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1. REVUE CRITIQUE
Dans cette section sont discutées cinq hypothèses illustrant les principaux courants explicatifs
sur l'existence des infinitifs racines. Dans chaque cas, je confronte les prédictions faites par
les propositions d'analyse et les faits d'acquisition. On verra que l’approche la plus adéquate
en ce qui concerne les enfants francophones est celle de l'auxiliaire ou du modal nul.
Pour la discussion des faits, j’utilise le corpus de Mélanie, une enfant canadienne
pour laquelle nous avons 7 enregistrements étalés entre 1;07,01 et 1;09,23 (MLU 1,7). Il
s’agit d’un petit corpus qui a l'avantage de couvrir un très jeune âge et une période brève, de
sorte qu’on peut être relativement certain d’avoir un état assez homogène de la grammaire. On
trouvera en annexe la compilation des verbes produits par Mélanie. Sauf indication contraire,
tous les exemples cités sont des énoncés spontanés; il ne s’agit pas de répétitions de modèles
adultes (totales ou partielles). Le corpus de Mélanie contient 35 énoncés avec infinitif racine;
quatre emplois sont légitimes du point de vue de ce qu’un adulte aurait dit dans les mêmes
circonstances et deux sont plus ou moins légitimes; le corpus compte aussi quatre emplois de
l’infinitif comme impératif, que l’on pourrait considérer comme légitimes, bien qu’un adulte
n’aurait pas produit l’infinitif dans les contextes observés (voir annexe 2). C'est donc que la
plupart des infinitifs racines de ce corpus sont illégitimes. Quelques exemples seront aussi
tirés du corpus de Cynthia, une autre enfant canadienne enregistrée entre 1;11,22 et 2;05,10.
Rappelons qu’il semble exister une grande variation individuelle dans la fréquence d’emploi
des infinitifs racines chez les enfants francophones. Alors que Pierce (1992) en a compté
76% chez Nathalie avant 2 ans, Hamann et al. (1996:330) ont compté 10% d’infinitives
racines dans le corpus d’Augustin entre 2;0 et 2;9; le corpus de Pauline étudié par Bassano
(1998) compte seulement environ 15% d’énoncés non finis (infinitifs et participes réunis)
entre 14 et 17 mois, cette proportion montant jusqu’à environ 32% entre 22 et 25 mois et
diminuant par la suite. Dans le corpus de Mélanie, les infinitifs racines forment 9% des
énoncés verbaux (385).