En 2050, serons-nous uniparentaux et unisexes

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Mini-revue
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2013 ; 15 (1) : 119-20
En 2050, serons-nous uniparentaux
et unisexes ?
In 2050, are we going to have only one parent or one sex ?
Henri Leridon
Résumé. L’auteur, faisant état des progrès récents dans les techniques de reproduction dans
l’espèce humaine, envisage ce que pourrait devenir la filiation dans un avenir pas trop lointain.
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Mots clés : sexualité, parentalité
INED,
133 Bd Davout
75980 Paris cedex 20,
France
Abstract. This paper deals with the possible outcome of human reproductive processes in a
relatively near future.
Key words: sexuality, parenthood
E
doi:10.1684/mte.2013.0454
médecine thérapeutique
Médecine
de la Reproduction
Gynécologie
Endocrinologie
Tirés à part : H. Leridon
nfin ! Enfin, voici les femmes
débarrassées de la contrainte qui
les avait maintenues dans une condition inférieure depuis la nuit des
temps, et qui avait toujours servi
d’excuse à la domination masculine : la grossesse. Aux hommes
la force physique, les activités professionnelles valorisantes, le pouvoir
dans la famille, dans la cité et dans
l’Etat ; aux femmes la charge de faire et
d’élever les enfants (et de prendre soin
de leur mari) : voilà sur quoi reposait
sinon l’équilibre du monde, du moins
la bonne organisation des sociétés.
Certes, le ver était un peu dans le
fruit : la nécessité de faire des enfants
au moyen de relations sexuelles
introduisait une dimension potentiellement dangereuse dans les relations
entre hommes et femmes, du fait
que l’activité sexuelle pouvait avoir
d’autres motivations et d’autres objectifs que la reproduction.
C’est d’ailleurs par là que tout a
commencé. D’une part, les femmes
et les couples ont souhaité disposer
de méthodes permettant d’éviter des
naissances sans empêcher les relations sexuelles. Ambition légitime au
plan individuel comme au plan collectif, quand la baisse massive de la
mortalité a rendu indispensable une
réduction corollaire de la fécondité
(processus que les démographes ont
appelé « transition démographique »).
D’autre part, de façon étonnamment
symétrique, les difficultés rencontrées
par certains couples, du fait de la
stérilité ou de l’hypofertilité, pour
avoir un enfant quand ils le souhaitaient, sont devenues insupportables :
la programmation parfaite de la reproduction impliquait d’avoir les enfants
en nombre voulu et exactement au
moment voulu ; l’échec n’était pas
tolérable.
De plus, le souhait de libérer
la sexualité de toutes ses contraintes artificielles (parmi lesquelles le
fait de privilégier les relations hétérosexuelles), a progressivement entraîné
une demande de traitement égalitaire
des couples homosexuels dans tous
les domaines, y compris celui de la
reproduction et de l’éducation des
enfants. Il fallait donc là, à l’évidence,
« contourner » la nature, ce qui
commença d’être fait avant que la loi
ne l’autorise formellement.
Les progrès médicaux ont été
très rapides dans un premier temps.
Sans grandes précautions, dès les
années 1970, on s’était lancé dans
des manipulations de plus en plus
hardies, qui se sont avérées assez efficaces et sans effets néfastes majeurs :
l’insémination artificielle (homologue
ou avec donneur), la fécondation in
vitro avec transfert d’embryon (FIV), la
Pour citer cet article : Leridon H. En 2050, serons-nous uniparentaux et unisexes ? mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2013 ; 15 (1) :
119-20 doi:10.1684/mte.2013.0454
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fécondation par injection intra-ovocytaire d’un spermatozoïde (ICSI), la congélation des ovocytes ou des embryons
en vue d’une utilisation extérieure, l’implantation de
l’embryon dans l’utérus d’une mère porteuse. Toutes les
étapes de la fertilisation et de l’implantation semblaient
pouvoir être réalisées, avec les gamètes de deux donneurs
quelconques. Sur ces bases, l’aide médicale à la procréation (AMP) était entrée dans les mœurs avant la fin du
XXe siècle.
Bien que ces techniques ne permettent pas de surmonter toutes les stérilités et donc de donner un enfant
à tous les couples demandeurs, elles ont aussi eu pour
effet d’encourager un report des naissances à des âges
plus avancés. La prolongation de la scolarité féminine,
la généralisation de l’activité professionnelle des femmes,
la volonté de ne pas soumettre leur carrière professionnelle aux aléas de l’enfantement et de l’éducation des
enfants, tout cela a accrédité l’idée que faire des enfants à
25 ans n’était pas très satisfaisant. On soupçonnait vaguement que, à partir d’un certain âge et en tout cas après 45
ans, il était difficile aux femmes de concevoir et de mener
une grossesse à terme. Mais l’existence des techniques
d’AMP poussait à balayer l’objection : en cas de problème,
la médecine y remédierait ! On oubliait seulement que
l’efficacité de ces techniques diminuait avec l’avancée en
âge.
Comme la raison de ces échecs était surtout à chercher
du côté du vieillissement des ovocytes et de l’utérus, une
solution a été rapidement trouvée : utiliser un ovocyte de
femme plus jeune et un utérus accueillant (celui-ci pouvait
même appartenir à une femme relativement âgée). Restait
à trouver des « donneuses » et des « porteuses ». Les donneuses pouvaient être les « demandeuses » elles-mêmes :
il leur suffisait de penser à congeler leurs ovocytes quand
elles étaient encore jeunes. Les « porteuses » étaient plus
difficiles à trouver : s’il s’agissait de femmes encore jeunes,
celles-ci s’exposaient à toutes les difficultés sociales énumérées plus haut ; et les femmes plus âgées n’étaient
pas souvent volontaires pour se remettre à « gester » sur
le tard. On a même songé à faire porter les enfants par
des hommes, mais les volontaires pour expérimenter la
méthode étaient assez rares.
La solution a été un peu longue à trouver mais a fini par
arriver : l’utérus artificiel. Il a fallu reconstituer toutes les
conditions des échanges, complexes, entre l’embryon et sa
mère via le placenta. On savait, depuis longtemps, développer les quelques cellules initiales de l’embryon dans un
milieu artificiel, mais pendant quelques jours seulement.
Accompagner toutes les phases de croissance de l’enfant
in utero pendant neuf mois s’est révélé autrement difficile.
L’organisation est enfin parfaite, ou presque. Il existe
des « magasins d’ovocytes », des « magasins de spermatozoïdes », et des « centres de grossesse ». Toute personne
souhaitant un enfant, quels que soient son âge et sa situation maritale (la notion de couple n’a plus lieu d’être),
peut choisir un ovocyte (un des siens, si elle a pensé à en
déposer et si c’est une femme), un spermatozoïde (un des
siens, s’il a pensé à en déposer et si c’est un homme), et
les remettre à un centre de grossesse. Ceux-ci rivalisent
d’ailleurs d’ardeur pour raccourcir la durée de gestation
bien en dessous des neuf mois traditionnels, avec un succès modeste pour le moment. Le taux de succès est loin
d’atteindre 100 %, mais on peut facilement renouveler les
tentatives.
Pour le moment, on utilise encore des ovocytes et
des spermatozoïdes de donneurs. Les dépôts sont bien
rémunérés, surtout ceux d’ovocytes obtenus après stimulation hormonale. Mais les progrès rapides en microbiologie
laissent penser que de simples cellules suffiront bientôt.
Que devient la filiation dans tout cela ? Elle est beaucoup plus simple. Le nouveau-né est fils ou fille de la
personne qui a décidé de sa gestation : chaque enfant
a donc un père ou une mère. Ce parent peut vivre en
couple avec une autre personne, quel que soit le sexe de
celle-ci : si le partenaire décide de participer à l’élevage
de l’enfant, il a droit à un statut spécial de « co-parent ».
En cas de séparation du couple, il garde ce statut, mais
peut le partager avec un(e) nouveau/nouvelle partenaire.
Cette situation a éliminé tous les conflits de paternité et
résolu le problème des couples homoparentaux. Elle a été
d’autant plus facilement acceptée qu’une grande étude
lancée vers 2010 avait montré que les enfants élevés par
un seul parent, quel que soit son sexe, ne se portaient
pas plus mal que les autres. Les possibilités offertes par le
clonage reproductif parachèveront d’ailleurs cette orientation : biologiquement, l’enfant sera bien celui d’une seule
personne.
Du coup, on en vient à se demander s’il est nécessaire
et légitime de garder la distinction entre les sexes masculin
et féminin : quand tout individu pourra se « re-produire »
à l’identique, peu importera son sexe et celui de l’enfant.
Ainsi sera définitivement réglé le problème d’inégalité
posé au début de ce texte. La question des « relations
sexuelles », en revanche, sera à repenser complètement.
Conflits d’intérêts : aucun.
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 1, janvier-février-mars 2013
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