4
I - Du théâtre au cinéma : l’apprentissage de Marcel Pagnol
A – Premiers contacts
En 1928, l’irruption des procédés techniques autorisant l’usage du son au
cinéma constitue une véritable révolution pour les gens du métier : industriels,
réalisateurs et critiques. Apparu au début du siècle, le cinéma muet avait dû se
constituer une identité artistique après avoir été longtemps considéré comme une
attraction populaire. Il avait fallu quelques années et une détermination certaine des
pionniers de ce moyen d’expression pour que des réalisateurs de génie : Eisenstein,
René Clair, etc., puissent se saisir de lui et le faire accéder au rang d’art, jusqu’au
cinéma d’avant-garde des années 20. Si l’adaptation d’œuvres dramatiques et de
romans était déjà pratique courante, de nombreux cinéastes s’élevèrent alors contre
cette « prostitution » d’un art plastique avec la littérature. A l’instar de René Clair, ils
prônaient un cinéma purement plastique, s’adressant au langage visuel antérieur à
l’écriture et inhérent à la nature humaine, un cinéma qui s’adresse au « regard du
sauvage, de l’enfant qui s’intéresse moins à l’histoire de Guignol qu’à la pluie des
coups de bâton »
1
. L’idéal eût été, en fait, un cinéma muet épuré des cartons
2
venant
interrompre l’harmonie de la poésie visuelle pour en éclairer le sens.
Dans un tel contexte, on conçoit aisément combien l’avènement du son a pu
déstabiliser l’industrie cinématographique. D’un point de vue financier, tout d’abord,
la distribution se vit limitée par la barrière de la langue
3
, les stars internationales du
muet furent pour la plupart évincées : les voix, accents nationaux ou étrangers ne
passaient majoritairement pas l’étape de l’appareil du son, encore très fragile, et le jeu
de tels comédiens, marqué par l’expression gestuelle dont ils avaient l’habitude,
semblait redondant dès lors qu’il était accompagné des paroles. Pour les cinéastes, le
désarroi fut grand, on espéra un temps que le cinéma muet continuerait sa carrière
auprès du parlant, ou encore, on vit dans le son un moyen de souligner simplement
1
René Clair, Cinéma d’hier, cinéma d’aujourd’hui, chap. « Un dialogue », Gallimard, 1970, p. 33 (dans ce
chapitre, René Clair imagine les propos qu’il aurait tenus ou pu tenir en 1923).
2
Les cartons sont ces intrusions de textes qui, dans le cinéma muet, exposaient les intertitres ou les dialogues.
3
Le procédé du doublage n’existait pas encore et le public huait celui des sous-titres.