Les transformations de l`Europe dans la première moitié du XIXe

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> Les transformations de
l’Europe dans la première
moitié du XIXe siècle
Séquence 10-HG20
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© Cned – Académie en ligne
Chapitre 1
Chapitre 2
> L’éveil des nations en Europe 1789-1848
..............................
A
Le choc de la Révolution française
B
L’Europe du congrès de Vienne ou le retour à l’ordre monarchique
C
Les contestations libérales et nationales
D
Deux vagues révolutionnaires contre l’ordre de Vienne
283
> Les transformations économiques et sociales
en Europe de 1800 à 1850
..............................................................................
A
L’industrialisation de l’Europe, un bouleversement inégal
B
Y a-t-il une nouvelle société à l’aube de l’âge industriel ?
C
Le nouvel enjeu essentiel : la « question sociale »
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L’éveil des nations
en Europe 1789-1848
Problématique : En quoi le nationalisme, dans la 1ère moitié du XIXe siècle est-il un outil
d’émancipation?
PLAN : traitement de la problématique
Introduction
Notions Clés
Repères
Nationalisme – patriotisme – xénophobie Connaître la situation de départ avec une
– légitimité monarchique.
carte de l’Europe au XVIIIe.
A - Le choc de la Révolution française
1. Nation et Révolution, de nouveaux Souveraineté nationale – principes révolutionprincipes
naires – droit des peuples à disposer d’euxmêmes – enclave
2. Des guerres de conquête sous la Guerre de conquête – antiabsolutisme
– « Patrie en danger » - élan patriotique
Révolution et l’Empire
– Valmy – Jemmapes – armée nationale
– Directoire – Loi Jourdan – Républiques
sœurs – Confédération du Rhin – États vassaux – Grande Nation.
3. Naissance des résistances nationales
Annexions – Blocus continental – guérilla.
B - L’Europe du congrès de Vienne ou le Réactionnaire – Metternich – conservateur
retour à l’ordre monarchique
– légitimité dynastique – politique d’équilibre
1. Le congrès de Vienne
européen – États tampons – zones d’influence
– Confédération germanique – nationalités
– fragmentation politique.
Pacte de Sainte Alliance – « union des prin2. L’ordre de la Sainte Alliance
ces » - droit divin – Quadruple Alliance.
Analyser la vision d’un allemand Goethe
sur la Révolution.
Apprécier les objectifs de la France
Révolutionnaire au début de la
guerre à travers un texte officiel de la
Convention.
Saisir l’importance des conquêtes révolutionnaires à travers une carte : « Les
Républiques sœurs ».
Constater le retournement de l’opinion
dans les pays occupés : déclaration de
Fichte.
Carte de la Confédération germanique
pour repérer les contradictions issues du
Congrès de Vienne.
Comprendre l’idéologie de la Sainte
Alliance à travers une correspondance
de Metternich.
C - Les contestations libérales et natio- Libéralisme politique – libéralisme écononales
mique – régimes représentatifs – monarchie
constitutionnelle – Constitution – Carbonari –
1. L’essor du libéralisme
démocrates – socialistes – question ouvrière.
2. L’enracinement du sentiment national Construction des identités nationales – romantisme – ferveur patriotique – pangerma- À travers une carte, comprendre le cas
nisme – Zollverein – Risorgimento – Mazzini original de l’empire d’Autriche comme
– « Jeune Italie » - « Jeune Europe » - Verdi État multinational.
3. Premiers accrocs à l’ordre de la Sainte – État multinational.
Alliance
Indépendance des colonies d’Amérique latine
– doctrine Monroe – Congrès d’Épidaure –
massacres de Chio – Missolonghi – Delacroix
– opinion publique – philhellénisme – Byron
– Navarin – principe des nationalités.
D - Deux vagues révolutionnaires contre « Trois Glorieuses » – indépendance belge
– catholique/protestant – État neutre – échec
l’ordre de Vienne
polonais – russification – répression
1. La vague libérale de 1830
Crise économique et sociale – Kossuth
2. « 1848 ou le Printemps des peuples » – indépendance/autonomie – Assemblée
Constituante – Assemblée ou Parlement
de Francfort – République/monarchie
– Statuto – « Grande Allemagne » / « Petite
Allemagne »
Explorer le cas d’une émancipation nationale libérale : la Constitution belge de
1831
Apprécier l’ampleur géographique de la
vague révolutionnaire de 1848 à travers
une carte de l’Europe.
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La période 1789-1848 est caractérisée notamment par la montée en puissance des revendications
nationales. Les peuples prennent conscience d’eux-mêmes et souhaitent former des unités politiques
(États) où le principe monarchique resterait secondaire. Dans la 1re moitié du XIXe siècle, ce nationalisme, qu’on appellerait plus tard plus simplement patriotisme, n’a encore rien de très agressif ou de
xénophobe comme ce sera le cas à la fin XIXe-début XXe.
Pour comprendre ce surgissement des peuples dans l’histoire européenne, il faut avoir en tête les effets
considérables de la Révolution française sur nos voisins européens. Elle a généré de 1792 à 1815 une
longue phase quasi ininterrompue de guerres en Europe. Le « continent » en ressort complètement
bouleversé. Les nouvelles idées se répandent, or en 1815 les vainqueurs de Napoléon 1er restaurent le
vieux principe de légitimité monarchique au congrès de Vienne. Ce choix, à contre-courant, va nourrir les
secousses politiques et nationales du premier XIXe avec des nationalités qui ont pris conscience d’ellesmêmes avec l’occupation française. De fait, au rythme de la France, deux grandes vagues révolutionnaires
secouent l’Europe, en 1830 puis en 1848, avec des résultats mitigés mais essentiels cependant.
Document 1 : L’Europe à la fin du XVIIIe siècle
Mer
du
Nord
Angleterre
Océan
Atlantique
N
Russie
France
Empire
Ottoman
Espagne
Mer
Méditerranée
500 km
Légende :
Limites du Saint Empire
romain germanique.
Possessions autrichiennes
Possessions prussiennes.
Source : cours CNED Histoire Seconde, éd.2004 page 232
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Questions :
1- Quelle est encore, à la fin du XVIIIe,, la puissance dominante en Europe ?
2- Dans quelle situation se trouve l’Europe orientale ?
3- Et l’Europe occidentale ?
4- Décrivez la situation politique de l’Allemagne et de l’Italie ?
Réponses :
1- La puissance dominante à la fin XVIIIe reste l’Empire d’Autriche, au cœur de l’Europe centrale, de la
Suisse à la Russie, et tenant quelques possessions excentrées comme les Pays-Bas et quelques États
italiens. De plus, il dispose encore du contrôle nominal du Saint Empire romain germanique !
2- L’Europe orientale est tout entière sous la tutelle de vastes Empires, russe au Nord, ottoman au Sud,
autrichien à l’Ouest.
3- Au contraire, l’Europe occidentale compte déjà quelques véritables États nations comme la France,
l’Espagne et dans une certaine mesure le Royaume-Uni qui en est une association avec tout de même
l’Irlande annexée.
4- Politiquement, ni l’Allemagne ni l’Italie n’existent. Leur espace est divisé en une multitude d’États
ou de principautés, 8 pour l’Italie, une quarantaine pour l’Allemagne du Saint Empire avec cependant
déjà un royaume dominant au Nord-Est, la Prusse.
A
Le choc de la Révolution française
!
Nation et Révolution, de nouveaux principes
La Révolution française par son ampleur, son dynamisme et sa fougue ne peut laisser indifférent. Dès
1789, les regards des Européens se tournent vers Paris et les premières réactions sont enthousiastes. La Révolution est synonyme d’espoir pour de nombreux Européens, plus spécialement les
intellectuels ; la France est perçue comme un modèle même si les monarques qui tiennent encore
les pays européens voudraient à tout prix contenir le tourbillon révolutionnaire français.
Document 2 : Les premières impressions de Goethe sur la Révolution française
« Qui pourrait nier qu’au premier rayon du nouveau soleil montant sur l’horizon lorsqu’on entendit parler
des droits communs à tous les hommes, de la liberté vivifiante et de l’égalité chérie, qui pourrait nier qu’il
n’ait senti son cœur s’élever et frappé de mouvements plus vitaux son sein plus libre ? Chacun alors espérait
jouir de son existence ; les chaînes qui assujettissaient tant de pays … semblaient se délier. Tous les peuples
opprimés ne tournaient-ils pas leurs regards vers la capitale du monde ? Titre glorieux que cette ville portait
depuis si longtemps avec justice et qu’elle n’avait plus mérité qu’à cette époque … La guerre commença, et
les Français en bataillons armés s’approchèrent, mais ils parurent apporter le don de l’amitié. L’effet répondit
d’abord à cette espérance ; tous avaient l’âme élevée ; ils plantèrent gaiement les arbres riant de la liberté,
nous promettant de ne pas envahir nos possessions ni le droit de nous régir nous-mêmes … »
Tiré de « Hermann et Dorothée » 1797 de Goethe
Traduction française par B.Lévy
Questions :
1- Recherchez qui était Goethe.
2- Quels sont les principes révolutionnaires que Goethe a retenus ? Dans quel document
officiel les retrouve-t-on ?
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3- Quelle ville désigne-t-il par l’expression « capitale du monde » ? Pourquoi mérite-t-elle
cette appellation ?
4- Quelle est selon lui l’attitude des Français ?
Réponses :
1- Wolfgang Johann Goethe (1749-1832) est né à Francfort et mort à Weimar. Il est issu d’une famille
de notables, ce qui lui permet de faire des études variées (droit, sciences et littérature). Il fait des séjours
assez prolongés dans plusieurs grandes villes (Leipzig, Strasbourg, et Weimar où il a des fonctions officielles auprès du Grand Duc) et un voyage en Italie. Son ouvrage Les Souffrances du jeune Werther de
1774 inspire les écrivains du XIXe siècle mais Faust est son œuvre la plus connue. Il a aussi publié en
1817 La campagne de France où il décrit fidèlement les opérations de Valmy auxquelles il a assisté.
2- Goethe retient les principes fondamentaux de 1789 à savoir la liberté : « liberté vivifiante », l’égalité :
« lorsqu’on entendit parler des droits communs à tous les hommes », « l’égalité chérie », la fin de l’arbitraire royal absolutiste : « Chacun alors espérait jouir de son existence ; les chaînes qui assujettissaient
tant de pays ». Tous ces principes sont bien évidemment contenus dans la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
3- Par l’expression « capitale du monde », Goethe désigne Paris ; c’est là en effet que se sont déroulés
les principaux événements révolutionnaires de 1789, ce qu’il assimile à une conquête des libertés.
4- Les Français, selon lui, ont encore une attitude amicale, ils veulent aider les peuples à se gouverner
par eux-mêmes : « La guerre commença, et les Français en bataillons, armés s’approchèrent,
mais ils parurent apporter le don de l’amitié ».
Comme Goethe le rappelle, la France révolutionnaire énonce et met en pratique de nouveaux
principes comme la souveraineté nationale, une nouvelle conception du droit international
fondée non plus sur les rapports de force, les guerres mais sur la coopération entre États. Il est vrai
qu’à ses débuts, la Révolution n’a rien d’agressif pour ses voisins, au contraire le 22 mai 1790 par
décret l’Assemblée Constituante se refuse officiellement à toute guerre de conquête et à
l’utilisation de la force contre un autre peuple.
Pourtant, la Révolution n’est pas sans semer l’inquiétude. Certains craignent sa contagion ; dès 1789
des soulèvements localisés avaient éclaté en Savoie, en Suisse et même aux Pays-Bas autrichiens.
L’impact considérable de la DDHC donne véritablement une portée universelle à la Révolution,
et les intellectuels comme Goethe se font le relais dans la diffusion de ces nouveaux principes de
liberté, d’égalité. Ces principes conduisent nécessairement les populations à réclamer leurs droits,
ce qui inquiète les monarques absolus aux frontières de la France, de plus en plus perçus comme des
« despotes illégitimes ».
La Révolution va plus loin en énonçant un autre principe fondamental : le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes et c’est en application de ce principe que la population d’Avignon vote son rattachement à la France en 1791 alors que c’était une enclave pontificale en territoire français. De même, en
1790, selon le même principe, la Révolution avait confirmé l’appartenance de l’Alsace à la France.
Les souverains étrangers qu’échauffe l’oreille malveillante des émigrés ne peuvent le percevoir que
comme une menace pour eux-mêmes. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes prime sur
l’obéissance due à un prince.
"
Des guerres de conquête sous la Révolution et
l’Empire
Le basculement dans la perception des Français en Révolution intervient peu après avril 1792 et
la déclaration de guerre à l’Autriche. Cette guerre a des résonances très anti-absolutistes, les
députés veulent en découdre avec les despotes européens et dévoiler le jeu trouble de Louis XVI. Sans
objectifs initiaux clairement définis, ce conflit ne pouvait que déraper.
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Déjà, avant même la déclaration de guerre, Robespierre, en opposant avisé, déclarait aux Jacobins
en janvier 1792 : « Personne n’aime les missionnaires armés ». Le risque était gros que la guerre,
conduite au nom de principes généreux, ne se transforma en guerres de conquête. C’est finalement ce
qui advint mais par étapes très progressives :
- une 1re étape est la coalition antifrançaise de 1792-94. La France connaît des revers militaires
puis se redresse une fois le pays déclaré « Patrie en danger » en juillet 1792. Un élan patriotique
parcourt le pays et les victoires arrivent, celle des volontaires à Valmy, en septembre 1792, contre
les Prussiens puis celle de Jemappes, de Dumouriez, contre les Autrichiens le mois suivant. Ce cycle
s’achève en 1794 avec la victoire de Fleurus, en juin. Dès lors, le territoire français n’est plus menacé.
Dans cette phase, l’action révolutionnaire est défensive ; il s’agit d’empêcher l’invasion de la
France par les troupes ennemies. C’est néanmoins essentiel pour l’histoire des peuples en Europe car
les Français créent un nouveau modèle d’armée : une armée nationale, de masse avec des
soldats qui se battent pour des idéaux politiques. La levée en masse d’août 1793 concernant
tous les hommes de 18 à 25 ans va en ce sens.
Document 3 : Décrets de la Convention, décembre 1792
Après les victoires de Valmy et Jemappes, les troupes révolutionnaires continuent leur progression et occupent
des territoires dans les Pays-Bas autrichiens et dans les principautés rhénanes où elles sont accueillies en
libératrices. La Convention se montre très vigilante :
« Article 1. Dans les pays qui sont ou seront occupés par les armées de la République, les généraux proclameront sur le champ, au nom de la Nation Française … l’abolition de la dîme, de la féodalité, des droits
seigneuriaux … de la servitude réelle et personnelle, des privilèges de chasse et de pêche, des corvées, de
la noblesse, et généralement de tous les privilèges.
Article 2. Ils annonceront au peuple qu’ils lui apportent paix, secours, fraternité et égalité et ils convoqueront
de suite des assemblées primaires ou communales pour créer et organiser une administration et une justice
provisoire. Ils veilleront à la sûreté des personnes et des propriétés, ils feront imprimer en langue ou idiome
du pays, afficher et exécuter sans délai, dans chaque commune, le présent décret … »
Questions :
1- À quoi fait référence l’article 1 ?
2- Quels sont les principes affirmés à l’article 2 ? Rappelez les articles de la DDHC concernés ?
Réponses :
1- L’article 1 fait référence à la nuit du 4 août 1789 où les privilèges ont été abolis.
2- Les principes affirmés sont ceux d’égalité, de liberté, mais aussi de sécurité et de protection des
personnes et de la propriété. Les articles de la DDHC qui correspondent sont les articles I, IV, XII et
XVII.
- une 2nde étape irait de 1795 à 1801, avec la fuite en avant du Directoire, confirmée par le
Consulat, où désormais les opérations de conquête ne se cachent plus. L’expansion révolutionnaire
est justifiée au nom des idéaux révolutionnaire comme la lutte contre l’absolutisme et l’on reprend le
mythe des frontières naturelles (Rhin, Alpes et Pyrénées) précédemment énoncé par Danton. Le bon
accueil fait dans un premier temps aux troupes françaises qui abolissent les privilèges, ne dure pas.
Le Directoire instaure, en 1797, la conscription (par la Loi Jourdan) et une série de Républiques
sœurs faisant tampon avec les souverains frontaliers :
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Document 4 : Les « Républiques sœurs » 1796-1799
11
N
A
B
4
France
C
2
D
3
7
5
Espagne
6
Mer
Méditerranée
300 km
Légende
Républiques sœurs
1 République batave
2 République cisalpine
3 République ligurienne
4 République helvétique
5 République romaine
6 République parthénopéenne (napolitaine)
7 République de Lucques
Territoires annexés
A Pays-Bas autrichiens
B Rhénanie
C Savoie (y compris Genève)
D Comté de Nice
- une 3e étape de 1803 à 1814 où la France napoléonienne reprend les guerres et redessine l’Europe en fonction de ses intérêts. Ainsi, en 1806, Napoléon fait-il disparaître le Saint Empire romain
germanique pour le remplacer par une Confédération du Rhin. Sa politique de conquête atteint son
apogée en 1811 avec une France à 130 départements et toute une série d’États vassaux (Espagne,
royaume de Naples, Westphalie …) confiés à des membres de sa famille. Cette conquête reprend les
vieilles justifications , la Grande Nation apportant le Code civil, l’abolition des droits seigneuriaux et des
privilèges, l’égalité de tous face à l’impôt, modernisant l’administration et la justice … On remarquera
paradoxalement que la recomposition politique de l’Europe par la Révolution comme par Napoléon tient
assez bien compte des nationalités en proposant des ensembles plutôt homogènes comme l’étaient les
« Républiques sœurs » ou la Confédération du Rhin, enfin détachée de sa tutelle autrichienne.
#
Naissance des résistances nationales
Les Français ont généré de la déception. D’abord perçus comme des libérateurs, bien vite ils l’ont été
comme des occupants car ils ont multiplié les exactions : réquisitions de tous ordres, conscription imposée, pillages, notamment des richesses artistiques italiennes, annexions pures et
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simples de territoires et localement ils ont conduit des opérations de répressions particulièrement féroces comme dans le Tyrol où aux pillages ils ont associé une terreur par élimination
d’« otages ».
À cela s’ajoute l’exaspération des milieux d’affaires avec le blocus continental qui asphyxie les
économies européennes et génère chômage et autres difficultés.
Partout, l’exaspération antifrançaise tourne à la rébellion et se développent des luttes armées contre
l’occupant français. Pour les populations occupées, définir leur nation et développer un nationalisme
comme en Espagne deviennent nécessaires à leur émancipation.
Le cas le plus spectaculaire eut lieu en Espagne en 1808 où un soulèvement éclate. Une guérilla
(des actions épisodiques et surprises d’embuscades) se développe qui oblige Napoléon à y fixer près
de 300 000 soldats sans pouvoir tenir le territoire pour autant. Ce soulèvement s’explique d’abord par
simple réflexe patriotique, par attachement à la dynastie des Bourbons chassée par Napoléon qui y a
placé un de ses frères, par des motivations religieuses où l’on en veut beaucoup à ce « barbare athée »
qu’est Napoléon. On ne s’étonnera pas que cette lutte ait été conduite par les élites traditionnelles du
clergé catholique et de l’armée espagnols. Ce combat inégal a été brillamment illustré par le peintre
Goya qui dans « Eltres de Mayo » en 1814 et dans diverses gravures a dénoncé la cruauté des troupes
napoléoniennes.
En « Italie » comme en « Allemagne », les populations retournent les idéaux révolutionnaires
contre les Français eux-mêmes, exigeant que soient respectées leurs liberté et souveraineté. En
Prusse, le sentiment antifrançais ne cesse de s’exacerber.
Document 5 : Fichte, Discours à la Nation allemande 1807
« Nous sommes des vaincus … Le combat avec les armes est fini ; et voici que va commencer le combat des
principes, des mœurs, des caractères. Donnons à nos hôtes le spectacle d’une amitié fidèle pour la patrie
… Ce sera le présent amical à nos hôtes pour emporter chez eux à leur retour, … Loin de nous la pensée
mauvaise d’exciter une guerre ou des dissensions intérieures : le plus sûr sera justement de continuer seuls
avec nous-mêmes, de n’avoir que des relations obligées ; chacun devra se contenter de ses relations familiales
et regarder comme une honte toute faveur de l’étranger ».
En 1813, Fichte termine son cours par ces phrases :
« Le cours sera donc suspendu jusqu’à la fin de la campagne. Nous le reprendrons dans notre patrie libre,
ou nous serons morts pour reconquérir notre liberté ».
Questions :
1- Qui était Fichte ?
2- Qui sont les « hôtes » dont parle Fichte ? Quelle attitude suggère-t-il vis-à-vis d’eux ?
3- Que désigne « une amitié fidèle pour la patrie » ?
Réponses :
1- J.G. Fichte 1762-1814 était un philosophe allemand originaire de Saxe. Il assure des cours à l’université
de Berlin, considérée comme un foyer de patriotisme allemand. Il est l’auteur de nombreux « Discours
à la Nation Allemande » où il exalte les qualités du peuple allemand et sa mission divine.
2- Les « hôtes » dont parle Fichte sont les conquérants français. Il suggère de se montrer unis face aux
occupants : « Donnons à nos hôtes le spectacle d’une amitié fidèle pour la patrie ».
3- Ce que Fichte désigne par « une amitié fidèle pour la patrie », c’est l’idée de patriotisme en faveur
de la « nation allemande ».
L’occupation française cesse avec les défaites finales de Napoléon après l’échec de son expédition
contre la Russie (1812) puis la défaite de Leipzig en 1813 et l’abdication de 1814. Son résultat est
néanmoins paradoxal car les révoltes antifrançaises ne signifient pas une volonté de retour à l’Ancien
Régime. Les acquis révolutionnaires dans les zones occupées par la France ont tout bouleversé … et
durablement.
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B
L’Europe du congrès de Vienne
ou le retour à l’ordre monarchique
!
Le congrès de Vienne
À Vienne, de novembre 1814 à juin 1815, se réunissent les vainqueurs de Napoléon ; ils se donnent
pour charge de « restaurer la civilisation » comprenez, dans un esprit réactionnaire de retour en
arrière d’effacer tous les effets de la Révolution française.
Seules 4 grandes puissances conduisent les débats guidés par les injonctions du chancelier d’Autriche, le prince de Metternich.
- le Royaume-Uni est représenté par son 1er ministre Castlereagh, partisan d’un équilibre entre puissances européennes et d’abord soucieux d’assurer la puissance économique, surtout commerciale
des Britanniques. Il entend conserver sa suprématie maritime.
- la Prusse est représentée par son roi, Frédéric Guillaume III qui veut faire de son royaume la
principale puissance allemande.
- la Russie est représentée par le tsar Alexandre 1er. En tant que vainqueur principal de Napoléon 1er,
il attend un surcroît d’influence, surtout dans les Balkans orthodoxes, ce qui le conduit droit à des
rivalités avec l’empire ottoman (non présent au Congrès).
- l’empire d’Autriche est représenté par Metternich, un homme profondément conservateur, hostile
à tout changement et prêt à utiliser la répression si nécessaire.
La France est représentée par Talleyrand ; représentant d’une puissance vaincue, il doit chercher à
en sauvegarder les intérêts.
Les principes qui guident les négociateurs sont simples :
- le respect absolu et sans condition de la légitimité dynastique, ce qui conduit à restaurer les
anciennes dynasties renversées pendant la Révolution et l’Empire, d’où la Restauration des Bourbons
en France en 1814 mais aussi en Espagne et dans le royaume de Naples ;
- une politique d’équilibre entre puissances européennes afin d’éviter la situation d’hégémonie
de l’une d’entre elles ;
- une méfiance gardée à l’encontre de la France dont on craint la volonté de puissance. Elle est
ramenée à ses frontières de 1791 avec paiement d’indemnités de guerre et elle doit subir
une occupation étrangère. Pour la contenir sont créés des États tampons, un peu l’inverse des
« Républiques sœurs », ainsi des Pays-Bas, du Piémont, de la Prusse, de la Suisse …
Ce congrès est l’expression d’une revanche face à la Révolution et les vainqueurs de 1814 procèdent à un redécoupage de l’Europe à leur profit. De manière générale, l’Europe est divisée en
zones d’influence : à la Russie, l’Est européen plus quelques gains territoriaux en Finlande
et les ¾ des territoires polonais ; à l’Autriche, une hégémonie en Europe centrale, quelques
gains dans les Balkans et quelques territoires italiens. La Prusse est désormais la puissance
dominante de la Confédération germanique qui succède à la Confédération du Rhin de Napoléon.
Quant à l’Angleterre, c’est la maîtrise des mers et l’octroi de bases stratégiques en Méditerranée
qui l’intéresse.
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Document 6 : La confédération germanique
R OYAUM E
D E P RUSSE
ROYAUME
DE
PRUSSE
BAVIÈRE
FRANCE
EMPIRE D'AUTRICHE
SUISSE
ÉTATS
ITALIENS
EMPIRE
OTTOMAN
Légende
Empire d’Autriche
Royaume de Prusse
Limite de la confédération
germanique
Vous remarquerez que désormais la Prusse est formée de 2 ensembles ; son noyau principal au NordEst de la Confédération et la Rhénanie à l’Ouest. Nécessairement, il faut faire le lien entre les deux
parties, ce qui est une base de départ pour la future unification allemande. La Prusse hérite, avec la
Rhénanie, du cœur industriel allemand, qui plus est proche de la France, ce qui lui permet de surveiller
son turbulent voisin…
L’un des enseignements fondamentaux de ce congrès est la non prise en compte des nationalités,
ainsi la Pologne, recréée par Napoléon, disparaît à nouveau dépecée entre la Russie pour l’essentiel,
la Prusse et l’Autriche. De même, les territoires belges ont été intégrés aux Pays-Bas néerlandais,
l’Autriche s’est appropriée la Lombardie (région de Milan) et la Vénétie (de Venise). On n’a pas
remédié à la fragmentation de l’Italie, toujours divisée en 8 États dont l’un occupé par l’Autriche,
pas plus qu’on a touché au morcellement allemand avec 39 États (royaume, principautés, villes
États …), de plus, la nouvelle Confédération germanique est placée sous la présidence de l’empereur
d’Autriche … Pour l’Italie, Metternich, ironique, affirmait qu’elle n’était qu’ « une simple expression
géographique » …
"
L’ordre de la Sainte Alliance
Le 26 septembre 1815 est signé le pacte de la Sainte Alliance entre les souverains de Russie (le
tsar), d’Autriche (l’empereur) et de Prusse (un roi). Ces souverains voudraient ancrer un ordre nouveau
basé sur « l’union des princes » donc selon une logique légitimiste antirévolutionnaire et sur
le christianisme. À de nombreuses reprises, ils prétendent vouloir défendre le christianisme : « conformément aux paroles des Saintes Écritures … » ; « protéger la religion, la paix et la justice » ; « que les
préceptes de cette Religion sainte » … Cela est pour le moins ambigu mais, chez ces princes, cela a une
signification claire à savoir que c’est le droit divin et lui uniquement qui assure la légitimité des
monarques et donc qu’en aucun cas la souveraineté nationale ne pourrait s’y substituer.
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Les Britanniques ne se sont associés à la Sainte Alliance qu’après. Par réflexe libéral, ils ont d’abord
pris leurs distances mais finalement ils entrent en novembre 1815 dans ce qui devient la Quadruple
Alliance.
La France finit par y trouver sa place : elle l’intègre en 1819, ce qui consacre son retour sur la scène
internationale.
Mis à part les Britanniques, et moindrement les Français avec leur Charte depuis 1814, tous les signataires sont profondément hostiles aux idées libérales. L’absolutisme monarchique triomphe mais la
Sainte Alliance va plus loin que le congrès de Vienne car elle se construit comme un système
d’entraide et admet le principe d’intervention dans un État voisin afin de prévenir ou de
stopper toute révolution.
Document 7 : Les principes conservateurs de Metternich
« La première et la plus grande des affaires, pour l’immense majorité de toute nation, c’est la fixité des
lois, leur action non interrompue, et nullement leur changement. Que les gouvernements maintiennent les
bases fondamentales de leurs institutions, qu’ils énoncent à la face de leurs peuples cette détermination
et qu’ils la démontrent par des faits … Qu’ils étouffent les sociétés secrètes, cette gangrène de la société.
Qu’enfin les grands monarques resserrent leur union et prouvent au monde que si elle existe, elle n’est que
bienfaisante, car cette union assure la paix politique de l’Europe ».
Metternich, « Lettre au tsar », 1821.
Questions :
1- Quelle doit être la tâche prioritaire des puissances pour maintenir l’ordre établi par le
congrès de Vienne ?
2- Quel moyen envisage Metternich pour atteindre ce but ?
Réponses :
1- Pour le chancelier Metternich, la tâche prioritaire est le maintien de l’ordre existant ; en cela il est
profondément conservateur : « fixité des lois … nullement leur changement » ; et il veut des gouvernements qui soient autoritaires : « Que les gouvernements … énoncent à la face de leurs peuples cette
détermination et qu’ils la démontrent par des faits … ».
2- Pour atteindre ce but, Metternich suggère une répression impitoyable : « Qu’ils étouffent les sociétés secrètes, cette gangrène de la société » allusion aux sociétés secrètes nationales ou libérales
comme les carbonari ou charbonniers en Italie, ainsi qu’une alliance renforcée entre les monarchies :
« Qu’enfin les grands monarques resserrent leur union ».
La Sainte Alliance cherche donc à coordonner les actions militaires des vainqueurs de 1814-1815 pour
lutter contre toute révolution en Europe.
Et les actes ne tardent guère : ainsi les étudiants allemands sont réprimés en 1821, qui depuis 1817
dénonçaient la domination autrichienne. En 1821 toujours, à Naples, l’absolutisme est restauré
et la Constitution précédemment accordée abolie.
Le plus insolite est l’action de la France, en Espagne, en 1823, où celle-ci, un peu contrainte, va
renverser, à la demande de la Sainte Alliance, les libéraux qui avaient imposé une constitution
au souverain espagnol.
Pour autant, cela n’enraye pas la montée des mouvements libéraux et nationaux. La Sainte Alliance
est bancale dès le départ. Ce pacte unit certes de grandes puissances mais leurs intérêts sont
divergents et elle est donc nécessairement appelée à se disloquer. C’est une alliance de circonstance.
De plus, elle ne pouvait qu’échouer car son pacte fondateur allait contre les évolutions profondes
que connaissent les sociétés européennes (en tout cas à l’Ouest) à savoir la montée des aspirations
nationales et libérales. Aussi, pour durer, la Sainte Alliance n’avait-elle plus comme unique recours que
la force ! On remarquera par ailleurs que cette Restauration s’appuie sur des élites traditionnelles,
noblesse, clergé, dont l’influence ne cesse de décroître …
292
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C
Les contestations libérales et nationales
!
L’essor du libéralisme
Le libéralisme n’est pas une nouveauté au XIXe siècle ; cette idéologie est née au siècle précédent.
Elle trouve son origine au Royaume-Uni et a été largement diffusée dans certains de ces aspects
lors de la Révolution française.
On distinguera, même si à l’époque on a tendance à les lier systématiquement libéralisme, politique
et libéralisme économique.
LE LIBÉRALISME POLITIQUE accorde la priorité à l’individu dans la société et il affirme que cet
individu face à l’État et dans la société dispose de libertés et de droits fondamentaux (liberté de
conscience, de culte, d’expression, de réunion …). Aussi voit-il très négativement les sociétés d’Ancien
Régime qui enferment les individus dans des ordres auxquels sont associés des privilèges. Cela contrevient à l’idée d’égalité en droits des individus.
Pour les libéraux, la société composée d’individus libres est la seule source de souveraineté
politique aussi sont-ils partisans des régimes représentatifs, et plutôt de la monarchie constitutionnelle que de la République. La souveraineté nationale implique donc la rédaction d’une
Constitution pour que les pouvoirs soient séparés et les intérêts des individus protégés.
LE LIBÉRALISME ÉCONOMIQUE est la croyance en l’initiative privée et en l’économie de marché.
Dans cette conception de l’économie, l’État n’a qu’un rôle limité de régulateur, d’abord par les lois en
garantissant le droit de propriété et l’ordre public. Il doit limiter son intervention dans l’économie, celle-ci
se régulant spontanément par la loi de l’offre et de la demande et par le recours au libre échange …
Dans la première moitié du XIXe, le lien entre ces deux libéralismes commence à se distendre.
Les libéraux forment le principal courant de contestation politique début XIXe ; ils s’opposent
à l’absolutisme monarchique et au légitimisme prôné par le congrès de Vienne. Dans leur quête des
libertés, ils ont tendance à soutenir la lutte en faveur des nationalités bafouées comme Polonais, Belges,
Allemands …
En dehors de l’Angleterre et de la France de la Restauration, leur action est limitée puisqu’ils sont
encore confinés à la clandestinité des sociétés secrètes comme les carbonari à Naples. Ils se font
entendre en menant quelques insurrections ou des actions violentes mais spectaculaires ; cela n’empêche
pas leur relatif échec dans les années 1815-1830 sauf en Espagne jusqu’en 1823.
La plupart des milieux sociaux aisés sont représentés chez les libéraux : on y trouve beaucoup d’intellectuels, d’universitaires, des étudiants, des journalistes et même des artistes …
L’impact du libéralisme a été variable en Europe dans la 1re moitié du XIXe ; cela s’explique par
la nature différenciée des sociétés européennes de l’époque : en Occident (Royaume-Uni, France,
Allemagne, Belgique …), l’industrialisation est entamée et l’idéologie libérale correspond aux attentes
et aux intérêts de la nouvelle classe sociale montante, la bourgeoisie. En revanche, en Europe orientale
et méditerranéenne, encore très rurale, les élites traditionnelles (aristocratie, clergé …) tiennent encore
le haut du pavé.
Au fil du XIXe, les libéraux ont dû faire face à une double opposition, celle des « légitimistes »
et autres réactionnaires, et celle des courants « démocrates » et socialistes qui accroissent
leur audience. Ces derniers reprochent aux libéraux d’ignorer le principal enjeu de leur époque,
l’émergence de la question ouvrière, et de ne rien proposer pour lutter contre la paupérisation.
De plus, ils rappellent les contradictions des libéraux, à savoir qu’ils vantent l’égalité en droits
de tous mais tolèrent et légitiment les inégalités sociales, et acceptent le suffrage censitaire contre le
suffrage universel (masculin).
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"
L’enracinement du sentiment national
La 1re moitié du XIXe correspond à l’époque de la construction de nombreuses identités nationales par la culture. Les élites des nationalités non reconnues créent un patrimoine culturel commun
pour que chacun puisse s’identifier à une nation.
Cette construction est favorisée par la vague romantique qui balaie cette époque ; ce courant artistique, en réaction au néo-classicisme rationnel des Lumières, valorise le rêve, l’imagination, l’émotion,
les sentiments et redécouvre le Moyen Âge. Chaque nation part à la recherche de ses héritages,
de sa langue, de « l’âme du peuple » comme on aimait à le dire.
De fait, les recherches historiques se multiplient ainsi en Allemagne où l’on redécouvre un passé commun, le Moyen Âge, on compile les légendes. L’art est aussi mobilisé sous toutes ses formes : musiques
traditionnelles, peinture, poésie …
Cette entreprise de réhabilitation du peuple et de son passé nourrit une véritable ferveur
patriotique que le Romantisme permet d’exprimer. Désormais, l’identité nationale correspond
à des contours plus clairs (quoique relatifs) : c’est un territoire, une langue, des traditions, une religion,
un État … Chacun, dès lors, peut dire qui il est.
Prenons l’exemple tchèque. À l’époque, ce n’est qu’une province de l’empire autrichien. Ce n’est
qu’à partir de 1824 que la langue tchèque est de nouveau employée à l’écrit par le poète Kollar, une
dizaine d’années après la publication des travaux du philologue Dobrovsky dont l’ouvrage Grammaire
scientifique du Tchèque avait fait date. En 1838, l’historien Palacky écrit une histoire nationale : Histoire
de la Bohême …
Les aspirations nationales varient dans leur expression selon le contexte où elles sont placées.
On peut recenser quatre cas :
1. Des nationalités à la recherche de leur unité territoriale ; cette situation se produit quand une
nationalité est répartie sur plusieurs États.
Les Allemands et les Italiens sont dans cette configuration.
Les Allemands mettent en avant la notion de pangermanisme pour nourrir leur aspiration à l’unité.
Le pangermanisme correspond à la volonté d’unir dans un même et seul État toutes les populations de
langue et de culture allemande. Après 1830, ce nationalisme est plus pragmatique et emprunte
la voie économique ; c’est le Zollverein ou union douanière des États Allemands du Sud et du
Centre. On repère là nettement l’influence des libéraux qui pensent que par la solidarité économique
et commerciale viendra la volonté d’unification politique.
Les Italiens se mobilisent autour de l’idée d’un « Risorgimento » c’est-à-dire d’un réveil national, ou
renaissance, pour construire leur unité ; cependant ce mot d’ordre cache mal leurs divisions entre républicains et monarchistes, entre partisans de l’action armée et violente, et partisans de la diplomatie.
Parmi ces nationalistes, on rappellera la figure du républicain Mazzini qui, de son exil en Suisse, crée le
mouvement « Jeune Italie » en 1831, puis « Jeune Europe » en 1834, mais aussi et plus insolite, le
compositeur Verdi qui a écrit de nombreux « opéras patriotiques » repris et chantés par les Italiens
eux-mêmes.
2. Des nationalités sous tutelle d’une autre et qui aspirent à leur indépendance ; c’est le cas
des Irlandais par rapport aux Britanniques, des Polonais principalement occupés par les Russes …
3. Des nationalités à la religion différente de celle proclamée par leur État, ainsi des populations
chrétiennes orthodoxes (Bulgares, Serbes, Grecs, Roumains …) sous occupation ottomane
(turque) musulmane. En ce cas, leur nationalisme aura une forte tonalité religieuse.
4. Un cas original, celui d’un empire autoritaire multinational (qui a plusieurs peuples ou nations).
Au temps de Metternich, l’empire d’Autriche est confronté à la difficile gestion de sa diversité et à
la montée de la contestation des Slaves (Tchèques, Slovaques, Slovène, Croates) face aux deux nations
les plus nombreuses : Allemands et Hongrois.
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Document 8 : Les peuples dans l’empire d’Autriche
ALLEMANDS
PRAGUE
POLONAIS
RUTHÈNES
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CRACOVIE
M
MO
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CH
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TA LI E N S
ROUMAINS
TRIESTE
VENISE
VENISE
C R O AT
A ES
D A L MAT
M AT E S
Mer Adriatique
100 km
Les plus nombreux : Allemands, Hongrois (Magyars)
Les Slaves du Nord : Tchèques, Polonais, Moraves, Slovaques, Ruthènes.
Les Slaves du sud : Croates, Slovènes, Dalmates
#
Premiers accrocs à l’ordre de la Sainte Alliance
Cela correspond à deux moments :
• Entre 1816 et 1820, la plupart des colonies d’Amérique latine sous domination espagnole
et portugaise pour le Brésil, acquièrent leur indépendance en la proclamant. L’Espagne entend
récupérer ses colonies et doit faire face à l’opposition des États-Unis qui, selon la doctrine Monroe de
1823, ne veulent plus voir les Européens se mêler des affaires américaines, et à la réserve de la Grande
Bretagne, membre de la Sainte Alliance, qui n’y tient guère car elle veut, elle, favoriser son commerce
avec ces nouveaux États sud-américains.
• Surtout, dès 1821, les Grecs entament leur soulèvement national contre quatre siècles d’occupation
ottomane. En janvier 1822, au congrès d’Épidaure, les Grecs proclament même leur indépendance.
Débute alors une guerre longue et féroce où le combat est trop inégal ; les troupes turques et égyptiennes écrasent les Grecs et commettent de nombreuses atrocités comme les massacres de Chio
ou Scio, en 1822 qui font plus de 23 000 morts, les survivants, femmes et enfants principalement, étant
réduits en esclavage. Les mêmes atrocités se répètent à Missolonghi en 1824.
Ces événements, relayés par des artistes comme le peintre Delacroix, suscite, émotion et colère
dans les opinions publiques française, anglaise, et aussi russe par solidarité orthodoxe.
Les Grecs ont conscience de former une nationalité construite sur leur histoire, et notamment l’époque
brillante de l’Antiquité, sur la langue grecque et sur la religion chrétienne orthodoxe.
Ils auraient été défaits militairement si les puissances européennes ne s’étaient pas mêlées de ce
conflit. Un puissant mouvement philhellène (pro grec) se développe en Occident chez les intellectuels, comme Chateaubriand qui en appelle à la solidarité entre chrétiens, les artistes comme le
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peintre Delacroix, ou le poète anglais Byron qui s’engage mais meurt de fièvre en 1824 et qui écrivit
pour mobiliser la jeunesse européenne : « Ne réveille point la Grèce. Elle est réveillée ; réveille-toi toimême ! ». De nombreux volontaires sont partis combattre à titre personnel aux côtés des Grecs. Les
autorités politiques relaient assez vite cette indignation pour d’autres raisons, le tsar voulant manifester sa solidarité avec ces orthodoxes soumis, et dégager pour la Russie une zone d’influence dans les
Balkans, au détriment des Ottomans.
Après de multiples hésitations, la Russie, la Grande-Bretagne et la France décident d’une
intervention militaire navale ; elles envoient une flotte qui vainc, en 1827, à la bataille de
Navarin, les forces turques.
C’est un tournant décisif car, en 1829, les Grecs obtiennent leur indépendance par le traité d’Andrinople. C’est la première indépendance accordée en Europe selon le principe des nationalités.
Pour la Sainte Alliance, c’est presque un acte de décès puisque trois de ses membres éminents sont intervenus contre les principes qui la fondent à savoir, notamment, le respect du
souverain légitime, ici ottoman.
D
Deux vagues révolutionnaires
contre l’ordre de Vienne
!
La vague libérale de 1830
À nouveau, la secousse révolutionnaire française des « Trois Glorieuses » de 1830 a un écho à
l’échelle de l’Europe. Des soulèvements éclatent, ici et là, avec un aboutissement très inégal :
• en BELGIQUE,
Le 25 août 1830 la population de Bruxelles se soulève contre les Néerlandais et oblige les
troupes hollandaises à quitter la ville. En effet, les nationalistes belges n’ont jamais accepté leur
rattachement forcé, en 1814, aux Pays-Bas néerlandais, et, de plus, la plupart d’entre eux sont
catholiques et n’acceptent pas d’avoir comme souverain le roi de Hollande, un protestant.
Dès les soldats hollandais chassés, un gouvernement provisoire est constitué et l’indépendance
ensuite proclamée (le 4 octobre 1830).
Pour trouver une solution diplomatique à la question belge, une conférence internationale se tient
à Londres où les Anglais, favorables à cette indépendance, veulent contrer une trop grande puissance
que pourraient acquérir les Français en avalant tout ou partie de la Belgique. Cette conférence débouche sur la reconnaissance officielle de l’indépendance de la Belgique, en décembre 1830. La
Belgique est déclarée neutre en 1831 ; elle a le régime d’une monarchie constitutionnelle et
une Constitution parmi les plus libérales qui soient en Europe à cette époque, autrement dit
tout pour plaire aux libéraux :
Document 9 : Extraits de la Constitution de la Belgique votée le 7 février 1831
Article 6 – Il n’y a dans l’État aucune distinction
d’ordre. Les Belges sont égaux devant la loi. […]
Article 7 – La liberté individuelle est garantie. Nul
ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par
la loi, et dans la forme qu’elle prescrit. […]
Article 10 – Le domicile est inviolable. […]
Article 13 – La mort civile est abolie ; elle ne peut
être rétablie.
Article 14 – La liberté des cultes […] ainsi que la
liberté de manifester ses opinions en toute manière,
sont garanties. […]
Article 17 – L’enseignement est libre. […]
Article 18 – La presse est libre ; la censure ne
pourra jamais être établie. […]
Article 20 – Les Belges ont le droit de s’associer.
[…]
Article 25 – Tous les pouvoirs émanent de la
nation. Ils sont exercés de la manière établie par
la Constitution. […]
Article 43 – La chambre des représentants se
compose de députés élus directement par les
citoyens payant le cens prévu par la loi. […]
Article 53 – Les membres du sénat sont élus à
raison de la population de chaque province.
Article 63 – La personne du roi est inviolable ; ses
ministres sont responsables.
« Ministre des Affaires Étrangères », Bruxelles, 1978.
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Questions :
1- Quel pays et quel événement ont servi de référence pour rédiger cette Constitution ?
2- Quelle valeur est mise en avant ?
3- Comment, en quelques mots, pourriez-vous qualifier la nature du régime politique mis en
place ici ?
Réponses :
1- Bien sûr, c’est la France et sa Révolution de 1789 qui servent de référence, avec le texte fondateur,
de la DDHC du 26 août 1789.
2- La liberté est la valeur par excellence de cette Constitution ; elle est évoquée dans les articles 7, 10,
13, 14, 17, 18,20 !
3- Le régime que met en place cette Constitution est une monarchie (article 63) constitutionnelle (article
25) à suffrage censitaire (article 43).
• en POLOGNE,
Rappelons la situation polonaise : le pays a été dépecé en 1814 et les Polonais se trouvent au
trois quarts sous occupation russe ; une marge Sud, autour de Cracovie, est sous domination
autrichienne tandis que les Prussiens se sont attribué l’Ouest.
À l’imitation des Belges, les Polonais se soulèvent le 29 novembre 1830 contre le tsar et proclament
leur indépendance en janvier 1831. Là aussi, comme en Grèce dans les années 20, les opinions publiques occidentales s’émeuvent du sort des Polonais. Pourtant les puissances occidentales, britannique
et française n’interviennent pas. C’est trop loin et il ne faudrait pas froisser la principale puissance de
la région : la Russie. L’armée russe entreprend l’écrasement méthodique des Polonais ; dès le 7
septembre 1831, Varsovie est reprise. S’ensuit une répression terrible contre les Polonais dont
les élites sont persécutées : l’Église catholique est surveillée, les universités fermées, de nombreux
artistes et intellectuels sont contraints à l’exil, comme le compositeur et pianiste Chopin. En plus,
la Pologne subit une intense politique de russification : on interdit aux Polonais de parler leur
propre langue.
Cet échec est cependant prévisible car le mouvement libéral n’a guère d’écho dans la société polonaise.
Il s’agit d’une de ces régions d’Europe orientale où les élites traditionnelles dominent, l’aristocratie
foncière notamment, et ne souhaitent guère voir émerger un État libéral.
• en ITALIE et en ALLEMAGNE,
Là, les soulèvements sont de bien moindre ampleur et sont vite réprimés. En 1831, en Italie, les
carbonari se soulèvent à Parme et dans les États du pape. En 1832, ce sont à nouveau des étudiants
qui manifestent en Allemagne, revendiquant l’unité allemande et l’adoption d’une Constitution. C’est
un échec : l’ordre de 1815 tient encore et Metternich se charge de la répression.
En 1833, on assiste même à un essai de verrouillage de la Sainte Alliance avec la signature
d’un pacte d’alliance entre le tsar, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse pour secourir tout
souverain qui serait renversé ou qui demanderait de l’aide pour lutter contre un soulèvement libéral
ou national.
"
« 1848 ou le Printemps des peuples »
À nouveau, la France sert de modèle et c’est principalement l’onde de choc de la Révolution
de 1848 qui secoue les nations européennes.
Là aussi, le contexte économique morose a grandement contribué à la flambée de 1848 ; la crise
économique est en fait européenne, marquée par l’inflation et une forte hausse du chômage.
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Les Révolutions de 1848 ont des tonalités différentes selon les pays, plus libérales là, plus nationales
ailleurs. 1848 marque tout de même une nouvelle donne internationale au sens où c’est un moment
d’affaiblissement de l’Autriche.
Document 10 : Le printemps des Peuples 1848-1849
Berlin
Leipzig
Paris
février 1848
Francfort
*
*
Prague
(Tchèques)
Munich
*
*
*
Pologne
prussienne
Vienne
mars 1848
*
(Hongrois)
Milan
Turin
*
(Italiens)
*Venise
*Ferrare
*
TOSCANE
*
*Budapest
*
Transylvanie
(Roumains)
Zagreb
(Croates)
Florence
400 km
Rome
Départs et diffusion
des mouvements révolutionnaires
Centres révolutionnaires en Italie
*
Centres révolutionnaires en Autriche
et dans la Confédération germanique
Royaume de Prusse
Empire d'Autriche
France
• Les ÉVÉNEMENTS
L’empire d’AUTRICHE est le premier touché par la vague révolutionnaire, avec des émeutes
à Vienne, dès mars 1848. La révolte gagne Budapest où les Hongrois, dirigés par Petôfi et
Kossuth, proclament leur indépendance, en septembre 1848, puis elle gagne Prague où les
Tchèques, eux, proclament leur autonomie. L’empire d’Autriche est menacé d’éclatement. Dès les
émeutes de Vienne, le vieux chancelier autoritaire Metternich prend la fuite ; l’empereur, en position
de faiblesse, promet une Constitution et la convocation d’une assemblée constituante. Il est
quasi obligé de reconnaître les indépendance et autonomie proclamées.
En ALLEMAGNE, Berlin est la deuxième cible de la vague révolutionnaire. Face aux mouvements
populaires et libéraux, le roi de Prusse, Frédéric Guillaume IV, promet une assemblée constituante, de même que les souverains bavarois et de Saxe. Plus innovateur est l’élection d’une
Assemblée constituante de tous les États allemands, élue au suffrage universel (masculin) et
réunie à Francfort, en mai 1848, avec pour tâche de fonder un État allemand uni.
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Séquence 10-HG20
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Enfin, en ITALIE, les troubles avaient été plus précoces, dès le début de l’année 48 à Naples et
Palerme. Là, les insurrections nationales imposent une constitution à leur souverain à Turin, Naples et
à Rome (comprenez le Pape). On retrouve l’avocat Giuseppe Mazzini à la tête de ce mouvement. La
République est même proclamée, à Venise en mars 1848, à Rome et à Florence l’année suivante.
Pour construire leur unité, les Italiens se rassemblent autour du roi de Piémont Sardaigne, qui
conduit, dès mars 1848, une action armée contre les Autrichiens présents à Milan et Venise. Des
volontaires venus de tous les États italiens s’engagent dans l’armée piémontaise …
• La RÉPRESSION
Le revirement est spectaculaire, à la mesure de la peur qu’ont ressentie les monarques autocrates
allemands, autrichien et italiens.
En AUTRICHE, l’Armée envoyée contre les Tchèques dès juin 48, impose l’ordre impérial à
Vienne dès octobre 1848. L’empereur Ferdinand préfère abdiquer au profit de son neveu FrançoisJoseph qui revient sur toutes les concessions précédemment accordées. L’Assemblée constituante
promise par Ferdinand est dispersée.
En août 1849, les Hongrois sont écrasés grâce à l’aide de l’armée russe, dans l’esprit du pacte
d’Alliance de 1833, mais aussi grâce à des nationalités minoritaires dans l’empire, comme les Slovaques
ou les Roumains qui craignent de tomber sous l’hégémonie hongroise.
En ITALIE, l’armée piémontaise de Charles-Albert connaît des revers et elle est battue à
Custoza, en juillet août 1848. Il y eut bien quelques sursauts des nationalistes comme Mazzini et
Garibaldi proclamant la République à Rome. Charles-Albert est à nouveau défait à Novare. Aussi,
un peu comme en Autriche, abdique-t-il en faveur de Victor Emmanuel III en mars 1849, cependant il
lègue à son successeur le Statuto (une constitution) de mars 48 qui demeure en vigueur au Piémont
Sardaigne. De manière générale, tous les pouvoirs chassés ou limités par les Révolutions de
1848 sont restaurés ; même le pape Pie IX retrouve son pouvoir, à Rome, dans ses États, grâce à
l’aide française du parti de l’Ordre …
En ALLEMAGNE, la Prusse réagit. L’Assemblée constituante de Francfort est dispersée en décembre 1848. Celle-ci avait prévu d’offrir la couronne d’empereur d’Allemagne au roi de Prusse ;
il refuse finalement, en avril 1849, contraint par les pressions de l’Autriche qui ne voulait pas voir
l’espace allemand échapper à sa tutelle.
• QUELQUES EXPLICATIONS
L’échec du Printemps des peuples est criant à très court terme. En 1849-50, l’ordre dynastique
règne à nouveau. Dans les territoires allemands, l’échec tient à la conception de l’Allemagne
à réaliser : « Grande Allemagne » incluant l’Autriche, ou « Petite Allemagne » l’excluant, correspondant grosso modo à la Confédération germanique. On le sait, ce sont les pressions autrichiennes
qui ont fait capoter le projet. Ce n’est que provisoire. Bismarck le reprendra dans les années 1860 et
le fera aboutir.
L’échec s’explique, comme en 1830, par les divisions des mouvements nationalistes ; il y a les
libéraux mais de plus en plus les socialistes, les démocrates. Tous n’ont pas la même conception de la
souveraineté nationale. Cela a été très net en Italie où Mazzini voulait la République, et les libéraux un
royaume d’Italie unifié autour de la dynastie de Piémont Sardaigne.
Enfin, on n’oubliera pas, comme le cas autrichien l’a révélé, les rivalités entre nationalités ellesmêmes qui arrivent à se neutraliser, ainsi des Slovaques, des Croates contre les Hongrois …
Le Printemps des peuples de 1848 reste fondateur en ce sens qu’il a fait prendre conscience à de
nombreux peuples de leur propre puissance. Leurs aspirations à la liberté ne peuvent plus guère être
étouffées, tout cela n’est que partie remise. Les souverains ont fait des concessions en 1848, certaines
sont restées comme la Constitution en Prusse ou le Statuto au Piémont. En Autriche, si toutes les
concessions politiques ont été abandonnées, l’abolition des droits seigneuriaux est désormais devenue
effective.
Quoi qu’il en soit, en 1848, le congrès de Vienne et ses principes sont morts !
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Les transformations économiques
Le
livre
et sociales en Europe de 1800 à 1850
Problématique : Comment s’est réalisé en Europe dans la 1re moitié du XIXe siècle le
basculement vers l’âge industriel ?
PLAN : traitement de la problématique
Notions Clés
Repères
A - L’industrialisation de l’Europe, un Jachère – innovations – transition démographique – économie de subsistance – éco- Comprendre des évolutions à travers 2
bouleversement inégal
nomie de marché – proto industrialisation schémas : les systèmes agricoles.
– marchand fabricant – mécanisation – usine Saisir l’importance des innovations à
travers un tableau chronologique et une
– atelier.
illustration.
2. Un processus qui s’enclenche : la révo- Révolution industrielle – énergie – domestic
system – factory system – « pays noirs » lution industrielle
capital – négoce – aristocrates – sidérurgie
! Qu’est-ce que la révolution
– métallurgie.
Industrielle ?
1. Des origines diverses
" Une nouvelle conception de
l’économie
3. Les lieux de l’industrialisation
! L’Angleterre, berceau de l’industriali-
sation et atelier du monde
Libéralisme – intérêt général – loi du marché
– concurrence – libre-échange – individualisme – capitalisme industriel – autofinancement – sociétés en commandites, en actions
– dividendes – bourses – banques d’affaires
– banques de dépôt.
Comprendre une doctrine : Adam Smith,
père du libéralisme (texte).
Saisir les effets sociaux de cette doctrine :
« Lettre d’un ministre français, 1849 ».
Enclosures.
Ruhr.
" La diffusion européenne de l’industria-
lisation
B - Y a-t-il une nouvelle société à Exode rural – agglomération – urbanisation
– ségrégation socio spatiale - slums – crises
l’aube de l’âge industriel ?
1. La progression de l’urbanisation
2. Des campagnes immobiles ?
sanitaires.
Servage – Junkers – aristocratie foncière
– droits seigneuriaux – précarité – autoconsommation – autarcie – crise de subsistance
– élites traditionnelles.
3. L’ascension d’une nouvelle élite : la Capital – moyens de production – rentiers Repérer des attitudes propres à une caté– « capacités » - notables – valeurs – mérite gorie sociale : le regard d’un journaliste
bourgeoisie
– patrimoine – épargne – malthusianisme sur les ouvriers en 1831.
– « classes laborieuses ».
C - Le nouvel enjeu essentiel : « la
question sociale »
Apprécier concrètement un phénomène
social : les conditions de vie et de travail
Artisanat – prolétaires – protection sociale des ouvriers : iconographie sur le travail
– salaires – paiement à la tâche – chômage des enfants, témoignage d’une ouvrière,
– garnis – promiscuité – livret ouvrier – Poor règlement d’usine, rapport de médecin
hygiéniste.
Law – workhouses.
2. Une lente prise de conscience
Mouvements philanthropiques – charité – Connaître un texte législatif de référence
congrégations religieuses – luddisme – hygié- sur le travail des enfants (France, 1841)
Apprécier le rôle des enquêteurs sociaux
nisme – choléra – paternalisme.
au XIXe (Villermé, 1840).
3. Les premières solutions proposées
Syndicat – Trade Unions – Mouvement
Chartiste – grève – socialisme – « socialistes
utopiques » - ateliers nationaux – coopérative
– « lutte des classes » - « socialistes scientifiques » ou communistes – « révolution »
- « dictature du prolétariat ».
1. Être ouvrier dans la 1re moitié du XIXe
siècle
300
Séquence 10-HG20
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Comparer les conceptions communautaires de 2 auteurs : Owen et Fourier.
Analyser et connaître un texte politique
programme : « le Manifeste du Parti
Communiste » 1848 Karl Marx.
A
L’industrialisation de l’Europe,
un bouleversement inégal
!
Des origines diverses
L’industrialisation n’est pas une nouveauté qui apparaît d’emblée en 1800 ; on peut dès le XVIIIe
et même avant en repérer diverses origines :
Tout d’abord, dans un monde encore rural, l’émergence de nouvelles pratiques agricoles, au XVIIIe,
en Angleterre principalement, a permis l’enrichissement d’une catégorie de paysans.
Dans le système agricole traditionnel, tout repose sur la mise au repos de la terre pour qu’elle se
régénère : la jachère.
Document 1 : De nouveaux systèmes agricoles
Le système traditionnel :
une production extensive
Rendements
faibles
Toutes les terres
en céréales
Le nouveau système :
une production intensive
Rendements
importants
Pas de
jachère
Jachère
Peu de travail
Peu de bétail
Assolements diversifiés
Cultures nouvelles
(ex. : fourragères)
Peu de pâturages
et fourrages
Engrais (fumier)
bétail abondant
Suppression de la
"vaine pâture"
La disparition de la jachère est permise par la culture de plantes fourragères qui enrichissent
le sol et permettent d’élever du bétail. Les paysans qui le peuvent auront tout intérêt à clore leurs
parcelles pour élever leur bétail et profiter du fumier de celui-ci. Le nouveau système a été accompagné d’autres innovations comme de nouvelles cultures (la pomme de terre), la sélection des
semences et espèces animales, le recours plus massif à un outillage plus efficace comme les
charrues. Certains paysans, pas tous, se sont enrichis ; et l’agriculture a sollicité l’industrie
par sa demande en outillage.
Ce nouveau système agricole, par les hausses de rendements qu’il autorise et par la diversification de
l’alimentation (viandes et végétaux) qu’il propose, a permis globalement de mieux nourrir les populations. De 1750 à 1850, la population européenne connaît un accroissement naturel soutenu,
elle entre dans la Transition Démographique, la mortalité baisse. Seul l’accident spectaculaire de
1846-48 avec la Grande Famine, en Irlande qui a fait 750 000 morts, l’interrompt.
Fin XVIIIe, l’Europe passe très progressivement de l’économie de subsistance ou de survie, avec
une alimentation toujours basée sur les céréales dont le pain, économie très vulnérable face aux aléas
climatiques, à l’économie de marché, fondée sur les échanges et le décloisonnement des marchés
comme en Angleterre avec les nombreuses routes à péages ou canaux qui reliaient les différentes
régions.
Plus d’hommes (on passe de 167 à 266 millions d’Européens, de 1800 à 1850), plus d’urbains souvent,
ce sont de nouveaux marchés à satisfaire pour les agriculteurs comme pour les industriels.
De fait, l’industrie existe au XVIIIe, on l’appelle proto industrialisation. C’est une industrie dispersée à la campagne. Un marchand fabricant amène la matière première que l’ouvrier, souvent
en même temps paysan, transforme en produit (outil, textile …) puis le marchand fabricant récupère
la production et la vend en ville.
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Enfin, le XVIIIe fut un siècle d’inventions spectaculaires dont le rôle est décisif pour amorcer l’industrialisation européenne :
Document 2 : Des inventions révolutionnaires
1713
Remplacement du charbon de bois par le coke
Darby
1720
Première machine à vapeur (pompe à feu)
1733
La navette volante (tissage)
1762
Utilisation de la vapeur pour soulever un piston
1765
Invention de la broche pour machine à filer
F. Durand
1768
Premier métier à tisser
Arkwright
1769
Perfectionnement de la machine à vapeur
1774
Perfectionnement du métier à tisser
1784
Puddlage = fer presque pur sans carbone
1790
Fabrication de la soude artificielle
1807
Bateau à vapeur
Fulton
1827
Photographie
Niepce
1829
Première locomotive à vapeur
Newcomen
J.Kay
J.Watt
Cartwright
Cort
Le Blanc
Stephenson
Document 3 : Machine à vapeur de James Watt
balancier
bielle
cylindre
condenseur
piston
vapeur
transmission
eau
froide
vapeur
eau
foyer
chaudière
Questions :
1- D’où viennent principalement les inventions et quels domaines concernent-elles ?
2- Comment fonctionne la machine à vapeur de J. Watt ?
3- En quoi est-ce révolutionnaire ?
302
Séquence 10-HG20
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Réponses :
1- En vous repérant d’après les noms propres, vous remarquez tout de suite la prééminence des noms
anglo-saxons : « Arkwright », « Newcomen » etc. C’est d’Angleterre que proviennent les principales
innovations. Elles concernent les productions sidérurgique, textile, les transports …
2- J. Watt n’a fait que perfectionner une invention plus ancienne, de 1709. Ici, par la vapeur, sa machine
actionne un piston dont le mouvement circulaire peut entraîner d’autres engins comme des métiers à
tisser. À l’origine, la machine à vapeur servait à assécher les galeries de mines et à pomper l’eau.
3- Cette invention est révolutionnaire car elle substitue à l’énergie animale ou humaine (le travail de
force) une énergie mécanique plus régulière et intense.
Les diverses inventions listées plus haut ont en commun, pour la plupart, de permettre la mécanisation
du travail donc d’améliorer sa production. Or ces machines sont embryonnaires, encore grossières
et prennent beaucoup de place. Il faut donc les concentrer en quelques lieux ; de plus elles coûtent
très cher. L’atelier artisanal ne convient plus. Et, en même temps que l’on concentre les machines,
on concentre la main-d’œuvre ouvrière. L’usine peut désormais succéder à l’atelier …
"
Un processus qui s’enclenche :
la révolution industrielle
1. Qu’est-ce que la révolution industrielle ?
Le concept de révolution industrielle est apparu entre 1820 et 1840 en référence à la Révolution
française pour signifier l’importance et l’irréversibilité des changements économiques et sociaux
qui affectaient cette époque. On appellera révolution industrielle un ensemble de transformations combinées qui mettent en place un nouveau système productif. Concrètement, c’est
simultanément :
- une nouvelle source d’énergie : le charbon, associé à la vapeur ;
- le développement des réseaux de transport (très défectueux sous l’Ancien Régime) : routes,
canaux et surtout voies ferrées ;
- une transformation assez radicale du travail. On passe très progressivement et encore très
incomplètement, en 1850, de l’atelier (le domestic system) à l’usine (factory system) grâce aux
machines et à la mécanisation du travail. La tendance à la concentration de la production et de la
main-d’œuvre est spectaculaire. Les usines s’implantent près des gisements d’énergie ou de matières
premières, essentiellement, et apparaissent ainsi de nouvelles régions industrielles : « les Pays Noirs »
comme les Lowlands d’Écosse, le Yorkshire ou les Midlands anglais. Les firmes peuvent atteindre des
tailles déjà impressionnantes : les forges Carron en Écosse abritent près de 2000 ouvriers, la fabrique
textile Dollfuss à Mulhouse encore plus, près de 4000, ou l’établissement sidérurgique du Creusot des
Schneider, plus de 1800 ouvriers en 1840. Cette tendance à la concentration s’explique par le recours
à des machines onéreuses et encombrantes mais c’est aussi, plus simplement, une adaptation à une
demande très forte. Cependant, dans la 1re moitié du XIXe siècle, l’artisanat résiste encore. En
Angleterre, seuls 2 ouvriers sur 5 travaillent en usine en 1850, 1 sur 4 en France. Globalement, les usines
restent de taille modeste : une centaine d’ouvriers dans le textile britannique, 26 dans la sidérurgie
belge vers 1845. Les établissements géants ci-dessus mentionnés sont en fait rares et demeurent
l’exception. Certaines activités restent dans le système artisanal traditionnel, comme la production
de soie dans la région lyonnaise, ou bien encore la confection.
- enfin, c’est le constat de la part de plus en plus déterminante des activités industrielles dans
la richesse nationale et sa part croissante dans la population active. Seul le Royaume-Uni
répond à cette exigence, en 1850, avec près de 43% de sa population active dans le secteur
secondaire ou industriel.
On peut se demander d’où viennent ces nouveaux entrepreneurs et « capitaines d’industrie ». La
plupart d’entre eux dispose d’un capital initial et provient du grand commerce ou négoce
comme les Rothschild dans la banque, et plus rarement de la petite industrie rurale dispersée
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comme les Peugeot. Il y a de très nombreux aristocrates, des maîtres de forges comme les Wendel
en Lorraine ou les Dollfuss dans le textile ; quelques paysans aisés qui ont su se reconvertir et des
ingénieurs ou mécaniciens qui ont fait fructifier leurs inventions ; et parfois, quelques artisans
qualifiés comme les Krupp en Rhénanie (Ruhr) allemande.
Les secteurs porteurs de cette révolution industrielle naissante demeurent limités :
- Il y a le textile avec le coton et l’amélioration de sa filature et de son tissage. C’est un secteur très
mécanisé qui utilise beaucoup de main-d’œuvre féminine et enfantine, et qui est en essor
grâce à l’accroissement démographique, à des prix toujours à la baisse et aux diverses modes qui se
succèdent et renouvellent les marchés ;
- la sidérurgie et la métallurgie avec la mise au point de fer et d’acier de meilleure qualité.
L’utilisation du charbon comme combustible a été déterminante dans cette mutation.
- enfin, surtout après 1830, le chemin de fer. Avant, c’est le temps des pionniers et des inventeurs
comme Stephenson. Les progrès sont spectaculaires, ainsi entre 1830 et 1850 se construisent en
Europe 23 000 km de voies dont 10 500 pour le seul Royaume-Uni.
2. Une nouvelle conception de l’économie
Fin XVIIIe, l’économie cesse d’être un des secteurs de la morale pour devenir une discipline « scientifique » à part entière ; et cela correspond aussi à la naissance des premières grandes doctrines
économiques contemporaines, dont l’idéologie par excellence de la révolution industrielle : le
libéralisme.
En 1776, Adam Smith publie son ouvrage fondateur sur l’économie libérale : Recherches sur
la nature et les causes de la richesse des nations :
Document 4 : Adam Smith, père du libéralisme
« Le système simple et facile de la liberté naturelle vient se présenter de lui-même et se trouve tout établi :
tout homme, tant qu’il n’enfreint pas les lois de la justice, demeure en pleine liberté de suivre la route que
lui montre son intérêt, et de porter où il lui plaît son industrie et son capital, concurremment avec ceux de
tout autre classe d’hommes. Le souverain se trouve entièrement débarrassé d’une charge qu’il ne pourrait
essayer de remplir sans s’exposer infailliblement à se voir sans cesse trompé de mille manières et pour
l’accomplissement convenable de laquelle il n’y a aucune sagesse humaine, ni connaissance qui puisse
suffire, la charge d’être le surintendant de l’industrie des particuliers, de la diriger vers les emplois les mieux
assortis à l’intérêt général de la société. »
Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations.
Questions :
1- Quelles sont les bases du fonctionnement de l’économie, selon l’auteur ?
2- La liberté dont parle Smith est-elle accessible à tous ?
3- Quel rôle l’auteur réserve-t-il à l’État en matière économique ?
Réponses :
1- Ce sont la liberté et l’initiative individuelle : « tout homme, tant qu’il n’enfreint pas les lois de la
justice, demeure en pleine liberté de suivre la route que lui montre son intérêt », régulées par la libre
concurrence : « concurremment avec ceux de tout autre classe d’hommes. »
2- Non, parce que ceux qui n’ont que leur travail à offrir sont obligés d’accepter les conditions de ceux
qui les paient.
3- L’État, comprenez « Le souverain », dans ce contexte, ne joue aucun rôle économique direct sinon
celui de veiller à l’ordre public.
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Selon Smith et d’autres penseurs libéraux comme Malthus et Ricardo, c’est la recherche du
profit personnel qui assure le mieux l’intérêt général. La somme des initiatives personnelles fait
la richesse d’une nation et de sa population dans son ensemble.
Pour les libéraux, l’économie doit être libre et organisée selon les lois du marché autrement
dit la loi de l’offre et de la demande. Les entreprises sont en concurrence entre elles selon le
vieux principe du « laisser faire, laisser passer ». Ce système induit donc le libre-échange ou libre
circulation des produits d’une région ou d’un pays à l’autre. Les libéraux croient à une régulation
spontanée de l’économie par le marché.
La conception libérale de l’économie repose sur certaines valeurs comme :
• Le caractère sacré attribué à la propriété privée,
•Un individualisme marqué que les libéraux justifient, celui-ci est source d’initiative et de responsabilité.
Le libéralisme laisse une place très limitée à l’État. Il doit être garant de l’ordre public, veiller au
respect de la concurrence et a donc un rôle social plutôt réduit et par là, tend même à légitimer la
misère et les inégalités sociales en sous-entendant que la pauvreté est le résultat d’un manque de
travail ou d’effort personnel …
Document 5 : Lettre du ministre de l’Intérieur, L. Faucher, 2 février 1849
« Monsieur le Préfet,
Depuis quelques mois, et par suite du ralentissement des principales industries, des coalitions d’ouvriers
et des grèves se produisent fréquemment : comme de pareils incidents réagissent d’une manière fâcheuse
sur les intérêts privés et sur la tranquillité publique, je crois nécessaire de vous rappeler les principes que
l’administration doit prendre pour règle en pareille occurrence.
L’autorité ne doit jamais s’immiscer dans les questions de salaire. Le prix de la main-d’œuvre hausse dans les
temps où l’industrie est active, parce qu’alors il y a une grande demande de bras ; il baisse quand l’industrie
se ralentit parce que le travail est plus offert que demandé. Le niveau est donné par les circonstances. Faites
comprendre aux ouvriers ces vérités élémentaires. Il faut parler d’abord le langage de la raison et de la
sympathie pour être ensuite plus fort en leur parlant le langage sévère de la loi. Ce n’est pas que la société,
dans la personne de ceux qui la représentent doive se montrer indifférente à des conflits qui touchent de
si près à l’existence des familles, à la propriété de l’industrie, au maintien de l’ordre ; mais n’agissez que
par la voie de conseil. Que tous soient bien convaincus de notre profonde sollicitude pour les intérêts en
souffrance, et de notre détermination constante de maintenir la liberté des transactions et du travail. Si des
désordres éclatent, votre premier devoir sera de les réprimer, pour que le droit réciproque de l’ouvrier et du
fabricant soit librement débattu. Il faut que nul ne puisse être contraint sous la pression de la menace. »
Lettre du ministère de l’Intérieur L. Faucher, 2 février 1849.
Questions :
1- Rappelez le contexte du document.
2- En quoi le texte montre-t-il les limites du libéralisme ?
3- En quoi est-il une application assez stricte du libéralisme ?
Réponses :
1- 1848-1849 sont les premières années de la Seconde République installée par la Révolution de 1848,
qui a mis fin à la monarchie de Juillet où triomphait « la » bourgeoisie. La crise économique dure depuis
1846 et les problèmes sont toujours vifs en 1849.
2- Le texte montre les limites du libéralisme car il est fait allusion à la crise : « Depuis quelques mois,
et par suite du ralentissement des principales industries » et le ministre évoque l’intervention policière
pour garantir la paix sociale : « Si des désordres éclatent, votre premier devoir sera de les réprimer, pour
que le droit réciproque de l’ouvrier et du fabricant soit librement débattu »et le bon déroulement des
affaires, c’est un aspect de l’intervention de l’État dans la vie économique, selon le libéralisme.
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3- Le ministre respecte les principes du libéralisme en insistant sur le fait que le préfet ne doit que
conseiller : « n’agissez que par la voie de conseil. » et encourager les négociations entre partenaires,
sans jouer un rôle direct dans le conflit, si ce n’est la protection des biens.
L’idéologie libérale s’impose en même temps que l’économie se transforme avec l’avènement d’un
véritable capitalisme industriel. Dans la 1re moitié du XIXe siècle, les entreprises restent petites,
500 ouvriers étant un grand maximum. La plupart d’entre elles sont des firmes familiales héritées des
manufactures ou de la proto industrialisation du XVIIIe. Mais avec la mécanisation, l’autofinancement
atteint ses limites et les stratégies familiales d’alliances matrimoniales ne suffisent plus. Le monde
de l’entreprise industrielle évolue en conséquence et par étapes :
- apparaissent d’abord les sociétés en commandites c’est-à-dire à responsabilité limitée entre
dirigeants et détenteurs du capital ;
- puis dans les années 1830, les sociétés anonymes, essentiellement pour le chemin de fer, avec
division du capital de l’entreprise en actions, chacune d’entre elles rapportant un intérêt sur les
bénéfices de l’entreprise : le dividende.
Il en résulte l’affirmation des bourses où se négocient et s’échangent les actions, surtout le Stock
Exchange dans la City de Londres, les bourses de Vienne, Paris, Francfort …
Dans cette mutation vers le capitalisme industriel, les banques ont joué un rôle majeur en drainant
l’épargne rurale et en la redirigeant vers l’investissement industriel. L’industrie, en effet, développe des
secteurs gourmands en capitaux, comme le chemin de fer. Dans la 1re moitié du XIXe siècle, les banques d’affaires ont du mal à émerger et restent de taille modeste et familiale mais elles s’illustrent
comme la banque Seillière qui finance le développement du Creusot en France ou la banque
Rothschild, principale actionnaire de la Compagnie ferroviaire du Nord en 1845. L’Angleterre
est à part, où, à côté des banques d’affaires, existent de grandes banques, créées entre 1826 et
1836, comme National and Provincial Bank, Westminster Bank, Midland Bank, des banques
de dépôts qui recueillent déjà plus de la moitié de l’épargne populaire en 1850. Ce n’est pas
encore vrai sur le continent, et ne le sera que dans les années 1860 en France !
#
Les lieux de l’industrialisation
1. L’Angleterre, berceau de l’industrialisation et atelier du monde
Dès 1780, on peut affirmer que l’Angleterre est entrée dans la révolution industrielle. C’est la
seule nation dans ce cas, aussi convient-il d’en trouver des explications. On peut ainsi recenser :
- sa capacité prodigieuse d’invention (Cf. documents 2 et 3) ; l’Angleterre de 1750 à 1830 est le lieu
de l’innovation. Pensez à Watt, Crompton, Darby, Stephenson … Ces innovations sont la réponse à la
très forte demande en produits industriels et elles permettront la mécanisation de la production.
- une modernisation précoce de son agriculture, en effet c’est là qu’est apparu le mouvement
des « enclosures » ou de clôtures des parcelles, des champs qui ont permis l’élevage. Ce mouvement
a favorisé les grands propriétaires fonciers qui ont évincé la petite paysannerie ; ils se sont enrichis et
leur épargne a pu être investie dans l’industrie.
- sa richesse en gisements houillers ou charbonniers. L’Angleterre avait pratiquement épuisé ses
ressources en bois, il lui fallait trouver un autre combustible, ce fut le charbon abondant au Pays
de Galles, dans le Yorkshire, les Midlands et au Nord vers Newcastle. L’Angleterre a exploité au
mieux sa richesse, en multipliant par 4 sa production charbonnière entre 1800 et 1850 pour produire
8 fois plus que la France !
- sa tradition d’ouverture vers l’étranger et sa forte capacité commerciale avec des ports
renommés comme Liverpool, Londres, Bristol …
- un territoire maîtrisé au sens où il est aménagé avec, pour l’époque, des réseaux de transports
performants qui permettent un marché national unifié ; c’est vrai grâce au percement de canaux, à
la multiplication des routes à péage …
- une exceptionnelle croissance démographique, entamée dès le XVIIIe et confirmée au XIXe ; de
1800 à 1850, les Britanniques passent de 16 à 27 millions d’habitants, avec de plus un grand
306
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marché urbain. Londres est la plus grande ville au monde avec près d’un million d’habitants en
1800 et 2 300 000 en 1850 !
Dans la première moitié du XIXe siècle, l’Angleterre poursuit son développement industriel sur la base
du XVIIIe c’est-à-dire avec une industrie dispersée dans les campagnes et un artisanat particulièrement
dynamique. Mais à côté, la concentration de la production et de la main-d’œuvre est beaucoup
plus marquée, notamment dans le secteur textile, surtout la filature du coton avec d’importants
bassins industriels : Liverpool-Manchester, Bristol, le couloir écossais Glasgow – Edimbourg.
Le développement du chemin de fer entretient, dès 1830, l’essor de la métallurgie. Une première
ligne est inaugurée entre Darlington et Stockton en 1825, la suit en 1830 Liverpool-Manchester
et, en 1850, plus de 10 000 km de voies ferrées sont réalisés.
L’Angleterre connaît entre 1820 et 1840 une croissance industrielle impressionnante qui va renforcer son
hégémonie ; en 1850 elle assure la moitié de la production mondiale de charbon et de fer, plus
d’1/3 du commerce mondial de produits manufacturés. En 1851, l’exposition de Crystal Palace
consacre le 1er rang mondial atteint par le Royaume-Uni devenu pour longtemps « l’atelier
du monde ».
2. La diffusion européenne de l’industrialisation
Pour le continent, la première moitié du XIXe n’est que l’amorce de l’industrialisation.
Seule la Belgique connaît une situation comparable avec, comme en Angleterre, la formation
de régions industrielles, de « pays noirs ». C’est le seul cas où le modèle industriel anglais se diffuse
sans profondes modifications. Un exemple l’incarne bien : celui de la dynastie Cockerill. À
l’origine, Cockerill vient du Lancashire (Angleterre) et introduit en 1799, en Wallonie, les
machines à filer et tisser, puis il s’installe à Liège, en 1807, et, de là, ses successeurs créent
un vaste complexe industriel mêlant activités minières, métallurgie, production et vente de
machines à Seraing près de Liège.
Ailleurs, ce ne sont que quelques régions uniquement qui s’industrialisent. En France, le Nord
et l’Est et quelques places isolées comme le Creusot en Saône et Loire. L’industrialisation y reste
toujours dispersée mais appréciable car elle a pu se spécialiser dans la production à forte valeur ajoutée
à la différence des Britanniques qui ont privilégié les produits de base comme le coton. En Allemagne,
seule la Ruhr est industrialisée ; ce pays n’est pas encore entré dans la révolution industrielle.
Partout ailleurs, l’industrialisation correspond à des isolats comme en Italie du Nord, à Milan, ou en
Russie, à Moscou ; et toujours, l’industrie reste liée et proche de l’artisanat, notamment des forges et
des verreries.
Ce n’est que dans la seconde moitié du XIXe que le « continent » européen entre de plain-pied dans
la révolution industrielle.
B
Y a-t-il une nouvelle société
à l’aube de l’âge industriel ?
!
La progression de l’urbanisation
La 1re moitié du XIXe est, on l’a vu, une époque de forte croissance démographique. Avec 266 millions d’habitants en 1850, la population européenne a crû de 60% par rapport à 1800. Cet essor
démographique commence à nourrir un intense exode rural ; ainsi, si en 1800 on comptait à peine
un vingtaine de villes de plus de 100 000 habitants, on en recense 45 en 1850. Des villes connaissent
un accroissement prodigieux, comme Liverpool qui sur la même période passe de 82 000 à
376 000 habitants. C’est l’époque où les capitales se transforment en grandes agglomérations
comme Londres et ses près de 2,5 millions d’habitants ou Paris avec 1 million d’habitants.
Le lien entre urbanisation et industrialisation est assez étroit dans la mesure où les usines
tendent à s’installer en périphérie des villes, à la recherche des marchés, d’une clientèle suffisamment nombreuse pour être solvable, à la recherche également d’une main-d’œuvre abondante
donc bon marché, main-d’œuvre régulièrement renouvelée par l’exode rural.
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De nouvelles villes s’affirment, localisées près des gisements houillers créées de toutes pièces,
comme Decazeville, ou situées sur des positions de carrefour dans les réseaux de transport, à
la croisée de voies de chemin de fer ou disposant d’un grand port, et l’on retrouve Liverpool.
Les villes commencent à se transformer en profondeur, surtout dans leur composition sociale. Un nouveau phénomène apparaît : la ségrégation sociospatiale. Auparavant, les classes populaires et
les classes aisées cohabitaient dans les mêmes quartiers ; les premiers et deuxièmes étages des
immeubles étant réservés aux bourgeois et aristocrates, les étages supérieurs aux catégories populaires
et les combles aux domestiques ou aux plus pauvres. Désormais, les quartiers tendent à être de plus
en plus homogènes socialement ; les riches se concentrent dans des espaces réservés comme
West End à Londres ou dans la City pour les banquiers tandis que les catégories populaires
se retranchent vers les faubourgs. On retrouve une même opposition qui se construit à Paris avec
un Ouest aisé et un Est parisien plus populaire et ouvrier.
Si les villes croissent en nombre et en superficie, il faut néanmoins reconnaître le caractère très
anarchique de leur extension. Les nouveaux quartiers populaires ne disposent que rarement des
équipements collectifs (adduction d’eaux, enlèvement des ordures …) ; ils prennent rapidement l’allure
de taudis comme les fameux slums londoniens. Cela n’est pas sans conséquences, parfois très graves,
comme les crises sanitaires périodiques avec des épidémies de typhus, de choléra. Les villes
ouvrières présentent des statistiques effarantes : ainsi, dans les années 1820, le taux de mortalité à
Liverpool dans les quartiers ouvriers atteint les 71 ‰ ! De plus, la perception de ces quartiers évolue
négativement, la ville est identifiée à un lieu de perdition absolue ; les écrivains qui exposent la
vie des plus humbles, comme Charles Dickens pour Londres ou Eugène Sue pour Paris, dénoncent
la ville hideuse, sale et polluée, bruyante et repère de criminels.
"
Des campagnes immobiles ?
N’oublions pas que l’Europe jusqu’en 1850 reste majoritairement rurale, plus de 9 Russes sur
10 sont des ruraux, près de 8 Français sur 10 ! Seuls les Britanniques comptent autant d’urbains
que de ruraux en 1850. Pour l’Europe dans son ensemble, c’est une moyenne de 70% d’Européens
qui vivent encore à la campagne en 1850. Voilà qui relativise grandement l’impact de la révolution
industrielle dans la 1re moitié du XIXe siècle !
Les campagnes européennes présentent une grande diversité début XIXe. L’Angleterre, on l’a vu, a
connu de précoces transformations mais elle est aux mains de grands propriétaires fonciers nobles
et son cas n’est pas généralisable. La France présente l’inverse à la suite de l’Ancien Régime et de
la Révolution, c’est la petite propriété paysanne qui domine. À l’Est, la situation des paysans est
moins enviable avec la persistance du servage en Russie (et qui n’est aboli qu’en 1861) et même
en Autriche où il disparaît en 1848. La Prusse est en situation intermédiaire avec, dès 1807, héritage
des occupations françaises, l’abolition du servage mais le maintien d’une aristocratie foncière, (les
Junkers), qui essaie de réimposer aux paysans des droits seigneuriaux comme la corvée. En Italie,
là aussi, la situation est déséquilibrée, avec de grands domaines où vivotent une foule de travailleurs
agricoles, les braccianti.
L’impression d’immobilisme des campagnes demeure globalement fondée. En effet s’il y a
progrès dans les techniques agricoles, c’est seulement vrai dans l’Ouest européen et surtout chez
les grands propriétaires nobles anglais. Pourtant, il faudrait prendre garde à ne pas parler de pur
conservatisme dans la mesure où les paysans n’avaient guère de choix. L’extrême précarité des
conditions de vie (faibles rendements, fragilité face aux aléas climatiques, enclavement et
modèle d’autoconsommation autarcique) freine toute évolution ; c’est un risque que ne peuvent
prendre bien des paysans qui peuvent tout y perdre. Le monde des campagnes est vulnérable aux crises
de subsistance c’est pourquoi nombre de paysans exercent (dès le XVIIIe) des activités complémentaires
artisanales ou industrielles. Il est vrai cependant que, dans les campagnes, des stéréotypes anti-urbains
et anti-industriels s’installent durablement.
Pour comprendre cette situation en apparence figée, on gardera en tête l’influence toujours déterminante des élites traditionnelles et surtout des aristocrates qui tiennent encore les campagnes.
Ils demeurent le modèle social du premier XIXe siècle. Un homme qui a réussi, plus qu’un industriel,
est celui qui dispose d’un grand domaine foncier. En 1850, sur le continent tout au moins, c’est
là l’idéal de réussite.
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L’ascension d’une nouvelle élite : la bourgeoisie
Pour définir simplement la bourgeoisie, on pourrait dire que c’est la catégorie sociale qui dispose
du capital, un capital financier ou culturel, et souvent les deux à la fois.
Pas plus que tout autre catégorie sociale au XIXe, celle-ci n’est homogène, au contraire, c’est la diversité
qui la caractérise mais on peut dresser une stratification assez marquée au sein des bourgeoisies ;
du sommet aux rangs les plus bas, on aurait selon les revenus :
- la grande bourgeoisie des banquiers comme les Rothschild ou des patrons de la grande industrie comme les Wendel, Schneider, Krupp … Ils détiennent les moyens de production. Seuls peuvent
leur être comparés les aristocrates qui disposent de la richesse foncière. D’ailleurs, souvent ces deux
groupes sont associés ;
- le monde des rentiers, ceux qui ont investi leurs capitaux dans l’industrie et qui en vivent ;
- la bourgeoisie des « capacités », souvent des professions libérales. Ce serait en quelque sorte
une bourgeoisie d’intellectuels composée d’avocats, journalistes, hauts fonctionnaires qui doivent leur
position tant à leur origine sociale qu’à leur qualification professionnelle ;
- le monde des notables, vestige de l’ancienne société ; ce serait le cas de quelques paysans très
aisés ;
- enfin, une petite bourgeoisie de commerçants, d’artisans, d’instituteurs qui annoncent les futures
classes moyennes. Cette dernière catégorie est souvent la plus vulnérable, celle qui est susceptible de
déchoir et « tomber » dans les catégories populaires en cas de crise.
Entre les élites, la 1re moitié du XIXe correspond à une phase de transition. La concurrence entre haute
bourgeoisie et aristocratie reste forte. Jusqu’en 1830 environ, le prestige reste associé à la
noblesse et c’est d’ailleurs encore elle qui monopolise l’appareil administratif et politique.
Ce sont aussi souvent des aristocrates qui investissent dans l’industrie. Après 1830, l’essor
des bourgeois aidant, un processus de fusion des élites commence de s’opérer par mariage :
le jeune bourgeois épouse une noble pour gagner en prestige et l’aristocrate désargenté convole avec
une héritière bourgeoise pour garder son train de vie … La fusion reste incomplète et la bourgeoisie
même en 1850 idéalise le modèle aristocratique. Il est encore fréquent de voir de grands bourgeois
s’acheter, comme au XVIIIe, des terres, et se constituer un grand domaine …
La bourgeoisie innove cependant par les valeurs qu’elle revendique ; celles-ci sont nombreuses
et simples à la fois. Il importe de les repérer car ce sont ces valeurs qui se sont imposées en Occident
au XXe à presque toutes les catégories sociales :
- c’est, dans le droit fil de l’optimisme révolutionnaire, la croyance au progrès humain.
- la récompense du mérite personnel : le travail est censé permettre l’ascension sociale.
- une valorisation du travail, du goût de l’effort, mais relative car se maintient le mépris aristocratique
pour les tâches manuelles.
- la sobriété avec certes un souci du confort matériel mais sans le luxe ostentatoire et tapageur de
l’aristocratie.
- une quête effrénée de l’argent et de l’enrichissement avec de véritables stratégies pour y parvenir
fondées sur l’épargne, le placement des capitaux, le respect de la propriété. L’objectif d’une
vie bourgeoise et son étalon de réussite est la constitution d’un patrimoine et la capacité à
le faire fructifier, à l’agrandir.
La bourgeoisie s’unifie par des valeurs communes mais également par des comportements partagés :
Une culture bourgeoise se créent avec ses cérémonies : représentations théâtrales, opéra.
Une construction de la famille très moralisatrice avec un certain malthusianisme. On a peu
d’enfants pour ne pas trop fractionner le patrimoine lors des successions et surtout pour s’assurer du
soin et de la « bonne » éducation des enfants ; on valorise la scolarisation des garçons et on fait donner
aux filles une instruction de bonnes ménagères. Ainsi, par ce modèle familial fermé et inégalitaire, la
bourgeoisie peut se reproduire physiquement et socialement et se constituer en groupe élitaire.
Les bourgeois tendent à se regrouper dans les mêmes quartiers avec les mêmes modes de vie
composés d’une abondante domesticité, de mêmes loisirs …
Séquence 10-HG20
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© Cned – Académie en ligne
Politiquement, les divisions sont plus marquées. La haute et moyenne bourgeoisie trouve
dans la monarchie constitutionnelle censitaire son régime politique idéal auquel elle associe
un attachement inconditionnel au libéralisme. En France, Louis-Philippe comme « roi bourgeois » en
1830 en est l’incarnation parfaite. C’est moins vrai dans la petite bourgeoisie qui n’a pas d’expression politique (droit de vote) dans ce modèle et porte plutôt sa sympathie vers la République et le
suffrage universel masculin.
Les rassemble cependant tous, leur peur croissante des « classes laborieuses » :
Document 6 : Le regard d’un journaliste sur les ouvriers après la révolte des canuts de
Lyon.
« La sédition de Lyon a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la
classe qui possède et celle qui ne possède pas. Notre société commerciale et industrielle a sa plaie comme
toutes les autres sociétés ; cette plaie ce sont les ouvriers. Point de fabrique sans ouvriers, et avec une
population d’ouvriers toujours croissante et toujours nécessiteuse, point de repos pour la société. Ôtez
le commerce, notre société languit, s’arrête et meurt ; avivez, développez, multipliez le commerce, vous
multiplierez en même temps une population prolétaire qui vit au jour le jour et à qui le moindre accident
peut ôter ses moyens de subsister. Cherchez dans chaque ville manufacturière quel est le nombre relatif de
la classe industrielle et marchande, et de la classe ouvrière, vous serez effrayé de la disproportion. Chaque
fabricant vit dans sa fabrique comme des planteurs des colonies au milieu des esclaves, un contre cent. (…)
Les Barbares qui menacent la société ne sont point dans le Caucase, ni dans les steppes de la Tartarie : ils
sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières. »
« Le Journal des Débats, 8 décembre 1831 ».
Cité dans Bruhat, Histoire du mouvement ouvrier français.
Questions :
1- Pourquoi, d’après ce document, les ouvriers font-ils peur en 1831 ?
2- De quelle nature sont les rapports entre bourgeois et ouvriers décrits ici ?
3- Montrez que ce journaliste est un bourgeois à partir de ce qu’il écrit.
Réponses :
1- Les ouvriers font peur en 1831 car ils sont dans une situation très fragile, ils peuvent basculer :
- dans la misère avec le risque de n’avoir plus rien à perdre puisqu’ils ont déjà tout perdu : « une
population … toujours nécessiteuse » ; « une population prolétaire qui vit au jour le jour et à qui le
moindre accident peut ôter ses moyens de subsister ».
- ou dans la révolte comme ce fut le cas des canuts de Lyon : « La sédition de Lyon a révélé un grave
secret ».
De plus, ils sont de plus en plus nombreux : «avec une population d’ouvriers toujours croissante » et
concentrés géographiquement : « ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières. »
2- D’après ce document, les rapports entre bourgeois et ouvriers sont tendus et caractérisés par une
lutte impitoyable des uns contre les autres : « celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre
la classe qui possède et celle qui ne possède pas. »
3- Ce journaliste est très certainement un bourgeois ; on peut le supposer à travers le vocabulaire très
péjoratif qu’il utilise pour qualifier les ouvriers : « cette plaie ce sont les ouvriers » et aussi l’incompréhension qu’il ressent en face d’eux : « Les Barbares qui menacent la société ne sont point dans le
Caucase, ni dans les steppes de la Tartarie ».
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C
Le nouvel enjeu essentiel : « la question sociale »
Être ouvrier dans la première moitié du XIXe
siècle
!
D’emblée, pour casser une idée reçue très ancrée, rappelons que les ouvriers d’usine restent très
minoritaires au début XIXe. L’artisanat à domicile demeure toujours important ; il y a plus d’artisans,
de maîtres, de compagnons que de réels ouvriers d’usine sauf bien sûr en Grande Bretagne où
déjà 40 % de la population active peut être dite ouvrière en 1850. La tendance de fond est
à l’accroissement du nombre de ces ouvriers d’usine qui n’ont que leur force de travail ou
leurs bras à offrir ; d’ailleurs on les surnomme ainsi en Angleterre : « the hands », les mains.
Le modèle traditionnel hiérarchique du travail artisanal organisé en maître, compagnons et apprentis
s’effrite au profit d’une masse d’ouvriers déqualifiés, fraîchement déracinés de leur campagne et pour
qui la promotion sociale est inenvisageable.
Comme toute catégorie sociale, le monde ouvrier est en réalité très diversifié selon l’activité et
selon l’identité de celui qui l’accomplit. Outre les maîtres de l’artisanat demeurent des ouvriers très
qualifiés et toujours valorisés comme les imprimeurs, typographes, orfèvres ou les ouvriers de la
soie que sont les canuts parce qu’ils bénéficient d’une grande qualification professionnelle. Mais là
n’est pas le plus frappant.
Les ouvriers sont bien sûr des hommes mais aussi des femmes ou des enfants, qui travaillent
parfois dès sept ans et qu’on paie 2 à 4 fois moins qu’un homme !
Document 7 : Enfant dans une galerie de mine (gravure anglaise)
© akg-images/Science PhotoLibra..
Questions :
1- Décrivez la gravure
2- En quoi est-ce un travail pénible ?
3- Pourquoi recourir au travail des enfants, d’après ce document et en élargissant à ce que
vous savez par ailleurs ?
4- Quelles conséquences pour ces enfants à leur mise au travail ?
Réponses :
1- La gravure représente un enfant dans un boyau ou galerie d’une mine de charbon en Angleterre vers
1842. Il tire un chariot plein de houille.
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2- C’est un travail pénible parce qu’il ne repose en fait que sur la seule force physique ou musculaire ;
le boyau est étroit et l’air doit sûrement être difficilement respirable.
3- Le recours au travail d’enfants s’explique diversement : d’abord pour des raisons pratiques, l’étroitesse des galeries impose des personnes de petite taille ; de plus on sait que les enfants sont de deux
à quatre fois moins payés que des adultes.
4- Pendant que les enfants travaillent, ils ne peuvent s’instruire et aller à l’école d’où l’impossibilité
pour eux de sortir de cette pauvreté ouvrière dans laquelle ils sont enfermés.
Dans le premier XIXe, ce qui caractérise également le monde ouvrier, ce sont d’épouvantables conditions de travail :
Document 8 : Betty Harris (37 ans) témoigne en 1842
« Je me suis mariée à 23 ans et c’est seulement après que je suis descendue à la mine.
Je ne sais ni lire ni écrire. Je travaille pour Andrew Knowles, de Little Bolton (Lancashire). Je tire les wagonnets
de charbon et je travaille de 6 heures du matin à 6 heures du soir. Il y a une pause d’environ une heure, à
midi, pour déjeuner : pour cela, on me donne du pain et du beurre, mais rien à boire. J’ai deux enfants, mais
ils sont trop jeunes pour travailler. J’ai tiré les wagonnets quand j’étais enceinte. Je connais une femme qui
est rentrée chez elle, s’est lavée, s’est mise au lit, a accouché, et a repris le travail moins d’une semaine après.
J’ai une ceinture autour de la taille, une chaîne qui me passe entre les jambes et j’avance avec les mains
et les pieds. Le chemin est très raide, et nous sommes obligés de nous tenir à une corde – et quand il n’y a
pas de corde, nous nous accrochons à tout ce que nous pouvons saisir. Dans le puits où je travaille, il y a six
femmes et une demi-douzaine de garçons et de filles : c’est un travail très dur pour une femme. »
« Extrait d’un rapport parlementaire anglais de 1842 ».
Question : Que nous apprend ce passage sur l’organisation du travail dans les mines anglaises (durée,
sécurité …) ?
Réponse : Les journées de travail sont très longues, ici douze heures au fond. Les femmes et les enfants
sont obligés de travailler, ce qui suppose des salaires très faibles. Le travail s’opère sans garantie de
sécurité, pas de cordes ou de pitons pour s’accrocher.
• La généralisation de l’éclairage au gaz a eu des conséquences fâcheuses comme l’accroissement
de la durée de travail journalier : 15 heures par jour, c’est alors très courant !
• Le travail est particulièrement pénible avec des cadences élevées ; il faut suivre le rythme des
machines.
• Les usines sont la plupart du temps insalubres, sans normes de sécurité, donc avec un risque
très élevé d’accidents ou de maladies professionnelles.
En retour, cette « brutalisation » par des conditions de travail épouvantables est compensée
chez de nombreux ouvriers par une alcoolisation croissante. Déjà désastreuses, ces conditions de
travail tendent à se dégrader encore …
Les entreprises ont leur propre règlement, généralement strict. Il faut bien avoir en tête qu’à l’époque,
l’entreprise est un patrimoine personnel de l’industriel ; il en est le maître et impose ses
propres règles. La relation patron – ouvriers se réduit à un lien de dépendance.
Document 9 : Le règlement d’une filature de l’Essonne en 1828
Article 7 : la journée de travail se compose de treize heures ; les heures excédentes seront payées aux
ouvriers dans la proportion de leurs salaires et dans aucun cas ils ne pourront refuser un excédent de travail,
quand les circonstances l’exigeront sous peine de deux francs d’amende.
Article 8 : tout ouvrier en retard de dix minutes sera mis à une amende de 25 centimes. S’il manque
complètement, il paiera une amende de la valeur du temps d’absence.
Article 9 : une fois entré, un ouvrier ne peut sortir sans une permission écrite, sous peine d’une amende
de la valeur de sa journée.
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Article 11 : l’ouvrier qui se présenterait ivre dans les ateliers sera conduit hors de la fabrique. Il paiera trois
jours d’amende. Il est expressément défendu d’aller dans le cabaret qui est en face de la grille.
Article 16 : toute ouvrière qui laverait ses mains ou ses effets quelconques avec le savon de la fabrique
paiera 3 francs d’amende ; si elle était surprise en l’emportant, elle sera renvoyée et sa paye confisquée.
Article 17 : il est défendu aux ouvriers de jouer, jurer, crier, chanter, se quereller ou se battre dans les
ateliers, manger ou dormir pendant les heures de travail, d’aller en bateau, de se baigner ou de courir dans
la propriété, sous peine de vingt-cinq centimes à 1 franc d’amende selon la gravité du cas.
Article 22 : il est expressément défendu de sortir de l’atelier sous quelque prétexte que ce soit pendant
les heures de travail, d’aller plus d’une fois par tiers aux lieux et de s’y trouver plusieurs en même temps,
sous peine de 25 centimes d’amende …
Questions :
1- Quelles infractions sont relevées ?
2- Quelles informations sur les aménagements des journées et lieux de travail peut-on dégager de ce règlement ?
Réponses :
1- Ce sont les retards (art.8), les absences (art.8), la conduite personnelle (art.11 et 17), le vol (de savon
par exemple, art.16), le refus des heures supplémentaires (art.7).
2- Les journées de travail sont conçues d’un seul bloc, sans pause pour les repas ou les besoins physiques. Tout est prétexte à amendes. D’après les descriptions, cette usine est aménagée dans la propriété
du patron, sans accès indépendant.
Le travail des ouvriers est donc harassant, en quoi il est juste de les qualifier vers 1850 de « prolétaires ». Mais les conditions de vie ne valent pas mieux. À l’époque, il n’existe aucune protection
sociale en cas de maladie, d’accident, de chômage ou pour prendre en charge la vieillesse.
Tout imprévu jette l’ouvrier ou l’ouvrière et sa famille dans une extrême misère.
Les salaires sont dérisoires, tout juste de quoi survivre. Il ne saurait être question d’épargner. Les
ouvriers entrent en concurrence les uns avec les autres tant ils sont nombreux et toujours renouvelés par
l’exode rural. Les conditions de paiement ne sont pas meilleures, les ouvriers sont souvent rétribués
à la tâche ou à la journée avec la menace omniprésente du licenciement. On n’oubliera pas la
chronicité du chômage à cette époque, qui frappe entre 10 et 15% de la population active, ce
qui accroît d’autant la pression à la baisse des salaires.
Le quotidien ne peut donc être que difficile ; plusieurs indices le prouvent à l’excès :
- l’alimentation est lourdement déséquilibrée et souvent monotone ; du pain d’abord et quelques
aliments de complément …
- les logements sont exigus, sombres (peu d’ouvertures), souvent des garnis, voire des caves, comme
à Liverpool. La vie familiale est celle d’une promiscuité oppressante sans intimité.
Document 10 : Le budget des ouvriers de Lille selon Villermé
« À Lille et dans ses faubourgs les ouvriers ordinaires du sexe masculin gagnaient par journée de travail,
avant la crise des années 1836-37, de 25 à 35 ou 40 sous, et communément 30 sous. Les plus forts, depuis
35 à 50 sous, mais le plus grand nombre 40 à 45 sous. Les plus habiles, les plus intelligents, ceux dont
l’apprentissage est long, difficile ou l’industrie particulièrement recherchée, depuis 45 sous jusqu’à 6 francs,
mais la plupart 3 francs ou près de 3 francs.
Les femmes bonnes et adroites ouvrières, de 20 à 40 sous, les autres de 12 à 20 sous.
Les jeunes gens de 12 à 15 ans, depuis 12 sous jusqu’à 24.
Et les enfants plus jeunes, de 6 à 15 ou 16 sous.
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Ainsi, en supposant une famille dont le père, la mère et un enfant de dix à douze ans reçoivent des salaires
ordinaires, cette famille pourra réunir dans l’année, si la maladie de quelqu’un de ses membres ou un
manque d’ouvrage ne vient pas diminuer ses profits, à savoir : le père, à raison de 30 sous par journée de
travail : 450 francs ; la mère, à raison de 20 sous par journée de travail : 300 francs ; 1 enfant, à raison de
11 sous par journée de travail : 165 francs. En tout, 915 francs.
Voyons maintenant quelles sont ses dépenses.
Si elle occupe seule un cabinet, une sorte de grenier, une cave, une petite chambre, son loyer qui s’exige
par semaine, lui coûte, depuis 40 francs jusqu’à 80. Prenons la moyenne : 60 francs. Pour sa nourriture
environ : 14 sous par jour pour le mari : 255 ; 12 sous par jour pour la femme : 219 ; 9 sous par jour pour
l’enfant : 164 ; … en tout, 638 francs.
Mais comme il y a très communément plusieurs enfants en bas âge, disons 738 francs. C’est donc pour
la nourriture et le logement : 798 francs. Il reste par conséquent, pour l’entretien du mobilier, du linge,
des habits, et pour le blanchissage, le feu, la lumière, les ustensiles de la profession, etc., une somme
de 117 francs. »
Extrait du rapport du docteur Villermé, « Tableau de l’état physique et moral des ouvriers », Paris, 1840.
Questions :
1- Montrez que les salaires ouvriers permettent juste de survivre.
2- Que nous apprennent ces passages sur le cadre de vie des ouvriers ?
3- D’après ces extraits, quelles sont les menaces qui pèsent sur la vie ouvrière ?
Réponses :
1- Les revenus atteignent, si tout va bien, 915 francs, la nourriture coûte environ 738 francs et le logement 609 francs. Il y a donc très peu de surplus pour le minium nécessaire en habillement et chauffage.
De plus, ceci repose sur une année sans imprévus où tous les membres de la famille travaillent tous
les jours.
2- Le logement ouvrier n’est pas prévu pour être un logement, c’est un grenier, une cave, une petite
chambre, c’est-à-dire des espaces inoccupés dans une maison traditionnelle. La famille entière doit vivre
dans un espace très restreint et dans un dénuement extrême. Ces conditions incitent plus ou moins à
vivre au dehors, dans la rue, au cabaret …
3- La vie ouvrière est menacée par la baisse des salaires, les accidents du travail, la maladie, le chômage.
Rien d’étonnant donc à ce que l’espérance de vie ouvrière plafonne très bas, 25 ans à Manchester !
Et les pouvoirs publics ne prennent pas encore la mesure du problème social que cette situation
crée. En France, le livret ouvrier napoléonien de 1803 est toujours en vigueur et permet de
surveiller les ouvriers, la grève est interdite. En Angleterre, en 1834, le pouvoir a édicté la
« Poor Law » (Loi sur les pauvres) qui permet d’enfermer les pauvres (souvent des sans-emploi)
dans des maisons de travail, les workhouses, où ils sont maintenus sous une discipline de fer !
Tout contribue à la marginalisation sociale des ouvriers, abandonnés dans les faubourgs des villes
industrielles.
"
Une lente prise de conscience
On constate une évolution marginale du regard sur la pauvreté ouvrière dans la première moitié
du XIXe siècle : l’ouvrier ne serait plus complètement responsable de son dénuement. En témoigne
le développement des mouvements philanthropiques et de charité pour venir au secours des
indigents : en 1829, sur 224 000 travailleurs du département du Nord, 163 000 sont inscrits à
des institutions de charité. Les congrégations religieuses comme la Société de Saint-Vincent314
Séquence 10-HG20
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de-Paul fondée en 1830 par Frédéric Ozanam et certains religieux comme le prêtre Lamennais
dénoncent « l’esclavage moderne » que subissent les ouvriers. Cette contestation chrétienne a été
ponctuellement déterminante dans l’adoption des premières lois qui, en France, limitent le travail des
enfants en 1841 :
Document 11 : La réglementation du travail des enfants en France
Article 2. Les enfants devront pour être admis avoir au moins huit ans. De 8 à 12 ans, ils ne pourront être
employés au travail effectif plus de 8 heures sur 24, divisées par un repos. De 12 à 16 ans, ils ne pourront
être employés au travail effectif plus de 15 heures sur 24 divisées par des repos.
Article 5. Nul enfant âgé de 12 ans ne pourra être admis qu’autant que ses parents ou tuteurs justifieront
qu’il fréquente actuellement une des écoles publiques ou privées existant dans la localité. Tout enfant admis
devra jusqu’à l’âge de 12 ans suivre une école.
« Loi du 28 mars 1841 ». (Extraits)
Les protestations ouvrières elles-mêmes ont contribué à poser la question sociale au devant de la
scène politique comme la révolte des canuts de 1831, le mouvement luddite en Angleterre de
1811 à 1816 puis en France de 1819 à 1821 où les ouvriers brisent les machines pour dénoncer
leurs conditions de travail détestables et la destruction du travail qualifié par la mécanisation. Passéistes,
ces révoltes ne pouvaient aboutir qu’à une impasse.
La littérature a également contribué à faire émerger la prise de conscience de la question sociale avec
la publication d’Oliver Twist de Charles Dickens en 1838, ou des Mystères de Paris d’Eugène Sue,
parus par épisodes dans un quotidien en 1842-1843.
Surtout, ce sont les médecins, des hygiénistes soucieux de « santé publique », qui, par leurs enquêtes, posent crûment la question sociale. L’événement déclencheur est l’épidémie de choléra à
Paris en 1832 qui fait près de 20 000 morts !
Le plus connu de ces enquêteurs est le Dr Villermé qui, en 1840, publia son enquête sur la situation des
ouvriers du textile, où il établit clairement le lien entre industrialisation et paupérisation ouvrière :
Document 12 : Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les
manufactures de coton, de laine et de soie (1840)
« Les seuls ateliers de Mulhouse comptaient, en 1835, plus de 50 000 ouvriers logés dans les villages environnants. Ces ouvriers sont les moins bien rétribués. Ils se composent principalement de pauvres familles
chargées d’enfants en bas âge, et venus de tous côtés, quand l’industrie n’était pas en souffrance, s’établir
en Alsace, pour y louer leur bras aux manufactures.
Il faut les voir arriver chaque matin en ville et en partir chaque soir. Il y a parmi eux, une multitude de femmes
pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue, et qui, faute de parapluie, portent renversé sur la
tête, lorsqu’il pleut, leur tablier ou leur jupon de dessus, pour se préserver la figure et le cou, et un nombre
encore plus considérable de jeunes enfants, non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons tout gras
de l’huile des métiers tombés sur eux pendant qu’ils travaillaient. Ces derniers, mieux préservés de la pluie
par la perméabilité de leurs vêtements, n’ont pas même aux bras, comme les femmes dont on vient de parler,
un panier où sont les provisions pour la journée ; mais ils portent à la main ou cachent sous leur veste, ou
comme ils le peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu’à l’heure de leur rentrée à la maison.
Ainsi, à la fatigue d’une journée déjà démesurément longue puisqu’elle est au moins de 15 heures, vient
se joindre pour ses malheureux celle de ses allers et retours si fréquents, si pénibles. »
Extrait du rapport du Docteur Villermé, « tableau de l’état physique et moral des ouvriers », Paris, 1840.
Question : Sur quels thèmes porte la dénonciation de Villermé ?
Réponse : Villermé, par ses descriptions, porte le regard sur :
- l’origine géographique des ouvriers, entre ville et campagne : « logés dans les villages
environnants »
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- l’éloignement entre lieu de travail et domicile : « ses allers et retours si fréquents, si pénibles »
- l’état sanitaire des ouvriers et ouvrières plus spécifiquement : « une multitude de femmes pâles,
maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue »
- leur alimentation : « le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu’à l’heure de leur rentrée à la maison »
- la durée du temps de travail : « à la fatigue d’une journée déjà démesurément longue puisqu’elle est
au moins de 15 heures ».
Les enquêtes parlementaires prennent le relais en Grande Bretagne et en France et pointent à
nouveau le temps de travail qui s’accroît et les conséquences sanitaires du travail sur les ouvriers :
accidents, maladies …
Quelques améliorations peuvent être repérées dans le cadre du paternalisme où des patrons, rares,
construisent des logements pour leurs ouvriers, des écoles pour leurs enfants et établissent parfois des
caisses de secours.
D’une manière générale, c’est l’impasse. Les pouvoirs politiques, suivant là une stricte application
de la doctrine économique libérale, se figent dans l’immobilisme à quelques nuances près comme
la baisse du temps de travail à 12 heures par jour pour les enfants en 1802 puis l’interdiction du travail
des enfants de moins de 9 ans toujours en Grande Bretagne. Comme en France pour la loi de 1841,
cette législation n’est pas appliquée, la fonction d’inspecteur du travail existant à peine.
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Les premières solutions proposées
Face à l’immobilisme des pouvoirs politiques, les ouvriers ne peuvent compter que sur eux-mêmes ou
sur les courants politiques qui se proposent de soutenir leurs intérêts.
Il y a déjà chez eux la conscience d’un intérêt commun, ainsi très vite se mettent en place les premières sociétés de secours mutuel, financées par des cotisations volontaires des ouvriers.
La Grande Bretagne est à la pointe dans le mouvement syndical ouvrier. À partir de 1825, les
Trade Unions ou associations d’ouvriers qualifiés sont reconnues mais elles sont débordées une
décennie plus tard par le mouvement chartiste, un mouvement plus populaire, qui manifeste en
1836 pour l’adoption d’une réglementation du travail et une réforme politique. Cela n’empêche
pas son échec malgré le recours à la grève comme moyen d’action. Les gouvernements libéraux
des années 1830-1840 restent fermés aux réformes sociales.
C’est donc sur le terrain politique que les réponses apparaissent, a priori, les plus prometteuses pour
les ouvriers. Ceux qui œuvrent en faveur du monde ouvrier et dénoncent alors les inégalités
sociales comme injustes se désignent comme socialistes. Le socialisme veut alors créer une
nouvelle organisation du travail et de la société, mais en cette 1re moitié XIXe il demeure très
divisé et encore abstrait …
On peut distinguer deux grands courants dans le socialisme jusqu’à 1850 :
1. Les socialistes « utopiques » nommés ainsi par dérision, très éclatés en courants rivaux centrés
autour de fortes personnalités. Peuvent être retenus :
• Charles Fourier (1772-1837) émet le projet de communautés ouvrières, les phalanstères regroupant hommes et femmes dans des coopératives de production et de consommation basées sur
l’entraide et la solidarité :
Document 13 : Les communautés de producteurs selon Fourier
« Ne pourrait-on amener trois cents familles de cultivateurs à une réunion actionnaire, où chacun serait
rétribué en proportion des trois facultés industrielles qui sont capital, travail et talent ? (…) Osons envisager l’immensité des économies sociétaires dans les plus petits détails. Cent cultivateurs qui vont avec cent
charrettes un jour de marché perdre cent journées dans les halles et les cabarets, seraient remplacés par
316
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trois ou quatre chariots que deux hommes suffiraient à conduire et servir. Au lieu de trois cents cuisines
exigeant trois cents feux et distrayant trois cents ménagères, la bourgade aurait une seule cuisine à trois
feux et trois degrés de préparation pour les trois classes de fortunes : dix femmes suffiraient à cette fonction
qui, aujourd’hui, en exige trois cents. »
Charles Fourier, « Traité de l’Association domestique agricole, 1822 ».
• Robert Owen (1771-1838) a également le projet d’une communauté idéale qu’il essaie de créer aux
USA « la colonie Nouvelle Harmonie », qui ne dura pas, faute de pouvoir concilier intérêt personnel
et intérêt général :
Document 14 : Le rêve d’Owen
« La société se formera par l’union des familles en communautés d’hommes ou association d’hommes,
femmes et enfants, en proportion ordinaire, et en nombre variable, depuis 500 jusqu’à 2000 ou 3000,
suivant les circonstances.
À mesure que ces communautés ou grandes familles augmenteront en nombre, elles s’uniront par dizaines,
centaines, milliers, etc. Chacune de ces communautés sera entourée d’un terrain suffisant au maintien de
tous ses membres. Ces associations seront organisées de manière à assurer à tous leurs membres, autant
que possible, les mêmes avantages. »
Owen, Le livre du nouveau monde moral, 1836 – 1844.
Questions :
1- Dans un tableau, présentez les points communs et les divergences entre les programmes
de Fourier et d’Owen.
2- Pourquoi ces deux penseurs ont-ils été qualifiés d’utopistes ?
Réponses :
1POINTS COMMUNS
DIVERGENCES
Type de société
* des communautés de travail et de vie
* une répartition du travail entre tous
* une répartition des revenus entre tous
Lien avec
l’extérieur
Fourier : des relaFourier : une société
tions commerciales
inégalitaire
avec l’extérieur
Owen : une égalité
Owen : une vie en
assez stricte
autarcie
Activités
réalisées
Fourier : surtout des
activités agricoles
Owen : pas de précisions.
2- Tous les deux sont des utopistes, car ils n’imaginent pas les difficultés relationnelles dans une communauté où chacun surveille l’autre et tend à amoindrir sa liberté.
• Proudhon (1809-1865) s’oppose d’emblée à la notion de propriété privée : « la propriété, c’est le
vol » et rejette toute forme d’autorité extérieure : État, Église, entreprise, école …
• Louis Blanc et Étienne Cabet veulent donner à l’État un rôle d’organisateur de la production ;
ce sont eux qui inspireront la création des ateliers nationaux en février 1848 sous la 2nde République
pour venir en aide aux chômeurs.
Il ne faudrait pas mépriser ces courants ; quoique dispersés, ils ont acclimaté l’opinion à la question
sociale ou ouvrière et jeté les bases de projets réellement novateurs comme par exemple les
coopératives ouvrières.
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2. Les socialistes « scientifiques » comme se présentaient alors Marx et ses disciples que plus tard on
nomma les communistes. Ces derniers généralisent la critique de la société industrielle et organisent leur pensée politique autour de quelques notions clés comme celles de « prolétariat »,
« lutte des classes », « révolution », « propriété collective », « dictature du prolétariat ».
Document 15 : Le Manifeste du parti communiste, 1848
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave,
patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurandes et compagnon, bref, oppresseurs et opprimés, en
opposition constante, ont mené une lutte ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée une lutte qui
finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la disparition
des deux classes en lutte.
La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale n’a pas aboli les antagonismes
de classes, elle n’a fait que substituer de nouvelles classes et de nouvelles conditions d’oppression à celles
d’autrefois. Cependant, le caractère distinctif de notre époque est d’avoir simplifié les antagonismes de
classes. La société entière se scinde en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes qui s’affrontent
directement : la bourgeoisie et le prolétariat.
Les communistes proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement
de l’ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent devant une révolution communiste ! Les
prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes, ils ont un monde à gagner.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Karl Marx, Friedrich Engels, « Le Manifeste du parti communiste, 1848 ».
Traduction de l’allemand par Laura Lafargue.
Questions :
1- Qui était Karl Marx ?
2- Qu’est-ce que la lutte des classes ?
3- En quoi, selon Marx, est-elle un phénomène ancien ?
4- Sur quoi la lutte des classes doit-elle déboucher ?
Réponses :
1- Karl Marx (1818-1883) est né à Trêves en Allemagne dans une famille aisée. Il est professeur de
philosophie et se spécialise dans l’analyse philosophique de l’économie et de la société. Ses articles
publiés dans les journaux allemands au moment de la révolution de 1848 rencontrent peu d’échos mais
lui valent d’être expulsé. C’est à Bruxelles qu’il publie en 1848 Le Manifeste du parti communiste où il
expose une synthèse de ses réflexions sur la nécessaire révolution, étape préliminaire à une « vraie »
refonte de la société où la bourgeoisie dominante disparaîtrait et où le prolétariat établirait une dictature
en prélude à une société idéale, juste, et dégagée de l’autorité de l’État.
2- La lutte des classes est l’opposition irréductible et irréconciliable entre deux classes sociales dont
l’une s’enrichit aux dépens de l’autre : « oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené
une lutte ininterrompue »
3- Marx fait allusion à des luttes de l’Antiquité : « Homme libre et esclave », de l’époque médiévale :
« patricien et plébéien, baron et serf », de l’Ancien Régime : « maître de jurandes et compagnon ».
4- La lutte des classes débouche inévitablement sur la révolution et la dictature du prolétariat.
La révolution, c’est-à-dire le renversement violent de l’ordre capitaliste bourgeois, et la dictature du
prolétariat, c’est-à-dire un régime autoritaire pour maintenir cette révolution.
En 1850, l’impact de ce courant politique est bien plus négligeable que celui des « utopistes ».■
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