Marie Blétry Lettres modernes appliquées
Mémoire de master 1
MARCEL PAGNOL,
CINEASTE DE LA PAROLE.
Sous la direction de M. Denis Guénoun
Septembre 2007
U.F.R. de Littérature française et comparée
1
SOMMAIRE
Introduction……………………………………………………………………...2
I - Du théâtre au cinéma : l’apprentissage de Marcel Pagnol…………………....4
A – Premiers contacts……………………………………………………..4
B – L’apprentissage de Pagnol……………………………………………7
C – Ebauche d’une théorie………………………………………………10
II - La controverse théorique : vers une définition du cinéma parlant…………15
A – Les termes de la querelle……………………………………………15
B – Vers une quête théorique……………………………………………19
C – Un compromis artistique……………………………………………23
III – Le rôle de Pagnol dans la légitimation artistique du cinéma parlant……...26
A – De l’attraction à l’oeuvre cinématographique………………………26
B – Une indépendance artistique exemplaire……………………………29
C – La postérité artistique de Pagnol…………………………………….32
Conclusion……………………………………………………………………...36
Bibliographie…………………………………………………………………...37
Annexes………………………………………………………………………...41
2
MARCEL PAGNOL,
CINEASTE DE LA PAROLE.
Introduction
C’est en 1928 qu’apparurent les premiers films parlants en France, au moment
le cinéma muet avait enfin atteint la légitimité artistique qu’on lui avait longtemps
refusée. Les grands noms du muet constatèrent alors avec effroi le succès auprès du
public français de ce que l’on surnommait alors aux Etats-Unis les « talkies » ; mais ils
ne se résignèrent pas encore à adopter cette nouveauté : ils voyaient dans le cinéma
parlant une « attraction » pour laquelle l’engouement populaire n’était qu’un effet de
mode. De fait, les toutes premières productions parlantes attestaient davantage une
volonté de faire valoir cette avancée technique qu’un désir de servir l’expression orale.
Il ne s’agissait encore que de films sonores, et les gens du muet se rassurèrent au
constat de la vulgarité que le son semblait apporter aux œuvres. Car il y avait lieu de
s’inquiéter : une telle avancée ne pouvait que révolutionner l’industrie
cinématographique. Avec le dialogue, les coûts de production augmentaient
considérablement, les films n’étaient plus immédiatement accessibles à un marché
international et les gens de l’image n’étaient plus les seuls maîtres de la création
cinématographique. Aussi ces derniers allaient-ils, dans un premier temps, s’employer
à décrier le nouveau moyen d’expression.
Face à un tel procès, des personnalités mirent à profit une certaine intuition, en
se posant dès le début comme les défenseurs de cette prouesse technique destinée à
évincer le muet – malgré la qualité des œuvres qu’il avait produites. Parmi ces
partisans, le rôle d’un dramaturge alors aussi renommé que Marcel Pagnol est semble-
t-il prépondérant. Celui-ci découvrit le cinéma parlant en 1930 dans une salle de
cinéma anglaise. Il en sortit avec la conviction d’être en train d’assister à la naissance
du « nouveau moyen d’expression de l’art dramatique » auquel il décida de se
consacrer, sans hésiter à défendre parallèlement sa propre théorie sur le cinéma. Il
entreprit tout cela alors même que le monde du muet, c’est-à-dire toute l’industrie
cinématographique française et son cortège de critiques, ne reconnaissait pas encore le
parlant comme un nouvel outil d’expression cinématographique. L’audace du
3
dramaturge n’en fut que plus stabilisante et obtint un vif retentissement, qui
accéléra les prises de position critique jusqu’à l’accueil définitif du parlant. Aussi
semble-t-il légitime de mesurer le rôle qu’a joué Marcel Pagnol dans l’accession du
cinéma parlant au rang d’art.
La transition n’était pas aisée : il s’agissait pour un art de passer de l’expression
visuelle à l’expression audiovisuelle, ce qui modifiait considérablement la perspective
esthétique. Marcel Pagnol fut à la fois juge et partie de cette problématique culturelle,
puisqu’il sut apporter son expérience de dramaturge à la mise en scène
cinématographique dans ses propres films, et défendre ses positions dès 1930 dans la
presse critique, puis dans la revue qu’il fonda en 1933 : Les Cahiers du film. Les
critiques de l’époque réagirent acerbement, accusant l’ancien dramaturge de déserter le
monde du théâtre pour défendre un « théâtre filmé ». Aujourd’hui encore, certains
historiens et critiques se contentent de ces deux termes pour résumer la vision
pagnolienne du cinéma parlant. En réalité, son analyse fut bien plus complète et plus
audacieuse, et la controverse qu’elle fournit fut l’occasion d’amener les gens de
cinéma à accueillir peu à peu le texte comme un élément fondamental du Septième art.
Dès 1934, Marcel Pagnol et Re Clair entretinrent ainsi un débat long et parfois
constructif, qui servira d’appui à cette étude, tant il est révélateur de l’évolution
cinématographique et de l’apport esthétique de Pagnol aux balbutiements du cinéma
parlant.
4
I - Du théâtre au cinéma : l’apprentissage de Marcel Pagnol
A – Premiers contacts
En 1928, l’irruption des procédés techniques autorisant l’usage du son au
cinéma constitue une véritable révolution pour les gens du métier : industriels,
réalisateurs et critiques. Apparu au début du siècle, le cinéma muet avait dû se
constituer une identité artistique après avoir été longtemps considéré comme une
attraction populaire. Il avait fallu quelques années et une détermination certaine des
pionniers de ce moyen d’expression pour que des réalisateurs de génie : Eisenstein,
René Clair, etc., puissent se saisir de lui et le faire accéder au rang d’art, jusqu’au
cinéma d’avant-garde des années 20. Si l’adaptation d’œuvres dramatiques et de
romans était déjà pratique courante, de nombreux cinéastes s’élevèrent alors contre
cette « prostitution » d’un art plastique avec la littérature. A l’instar de René Clair, ils
prônaient un cinéma purement plastique, s’adressant au langage visuel antérieur à
l’écriture et inhérent à la nature humaine, un cinéma qui s’adresse au « regard du
sauvage, de l’enfant qui s’intéresse moins à l’histoire de Guignol qu’à la pluie des
coups de bâton »
1
. L’idéal eût été, en fait, un cinéma muet épuré des cartons
2
venant
interrompre l’harmonie de la poésie visuelle pour en éclairer le sens.
Dans un tel contexte, on conçoit aisément combien l’avènement du son a pu
déstabiliser l’industrie cinématographique. D’un point de vue financier, tout d’abord,
la distribution se vit limitée par la barrière de la langue
3
, les stars internationales du
muet furent pour la plupart évincées : les voix, accents nationaux ou étrangers ne
passaient majoritairement pas l’étape de l’appareil du son, encore très fragile, et le jeu
de tels comédiens, marqué par l’expression gestuelle dont ils avaient l’habitude,
semblait redondant dès lors qu’il était accompagné des paroles. Pour les cinéastes, le
désarroi fut grand, on espéra un temps que le cinéma muet continuerait sa carrière
auprès du parlant, ou encore, on vit dans le son un moyen de souligner simplement
1
René Clair, Cinéma d’hier, cinéma d’aujourd’hui, chap. « Un dialogue », Gallimard, 1970, p. 33 (dans ce
chapitre, René Clair imagine les propos qu’il aurait tenus ou pu tenir en 1923).
2
Les cartons sont ces intrusions de textes qui, dans le cinéma muet, exposaient les intertitres ou les dialogues.
3
Le procédé du doublage n’existait pas encore et le public huait celui des sous-titres.
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