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Reflets de la Physique n° 43
4Science et société
1• D.E. Alexander, Natural Hazards 72 (2014) 1159-1173.
2• D. Giardini et al., “SHARE European Seismic Hazard Map, 10% Exceedance Probabilities in 50 years”,
doi 10.2777/30345, ISBN-13, 978-92-79-25148-1. Carte des risques sismiques : www.share-eu.org .
3• M. Campillo et Y. Nicolas, « La prévision des tremblements de terre : un dialogue à risque aux frontières de la science »,
Le temps des savoirs 2 (2000) 39-60.
Références
4
Recommandations de bonne conduite :
comité d’éthique du CNRS. www.cnrs.fr/comets/spip.php?article85
• En s’appuyant sur les chartes existantes, et pour chaque type de risque, des procédures
d’engagement dans l’expertise doivent être préparées en avance des situations de crise.
La communication est particulièrement difficile sur des phénomènes complexes dont l’évo-
lution requiert des approches probabilistes. Des porte-parole doivent être désignés, pré-
parés et formés pour cette tâche, car l’espace public démocratique requiert d’autres
règles et un autre registre que la discussion scientifique.
• L’exploitation des conclusions de l’expertise n’appartient pas à l’expert scientifique, mais au
décideur politique. Cela doit être précisé pour le public dans tous les éléments de communica-
tion. Les scientifiques n’ont pas à être solidaires des décisions prises à partir d’un
ensemble d’informations dont leur expertise n’est qu’un élément.
• L’expert conserve un pouvoir de contrôle sur le contenu de son expertise, qui ne doit pas
être dénaturé dans sa présentation au public. Hormis le droit de rectification, l’expert doit
bénéficier du régime général prévu par la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à
l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection
des lanceurs d’alerte. En application de l’article 2 de cette loi, il incombe également aux
organismes d’informer la Commission de déontologie instaurée par ce texte sur les actions qu’ils
entreprennent en matière d’expertise, et notamment sur les codes de déontologie qu’ils
mettent en place.
• Le contenu scientifique de l’expertise inclut un exposé des informations techniques et de l’état
de la connaissance. Ce contenu doit être rendu public rapidement. Les experts ne doivent
pas être aveugles vis-à-vis des débats d’opinion en cours dans la sphère publique. Dans les
problèmes d’aléas naturels, les conclusions scientifiques sont souvent entachées de fortes
incertitudes liées à la dynamique du système considéré. La communication doit tenter de
rendre cet état de fait compréhensible par tous.
ne satisfait pas aux conditions spécifiées
dans les chartes, et on peut imaginer une
situation comparable dans beaucoup de pays
sismiques. Il est néanmoins impossible pour
les scientifiques de décider individuellement
de ne pas répondre à des demandes de ce
type. On imagine bien que ceux qui auraient
refusé de participer à une telle réunion
suivie d’une catastrophe seraient à leur
tour accusés de ne pas avoir fourni en
temps utile les informations nécessaires.
Face à un risque imminent, les principes
exprimés dans les chartes générales sont
difficiles à prendre en compte, dans la
mesure où le commanditaire doit prendre
des décisions rapides alors qu’il n’y a pas
de réponse simple aux questions posées.
La pertinence d’une évaluation probabiliste
d’un niveau de risque peut sembler
contredite par les faits (occurrence d’un
événement de faible probabilité) pour un
public non préparé (cf. tableau 1). Il serait
rassurant de penser qu’il est possible de
démontrer qu’un avis s’est bien appuyé sur
une méthode scientifique rigoureuse.
Néanmoins, on peut légitimement craindre
que dans beaucoup de domaines liés aux
risques naturels, existent à la fois des incer-
titudes fondamentales et des controverses
qui animent le débat scientifique, dont la
communication est difficile. L’expertise
devra mettre au jour les méthodes et les
interprétations, même diverses, qui font
l’objet d’un consensus suffisant dans la
communauté scientifique. Ces controverses
nourrissent aussi dans l’espace public des
débats d’opinion, qui échappent aux pro-
cédés auxquels les scientifiques sont habi-
tués. C’est une dimension qui ne peut pas
être ignorée. Les scientifiques impliqués dans
ces expertises devront se préparer à voir la
forme d’autorité d’un savoir construit être
mise en doute par les convictions diverses
qui s’expriment dans l’espace public.
Les suites du débat juridique
Beaucoup de voix se sont élevées pour
attaquer le bien fondé des lourdes condam-
nations qui ont touché indifféremment
agents opérationnels et scientifiques présents
lors de la réunion incriminée, membres ou
non de la Commission des grands risques.
Nous ne commenterons pas des éléments
de ce procès, ni ceux du jugement en appel.
Au-delà des réactions que le jugement en
première instance a pu provoquer, les déci-
sions d’un juge européen, même discutées
en appel, ne peuvent pas être ignorées.
La question de la causalité entre l’action
de la commission et les conséquences fatales
du séisme ouvre des perspectives d’ordre
général. En particulier, l’interprétation
donnée par le juge conduit à s’interroger
sur l’existence d’une perception nouvelle du
statut de la communication scientifique et
des responsabilités du scientifique. Ce que
prétendrait ce jugement est que l’on pourrait
mourir d’un possible défaut de communi-
cation. Que celui qui communique « mal »
est donc directement responsable, parce
qu’on lui a donné un statut particulier,
même s’il ne l’a pas choisi. Que la causalité
serait là. Une telle interprétation donne
tout son poids au fait social, au détriment
du phénomène physique. En participant à
des processus d’expertise sur des sujets
avec de fortes implications sociales immé-
diates, les scientifiques doivent être
conscients qu’ils s’engagent sur un terrain
très éloigné de celui de leurs compétences
réelles, et où la pertinence scientifique ne
constitue pas une valeur en soi.
Conclusion
Les questions de communication consti-
tuent un élément critique et un enjeu
indissociable du processus d’expertise lui-
même : comment en effet communiquer
les représentations scientifiques d’un monde
complexe et incertain, en particulier les
évaluations probabilistes des risques ?
Même si les scientifiques sont généralement
exclus des jeux politiques et médiatiques,
ce qui est cohérent avec leur statut, ils
doivent rester vigilants sur les risques
d’instrumentalisation. Les chartes comme
celles du CNRS ou l’avis du COMETS
sont une ressource qu’ils doivent savoir
utiliser à bon escient pour à la fois main-
tenir leur propre intégrité et offrir à la
communauté les bénéfices des progrès de la
recherche.
Dans ce contexte, le COMETS a fait
une série de recommandations, dont nous
rappelons celles relatives à la bonne
conduite dans l’encadré ci-dessous. ❚