10 Antennae 2012, vol. 19, no 3 Bulletin de la Société d’entomologie du Québec
sous la loupe
Les faux-bourdons aux yeux bLancs, vous connaissez?1
par Pierre Giovenazzo
Lors de la rencontre apicole de l’Eastern Apicultural
Society qui a eu lieu à Burlington il y a quelques semai-
nes (du 15 au 19 août 2012), j’ai eu le plaisir de ren-
contrer l’apiculteur Jérémie Lussier (Miel R. Lussier, 4195,
rang des Soixante, Saint-Jean-Baptiste) et l’éleveuse de rei-
nes Marie-Ève Cyr (Château de Cyr, 557, rang des Quatorze,
Saint-Marc-sur-Richelieu) durant un atelier de formation sur
la génétique de l’abeille à miel. Au cours de l’atelier, Jérémie
avait une question très intéressante à poser au spécialiste
présent : « Que signie la présence de faux-bourdons aux
yeux blancs dans une colonie? ».
Vous en avez déjà vus des faux-bourdons aux yeux blancs?
Comparativement aux autres faux-bourdons, ils paraissent
plus gros, un peu plus trapus, leur vision est très faible,
mais pour le reste, ils sont comme les autres : « pachas de la
colonie » ayant pour but ultime la fécondation d’une jeune
reine.
Jérémie possède une colonie avec plusieurs de ces mâles.
Leur présence dans une colonie est intrigante et l’explication
est intéressante. Je désire donc partager avec vous un peu
d’information sur ces curieux mâles aux yeux blancs.
Les faux-bourdons sont « conçus » pour la reproduction. Ils
ont peu ou pas de caractéristiques fonctionnelles associées aux
différentes tâches accomplies par les ouvrières d’une colonie.
Par exemple, leur proboscis est petit, ils n’ont pas de glandes
cérifères, ni de glandes hyopharyngiennes et pas de structures
sur les pattes arrières pour la récolte du pollen. Par contre, les
caractéristiques associées à l’orientation, au vol et à l’accouple-
ment sont très développées chez les mâles. Comparativement
aux ouvrières, les muscles du vol sont beaucoup plus déve-
loppés, les antennes sont plus sensibles (10 fois plus de récep-
1. Ce texte a été publié dans le numéro d’automne 2012 de la revue L’Abeille de la Fédération des apiculteurs du Québec.
teurs olfactifs) et les yeux composés sont plus gros (30 % plus
de récepteurs visuels). Un faux-bourdon aux yeux-blancs a une
vision défectueuse, car il lui manque un pigment visuel.
Comme vous les savez, un mâle Apis mellifera est issu d’un
œuf non fécondé tandis qu’une femelle est issue d’un œuf
fécondé. Donc, les ouvrières et les reines possèdent deux
copies de tous les gènes de l’espèce A. mellifera (une copie
maternelle et une copie paternelle) tandis que les mâles pos-
sèdent une seule copie. Dans le jargon biologique, on dit que
les femelles sont diploïdes et que les mâles sont haploïdes.
Ce mode de détermination sexuelle se nomme « haplodiploï-
die » et il est commun chez les hyménoptères (abeilles, four-
mis et guêpes).
Selon certains spécialistes, la détermination sexuelle haplodi-
ploïde serait associée à l’évolution de l’eusocialité (la vie en
colonie avec différentes castes). Dans les colonies d’abeilles
mellifères, les mâles n’ont donc pas de père! Il n’y a que des
mères, des grands-mères et des grands-pères. Quel casse-
tête lorsque l’on désire mener un programme de sélection de
l’abeille domestique!
Revenons maintenant aux mâles aux yeux blancs. Norma-
lement les yeux de l’abeille domestique sont noirs, mais on
observe quelquefois la présence de mâles aux yeux blancs
dans une colonie. La coloration abdominale ainsi que d’autres
caractéristiques physiques peuvent varier entre les différents
mâles d’une colonie. Ces caractères sont le résultat de l’ex-
pression génétique propre à chaque individu de la colonie.
À gauche, un faux-bourdon aux yeux blancs et, à droite, un faux-
bourdon aux yeux noirs. Entre les deux, un faux bourdon avec une
coloration intermédiaire tan.
Au centre, un faux-bourdon aux yeux blancs sur un cadre avec des
ouvrières et, juste en-dessous, un autre faux-bourdon aux yeux noirs.
© Jérémie Lussier