3. Civils et combattants dans les deux conflits
mondiaux
a. L’expérience de la Grande guerre
Les militaires
Pendant la Première Guerre mondiale, tout le système occidental de normes de
l'affrontement guerrier qui vole en éclats, jusqu’au droit de la guerre. Celui-ci, censé
protéger les soldats blessés et désarmés ainsi que les civils, avait fait l'objet au XIXème
siècle et au début du XXème siècle d'une codification internationale écrite
. Mais dans la
guerre totale, les procédures de limitation de la violence disparaissent : ainsi, la trêve
des brancardiers n’est respectée que de manière exceptionnelle, et les blessés agonisent
longuement sur les lieux du combat…
Le fantassin du XIXème siècle est un soldat dressé : il combat debout. Son arme est le fusil
à poudre
, qu’il recharge deux fois par minute, debout. Et c'est également debout qu’il
tire, qu'il charge… La position verticale est non seulement dictée par les conditions
techniques du combat, elle est aussi valorisée -et valorisante- aux yeux des soldats : sur
le champ de bataille, on se tient droit. Physiquement, mais aussi, suppose-t-on,
moralement.
Fin XIXème siècle, puis surtout pendant la Première Guerre mondiale, l’évolution
technologique transforme radicalement la technique corporelle du combattant : le fusil
à répétition envoie plus de dix balles
par minute ; la mitrailleuse, arme typique de la
guerre industrielle, dresse devant elle un mur de balles de quatre cents à six cents
projectiles par minute ; l'artillerie peut désormais écraser sous les obus un champ de
bataille sur une profondeur de plusieurs kilomètres. Dans ces conditions, le soldat de la
Grande Guerre au combat n’est plus un soldat dressé : il doit s'accroupir pour se
déplacer, et se coucher dès qu'il est sous le feu. Recroquevillé sur lui-même, il s'écrase
contre la terre au moment du danger. Lorsqu‘il en a la possibilité, il trouve refuge dans
un trou d’obus, une tranchée, un abri collectif.
Ce combattant couché devient aussi dans une large mesure un combattant impuissant
devant l'intensité du feu, terrorisé, humilié par sa propre terreur et ses manifestations
physiologiques. L’expérience combattante, c’est un vécu terrifiant du bombardement,
par canon, par mortier, lance-roquettes, bombe d’avions. Le sentiment de vulnérabilité
corporelle du combattant est encore accentué par le recours aux gaz de combat, l’action
des chars et des avions : un combattant dont l'entraînement, l'expérience, les qualités
physiques et psychiques dans l'activité de combat, pèsent désormais peu face à
l’efficacité anonyme du feu
, caractéristique du combat moderne. Le champ de bataille
cesse définitivement d’être ce « champ de gloire » des campagnes du Premier Empire.
L'expérience combattante est sous la plume de très nombreux témoins, évoquée comme
une « boucherie » : le sens même du combat tend à disparaître, et la guerre à devenir
une expérience déshumanisante, d’une répugnante absurdité.
Ce sont les conflits modernes qui ont, à la fois, considérablement accru le nombre des
« blessés psychiques », et forcé les services de santé des armées à prendre leur cas en
considération et à mettre en place des procédures thérapeutiques. 1914-1918 constitue
la rupture majeure : du côté français par exemple, les « pertes » psychiques s’élèvent à
14% du total des indisponibilités.
L'agression sensorielle représentée par le combat moderne fut donc hautement
traumatique pour ceux qui eurent à la traverser :
Les conventions de Genève de 1864 (complétées en 1929 et 1949), celles de La Haye de 1899 et
1907 (prolongées en 1922-1923) prenaient la suite d'un jus belli coutumier bien plus ancien.
Les balles sont alors rondes, peu pénétrantes, et ne portent guère au-delà de 100m.
Les balles sont devenues coniques, rapides, pivotantes, et donc extrêmement vulnérantes, jusqu'à une
distance utile de six cents mètres environ.
Cette violence nouvelle se caractérise également par l’anonymat de la blessure et de la mort infligées,
lié à la portée des armes : on ne sait qui on tue ni qui vous tue.
Diapo 16
Article Le Monde : Face