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antérieurement « au temps des horloges »
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de l’indicatif. Cela explique la liberté et
l’élasticité des emplois du subjonctif en français préclassique, qui ne connaît pas encore les
règles de la concordance des temps et dont la seule unité réside dans l’univers de croyance du
locuteur et les valeurs modales qu’il induit.
Subjonctif et monde du possible
Le subjonctif apparaît à chaque fois que le locuteur entre dans le monde du possible. Le
français préclassique applique fidèlement cette règle, la seule qu’il connaisse. Ainsi l’usage
du subjonctif dans les complétives est-il plus libre qu’en français moderne. Après un verbe
exprimant la volonté ou la crainte par exemple, le recours aux deux modes est possible selon
que le discours appartienne au monde des possibles ou du probable. En revanche, l’indicatif
s’utilise à chaque fois que le narrateur est sûr de son propos et qu’il assume chaque terme de
l’énoncé, en d’autres termes lorsque son énoncé appartient au monde du probable. Tel est
paradoxalement le cas après un verbe de crainte, aujourd’hui seulement suivi du mode
subjonctif, motif illustré par ce mot de Montaigne : « je crains que c’est un traistre »
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, ou
après un verbe principal nié, normalement assorti du mode subjonctif : « Damon pense estre
fin, et il ne prend pas garde que je suis encore plus fine »
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, ou bien au sein d’une complétive
introduite par un verbe injonctif : « Elles ordonnent que les yeux seront rendus à Cupidon, et
la bande ôtée »
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. Il en va de même au sein d’une subordonnée conjonctive de concession, à
l’exemple de ces remarquables vers de l’Illusion comique qui montrent mieux qu’un long
discours, la façon dont, par le recours à l’indicatif, le locuteur assume le procès: « Faites-moi
la faveur de croire sur ce point, / Que, bien que vous m’aimez, je ne vous aime point. »
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Andraste courtise ici avec insistance la jeune Isabelle qui, ne doutant guère de l’amour de son
éternel prétendant, traduit cette conviction au moyen de l’indicatif aimez de l’hémistiche
« Que bien que vous m’aimez ». Pour la même raison, Isabelle utilise l’indicatif au détour du
« je ne vous aime point », certaine qu’elle est de n’éprouver aucun sentiment à son égard.
Pour ce qui concerne le choix des temps du subjonctif, le français préclassique adopte
une concordance de type cinétique et modal.
10
ARGOD-DUTARD (Françoise), L’écriture de Joachim du Bellay, le discours poétique dans Les Regrets
l’orthographe et la syntaxe dans les lettres de l’auteur, Genève, Droz, 2002, p. 86.
11
MONTAIGNE (Michel de), Les Essais [1549-1592], Paris, PUF, 1965, t. 2, livre troisiesme, chapitre V, Sur
des vers de Virgile, p. 844.
12
URFÉ (Honoré d'), L'Astrée [1610-1631], Genève, Slatkine, 1966, t. 2, op.cit., 2
ème
partie, livre 6, p. 228.
13
LABÉ (Louise), Œuvres [1555], Débat de Folie et d’Amour, op.cit., Discours V, p. 80.
14
CORNEILLE (Pierre), L’Illusion comique [1639], Paris, Nizet, 1985, acte II, scène 3, p. 629.