
Pigeard de Gurbert 
Colles 
 
 La matière est le fonds dunamique de la chose : non pas son être mais sa puissance d’être. 
Elle est l’hésitation devenue propriété ontologique. Les changements se font entre contraires, et 
la  matière  est  la  puissance  d’être  ces  contraires.  «Chez  tous  les  êtres,  en  effet,  qui  sont  dits 
pouvoir, le même être est puissance des contraires» (Méta., 1051a). La matière est ce réceptacle 
dunamique des contraires : «nécessairement, donc, la matière qui change doit être en puissance 
les deux contraires à la fois. Et puisque l’Etre a un double sens, tout changement s’effectue de 
l’Etre en  puissance à  l’Etre en acte, par exemple du blanc en puissance au blanc  en acte. De 
même  encore  pour  l’accroissement  et  le  décroissement.  Par  conséquent,  on  peut  dire,  non 
seulement que tout ce qui devient procède par accident du Non-Etre, mais aussi bien que tout 
procède de l’Etre, à la condition de l’entendre de l’Etre en puissance et non de l’Etre en acte» 
(1069b).  C’est  bien  la  notion  d’être  en  puissance  qui  permet  de  biaiser  avec  l’ultimatum 
parménidien.  
  Plus précisément, la matière se définit par sa puissance de pâtir : «le gras, par exemple, est 
combustible,  et  le  malléable-de-telle-façon,  compressible»  (1046a).  Si  la  forme  pure  est 
impassible, la forme engagée dans la matière est passible (De gén., 324b) : «en effet, il est de la 
nature de  la matière de  pâtir et d’être mue, tandis  que mouvoir et agir est  le  fait d’une autre 
puissance.  Cela  est  évident,  tant  pour  les  choses  qui  procèdent  de  l’art  que  pour  celles  qui 
procèdent de la nature» (335b). La puissance passive inhérente à la matière est conçue d’après le 
schème productif de la fabrication humaine : tel bloc de marbre a la puissance de recevoir telle 
forme  sous  l’action  du  sculpteur.  La  cause  matérielle  représente  la  chose  à  l’état  de  pure 
puissance. A ce titre, la matière est la condition nécessaire mais non suffisante des choses en 
tant que déterminées. «Il n’est pas suffisant, en effet, écrit Aristote dans les Parties des animaux, 
de dire de quoi tout cela est fait [...] ; si nous avions en effet à parler d’un lit ou d’un objet de ce 
genre, nous chercherions à déterminer sa forme plutôt que sa matière, airain ou bois [...] Car un 
lit, c’est telle chose dans telle matière, telle chose caractérisée de telle façon. Il faut donc parler 
de sa configuration. C’est-à-dire ce qu’est sa forme» (640b). 
 L’analyse de la cause matérielle appelle donc celle de la cause formelle, qui la prolonge et la 
complète. «J’appelle matière, écrit Aristote au livre de la Métaphysique, ce qui, n’étant pas un être 
déterminé en acte,  est,  en  puissance seulement, un  être déterminé»  (1042a). Si  la matière loge du 
côté  de  la  puissance,  la  forme,  elle,  est  acte.  Aristote  le  dit  dans  le  De  Anima  :  «la  matière  est 
puissance, la forme entéléchie» (412a). De même, on peut lire dans la  Métaphysique qu’il y a «deux 
sens de l’Etre, l’Etre qui est en entéléchie et l’Etre qui est en tant que matière» (1077a). La cause 
formelle répond à la question : à quoi la chose ressemble-t-elle ? Comme la détermination constitue 
le critère ontologique des choses, la cause formelle, en informant la matière, répond à la question : 
qu’est-ce  que  c’est  ?  Si  la  matière  constitue  le  fond  d’indétermination  des  choses,  la  forme  est 
dépositaire du «ce que  c’est» de  la  chose  : un  lit,  un  gouvernail, une  statue  d’Hermès. Matière  et