Mini-revue mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2013 ; 15 (1) : 119-20 En 2050, serons-nous uniparentaux et unisexes ? In 2050, are we going to have only one parent or one sex ? Henri Leridon Résumé. L’auteur, faisant état des progrès récents dans les techniques de reproduction dans l’espèce humaine, envisage ce que pourrait devenir la filiation dans un avenir pas trop lointain. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Mots clés : sexualité, parentalité INED, 133 Bd Davout 75980 Paris cedex 20, France Abstract. This paper deals with the possible outcome of human reproductive processes in a relatively near future. Key words: sexuality, parenthood E doi:10.1684/mte.2013.0454 médecine thérapeutique Médecine de la Reproduction Gynécologie Endocrinologie Tirés à part : H. Leridon nfin ! Enfin, voici les femmes débarrassées de la contrainte qui les avait maintenues dans une condition inférieure depuis la nuit des temps, et qui avait toujours servi d’excuse à la domination masculine : la grossesse. Aux hommes la force physique, les activités professionnelles valorisantes, le pouvoir dans la famille, dans la cité et dans l’Etat ; aux femmes la charge de faire et d’élever les enfants (et de prendre soin de leur mari) : voilà sur quoi reposait sinon l’équilibre du monde, du moins la bonne organisation des sociétés. Certes, le ver était un peu dans le fruit : la nécessité de faire des enfants au moyen de relations sexuelles introduisait une dimension potentiellement dangereuse dans les relations entre hommes et femmes, du fait que l’activité sexuelle pouvait avoir d’autres motivations et d’autres objectifs que la reproduction. C’est d’ailleurs par là que tout a commencé. D’une part, les femmes et les couples ont souhaité disposer de méthodes permettant d’éviter des naissances sans empêcher les relations sexuelles. Ambition légitime au plan individuel comme au plan collectif, quand la baisse massive de la mortalité a rendu indispensable une réduction corollaire de la fécondité (processus que les démographes ont appelé « transition démographique »). D’autre part, de façon étonnamment symétrique, les difficultés rencontrées par certains couples, du fait de la stérilité ou de l’hypofertilité, pour avoir un enfant quand ils le souhaitaient, sont devenues insupportables : la programmation parfaite de la reproduction impliquait d’avoir les enfants en nombre voulu et exactement au moment voulu ; l’échec n’était pas tolérable. De plus, le souhait de libérer la sexualité de toutes ses contraintes artificielles (parmi lesquelles le fait de privilégier les relations hétérosexuelles), a progressivement entraîné une demande de traitement égalitaire des couples homosexuels dans tous les domaines, y compris celui de la reproduction et de l’éducation des enfants. Il fallait donc là, à l’évidence, « contourner » la nature, ce qui commença d’être fait avant que la loi ne l’autorise formellement. Les progrès médicaux ont été très rapides dans un premier temps. Sans grandes précautions, dès les années 1970, on s’était lancé dans des manipulations de plus en plus hardies, qui se sont avérées assez efficaces et sans effets néfastes majeurs : l’insémination artificielle (homologue ou avec donneur), la fécondation in vitro avec transfert d’embryon (FIV), la Pour citer cet article : Leridon H. En 2050, serons-nous uniparentaux et unisexes ? mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2013 ; 15 (1) : 119-20 doi:10.1684/mte.2013.0454 119 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Mini-revue 120 fécondation par injection intra-ovocytaire d’un spermatozoïde (ICSI), la congélation des ovocytes ou des embryons en vue d’une utilisation extérieure, l’implantation de l’embryon dans l’utérus d’une mère porteuse. Toutes les étapes de la fertilisation et de l’implantation semblaient pouvoir être réalisées, avec les gamètes de deux donneurs quelconques. Sur ces bases, l’aide médicale à la procréation (AMP) était entrée dans les mœurs avant la fin du XXe siècle. Bien que ces techniques ne permettent pas de surmonter toutes les stérilités et donc de donner un enfant à tous les couples demandeurs, elles ont aussi eu pour effet d’encourager un report des naissances à des âges plus avancés. La prolongation de la scolarité féminine, la généralisation de l’activité professionnelle des femmes, la volonté de ne pas soumettre leur carrière professionnelle aux aléas de l’enfantement et de l’éducation des enfants, tout cela a accrédité l’idée que faire des enfants à 25 ans n’était pas très satisfaisant. On soupçonnait vaguement que, à partir d’un certain âge et en tout cas après 45 ans, il était difficile aux femmes de concevoir et de mener une grossesse à terme. Mais l’existence des techniques d’AMP poussait à balayer l’objection : en cas de problème, la médecine y remédierait ! On oubliait seulement que l’efficacité de ces techniques diminuait avec l’avancée en âge. Comme la raison de ces échecs était surtout à chercher du côté du vieillissement des ovocytes et de l’utérus, une solution a été rapidement trouvée : utiliser un ovocyte de femme plus jeune et un utérus accueillant (celui-ci pouvait même appartenir à une femme relativement âgée). Restait à trouver des « donneuses » et des « porteuses ». Les donneuses pouvaient être les « demandeuses » elles-mêmes : il leur suffisait de penser à congeler leurs ovocytes quand elles étaient encore jeunes. Les « porteuses » étaient plus difficiles à trouver : s’il s’agissait de femmes encore jeunes, celles-ci s’exposaient à toutes les difficultés sociales énumérées plus haut ; et les femmes plus âgées n’étaient pas souvent volontaires pour se remettre à « gester » sur le tard. On a même songé à faire porter les enfants par des hommes, mais les volontaires pour expérimenter la méthode étaient assez rares. La solution a été un peu longue à trouver mais a fini par arriver : l’utérus artificiel. Il a fallu reconstituer toutes les conditions des échanges, complexes, entre l’embryon et sa mère via le placenta. On savait, depuis longtemps, développer les quelques cellules initiales de l’embryon dans un milieu artificiel, mais pendant quelques jours seulement. Accompagner toutes les phases de croissance de l’enfant in utero pendant neuf mois s’est révélé autrement difficile. L’organisation est enfin parfaite, ou presque. Il existe des « magasins d’ovocytes », des « magasins de spermatozoïdes », et des « centres de grossesse ». Toute personne souhaitant un enfant, quels que soient son âge et sa situation maritale (la notion de couple n’a plus lieu d’être), peut choisir un ovocyte (un des siens, si elle a pensé à en déposer et si c’est une femme), un spermatozoïde (un des siens, s’il a pensé à en déposer et si c’est un homme), et les remettre à un centre de grossesse. Ceux-ci rivalisent d’ailleurs d’ardeur pour raccourcir la durée de gestation bien en dessous des neuf mois traditionnels, avec un succès modeste pour le moment. Le taux de succès est loin d’atteindre 100 %, mais on peut facilement renouveler les tentatives. Pour le moment, on utilise encore des ovocytes et des spermatozoïdes de donneurs. Les dépôts sont bien rémunérés, surtout ceux d’ovocytes obtenus après stimulation hormonale. Mais les progrès rapides en microbiologie laissent penser que de simples cellules suffiront bientôt. Que devient la filiation dans tout cela ? Elle est beaucoup plus simple. Le nouveau-né est fils ou fille de la personne qui a décidé de sa gestation : chaque enfant a donc un père ou une mère. Ce parent peut vivre en couple avec une autre personne, quel que soit le sexe de celle-ci : si le partenaire décide de participer à l’élevage de l’enfant, il a droit à un statut spécial de « co-parent ». En cas de séparation du couple, il garde ce statut, mais peut le partager avec un(e) nouveau/nouvelle partenaire. Cette situation a éliminé tous les conflits de paternité et résolu le problème des couples homoparentaux. Elle a été d’autant plus facilement acceptée qu’une grande étude lancée vers 2010 avait montré que les enfants élevés par un seul parent, quel que soit son sexe, ne se portaient pas plus mal que les autres. Les possibilités offertes par le clonage reproductif parachèveront d’ailleurs cette orientation : biologiquement, l’enfant sera bien celui d’une seule personne. Du coup, on en vient à se demander s’il est nécessaire et légitime de garder la distinction entre les sexes masculin et féminin : quand tout individu pourra se « re-produire » à l’identique, peu importera son sexe et celui de l’enfant. Ainsi sera définitivement réglé le problème d’inégalité posé au début de ce texte. La question des « relations sexuelles », en revanche, sera à repenser complètement. Conflits d’intérêts : aucun. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 1, janvier-février-mars 2013