Sous la direction de Sylvie PFLIEGER L’atelier d’écriture et de jeu du théâtre national de la Colline Le lien social à travers l’art théâtral L’atelier d’écriture et de jeu du théâtre national de la Colline Sous la direction de Sylvie Pflieger L’atelier d’écriture et de jeu du théâtre national de la Colline Le lien social à travers l’art théâtral © L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-01897-3 EAN : 9782343018973 PRÉSENTATION Depuis 2007, le théâtre national de la Colline organise un atelier d’écriture, devenu en 2011 atelier d’écriture et de jeu, réunissant tous les samedis matins de janvier à juin, une population hétérogène d’hommes et de femmes habitant le quartier ou plus généralement le nord-est parisien et sa proche banlieue, de tous âges, toutes nationalités, tous niveaux d’études, qui va partager pendant quelques mois une aventure commune débouchant sur une présentation publique dans la grande salle du théâtre un samedi soir de juin. En janvier 2011, la responsable de cet atelier qui est aussi responsable du mécénat au théâtre national de la Colline, contacte une équipe d’enseignants-chercheurs et chercheurs de l’Université Paris Descartes, (Faculté des Sciences Humaines et SocialesSorbonne), pour suivre cet atelier et en réaliser une évaluation. Ce travail a été effectué sur deux saisons successives, 2011 et 2012, en collaboration étroite avec les responsables et intervenants de l’atelier du théâtre de la Colline, ainsi qu’avec les mécènes soutenant cette opération1. Cet ouvrage relate cette expérience, à la fois très riche sur le plan humain de par les contacts avec les participants à cet atelier, et très riche sur le plan scientifique pour des sociologues et économistes qui trouvaient là un terrain leur permettant de confronter des théories à une réalité sociale et culturelle. Ce travail s’intègre dans une problématique générale traitant du rôle d’une institution culturelle publique au sein du territoire dans lequel elle s’insère. En effet, si l’on attend traditionnellement d’une 1 La 3ème saison 2013 n’a pas fait l’objet d’un suivi régulier et direct par les chercheurs. Le contact était cependant maintenu avec les intervenants. institution culturelle, en l’occurrence un théâtre ici, qu’elle présente des spectacles de qualité, à un public le plus large possible, les objectifs fixés se sont diversifiés et élargis au cours du temps, débordent désormais de la seule sphère artistique pour être intégrés dans la sphère sociale. Il ne s’agit plus seulement de remplir une mission artistique, mais bien d’être acteur à part entière du développement économique et social d’un territoire, de prendre part aux missions de développement local et d’insertion sociale incombant à ce territoire d’accueil. Ces nouveaux rôles assignés aux institutions culturelles vont avoir des conséquences en termes de gouvernance, ces institutions étant alors conduites à sortir de leur environnement strictement artistique pour composer avec d’autres acteurs, élus locaux, responsables associatifs, établissements scolaires, entreprises et mécènes. Ce sont ces nouveaux enjeux et défis auxquels sont confrontées les institutions culturelles qu’il s’agit de présenter dans cet ouvrage, à partir du travail mené sur l’atelier d’écriture et de jeu du théâtre national de la Colline. Ce travail n’aurait pu être réalisé sans le soutien du théâtre national de la Colline, des mécènes finançant cet atelier, des intervenants et participants, ni sans l’implication des chercheurs qui ont suivi l’atelier et des personnalités extérieures concernées par cette expérience. Ainsi mes remerciements vont à : • Stéphane Braunschweig, Directeur du théâtre national de la Colline (TNC); • Stanislas Nordey, artiste associé au théâtre national de la Colline, intervenant et metteur en scène de la présentation de juin 2012 et mai 2013 ; • Monia Tricki, responsable du mécénat, et coordinatrice de l’atelier au TNC ; • Pier Lamandé, Thierry Paret, Leslie Six, Héloïse Temps, Anthony Thibaut, intervenants et encadrants à l’atelier ; • Maxime Samel, régisseur au TNC ; • Mathilde Andrieux, Paul Balagué, stagiaires au TNC ; • Tuong-Vi Nguyen, photographe, TNC • Elisabeth Carecchio, photographe, TNC 8 • Isabelle Condemine et Edith Lalliard de la Fondation Caisse des Dépôts ; • François Aron, Dominique Blanchecotte, Maryline Girodias et Patricia Huby de la Fondation d’entreprise La Poste ; • Anne-Aimée Frances, Firoz Ladak, et Léa Peersman des Fondations Edmond et Benjamin de Rotschild ; • Mariane Eshet de la Fondation SNCF ; • Nils Pedersen de la Fondation EDF ; • Rodolphe Goujet et Justine Pribetich, sociologues, chercheurs au GEPECS (Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité) ; • L’ensemble des participants à l’atelier ; • Les associations partenaires du théâtre National de la Colline ; • Colette Godard, observatrice, pour une évaluation artistique de l’atelier ; • Edouard Razzano, Chargé de Développement Local au sein de la Délégation à la Politique de la Ville et à l’intégration Mairie de Paris ; • Bertrand Düring, Directeur du GEPECS (Groupe d’Etudes pour l’Europe de la Culture et de la Solidarité), Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité ; • Xavier Courtillat et Vincent Pflieger pour leurs conseils et soutien logistique. 9 PREMIÈRE PARTIE L’insertion des institutions culturelles publiques dans leur territoire On a coutume d’évoquer la spécificité française en matière de politique culturelle, signifiant par là une intervention forte de l’Etat, mais aussi des collectivités territoriales, dans le secteur des arts et de la culture. Cette intervention publique peut être justifiée par des arguments d’ordre économique, politique et social et est assortie d’un certain nombre de contreparties, ou d’objectifs à atteindre de la part des institutions culturelles. Ainsi pour résumer, on attend d’abord d’un théâtre, ou d’une compagnie théâtrale une offre de spectacles de qualité, permettant de soutenir et renouveler une création artistique de haut niveau, tout en œuvrant pour le plus large accès possible à ces œuvres, et une diversification des publics. Deux des principaux objectifs de la politique culturelle se trouvent ici réunis : le soutien à la création culturelle et l’accessibilité de tous à la culture. Néanmoins, depuis les années 1980, les choses se sont complexifiées, et la culture ou les arts ne sont plus seulement considérés comme un objectif en soi, mais aussi comme un levier de la politique économique et sociale dans une perspective de développement durable. Les institutions culturelles sont considérées également comme des acteurs de la vie économique et sociale, qui vont être analysés au regard de leur insertion sur leur territoire, et de leur capacité à créer du lien social, voire à générer des richesses et contribuer au rayonnement de leur territoire. Le « cahier des charges » traditionnel des institutions culturelles au regard d’un soutien public Comme le stipule l’article 1er du décret du 24 juillet 1959 portant organisation du ministère chargé des Affaires culturelles, ce ministère « a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent », missions qui sont de fait répercutées au niveau des institutions elles-mêmes2. Plus précisément en matière théâtrale, même si l’on ne peut parler au sens strict de « cahier des charges », comme le souligne notamment Stéphane Braunschweig dans un entretien à l’Express du 20/11/2009 à propos du théâtre national de la Colline, le ministère de la Culture précise les missions attendues du spectacle vivant. Ainsi dans sa lettre de mission adressée aux rapporteurs d’une étude sur le financement du spectacle vivant, Frédéric Mitterrand précise : « j’ai fait du développement du secteur du spectacle vivant l’une des priorités de mon action. Il s’agit de favoriser l’accès au public le plus large et notamment, à ce titre, d’irriguer l’ensemble des territoires, d’encourager un haut niveau d’ambition artistique et culturelle et de garantir au secteur des perspectives de développement portées par le dynamisme du tissu artistique et professionnel. » (Dorny, Martinelli, Metzger, Murat, 2012). Ces objectifs traditionnels sont d’ores et déjà difficiles à atteindre dans la mesure où il faut concilier une politique ambitieuse d’offre artistique – contribuer au rayonnement mais aussi au renouvellement de la création artistique, promouvoir des œuvres de qualité – avec une politique d’accessibilité, fondée sur la satisfaction de la demande la plus large possible, sans tomber dans la facilité de ce que l’on pourrait appeler une culture de « l’entertainment » ou culture « mainstream ». Difficulté accrue d’un strict point de vue économique dans la mesure où la production de spectacles vivants qui repose sur « une économie de projets », se heurte à deux spécificités fondamentales (Dorny, Martinelli, Metzger, Murat, 2 Voir notamment Xavier Greffe et Sylvie Pflieger, La politique culturelle en France, Paris, La Documentation française 2009. 12 2012, p.6). Les biens produits sont des prototypes et ne sont de fait pas reproductibles, et le processus de production ne bénéficie pas de gains de productivité alors que ses coûts augmentent sans cesse. Ces deux caractéristiques ont été largement analysées dans la littérature économique et ont conduit à justifier des modes de financement spécifiques des investissements culturels. Ainsi la création artistique est par essence risquée – « personne ne sait », personne ne peut prédire à l’avance le succès d’une pièce de théâtre, d’un film ou d’une création musicale… - et place le créateur dans une situation de forte incertitude, et de production de prototypes : « En matière artistique, le prototype est à la fois le produit « final » et la série, de telle sorte que tout désajustement entre la nature du bien et les goûts du consommateur prive le producteur de la rentabilité espérée de la production et l’empêche de récupérer les coûts déjà supportés » (Greffe, 2010, p.60). De telles conditions rendent très difficile l’accès au financement et justifie ainsi une intervention extérieure et des subventions publiques pour permettre à l’œuvre d’exister. Mais cela n’empêche pas que certains artistes doivent renoncer à un projet, faute d’avoir pu réunir les moyens financiers. Quant à l’absence de gains de productivité, cette caractéristique a été particulièrement bien analysée dès les années 1960 par deux économistes américains qui se sont penchés sur les difficultés financières rencontrées par les grands orchestres américains. Cette analyse est restée célèbre sous le nom de loi de Baumol et a ouvert la voie à un nouveau champ économique, l’économie de la culture. Assimilant le secteur du spectacle vivant au secteur dit improductif, ne bénéficiant pas de gains de productivité, ces auteurs – Baumol et Bowen (1966) – ont montré par ailleurs que le spectacle vivant était confronté à une croissance incompressible de ses coûts relatifs – la fatalité des coûts -, rendant de fait l’équilibre financier de plus en plus précaire. Ne pouvant répercuter cette hausse des coûts sur le prix du billet au risque de faire diminuer le nombre de spectateurs, ni réduire les charges en abaissant la rémunération des artistes ou en baissant la qualité du spectacle, les entreprises de spectacle vivant sont donc contraintes de trouver d’autres sources de financement, ce qui justifie, du moins dans certains pays comme la France, une subvention publique, ou le recours au mécénat dans les pays anglo13 saxons notamment : « Le versement de subventions ou l’obtention de donations peuvent reculer ces échéances et assurer la soutenabilité des activités artistiques dans une économie de marché » (Greffe, 2010, p.5-7). C’est ainsi qu’en France, « l’économie du spectacle vivant repose en grande partie sur la subvention publique directe de l’Etat et des collectivités territoriales, et dans une moindre mesure, sur des financements privés facilités par la fiscalité (crédit d’impôt, allègements fiscaux…) ; à quoi s’ajoutent des financements parapublics ou mutualistes, gérés par des organismes collectifs de redistribution publics ou privés… » (Dorny, Martinelli, Metzger, Murat, 2012, p.6). Cependant, les responsables de théâtres s’accordent pour reconnaître qu’ « il est de plus en plus difficile de trouver de l’argent privé pour la création théâtrale, le mécénat étant davantage un mécénat social qu’un mécénat artistique »3. C’est donc par l’entrée « lien social », « intégration sociale » que l’atelier d’écriture et de jeu du théâtre national de la Colline a pu bénéficier du soutien financier de fondations mécènes. De nouvelles attentes : un levier du développement durable Si le rôle premier attendu des institutions culturelles, et en particulier du spectacle vivant, est la création artistique et l’accessibilité la plus large possible, cela ne représente qu’une partie de leurs missions. En effet, dans un contexte marqué par le poids croissant des contraintes économiques et sociales, et ceci en parallèle avec le développement d’une « culture de l’évaluation », les objectifs strictement artistiques et culturels ne sont plus suffisants, et l’on attend des acteurs culturels qu’ils deviennent des acteurscitoyens, insérés dans une société, sur un territoire donné, et qu’ils jouent pleinement leur rôle de création de richesses (immatérielles et matérielles), d’échanges, de lien social… Le Théâtre national de la Colline ne déroge pas à la règle et se veut un lieu ouvert sur le monde réel (encadré n° 1). 3 Conférence Didier Juillard, Directeur de la programmation de la Colline, 2012. 14 Encadré n° 1 : La Colline, théâtre ouvert sur le monde réel Stéphane Braunschweig, Directeur du Théâtre national de la Colline La Colline se veut un théâtre ouvert sur le monde réel – un théâtre où résonnent et se réfléchissent les questions les plus vives du temps et du lieu où nous vivons – un théâtre où chacun vient pour nourrir ses propres interrogations, y élaborer des réponses, peut-être. L’atelier d’écriture et de jeu constitue un espace où l’on affirme encore et toujours l’importance de l’acte de création, la force et le plaisir des mots et les multiples de leur représentation. Dans une double dynamique qui porte à la fois la scène vers le monde et le monde vers la scène, des singularités se révèlent, des bouts de réel se dévoilent. Une façon de dire non à la résignation. Théâtre national de la Colline - Atelier 2009/2010 : Terre ! Terre droit devant ! D’une certaine manière, la culture n’est plus seulement un objectif en soi – un bien de consommation finale – mais un instrument d’une politique de développement durable, intégré, – autrement dit un bien de consommation intermédiaire en quelque sorte -. La ministre de la Culture Aurélie Filippetti s’exprimait ainsi lors de son discours d’ouverture du 5ème Forum d’Avignon en novembre 2012 : « La culture est une passion française et cette passion est un des ferments de la citoyenneté qui donne tout son sens à l’espace public, à l’espoir et à l’avenir. Je crois que la culture est un moyen de lutter contre les forces centrifuges de la crise parce que sans partage, sans échange, sans dialogue, il n’y a pas de culture pas plus d’ailleurs qu’il ne peut y avoir de commerce. Pas de redressement productif sans redressement créatif, donc. » Le rôle d’entrainement économique a été mis en avant dès les années 1980 en France, voire déjà les années 1970 aux Etats-Unis notamment, avec le développement d’études sur les retombées économiques de la culture. Dans un contexte de ralentissement économique et de montée du chômage après la période faste d’aprèsguerre des « Trente Glorieuses », il s’agissait de montrer que les activités culturelles avaient leur rôle à jouer en matière de développement économique et généraient des flux de dépenses 15 successifs tout en créant des emplois. Les institutions culturelles, tant dans le secteur patrimonial (musée, monument historique…) que dans celui du spectacle vivant (théâtres, festivals…) induisent dans un premier temps des dépenses directes liées à leur activité propre, puis des dépenses indirectes qualifiées généralement de touristiques, enfin des dépenses induites par les effets de synergie entraînés par les flux de dépenses successives. Si l’on prend l’exemple d’un festival, la création d’un spectacle exige de faire appel à différents corps de métiers, indépendamment même du seul fait que cela donne du travail à des artistes et techniciens du spectacle. Des commandes sont passées à de petites entreprises ou artisans, ce qui contribue au maintien de certains emplois. Au titre des dépenses touristiques, la tenue d’un festival pendant quelques jours ou semaines va attirer des visiteursspectateurs qui vont devoir se loger, se nourrir, et effectuer des dépenses courantes auprès des commerces locaux, permettant également le maintien d’emplois dans les secteurs de l’hôtellerierestauration et du commerce. Enfin ces flux de dépenses vont créer une synergie et provoquer d’autres dépenses d’une part de ceux qui ont été bénéficiaires des premiers flux, d’autre part en provoquant de nouveaux besoins, en termes d’aménagement urbain, d’infrastructures, de services… La prise en compte de ces différents effets débouche sur la mise en lumière d’un coefficient multiplicateur synthétisant la « rentabilité » de l’investissement culturel initial. Ainsi, déjà dans les années 1980, une étude sur les retombées économiques du festival d’Avignon (Pflieger, 1986, et Greffe et Pflieger, 2005) estimait à 3,78 millions d’euros les retombées directes et indirectes du festival sur la région PACA, à comparer à un montant total de subventions de 2,12 millions d’euros, soit un coefficient multiplicateur ou un « rendement local » de 1,84. Le secteur patrimonial n’est pas en reste, et depuis le début des années 2000, chaque municipalité, ou région, est en quête de « l’effet Guggenheim » ! En effet, le succès du musée Guggenheim à Bilbao (ouvert en octobre 1997) avec ses conséquences économiques et sociales sur la ville de Bilbao est devenu la référence et le modèle à imiter pour nombre de villes européennes touchées par la crise économique : on évoquera en France les cas de Metz avec 16 l’ouverture du Centre Pompidou-Metz en mai 2010, et Lens avec l’inauguration du Louvre-Lens le 4 décembre 2012. Une étude récente sur le musée du Louvre, a montré que l’impact ou le poids du musée du Louvre dans l’économie française en termes de valeur ajoutée, représentait en 2006, une dépense comprise entre 721 et 1156 millions d’euros, pour une dépense initiale de l’ordre de 175 millions d’euros (Greffe, 2006). Toutefois, les évaluations positives réalisées à partir des exemples des musées Guggenheim-Bilbao, Pompidou-Metz ou Louvre-Lens nous incitent à ne pas en rester au seul plan économique : aujourd’hui, l’approche se veut beaucoup plus globale, en termes d’insertion sur un territoire. Non seulement une institution culturelle doit avoir des effets d’entrainement sur l’économie locale, mais elle doit avoir également un rôle d’intégration sociale, de création de lien social, d’identité culturelle et de fierté commune à partager. C’est en ce sens que l’on peut dire que la culture est d’une certaine manière « instrumentalisée » par les responsables publics, notamment locaux, pour devenir l’emblème d’une politique de développement d’un territoire. (encadré n° 2). Une étude récente réalisée pour l’Union européenne illustre clairement les liens existant entre les musées et les municipalités en Europe : « Les musées ont, d’abord et logiquement, été organisés pour conserver leur patrimoine, en mobiliser le potentiel éducatif et de formation et l’exposer au regard des visiteurs… Les choses commencèrent à changer lorsque villes, territoires et pays eurent à assumer les défis liés d’une société de la connaissance et de la globalisation. » (Greffe, Krebs, 2011, p.26). Ainsi, les effets de la globalisation en termes de restructurations de l’emploi, de suppression d’activités traditionnelles, devraient pouvoir être limités par des investissements en éducation et formation qui constituent le socle d’une société de la connaissance jouant par là un rôle de levier à l’émergence d’autres activités. Les débats sur le patrimoine culturel rencontrent alors ceux sur le développement durable. Cependant, l’impact en termes d’environnement a été plus long à se faire reconnaître, même si « aujourd’hui, il est admis que la qualité des villes comme des sites habités dépend en grande partie de la manière dont ils ont su mettre leur patrimoine en harmonie avec les autres bâtiments et espaces. » (Greffe, Krebs, 2011, p.26). 17 Encadré n° 2 : Le Centre Pompidou-Metz et Le Louvre Lens Sylvie Pflieger Ces deux expériences récentes en France, 2010 pour Metz et 2012 pour Lens, nous semblent symptomatiques du rôle que peuvent jouer les arts sur le développement des territoires, et du rôle d’initiateur que peuvent exercer les grandes institutions culturelles nationales, en l’occurrence ici deux musées nationaux majeurs, le musée du Louvre et le Centre Pompidou (qui héberge notamment le musée national d’art moderne, MNAM). Ces deux institutions, qui n’ont aucun lien commun quant à leur référence historique, ont chacune dans leur domaine un rayonnement international, et constituent les institutions phares de la capitale. En face, deux villes, toutes deux situées dans des bassins industriels aujourd’hui en déclin, mais aussi au cœur de zones transfrontalières européennes, ont bénéficié d’infrastructures ferroviaires performantes (lignes et gares TGV) susceptibles de leur donner une dimension européenne. Le Centre Pompidou-Metz et le Louvre-Lens sont donc le fruit d’une rencontre entre deux projets culturels : celui d’institutions nationales souhaitant faire partager leur expérience, leur richesse artistique et les rendre accessibles à des populations jusque-là exclues de la culture, et celui de villes ou communauté d’agglomérations souhaitant dynamiser leur territoire, le rendre attractif (il ne suffit pas que la ligne TGV traverse à grande vitesse la région), et redonner confiance à des populations qui peuvent se sentir oubliées. Pour ce faire, la culture, et en l’occurrence, la création d’un musée (modèle Guggenheim) a été choisie comme levier de développement du territoire, comme « condensateur ou cristallisateur urbain », l’accent étant porté sur la dimension multiculturelle. Des partenariats entre institutions culturelles nationales et responsables politiques locaux se sont mis en place, et des concours d’architecture lancés, la conception même du bâtiment étant déjà en elle-même un premier pas vers cette construction identitaire territoriale. Très vite dans les deux cas, le projet architectural (Shigeru Ban/Jean de Gastines/Philip Gumuchdjian pour Pompidou-Metz et le cabinet Sanaa pour le Louvre-Lens) est devenu « l’emblème » du territoire. Le succès a été immédiat pour Pompidou-Metz qui a accueilli dès la première année plus de 550 000 visiteurs (dont 65 % de « locaux » Lorraine et Alsace -, 13 % d’Ile-de-France et 11 % d’étrangers) et est devenue la première institution muséale hors Paris. Le Louvre-Lens semble connaître un succès similaire et comptait déjà 300 000 visiteurs 3 18 mois après son ouverture (et vise 700 000 visiteurs à l’issue de la première année d’ouverture). A la clé : « apporter à domicile » quelques-uns des joyaux de nos collections publiques à des populations exclues de la culture et des pratiques muséales ; redonner confiance et fierté à des populations ayant subi le déclin industriel de leur territoire ; créer des synergies au sein du territoire ; attirer des visiteurs et touristes qui contribueront ainsi au nouveau dynamisme économique du territoire considéré. L’étude liste les cinq enjeux partagés par les municipalités et musées en vue d’un développement soutenable du territoire : éducation et formation, insertion et cohésion sociale, diversité culturelle, contribution à la croissance économique, et contribution à l’attractivité du territoire. Nous pouvons souligner que nous sommes d’ores et déjà ici en adéquation avec ce qui va constituer le cœur de notre propos, à savoir l’expérience de l’atelier d’écriture et de jeu du théâtre de la Colline. En effet, ces enjeux – à l’exclusion peut-être de la contribution à la croissance économique – constituent bien la trame de l’histoire de cet atelier. Au-delà du seul volet économique, et des effets en termes de création de projets et de nouvelles activités, le volet culturel est devenu un élément à part entière du développement des territoires, en termes notamment d’intégration et de cohésion de la société. Il est souvent affirmé en effet, « qu’en exposant les individus au même système de valeur, ils se comprendront et s’accorderont mieux. La cohésion de la société bénéficierait ainsi de l’existence de réseaux culturels [et] face aux mécanismes d’exclusion et de marginalisation dont témoignent des territoires en crise, on ne peut que recommander l’usage intensif de pratiques culturelles… » (Greffe, Pflieger, 2005, p.40). On ne peut s’empêcher de faire référence ici à un rapport du Conseil de l’Europe de 1997, qui donnait une vision particulièrement euphorisante des effets sociaux de la culture : « Au titre des effets directs, les arts et la culture offrent des loisirs socialement estimables, élèvent le niveau de réflexion des populations, contribuent positivement à l’élévation de leur bien-être et renforce leur sensibilité. Au titre des effets sociaux indirects, les arts enrichissent l’environnement social en stimulant ou en facilitant l’existence de 19