménagement
des locaux a été
réalisé en suivant les
grands principes de
prévention des risques
professionnels énoncés
dans la charte signée
par Auchan France et
la CNAMTS (1). Compte
tenu des contraintes
propres à ce projet
urbain, cela n’a pas
toujours été facile.
L
e nouvel hypermarché du
Kremlin-Bicêtre, dans le
Val-de-Marne, ouvert en
mars dernier, est unique à bien
des égards. D’abord, parce que
c’est le premier nouvel hyper
construit par Auchan France
depuis dix ans. Ensuite, parce
qu’il cumule des contraintes
inhabituelles. Ses 11 200 m2
sont concentrés sur deux
niveaux au-dessus des étages
de parking du centre com­
mercial Okabé. L’exiguïté des
locaux a imposé un arbitrage
serré entre surfaces commer­
ciales et zones de stockage.
Le fait qu’il n’y ait pas d’accès
de plain-pied conditionne les
flux de marchandises et de
déchets. Chaque jour, il faut
organiser l’approvisionnement
et gérer l’espace. Les équipes
doivent en effet assurer que
les denrées arrivent dans la
grande surface régulièrement,
sans perturber le trafic sur la
route nationale 7 toute proche
et en utilisant au mieux les
trois quais de déchargement.
L’aménagement de l’hyper­
marché ne s’est pas fait au
hasard. Lorsque, en février
2009, Patrice Phélippeau,
chargé de projet immobi­
lier chez Auchan, prend en
main le chantier, son souhait
est de s’inscrire dans le pro­
jet de charte de partenariat
entre Auchan France et la
CNAMTS (1). Il prend d’ailleurs
l’initiative de contacter, dès le
démarrage du projet, la Cramif
afin de travailler en partena­
riat, sur la base de cette charte.
Celle-ci reflète la volonté de
l’entreprise d’intégrer la pré­
vention des risques profession­
nels lors de la conception, de la
rénovation ou de l’extension
de ses hypermarchés. Elle défi­
nit des priorités, comme la pré­
vention des risques de chute
de plain-pied, l’ergonomie
des locaux, la réduction des
manutentions manuelles… Elle
propose également des enga­
gements à titre expérimental.
Anticiper
pour mieux résoudre
« L’existence de la charte, même
à l’état de projet, nous a servi
de base de travail : les principes étaient définis et le sens
du travail donné », explique
Patrice Phélippeau. Jean-Pierre
Depay, contrôleur de sécurité
à la Cramif, a été sollicité par
l’équipe de ce dernier afin de
l’aider dans sa réflexion et ses
choix. Il se félicite de « cette
charte qui a été un acquis pour
l’équipe de conception, une
© Gaël Kerbaol/INRS
La mise en place d'une lance
de projection de glace au rayon
poissonnerie a sonné la fin
du pelletage de centaines de kilos
de glace par jour. Un système
innovant que réclament d'autres
magasins de l'enseigne.
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
23
© Gaël Kerbaol/INRS
Pour éviter l'immobilisation
des chariots transpalettes lors du
chargement des batteries, celles-ci
sont amovibles et installées sur des
rolls qui permettent de les pousser
jusqu'aux chargeurs.
base commune de dialogue ».
Si Patrice Phélippeau et son
équipe n’avaient pas construit
d’hyper depuis dix ans, ils
avaient l’expérience de deux
restructurations importantes
(Vélizy et Issy-les-Moulineaux,
en région parisienne). Ils
savaient que, du point de vue
économique, l’intégration de
la prévention très en amont
permet d’éviter des modifica­
tions ultérieures coûteuses.
Par exemple, après analyse
sur plan des flux de matières,
Jean-Pierre Depay propose
d’augmenter le nombre de
monte-charges. En effet, « il n’y
24
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
avait qu’une batterie de montecharges pour tous les déplacements verticaux. Il fallait
pouvoir prévenir tout engorgement », précise-t-il. C’est
ainsi que de nouveaux montecharges sont ajoutés. En antici­
pant les inévitables pannes ou
dysfonctionnements du maté­
riel, il est possible de garantir
l’acheminement des produits,
tout en facilitant l’évacuation
des déchets engendrés par ces
activités.
L’équipe de conception a été
vigilante sur les manutentions
manuelles. Un canon à glace
a été installé au stand pois­
sonnerie. Cette proposition,
soutenue par la Cramif, a été
estimée à 30 000 euros pour
la machinerie, sans compter
les 10 m2 d’espace consa­
crés à son implantation. Un
réel effort quand chaque m2
compte. Un système de trans­
port à vis et une lance de pro­
jection acheminent les deux
tonnes de glace neuve dont
les poissonniers ont besoin
chaque jour pour installer leur
stand. « C’est la fin du pelletage
de centaines de kilos de glace
par jour. Nous avions observé
deux cas de lombalgies dans
d’autres magasins », rappelle
Jean-Pierre Depay. « Avec ce
système, on est passé de 1 h 30
à 25 min de temps de mise en
glace. On a nettement limité
la pénibilité du travail, ce qui
redonne aux poissonniers du
temps pour mieux se concentrer sur leur métier », souligne
Patrice Phélippeau. Interrogés,
les poissonniers remarquent
que, « aujourd’hui la glace ne
s’écoule pas très vite. Mais c’est
très bien quand ça marche ».
Après la phase de démar­
rage, le fonctionnement de
cet équipement innovant
a été optimisé et d’autres
magasins de l’enseigne ont
demandé son installation.
Adapter les principes
aux réalités du terrain
Un même soin a été apporté
à l’élimination des cartons. Un
poste de broyage par étage
limite leurs circulations ver­
ticales et réduit la mobilisa­
tion des monte-charges. On
épargne aussi le « transport
de vide » grâce au transfert
pneumatique des copeaux
d’emballages jusqu’à la benne
de compactage. Autre innova­
tion en matière de réduction
des manutentions : le poste
de rechargement des bat­
teries des chariots transpa­
lettes. Traditionnellement, le
chariot dont la batterie est en
cours de chargement doit être
immobilisé auprès du char­
geur. Dans le nouvel hyper­
marché, les engins électriques
ont été adaptés. Ils sont dotés
de batteries amovibles qui
sont facilement débranchées
et poussées par un système
de rolls et de rails jusqu’à un
ensemble de chargeurs. Ce
dispositif permet de mainte­
nir le parc de chariots en fonc­
tionnement. En effet, seule la
batterie est immobilisée, tan­
dis que le transpalette repart
avec une batterie pleine. Seule
limitation, les 6 000 euros
que coûte l’installation.
Néanmoins, l’équipe Auchan
a dû adapter certains points
de la charte. Ainsi, impos­
sible d’aménager un éclairage
naturel dans les laboratoires
de boucherie et boulangerie.
« On a trouvé une solution,
commente Jean-Pierre Depay.
Des baies vitrées s’ouvrent
d’un laboratoire sur l’autre
pour éviter l’impression de
local aveugle. » En revanche,
la plupart des préconisa­
tions concernant les quais
de déchargement (2) ont pu
être mises en œuvre : les trois
quais situés dans le bâtiment
au-dessus du second niveau
de parking ont été équipés
de niveleurs motorisés, de
butoirs de 50 cm et de guideroues. L’impossibilité de per­
forer la dalle béton a conduit
au choix d’un dispositif de
calage posé sur le sol. « On a
quand même essayé », indique
Patrice Phélippeau. Au final,
cette solution s’est révélée
décevante, mais il ne se décou­
rage pas : « Ce ne sont pas des
Prévenir plutôt que guérir
L
’approche de la prévention au moment de la conception
du nouvel hypermarché Auchan du Kremlin-Bicêtre
a permis de traiter un certain nombre de points :
• réduction des risques d’écrasement sur les quais
de chargement-déchargement ;
• réduction des manutentions de glace au rayon poissonnerie ;
• mise en place d’un sol antidérapant dans les laboratoires
et aires de vente alimentaires ;
• réduction des manutentions de déchets d’emballage ;
• création d’un local pour l’entreprise de nettoyage ;
• réduction des nuisances sonores par la mise en place
d’un traitement acoustique au plafond de la salle
de restaurant d’entreprise ;
• réduction de l’exposition à la poussière de farine dans
la boulangerie par la mise en place de pétrins à capots pleins.
Pour Auchan France, cette liste n’est pas limitative. L’entité
nationale suit de près les progrès de la technique et se met
à l’écoute des suggestions des contrôleurs de sécurité
des Carsat, CRAM et CGSS.
problèmes, mais des particularités avec lesquelles il faut
composer, et nous recherchons
d’autres solutions. ». Quant à
Jean-Pierre Depay, il estime
que « l’ensemble du travail de
conception a mis en évidence
des points forts qui pourront
être généralisés dans l’enseigne
et des points faibles comme le
choix des meubles qui reste à
améliorer ».
Du temps
pour la prévention
Avec un effectif de 500 salariés
dans cet hypermarché, Auchan
voulait rapidement développer
l’esprit d’équipe. Chaque sala­
rié a bénéficié d’une semaine
d’intégration avec un temps
consacré à la sécurité. Après
plusieurs mois de fonctionne­
ment, le directeur du site du
Kremlin-Bicêtre, Pierre-René
Tchoukriel, est satisfait des
conditions d’exploitation du
nouveau site. Il se souvient
des premiers jours après l’ou­
verture, qui ont montré les
limites des répétitions géné­
rales magasin fermé. Les sala­
riés n’étaient pas préparés à
tous les aléas liés à l’arrivée du
public. Une semaine après l’ou­
verture du magasin, les capaci­
tés de gestion des flux étaient
saturées, nécessitant un entre­
posage intermédiaire. Il a fallu
organiser des compléments
de formation, sensibiliser à
nouveau les salariés à la sécu­
rité et à l’usage des machines.
Pour faciliter les échanges
et les remontées du terrain,
Pierre-René Tchoukriel anime
des réunions régulières au
cours desquelles un repré­
sentant de chaque secteur ou
service fait part du vécu des
salariés au sein du magasin.
En outre, chaque matin, les
chefs d’équipe, quel que soit
le secteur, interrogent leurs
coolaborateurs sur les aspects
commerciaux et sur les petits
soucis quotidiens, appelés
« irritants ». À savoir un outil
manquant ou détérioré, une
panne de machine, un pro­
blème d’organisation… Bref,
tout ce qui entrave la bonne
marche de l’activité ou affecte
la sécurité est ainsi passé en
revue et inscrit sur un tableau
visible de tous. Les « irritants »
sont résolus par le chef de
rayon, en collaboration avec
le service de sécurité. Si le pro­
blème est structurel, l’informa­
tion remonte jusqu’au comité
directeur qui statuera.
Statistiquement, les « irri­
tants » les plus fréquents ont
trait à la gestion des matériels
de manutention. Pour PierreRené Tchoukriel, « une intervention immédiate, dès que
le problème surgit, procure un
meilleur confort de vie au travail pour les salariés. La création
du nouvel hyper était l’opportunité de créer des emplois dans
le secteur du Kremlin-Bicêtre.
Pour les fidéliser, il fallait créer
un cadre de travail agréable…
mettre le plaisir collectif au
travail ».
1. CNAMTS : Caisse nationale d’assurance
maladie des travailleurs salariés.
La charte, à l’état de projet pendant la
phase des travaux du nouvel hypermarché,
a été signée en janvier 2010. Ce texte est
disponible sur le site
www.risquesprofessionnels.ameli.fr
2. ED 6059. Conception et rénovation des
quais. INRS. À consulter et à télécharger
sur www.inrs.fr.
C. L.
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
25
Agrandissement
Quand souci de qualité et prévention se
Chez Pierrat,
dans les Vosges,
on est charcutier
de génération en
génération. Lorsque
Stéphanie Cunat-Pierrat
reprend les rennes de
la charcuterie familiale,
elle décide d’agrandir
le site de production
et d'en doubler
la surface. Un projet
qui a pris du temps
et où, depuis le sol
jusqu’au plafond,
tout a été pensé.
En termes de
production comme
en termes de
prévention des risques
professionnels.
L
a photo date de 1943. Elle
représente un gamin de
7 ans, hilare, portant un
chapelet de saucisses. Depuis,
cette image est devenue le
logo de l’entreprise Pierrat, une
charcuterie artisanale installée
dans les Vosges. 67 ans plus
tard, le gamin est toujours là,
il a juste grandi. C’est Gérard
Pierrat. Il a dirigé l’entreprise
jusqu’en 2006, puis a cédé
la place à sa fille, Stéphanie
Cunat-Pierrat. Il n’a certes plus
le même âge, mais semble
heureux de raconter l’histoire
de cette entreprise familiale.
Et surtout, de ses dernières
26
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
évolutions. Ou plutôt, de sa
grande révolution. Car la char­
cuterie vient de s’installer dans
de nouveaux locaux où tout,
dans ses moindres détails, a
été mûrement réfléchi…
Depuis 1985, l’entreprise
était implantée à Jussarupt,
un petit village des HautesVosges. Ces dernières années,
les locaux s’avèrent trop
exigus pour une activité en
pleine expansion et, surtout,
inadaptés pour répondre à la
réglementation en matière
d’installation classée. « Notre
premier souhait était de rester
sur place et de nous agrandir,
explique Stéphanie CunatPierrat. Mais rapidement, s’est
posé le problème important du
réseau d’assainissement dont
ne disposait pas la commune. »
S’ensuivent des années de
recherche. Six années durant
lesquelles la PDG, aidée d’un
cabinet d’ingénierie, Agropôle
Ingénierie, planche sur trois
projets. « Nous sommes allés
très loin à chaque fois, se rap­
pelle Stéphanie Cunat-Pierrat.
Nous avons associé des salariés,
pensé aux matières premières,
aux flux, à l’ergonomie, à la
chaîne du froid… Les salariés
étaient dans les starting blocks.
e rejoignent
© Vincent Grémillet pour l'INRS
Les locaux sont vastes
et un code couleur permet
de délimiter les zones.
Ici, le vert signifie qu'il s'agit
du conditionnement.
Et quand le troisième projet n’a
pas abouti, je me suis demandé
si je faisais un dernier essai
ou si j’arrêtais. » Arrêter, cela
signifiait cesser la recherche
de site et mettre un terme au
développement de l’activité.
Des zones identifiées
Finalement, les choses se
débloquent avec l’arrivée d’un
nouveau sous-préfet en 2008.
« Il s’est intéressé à notre problème et a rapidement réuni
autour d’une table toutes les
administrations. De notre côté,
nous venions de trouver le site
du Tholy et tout s’est enchaîné
rapidement », raconte la diri­
geante. Le projet avance vite,
même si les plans ont dû être
refaits 50 fois. Pendant un an,
Stéphanie Cunat-Pierrat sélec­
tionne une à une les entre­
prises qui vont participer à la
construction de son nouvel
outil de travail : « Mes critères ?
Compétence et proximité.
Au final, 75 % des entreprises
viennent du grand Est de la
France. »
En onze mois, le site de pro­
duction est sorti de terre, sur
la commune du Tholy, juste
à côté de la route la plus pas­
sante des Vosges. « C’était
un sacré challenge, remarque
Philippe Marceau, contrôleur
de sécurité de la Carsat NordEst. Car, vu l’hiver rigoureux
que nous avons eu, l’affaire
n’était pas gagnée. » Tout a
été longuement analysé par
une équipe pluridisciplinaire
du cabinet d’ingénierie, avant
le passage à la construction
proprement dite : « Nous
sommes multiprocess et multi­
produit, souligne Stéphanie
Cunat-Pierrat. C’est vrai que
c’est compliqué, mais c’est
aussi ce qui fait notre force :
nous avons réfléchi par famille
de produits et par flux, de personnel et de produits. » Avec,
en ligne de mire, la ferme
volonté d’obtenir la certifica­
tion IFS (International Food
Standard). « C’est une certification assez récente qui
reprend tous les critères les
plus exigeants des grandes
enseignes, ouvrant ainsi potentiellement un immense marché », explique Christophe
Ritter, associé fondateur de la
société Agropôle Ingénierie.
Plusieurs règles doivent ainsi
être respectées : la marche
en avant (du personnel et des
produits), pas de croisement
entre produits propres et sales,
séparation des produits crus
et cuits ainsi que des matières
sont en inox. « Pour ce qui est
des sols, il a fallu faire un compromis entre des critères antidérapants et de nettoyabilité,
explique Christophe Ritter.
Il fallait aussi qu’en certains
endroits ils résistent aux chocs
thermiques (l’eau qui coule au
sol peut atteindre 80 °C) et aux
chocs mécaniques… Au final, le
choix s’est porté sur deux types
de sols : des sols en résine à base
de polyuréthane dans les zones
de cuisson et pour le reste,
Pierrat en chiffres
• Date de création : 1892.
• Superficie du nouveau bâtiment : 3 600 m2 (l’ancien faisait
1 100 m2).
• Production : 1 500 tonnes de charcuterie par an ; à terme,
3 000 tonnes.
• Nombre de salariés : 40.
• Production : charcuterie traditionnelle des Vosges, saucisses,
boudins, saucissons, fuseaux lorrains, jambonneau, etc.
• Chiffre d'affaires : 6,1 millions d’euros.
• Débouchés : essentiellement en France, en grandes
et moyennes surfaces, chez des grossistes et, pour
une moindre part, chez les bouchers, restaurateurs.
premières et des produits finis.
Des zones ont été délimitées :
rouges pour la viande crue,
jaunes pour la production et
vertes pour le conditionne­
ment. Chaque salarié est muni
d’un badge lui permettant
d’accéder à certaines zones
et à certaines heures seule­
ment. Les cartons d’embal­
lage et palettes des matières
premières ne pénètrent pas
dans l’enceinte de l’usine.
Question d’hygiène. À chaque
zone de production ensuite ses
spécificités.
La plupart des murs et des pla­
fonds des zones de production
des sols en résine type époxy
monile. » « Sur l’ensemble
du site, rien que les sols ont
coûté 175 000 euros, précise le
contrôleur de sécurité. Ils ont
été choisis dans la liste recommandée par la CNAMTS. »
Toutes les eaux sont évacuées
par des goulottes et les résidus
de viande tombés au sol sont
récupérés dans des paniers.
« Cela constitue un premier
traitement, explique Jérôme
Magny, responsable de pro­
duction. On les vide tous les
jours. » Au plafond, des évapo­
rateurs permettent de réguler
la température entre 2 et 4 °C
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
27
Des aides
aux manutentions
La fabrication de saucisses
suit une autre voie : la viande
réceptionnée est découpée
et envoyée, dans
des bacs, en salle
de fragmentation.
Elle passe dans une
sorte de gros robot
ménager où la farce
est mélangée à des
épices, de l’eau et du
sel. Jusqu’à 50 types
de farces différentes
peuvent être fabri­
quées. Un salarié – le
pousseur – pousse
ensuite la farce
dans les boyaux,
un autre coupe les
saucisses à l’aide
d’une bague. Un sys­
tème très astucieux,
repéré par Philippe
Marceau. « Cela
évite les coupures et
permet aux opérateurs d’aller
très vite. » Il faut savoir qu’un
« pousseur » pousse entre 300
et 400 kg de farce par jour…
La Carsat Nord-Est a aidé à
l’achat de palans, basculeurs
ou élévateurs de cuves, à hau­
teur de 50 000 euros. Autant
de systèmes d’aides à la
manutention qui réduisent les
risques d’apparition de TMS ou
de lombalgies.
28
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
« Mais ce qui est le plus novateur chez Pierrat, remarque
Philippe Marceau, c’est le plénum pour la maintenance : un
système situé au-dessus de l’ensemble du site de production
et dans lequel passe l’ensemble
des installations techniques. »
C’est-à-dire les arrivées d’eau,
d’air comprimé, les pompes
à vide, les systèmes élec­
triques, les bacs de sciures, les
armoires de contrôle des tem­
pératures, etc. « Ainsi, les zones
de circulation piétonne des opé-
rateurs de production restent
dégagées, poursuit le contrô­
leur de sécurité. Cela évite les
risques de chutes de plain-pied
souvent dues à l’encombrement des sols. De plus, ces
salariés de production ne subissent plus le bruit généré par
Pour limiter les manutentions, la
plupart des postes sont équipés de
palans, basculeurs ou élévateurs de
cuves. Des installations qui ont pu se
faire grâce à l'aide financière de la
Carsat Nord-Est.
les installations techniques. »
Tout est en dehors des zones
de production et monté de
façon étanche. Le lieu n’est
accessible qu’à quelques per­
sonnes, dont le responsable de
maintenance. « Nous sommes
passés d’un système archaïque
à un système ultramoderne,
explique, enthousiaste, le res­
ponsable de production. Un
fourreau passe à travers le plafond et permet des interventions de maintenance en toute
sécurité. »
Même à l’extérieur,
Stéphanie CunatPierrat a le souci
du détail : elle a fait
recouvrir le toit d’une
bâche verte en PVC,
afin que le bâtiment
s’intègre au mieux
dans le paysage et
souhaite, à terme,
créer un parcours
pédagogique et un
verger de pommes
et pêches anciennes.
Mais tout cela a un
coût. Plus de 5 mil­
lions d’euros ont
été investis pour
créer cette nouvelle
unité de production.
Gérard Pierrat, avec
un brin d’admiration,
reconnaît que c’est le projet de
sa fille. Un projet qui, pour être
viable, devra voir la production
de charcuterie doubler en cinq
ans. Une page de l’histoire
Pierrat se tourne, même si
Gérard est toujours présent…
à travers le logo de l’entreprise.
© Vincent Grémillet pour l'INRS
en principe. Et pour fumer les
produits, trois générateurs de
fumée sont alimentés par de
la sciure qui provient d’une
scierie située… de l’autre côté
de la route départementale,
à quelques mètres de l’entre­
prise Pierrat.
L’environnement,
un engagement majeur
T
out, ou presque, a été conçu dans un souci de protection de
l’environnement. Ainsi, le froid est produit grâce
à un système d’eau glycolée, avec seulement 150 kg
d’ammoniac. Par ailleurs, un système de récupération
d’énergie permet d’être autonome en eau chaude
et en chauffage. Les eaux de toitures sont également
récupérées pour arroser les extérieurs.
1. Agropôle Ingénierie est un cabinet
d’ingénierie du bâtiment, spécialisé dans
l’agroalimentaire.
D. V.
Produits en béton
Vers une protection sur mesure
L'une des deux halles de
fabrication : l'intervention
en amont d'une équipe
pluridisciplinaire a permis
d'installer un pont roulant,
des baies vitrées à hauteur
d'homme, de traiter
acoustiquement les murs
et plafonds…
U
ne boîte en tôle. Voilà
ce que j’ai vu, sur plan,
en février 2005. »
Roland Riess, contrôleur de
sécurité à la Carsat RhôneAlpes, n’en démord pas : il
n’était pas question pour lui
de laisser passer en l’état le
projet de nouveau bâtiment
que lui avait présenté l’en­
être particulièrement persua­
sif. Car le résultat est loin, très
loin, d’une boîte en tôle... C’est
dans les années 1960 que l’en­
treprise Delta Préfabrication,
filiale du groupe Rampa (cf.
encadré page 31), s’installe à
Privas, en Ardèche. Profitant
de l’explosion du logement
collectif, elle y fabrique des
réalisé sur place, à l’extérieur,
quasiment dans les conditions
d’un chantier. Les équipes sont
exposées au vent, au froid ou
à la chaleur…car seulement
abritées par un toit coulissant.
« C’était très pratique, car cela
nous donnait beaucoup de
souplesse, poursuit Frédéric
Heyraud. D’autant que Delta
éléments en béton pour ces
constructions. « Un travail
répétitif et uniforme, explique
Frédéric Heyraud, directeur
technique. Mais, une fois que
ces logements collectifs ont été
achevés, le marché local s’est
tari et il a fallu réorienter notre
activité. Nous nous sommes
alors tournés vers des produits
sur mesure, de qualité, toujours
à base de béton. » Tout est
Préfabrication s’est spécialisée
dans les pièces en béton particulières, souvent hors normes
en ce qui concerne les dimensions. Avec cette organisation,
nous n’avions pas de problème
d’espace. »
Au début des années 2000, la
direction décide de construire
de
nouveaux
locaux .
Objectifs : améliorer les
conditions de travail, gagner
© Guillaume J. Plisson pour l'INRS
Dans la zone
industrielle du lac,
à Privas, en Ardèche,
deux grues permettent
de repérer de loin
la société Delta
Préfabrication.
Spécialisée dans
la préfabrication
de produits en béton
sur mesure, elle s’est
lancée, il y a quatre ans,
dans la réalisation
de nouveaux bâtiments
afin de donner
de meilleures
conditions de travail
à ses salariés.
treprise Delta Préfabrication,
spécialisée dans la préfabrica­
tion de produits en béton sur
mesure. « Aucun traitement
thermique ni acoustique n’était
prévu, et seules quelques
ouvertures placées très en hauteur laissaient passer la lumière
naturelle. » Trois ans après
l’achèvement des travaux, en
visitant les nouveaux locaux,
on se dit que Roland Riess a dû
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
29
en productivité, rendre plus
attrayant le métier et amélio­
rer l’image de la société visà-vis de la clientèle. « Nous
avons tout imaginé, raconte
Frédéric Heyraud : quitter l’Ardèche, se rapprocher de la vallée du Rhône. Puis nous nous
sommes dit que la qualité de
nos produits reposait essentiellement sur les hommes… et
nous n’avons pas voulu prendre
le risque que des salariés ne
nous suivent pas. » Donc les
nouveaux bâtiments seront
réalisés à Privas. Le terrain de
l’usine – qui n’appartenait
pas à la société – est acheté
et un préprojet voit le jour.… Le
fameux projet qui a fait réagir
le contrôleur de sécurité de
la Caisse régionale : « J’étais
effaré, ajoute-t-il. J’ai pris le
directeur à part, à la sortie de
la réunion, pour lui expliquer
que les risques n’étaient pas
bien pris en compte et qu’il fallait revoir la copie. » Le direc­
teur technique reconnaît,
a posteriori, qu’ils s’étaient
focalisés sur le produit et les
aspects techniques. Roland
Riess convainc la direction de
réunir architecte, ergonomes,
médecin du travail et deux
personnes des laboratoires
interrégionaux de chimie et de
physique. Parallèlement, une
enquête est menée auprès
des 50 salariés pour connaître
leurs attentes.
« Nous avons identifié les
points à améliorer, explique le
Dr Malika Chabanis, le méde­
cin du travail qui suit cette
entreprise : le bruit (de chocs,
des impulsions et lorsque l’on
fait vibrer le béton) ; la conception inadaptée des zones
30
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
© Guillaume J. Plisson pour l'INRS
Le béton est fabriqué à l'extérieur
des halles : il est repris par
une benne à béton qui se déplace
grâce à un pont roulant.
de travail ; les problèmes de
manutention et de troubles
musculosquelettiques ; la
luminosité et les conditions
climatiques. » L’étude menée
par le Centre interrégional de
mesures physiques conclut :
« Le nouveau bâtiment devra
être traité acoustiquement afin
de diminuer l’amplification des
bruits due au local, il devra
avoir des parties vitrées importantes et intégrer des protections solaires pour une bonne
uniformité de l’éclairement.
Enfin, il devra pouvoir être
ventilé naturellement avec des
ouvertures face au vent dominant. » Quelques mois après
le premier projet, la deuxième
mouture est adoptée par tous.
Il s’agit de deux halles de fabri­
cation jumelles, de 800 m2
chacune : disposées avec de
vastes ouvertures à l’Est, elles
mesurent chacune 40 mètres
de long sur 20 de large et 12
de haut. Elles sont équipées
chacune d’un pont roulant
qui permet de démouler et de
transporter des produits en
béton pouvant peser jusqu’à
10 tonnes. « On pensait avoir
vu large, remarque le directeur
technique, mais on vient de
remettre exceptionnellement
en fabrication des produits
dans d’anciens ateliers car ils
pèsent 15 tonnes et la capacité
des ponts roulants est insuffisante ! » Deux rangées de
baies vitrées sont disposées
sur la longueur de chaque
halle, à 1,40 mètre de haut,
à hauteur d’homme. « Au
départ, nous n’avions pas prévu
de mettre des baies vitrées
aussi bas, par peur de la casse »,
reconnaît le directeur tech­
nique. Après trois années d’ac­
tivité, seules deux vitres ont
été remplacées, à cause d’im­
pacts. « C’est très important,
l’éclairage naturel à hauteur
des yeux, remarque le méde­
cin du travail. Cela permet aux
salariés de se repérer dans le
temps et de voir également
l’activité à l’extérieur. » Et cela
facilite le nettoyage des vitres.
Des halles
tempérées
Le béton est réalisé dans une
centrale légèrement excen­
trée. Il arrive dans un chariot
convoyeur, directement à
l’intérieur des bâtiments. La
personne en charge du béton
– le bétonnier – gère son ache­
minement à l’aide de liaisons
radio et de caméras situées
sur le parcours du convoyeur.
Une fois arrivé à destination,
il est repris avec une benne à
béton et le pont roulant pour
être versé dans les moules.
Les murs des deux halles et
À l'extérieur des
bâtiments, les produits
sont acheminés à l'aide
de ponts roulants, puis
stockés sur des rateliers.
© Guillaume J. Plisson pour l'INRS
de faire de substan­
tielles économies.
« Auparavant, nous
chauffions le béton,
pendant les nuits d’hiver, avec de la vapeur
d’eau produite à l’aide
d’une chaudière à fuel.
Un procédé extrêmement gourmand
en énergie fossile »,
explique Frédéric
Heyraud. Le nouveau
système, qui fonctionne à
l’électricité, est plus économe.
Quand on interroge le direc­
teur technique sur la possi­
bilité de chauffage solaire, il
avoue ne pas y avoir pensé.
« Ou plutôt, trop tard, regrettet-il. On a loupé le coche. » Le
seul « loupé » de ces nouveaux
bâtiments, semble-t-il.
Philippe Tartare est respon­
sable des achats du magasin
et membre du CHSCT. « Ces
nouveaux bâtiments ont beaucoup amélioré les conditions
de travail, déclare-t-il. Je craignais un peu que les salariés
n’adhèrent pas immédiatement, car ils ont dû changer
beaucoup d’habitudes, mais
des plafonds ont été traités
acoustiquement avec du bar­
dage microperforé. « Les analyses du Centre interrégional
de mesures physiques et les
spécialistes de la Carsat nous
ont aidés dans le choix des
matériaux. Nous avons ainsi pu
diminuer le bruit d’une quinzaine de décibels », remarque
Frédéric Heyraud. « Les zones
les plus bruyantes – les ateliers
de fabrication – ont également
été séparées des zones moins
bruyantes – l’atelier de ferraillage) », poursuit le méde­
cin du travail. Cependant,
lorsque les salariés font vibrer
le béton, le bruit reste impor­
tant. « Impossible de traiter
totalement ce bruit, explique
le contrôleur de sécurité. Les
fréquences sont trop basses.
La seule solution trouvée à ce
jour est le port de bouchons
d’oreilles ou de casques. » Une
obligation qui semble bien
acceptée. Une fois les pro­
duits démoulés, ceux-ci sont
acheminés vers l’extérieur
grâce aux ponts roulants qui
peuvent sortir des bâtiments
jusqu’à une zone de stoc­
kage de produits équipée de
râteliers.
Du côté de l’air ambiant, les
nouvelles conditions de tra­
vail n’ont plus rien à voir avec
les anciennes. Les salariés tra­
vaillent désormais à l’abri, dans
des locaux chauffés en hiver
et aérés à l’aide d’un système
de claire-voies en été. Lors de
notre venue, la température
extérieure avoisinait les 35 °C.
« Vous avez remarqué : dès que
nous franchissons l’enceinte des
nouveaux bâtiments, l’air est
nettement plus frais et baisse
d’une dizaine de degrés par
rapport à l’extérieur », souligne
le médecin du travail. L’hiver,
l’installation d’un chauffage
rayonnant permet à la fois de
chauffer les locaux, de procé­
der à l’étuvage des bétons…et
Delta Préfabrication
en bref
• Filiale du groupe Rampa entreprises.
• Effectif : 54 personnes.
• Activité : préfabrication de produits dans toutes sortes de
béton, sur mesure et souvent hors normes dimensionnelles.
• Année d'installation à Privas : 1966.
• Nouveaux locaux mis en service en 2007 :
deux ateliers de fabrication, un atelier de coupe et de
façonnage d’acier, un atelier de façonnage des treillis soudés
et d’assemblage des armatures, après 15 mois de travaux.
• CA 2009 : 3,7 millions d'euros HT. au final, ils se sont rapidement
approprié les lieux et les nouvelles méthodes de travail. »
Une analyse que Didier Dupin,
responsable du laboratoire
et membre du CHSCT lors
des travaux, confirme aisé­
ment : « D’énormes progrès
ont été réalisés, remarque-t-il.
Les personnes qui travaillent
dans ces locaux sont désormais protégées des conditions
atmosphériques. Mais cela va
même au-delà : la qualité de
nos produits s’en trouve améliorée. » L’objectif du CHSCT
est maintenant de faire adop­
ter les mêmes méthodes de
travail dans d’autres halles et
de continuer à progresser…
comme sur le choix du maté­
riel de projection des huiles
de démoulage ou le passage
d’un bâtiment à l’autre. Le Dr
Malika Chabanis se montre
très satisfait du travail accom­
pli : « Pendant la phase de travaux, l’activité s’est poursuivie,
explique-t-elle. Les salariés
étaient très à l’étroit et les accidents du travail ont augmenté.
Mais avec les nouvelles installations, les accidents sont en
baisse. La Caisse régionale est
intervenue au bon moment.
Ni trop tôt, ni trop tard. » Un
sentiment partagé par Roland
Riess, qui mesure le chemin
parcouru : « Lorsque les travaux étaient presque achevés,
conclut-il, un salarié présent
depuis plusieurs dizaines d’années m’a dit : “Maintenant, je
pourrais sans hésiter proposer
à mon fils de venir travailler
ici.” ». Car on est loin de la
boîte en tôle de départ.
D. V.
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
31
Carrière
Les risques mis à distance
E
n plein cœur de la
campagne basque, à
quelques encablures du
village d’Arbouet-Sussaute,
dans les Pyrénées-Atlantiques,
est exploitée une des carrières
du groupe Durruty. Sous le
soleil de ce début d’été, la
structure est étincelante. Un
aspect plutôt inhabituel pour
une installation de ce type. Les
convoyeurs de carrière et les
unités bardées sont en général
projet de refonte de son pro­
cess de traitement des maté­
riaux. Objectif : moderniser les
installations en intégrant au
maximum la prévention des
risques professionnels dans la
conception de l’unité.
L’exploitation des carrières
est une activité industrielle
à risque. Même si de plus en
plus de tâches sont méca­
nisées et que l’intervention
humaine se situe désormais
triques, chutes ou glissades,
manutentions manuelles et
mécaniques fréquentes. Bien
qu’aucun accident grave n’ait
été déploré sur ce site, l’in­
tégration de la sécurité à la
conception des installations
faisait partie des préoccupa­
tions de la direction. Un réa­
ménagement de fond a donc
été réalisé. Toute la zone de
traitement des matériaux a
été déplacée sur le site, aux
couverts de terre et de pous­
sière dans un décor lunaire. Ici,
rien de cela. Depuis février, une
nouvelle unité de traitement
est en fonction­nement. La car­
rière de calcaire est exploitée
depuis 1982 et tournait depuis
cette date avec la même unité
de traitement. En 2008, l’entre­
prise, qui emploie une dizaine
de salariés, se lance dans un
plus au niveau des contrôles
que de la production, les taux
de fréquence et de gravité
des accidents du travail et des
maladies professionnelles res­
tent élevés. Le nettoyage et
la maintenance des installa­
tions constituent notamment
des opérations délicates, avec
exposition à différents types
de risques : mécaniques, élec­
abords de la zone d’extraction,
et les équipements neufs ont
été installés. Dans le cadre de
cet aménagement, toutes les
sources de risques à intégrer
lors de la conception de la
nouvelle unité ont été prises
en compte dans un cahier
des charges « risques profes­
sionnels » initialement pro­
duit par la Carsat Aquitaine
© Albert Pereira pour l'INRS
La carrière Durruty
située à ArbouetSussaute, dans les
Pyrénées-Atlantiques,
a fait l’objet d’un
réaménagement
de fond de ses
installations.
Opérationnelle depuis
février 2010, elle a
intégré à tous les
niveaux la protection
des salariés pour
des opérations
d’exploitation, mais
aussi de maintenance
et de nettoyage.
Cabine de contrôle délocalisée
et insonorisée (ici, à gauche),
convoyeurs réhaussés… de multiples
éléments ont été aménagés
pour améliorer les interventions
sur la chaîne de production mais
également pour les opérations
de maintenance et de nettoyage.
32
Travail & Sécurité­­– Novembre 2010
Sur le site, tous les passages
pour piétons ont été
réaménagés et protégés.
Concassage
Un poste était particu­
lièrement problématique
en termes de conditions de
travail : l’unité de concas­
sage. Il s’agit de la phase où
les matériaux sont broyés.
Trois broyeurs concassent les
pierres suivant différentes
granulométries. Or, par les
forces qu’elles exercent, ces
machines ont un fonctionne­
ment générateur de bruit, de
poussières et de vibrations. La
nécessité d’un contrôle per­
manent conduit à toujours
poster un salarié à cette étape
du process, l’exposant à tous
ces risques. Afin de revoir ce
poste sensible, les opérations
de contrôle ont été totalement
revues. Tout a été automatisé,
et l’opérateur « délocalisé ». Il
contrôle en effet désormais à
distance le fonctionnement
de l’unité, depuis une cabine
climatisée et insonorisée
construite à l’extérieur. « Sur
les anciennes statistiques à ce
poste, on constatait beaucoup
de cas de surdité liée à l’exposition au bruit et de lombalgies
résultant des vibrations. Ça a
toujours été un poste problématique du point de vue des
conditions de travail », pré­
sente Aurélien Cotelo, contrô­
convoyeurs », présente
Stéphanie Souillart, res­
ponsable prévention chez
Durruty. L’amélioration
des conditions d’interven­
tion en espace confiné
sur les convoyeurs a éga­
lement fait l’objet d'une
réflexion. Ces tapis, dont
la base est souterraine,
peuvent être une source
de risques lors de diffé­
rentes interventions. Ils
peuvent exposer en effet
à des risques d’entraînement
(doigts, membres), notam­
ment lorsque doît être réalisé
le nettoyage de tambours
ou de rouleaux, ou encore à
l’occasion du graissage, du
recentrage des bandes, etc. Les
dimensions du tunnel ont été
pensées pour permettre l’accès
des opérateurs et des moyens
de maintenance. Une sortie de
secours participant à une ven­
tilation naturelle de la zone a
été créée.
Enfin, la préservation du maté­
riel étant aussi une action de
prévention puisqu’elle réduit
les interventions de mainte­
nance, des aménagements
particuliers ont été réalisés : les
trémies ont été dotées de revê­
tements de caoutchouc pour
les préserver de l’usure tout en
atténuant les niveaux sonores
émis. Les convoyeurs ont éga­
lement été capotés afin de
limiter l’émission de pous­
sières sur le site. Cette nouvelle
installation fonctionne depuis
février dernier. Elle a coûté la
somme de 3,5 millions d’eu­
ros et a fait l’objet d’un contrat
de prévention avec la Carsat
Aquitaine.
C. R.
© Albert Pereira pour l'INRS
et fourni par l’entreprise
aux concepteurs en phase
projet : flux de circula­
tion de piétons, véhicules
et engins, accès au vide,
organes mécaniques en
mouvement, exposition à
des poussières, manuten­
tion de charges lourdes,
niveaux sonores élevés.
leur de sécurité à la Carsat
Aquitaine. Aujourd’hui, par cet
éloignement, l’opérateur est
soustrait aux risques.
De multiples autres aména­
gements ont été réalisés sur
les autres postes de la car­
rière. Sur le crible, qui trie les
matériaux en fonction de leur
taille, un accès sécurisé a été
installé pour permettre au
personnel d’accéder à l’inté­
rieur de la tête de crible lors
des opérations de nettoyage
ou de changement des grilles.
Celle-ci se recule grâce à des
rails, et deux plates-formes se
déplient à l’horizontale, proté­
geant les opérateurs de tout
risque de chute de hauteur. Un
système de graissage du crible
automatisé et déporté ainsi
que des équipements d’aide à
Pour en
savoir plus
• La sécurité dans les
carrières. Livret à usage
des salariés. ED799. INRS
À consulter et à télécharger
sur www.inrs.fr.
la manutention à demeure ont
également été mis en place.
« Cela évite des manutentions
et l’exposition du personnel lors
de l’intervention », poursuit
Aurélien Cotelo.
Tous les passages pour piétons
sont protégés et aménagés sur
le site. Des passerelles fixes
installées autour des installa­
tions sécurisent les accès et les
interventions des opérateurs
en phase production et en
phase maintenance. Des par­
kings distincts ont été délimi­
tés pour les différents types de
véhicules (légers, poids lourds,
gros engins, etc.). Les flux de
piétons, de véhicules et de gros
engins sont séparés pour évi­
ter tout risque d’écrasement.
Un dispositif d’arrosage du sol
est installé pour limiter l’émis­
sion de poussières.
Les convoyeurs qui ache­
minent les pierres ont été
réhaussés volontairement.
« Leur base est désormais à
un mètre du sol. Cette surélévation par rapport aux installations habituelles facilite les
opérations de maintenance
et de nettoyage en termes de
postures et sécurise la circulation des piétons autour des
Travail & Sécurité –
­­ Novembre 2010
33
Téléchargement