Cent culottes et sans papiers

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Centculottesetsanspapiers
deSylvainLevey
Carnetartistiqueetpédagogique
CarnetpédagogiquerédigéparMarieBernanoce,maîtredeconférencesenétudesthéâtrales,professeuragrégéede
lettres.
Sous la plume de Sylvain Levey, l’école devient le miroir de notre société et de sa consommation effrénée. Il recense ces
affairesfutilesouutilesquelapubetlesgoûtstententd’imposerauxenfants.
Ilmontreceschosesquirévèlentcequ’onest;ildévidelacomplainteduprogrès;ildresseuninventairesensibledecesobjets
inanimésracontanttouteunehistoiredeFrance,dessans-culottes…auxsans-papiers.
Àcoupsdepetiteschroniquespoétiquesoud’aphorismespolitiques,vraismatériauxpourlascène,l’auteurobservelarelation
entreleshabitsetlesenfantsetlanceiciunpavé,commeunpetitmanueld’instructioncivique.
l’auteur
SylvainLevey, également comédien, est parmi les jeunes auteurs de théâtre les plus prometteurs. AprèsPar les temps qui
courent(Lansman,LaScèneauxados1,2004),sapremièrelonguepièce,Ouasmok?,aétépubliéedanslacollectionjeunesse
de Théâtrales (2004), ouvrant son œuvre jeunesse. Se dessine une écriture en connexion profonde avec l’univers de
l’adolescence et de l’enfance. Sylvain Levey, même dans son théâtre généraliste, commeEnfants de la middle class ou
Quelquespagesquel’onretrouvedansThéâtreencourt1auxÉditionsThéâtrales(2005),écritlemondedupointdevuedela
jeunesse.
Sonthéâtres’engage.Dèsl’enfance,l’hommeestconditionnéparunesociétédefausseslibertés:grouilleunpetitmondetrop
policé de cochons qui s’ignorent, d’inceste familial, de couples sclérosés, de bourgeois engoncés dans leurs habitude
superficielles.Despersonnagescependantsebattentavecforce:dansAlicepourlemoment(ÉditionsThéâtrales,2008),cesont
lesparentsd’Alice,exploitésparlechômageetlesassureursrapaces,maiscapablesderirecommedesfousquandleurvoiture
vientd’exploser;c’estViktorLamouche,dansThéâtreencourt3(ÉditionsThéâtrales,2008),unjeunehommepromisauplus
belavenirquidécidedetoutabandonnerpourcéderaurêved’amourdescontesdefées,quisedéroberasouslui.
Au final, c’est le chemin qui compte, la route d’Alice, de ses parents, avec l’humour qui accompagne tout regard distancé
permettant d’avancer : sans doute est-ce là aussi le chemin d’écriture de l’auteur Sylvain Levey. Son oeuvre théâtrale, qui
représente aujourd’hui d’une quinzaine de pièces, est marqué par un jeu physique à la fois oral et graphique sur le rythme,
sensibledanslaponctuation,lesreprisesdesons,dephrases,destructures.Lalangue,faussementorale,s’adresseaulecteur
pourlesortirdesatorpeur,l’interpeller,sanscynismedanslesombre,sansfadeurdanslejoyeux.Pourplusdeprécisions,se
reporter à l’analyse deOuasmok ? dansÀ la découverte de cent et une pièces de Marie Bernanoce (Éditions Théâtrales,
2006,pp.248-251)ouaudossierconsacréàSylvainLeveydanslen°217delarevueGriffon(n°demai-juin2009),pp.14-16.
Planducarnet
A.Chemineraucœurdutexte
A.Unestructuredramaturgiquenonconventionnelle:despetitsrefuspourungrandrefus
B.Unestructuredramaturgiqueenformedemontage:despetitesquêtespourunegrandequête
B.Miseenvoix/Miseenespace
A.Unemiseenvoixchorale:dudireaumontrer
B.Unemiseenespacecontrastée:dudireauvoirfaire
C.Miseenjeu:dudireaufaire
A.Fairesanslepublic
B.Faireaveclepublic
C.Combinaisondesdeuxchoix
D.Bilanesthétique
D.L’environnementartistiquedeSylvainLeveyetdeCentculottesetsanspapiers
A.L’histoired’unclic
B.Unepoétique
E.Annexes
A.Miseenréseau/bibliographiepourallerplusloin
B.Plandeséquenceencollège,classede4èmeoude3ème
A.Chemineraucœurdutexte
Il s’agit d’un lentcheminement, fondé sur l’exploration profonde du texte et le plaisir de la lecture et des mots.
L’imaginationdeslecteursyestsollicitée.
CettenouvellepiècedeSylvainLeveyconfirme,s’ilenétaitbesoin,l’inscriptiondesonuniversdansuneparolesurlemonde
forte,tonitruantemême,sansqu’ellen’yperdejamaisladrôleriepoétiquedesonrythme.
Centculottesetsanspapiers,commelejeudemotsdutitrel’indique,faitlegrandécartentrel’idéalrévolutionnairedusiècledes
lumièresetladureréalitécontemporainedeshommes,desfemmesetsurtoutdesenfantsquel’onchassed’unpays,laFrance
(nomméeàlafindelapièce),parcequ’ilsn’ontpasdepapiers.Plusglobalement,ilproposeunregardimmergédanslemonde
del’enfance,sesenthousiasmes,sesdéceptions,s’attachantauxrelationsentrelesadultesetlesenfants,sansangélisme.Y
transparaîtl’idéalquetoutadultepeutyretrouver.
SylvainLeveys’attachealorsauxvêtementsqu’ilsontdûlaisserderrièreeuxavantdepartir,signeshumblesmaistêtusd’une
réalitéquivanoussauterauvisage.
A.Unestructuredramaturgiquenonconventionnelle:des
petitsrefuspourungrandrefus
Lapremièreétapedeladécouvertedelapièceparlesélèvesconsisteraà relevertoutcequel’onnetrouvepasaupremier
abord.
Consignedonnéeauxélèves:enfeuilletantlapièce,qu’est-cequevousnetrouvezpasquel’onpouvaitattendre?Qu’est-ceque
l’ontrouvequel’onn’attendaitpas?
a)Pasdelistedepersonnagesnidepersonnagesnommés
Quand les élèves vont ouvrir la pièce, ils ne pourront que faire ces remarques, immédiatement visibles : aucune liste de
personnages au début de la pièce, aucunnomdepersonnagesdanslecorpsdutexte,commeonl’attendd’ordinairedansle
modèleclassiquedel’écriturethéâtraledialoguée.Lesélèvesleverrontbiendèsl’incipitdelapièce:
Queldrôlede
Petit
Militairepeutportercetteveste
USArmy
Tailletrenteetquatre?
Lesoldatpremièreclasses’appelle
Clémence
Clémence
Queldrôledeprénom
Pourcellequiporteunearme.
Etpourtant…
Onremarqueracependantquel’ontrouvedesnomsdepersonnages,maisdanslecorpsdelaparoledontonn’apasl’origine,
quin’estpasclairementidentifiée,quineressemblepascomplètementàunmonologue.
Consigneplusprécisedonnéeauxélèves:releveztouslesprénomsouautresmodesdedésignationde«personnages»que
l’ontrouvedanslapièce.
Dansl’incipit,onaainsi«Clémence».Ontrouveraensuite,dansl’ordre:
Samir(p.12)quel’onretrouvep.73,p.77
Alban(p.17)
Victor(p.20)
«Fluette»(p.23)
«Hautcommetroispommes»,accompagnéd’ungrandnombred’autressurnoms,principalement«Courpartout»(pp.
30-32)
«Maîtresse»(pp.38-40)
Jimmy(pp.49-51)
Clovis(pp.52-55)
Bérénice(p.59),quel’onretrouvep.72,avecunclind’œilàlaBérénicedeRacine.
Onremarqueradanscepetittravailderecherchequ’apparaissentaussidesnomsdepersonnagesquel’onpourraitdire«de
seconddegré»commeFerdinandetFrançois(pp.55-57)quicorrespondentàcequelespersonnagesdupremierniveauvont
s’amuseràendosser,dansuneformeparticulièredethéâtredanslethéâtre.
Onremarqueraégalementquelaquestiondesefairenommerestpresqueinscriteaucœurdelapièce,encreuxdanslemanque
depersonnagesnommésmaisaussidefaçonindirecte,dansunsecondniveaudefictionainsip.73pourlesenseignantsetp.77
pourlesenfants:«parcequ’ilnes’appellepasPierre,Paul,JacquesouFrançois».
Celaouvriraalorsunquestionnementsurle«quiparledanslapièce?»
Consigne donnée aux élèves :commentvousreprésentez-vouslepersonnagequiassumelaparoledanslapièce?Unou
plusieurspersonnages?
Laréponseàcettequestion,complexe,passesansaucundouteparl’explorationdelaconsignesuivantesurledécoupagedu
textemaislesélèvespourrontassezviteidentifierunevoixquel’onpeutsentircommelavoixdel’auteur.Onamèneraainsiles
élèvesàremarquerp.77laprésenced’uneadresseàl’undespersonnages,Samir,présentà3reprises:
C’esttondernierjouriciavanttasortie.
Samir
Làaussi,onpeutdistinguerdeuxniveauxcarlaquestiondumoi,ME,estposéeàplusieursreprisesdanslesecondniveaude
fiction:ainsipp.52-55danslepassageconsacréàClovis,cetenfanttantnommémaisinvisibleauxyeuxdesesparents,ou
encorepp.64-65oùsetrouvemisenquestionlesensdeM+E=Me/MauvaisÉlève.
b)Pasdedécoupageexplicite:destranchesdevie,maisliées
Dans le cours du même travail de découverte, on va remarquer qu’il n’y a aucun découpage en scènes, actes, fragments
nommés.Parcontre,lesenfantsvonttrèsviteremarquerquedestiretslarges,àgauchedespages,découpentl’ensembledu
texteenuncertainnombredepassagesquel’onpourranommer«fragments».
Consignedonnéeauxélèves:Vouscompterezpuisidentifierezlesfragments,parlenombredepages,lathématique.
Ontrouve34fragments.
Voicicequedonneral’analyseprécisedelastructurationdelapièce,poursapremièremoitié:
1. Clémencepp.7-8
2. Lepullduprintempssurlahaiepp.8-9
3. LacagoulebleuemarinedeSamirpp.9-12
4. LeAmstramgramdel’expulsionpp.13-15
5. Lemouchoirblancsurleradiateurpp.15-16
6. LepetitdébardeurtailleXScolenVp.16
7. Lepantalond’Albanpp.17-21
8. Lavestecanadiennepp.21-24
9. Legantdujeufeuille/ciseauxpp.24-25
10. Leslipdepiscinepp.25-27
11. Lagiflescolairepp.27-29
12. Lefoulardpp.29
13. LepulldeCourpartoutpp.30-32
14. Lablousegriseàl’étoilejaunepp.32-34
15. Lesdéguisementspp.34-38…
Consignedonnéeauxélèves:Queremarquez-vousconcernantlerythmedecettecomposition?Commentpeut-onappeler
cesfragments?
Cetteconstructionrendlerésumédelapièceimpossible.Commeonlesent,aucunestructureunifiéeetglobalenefaitrentrer
cetteparoledanslescadresadmisséparanttextedialoguéettextedidascaliquedanslemodèledelapiècemachine.Onaidera
lesélèvesàrentrerdanscesquestionsenleurprésentantlesdeuxoutilsconstruitsparMichelVinaver,pièce-machineetpiècepaysage,croquisàl’appui.
Comme Jon Fosse dansLeManuscritdeschiens,maisplusencore,laparoleicisedénude,éloignetouslesartificesd’une
théâtralitéd’ornementetconstruitunrapportàlascènetrèsconcret,inscritdanslalangue,lesmots,lerythme,lessituations.
Quiparle?Aqui?Quand?Où?Comment?Ceseralabased’untravaildeplateauetmêmedemiseenvoix.
Lapiècefonctionnecommeautantdecoupsdepoingsoudeconfidencesprofondémentadressésaulecteur/spectateur,avecdes
fragmentstrèscourts(cfle12,2lignes)etd’autresbeaucouppluslongsdontledernier,le33ème,quivadelap.68àlap.81,soit
13pages.Chacundesfragmentscorrespondàunetranchedevie.
B.Unestructuredramaturgiqueenformedemontage:
despetitesquêtespourunegrandequête
Aucunetranchedevieneressembleàuneautre,chacuneasathéâtralitépropre,leplussouventhétérogène,mêlantdescription
àlamanièred’unrécitant,dialoguesansoriginepréciseet/ousansadresse,dialogueclairementoriginéetadressé,appuisur
desjeuxd’enfantchoraux(Am-stram-gram…,marelle,papier-ciseau).
Consignedonnéeauxélèves:commentpeut-onappelerl’ensembledestranchesdevie?
Letextedelapièceestdoncunmontage,unassemblage:plusprécisémentc’estuntissu,pourreprendrelevocabulairesibien
adaptédeBarthes,depetitsfragmentsdelongueursvariéesdontchacundonnelieuàunetranchedevie.Celle-ciestparfois
descriptiveou,àl’inverse,trèsnarrative;d’autresfoisellesefaitmonologue(cffragment13)ouaucontrairetrèsdialoguée(cf
fragment11)
Danstouslescas,lefaitqu’iln’yaitpasd’origineàlaparolelarendparadoxalementtrèsmonstrative*:lelecteurpeutavoir
l’impressionquel’auteurluioffreàvoir,àimaginer,trèssimplement,cequelui-mêmeapuobserverouimaginer.
Bilansurlamonstration:p.505deÀladécouvertedecentetunepièces.
Lamainsemblesetendreetservirderelaisentreleréeletlelecteur.Cettedramaturgieportedoncaussiuneéthiquethéâtraleet
littéraire,commeunmessagesurcequepeutêtretoutecommunicationhumaine,àl’inversedel’expulsiondesenfantssanspapiers, sujet de la pièce. On peut dont en conclure que la forme s’adapte à son sujet et que l’on a ainsi une dramaturgie
performative*,quifaitcequ’elledit.
Consignedonnéeauxélèves:Quelsenspeut-ondonneràcetteconstructiondramaturgique?
Ilestbiendifficiledefaireétatdetouslesthèmes,souventenécho,quisillonnentcetexte,lelabourentetl’ancrentdanslaréalité
moderneetcontemporainelaplussimpleetlaplusuniverselleàlafois,pourfairedenousdestémoinsinterpellés.Onysentse
développer une sorte de poésie politique (ce que Cormann nomme le poélétique), une passion pour l’humanité ordinaire et
l’absurditédesexpulsionsd’enfantsquinousemportejusqu’aupointd’orguequ’estledernierfragment:lesquatorzepagesqu’il
occupedonnentlamesuredel’ampleurqu’ilpourraprendresurscène,reposantsurunsoufflelyriquequin’estpassansrappeler
celuidesromantiquesoudesauteursdelarévoltemoderne.Onsentleurprésence,deci,delà,duNapoléonlepetitdeHugoà
L’HommerévoltédeCamusenpassantparLeCancredePrévert.
Maisilnefaudraitpascroirequeleseulsujetdecettepiècesoitl’expulsiondesenfantsimmigrés.Ceseraitlaréduireàun
thème alors qu’elle est un chemin. Le regard qui l’amorce est celui de l’adulte, du père, de l’ancien enfant qui se penche en
arrièrepourmieuxsepencherenavant:
Ilfautfermerlesyeuxàprésent
Ettoucherlapierre
Secolleràlapierre
Caresserlapierreaveclapaumedesamain
Gratterlapierreavecsesongles
Jusqu’ausang
Ilsuffitdedécollerlacouchedesannéesquipassent(p.71)
Sepencherenarrièreeneffetneveutpasdireselivreràunenostalgiefacile,l’enfanceestclairementreconstruite,leregardest
pleind’humouretdetendressedénonciatrice,tournéverslefutur,interrogeantainsiladevisenationalepourmieuxenchanterles
vertusetlesrappeleràl’ordredelaconscience.Dansuntexteinédit,L’histoired’unclic,SylvainLeveyécritceci:
Comment mettre en scène ce texte ? Toutes les entrées sont possibles, du théâtre d’objets bien
évidemment(oudevêtements!),undispositifplastique,unemiseenondeaveccasquepourquoipas,
unetrouped’acteursaussic’estunaxeintéressantunseulacteurouuneseuleactriceseulesurune
chaisefacepublicsansriend’autrequeelleetletexte.Uneseuleporteestfermée,cellequiouvresur
lechemindelanostalgie.Ilnefautpasselaisserpiégerparlecôté«lesdoigtspleind’encre»avec
toutlerespectquej’aipourlephotographeRobertDoisneau.C’estavanttoutuntextepolitiquequi
replacelejeunelecteurspectateuracteuràl’endroitoùilsetrouve,c’estàdiredébutduvingtetunième
siècleavecunehistoireavant,unehistoirependantunehistoireaprèslui.(Letextecompletestprésent
danslapartieEnvironnementartistiquedutexte)
Celaouvriraitlavoieàdestravauxinterdisciplinairesintéressants,entreHistoire,Français,Éducationàlacitoyennetéettravail
plastique.
B.Miseenvoix/Miseenespace
Lastructurationdelapièce,tellequ’elleaétéétudiée,permettraauxélèvesderentrertoutnaturellementdanslamiseenvoixdu
texte.Ons’appuieraalorssurlesressourcesdelamiseenpage,trèsdidascalique(usagedesblancs,retoursàlaligne,tiretsde
dialogue…),différented’unfragmentàunautremaisfonctionnanttoujourscommeunpointd’appuiàlalecturevisuellecommeà
lalectureàhautevoix.
A.Unemiseenvoixchorale:dudireaumontrer
Applicationenclasseentière,surlesquatrepremiersfragments
Onpourrabienentenduproposerauxélèvesdemettreenvoixcertainsfragments,encommençantparlespremiers,oubien
alorsdemettreenvoixl’ensembledelapièce.Nousallonstraitericilamiseenvoixpartielledutexte,danslecadred’une
classeentière.
On proposera aux élèves de mettre en voix,tousensemble, les quatre premiers fragments (p. 7 à 15) et l’enseignant pourra
utilementsemettredanslacirculationdelaparole.Laportéecitoyennedecetexteyinvite.
Consigne donnée aux élèves :nous allons mettre en voix les quatre premiers fragments de la pièce en utilisant deux
techniques différentes. A la fin de l’exercice, nous échangerons sur nos impressions, puis nous évaluerons chacune de ces
techniquespouranalysercequ’ellesapportentdeparticulierautexteetàsarichesse.
Premièretechnique
Placésencercle,lesélèvesetleurenseignantvontlireletexteensepassantlerelaisdelaparoleparlesyeux,surchaque
alinéadutexte.
Cetteformederelaisdelaparoleatoutd’aborddegrandesvertuspédagogiquescaronnesaitjamaisquandonvarecevoirla
parole:celaentraînedoncuneconcentrationimmédiatetrèsefficace,dufaitmêmedelaconsigne.
Parailleurs,étantdonnél’écrituredeSylvainLevey,cettetechniquevapermettredecréerdesbéancesdansladictiondutexte
permettantdelefairerespirercommeilrespiredansleblancdelapage.
Prenonsletoutdébutdupremierfragment:
Queldrôlede
Petit
Militairepeutportercetteveste
USArmy
Tailletrenteetquatre?
Unelectureàunevoix,sanspréparation,lisseraitletexteetlebanaliserait,luienlèveraitsathéâtralitéoriginaleet,parailleurs,
enferaitunmonologuescénique,cequ’iln’estpasnécessairement.Imaginonslesinstantssuspendusquivonts’immiscerdans
letexteàchaquefoisqu’ilvaàlaligne.Ilnes’agirapasdesurchargerletexteenleredoublantd’intentions,maissimplementde
faire entendre les blancs, en lecture neutre ou cherchant à l’être. On percevra ainsi que s’engage une sorte d’enquête avec
refrains:«Ilsemble»,«Queldrôlede».
Danslefragment2,onsentunedramatisationquiemportel’imaginaire,avecmétaphoresethumourdeseconddegré:
Lahaie
Finebouche
Et
Grandegourmande
Afiniparmangerlemohair
Lefragment3,beaucoupplusample,s’inscritdansletempsdefaçonétonnante:présent,passéreconstitué,futur,etl’onnesait
plusd’oùparleletexte:
Lacagouleesttombée
Aveclespremièresneiges
Onlaretrouveraserpillère
Audébutduprintemps.
Suitunediscussionaniméedonnantàressentirl’enquêtequel’onpercevaitdanslefragment1,maisdémultipliéedansseseffets
théâtraux,avecpointsd’interrogationetd’exclamationnombreux,àfairesimplementrésonnerenjouantdeladifférenceentreles
pointsetlespointsd’exclamation.
Quantaufragment4,ilreposesurlecontrastecrééentrel’effetderondedujeuenfantinAmstramgrametlabrusquebasculequi
seproduitavecle:
—Alorsc’esttoi
—C’esttoujoursmoi.
On se retrouve partie prenante du jeu de l’exclusion, d’abord ronde qui exclut puis voix de l’exclu. Les passages à la ligne
pourraientêtreponctuésdehalètementsplusoumoinsmarqués,renforçantladramatisationdecettesituation,jusqu’àlachute,
p.15,
—C’esttoujoursmoiquifaislelapin.
Cettechuteestàpercevoirdanssalittéralitécommedanslesenssecondqu’elleprendlorsquel’onpenseauchasseur.Lafin
abrupteetincomplètedudialoguecréemêmeunesortedesuspension,assezinsupportable,quelamiseenvoixàplusieurs
devraitbienrendreetqu’ilfaudratravailler,faireetrefairepourqu’ellesoitjuste,làoùelleest:évocationd’unehorreurpossible,
maisnonappuyée.
Secondetechnique
Toujoursplacésencercle,lesélèvesetleurenseignantvontdireletexteencréantdesblocscorrespondantauxinterlignes.On
changera donc de voix, toujours par le relais du regard mais lorsqu’une interligne vient créer des séquences à l’intérieur du
fragment.
Leseffetsproduitsrisquentdesurprendre,cassantlesévidences,créantdesbéancesdethéâtralitéétonnantesainsidansce
passagedufragment3:
L’étiquetteestdélavée
Onnepeutpluslirequ’unelettre
Lapremièrelettred’unprénom
S
S
CommeStéphane
CommeSophie?
CommeSteven?
S
Onpourraainsiimagineraussibienundialogueintérieurqu’unvéritabledialogueàplusieurs.MaisquiparleaupremierS,quiau
second?Est-celemême?Est-cealorslemêmeautroisièmeS?Onsentiraquecetexteestunpuitssansfondsenmatièrede
situationsd’énonciationfictives.
Danslefragment4,lechangementdevoixauxinterlignesvafairesentirladifférenceentrelesgrandstempsdechœur,collectif,
entraînant,etlesbrusquessentencesquitombentmaissansfairededifférenceentreceluiquiémetlasentenceetceluiquila
reçoit,réunisdanslemêmemomentcruel,intéressantepistedesens:
—C’estpastoi
—C’estpasmoitantmieuxc’estpasmoi
Commentévaluerleseffetsproduitsparcesdeuxméthodesetcomment
lesallier?
Pouraiderlesélèvesàserendrecomptedeseffetsproduitsparlesdeuxméthodesproposées,parfoisfortsubtils,onseditqu’il
faudraitqu’ilsnesoientpasseulementdesvoixquiparlentmaisaussidesoreillesquiécoutent.
De ce fait, on pourrait recourir ausystème du « deux tiers/un tiers » : j’appelle ainsi l’astuce pédagogique et profondément
théâtralequiconsisteàproposeràungroupedesediviserentrois.Alapremièreétapedutravail,deuxtiersfont,untiersregarde
et/ou écoute. Puis on change un des tiers deux fois de suite, ce qui amène ainsi chacun à être à tour de rôle
«auditeur»/«spectateur»et«acteur».Outrelefaitquecetteastucepermetdegérerdeseffectifsunpeulourds,celapermet
aussideproposerauxauditeurs/spectateursdeprendredesnotessurcequ’ilsconstatent,sentent,sedemandent,etc…Cela
nourriraensuiteletempsd’évaluationetdebilan,partagedessensationsetdesanalyses,surtoutquandils’agitderefairepour
améliorer.
Letempsdebilandevraitdébouchersurl’idéequel’onpeutallierlesdeuxméthodes.
Onpourraitainsiimaginerreprendrelamiseenvoixdufragment4endivisantlegroupeendeuxchœursdifférents,unpourlejeu
quiavance,unpourlesmomentsdesentence,derésultatdujeu.
Bilanesthétique
Cetravaildemiseenvoixpourraenfindéboucher,enparticulieravecdegrandscollégiensoudeslycéens,suruneréflexion
esthétique.Onexploreraalorslesrapportsqu’entretiennentlesdramaturgiesmodernesetcontemporainesaveclamusicalité,ce
quisignifieaussiunrapportausilence*,aublancdelapagecommeilyadesblancsenmusique.
Voir l’article « Silence dans l’ouvrage Poétique du drame moderne et contemporain, Lexique d’une recherche » (Études
théâtralesN°22,2001)republiéensuitesousletitreLexiquedudramemoderneetcontemporainchezCircéen2004.
B.Unemiseenespacecontrastée:dudireauvoirfaire
Applicationenclasseentière,surlesquatrepremiersfragments
Lerapportaurythmeetàlamusicalitén’exclutpasquecetextedethéâtresoitégalementfortementancrédansuneesthétiquedu
tableau,del’image.Dansleprolongementdutravailprécédent,onproposeraauxélèvesdes’interrogersurlamanièrededonner
àvoircequiconstituelabasedramaturgiquedecettepièce,àsavoirlamonstration*desdifférentsvêtements.Pourcelaonva
leurproposerd’apporterdesvêtementspouvantcorrespondreàceuxquisontévoquésdanslesquatrepremiersfragments,pour
restersurcettepartiedutexte.
Latechniquedetravailpourraconsisteràreprendrel’associationdesdeuxtechniquesdemiseenvoixexploréesplushautmais
enleurajoutantdesessaisliésauplacementdansl’espaceetàlaproxémie,enappuisurdesvêtements.
Commedansletravaildemiseenvoix,ilseraitintéressantd’explorerdeuxtechniquesdifférentes:danslepremiercas,ilyaura
effectivementdesvêtements.Danslesecondcas,aprèslesavoirutilisésonlessupprimeramaisengardantunepartiedes
gestes,placements,déplacementsquiavaientététrouvésenappuisurcesvêtements.Onserendraainsicomptequecertains
fragmentssedistinguentcarilsnefontpasréférenceexplicitementàunvêtement,ainsilefragment4.
Sil’onessaieensuited’allierlesdeuxchoixduvêtementprésentetabsent,letravailsurlefragment3pourraitdonnerlieuàdes
recherchespassionnantesautourdelacagoule:quandlavoit-on?Est-elleprésentedèsledébut?Onpourraiteneffetimaginer,
«effetTartuffe»,qu’onenparlependantunlongmomentsansqu’onlavoie,etellepourraitapparaîtresoudainaumomentoùle
questionnementdel’enquêtedémarre:
Elleestàqui?(p.10)
pourensuitepasserdemainsenmains,ousedémultiplierenautantdecagoulesqu’ilyad’élèves….
Bilanesthétique:desréférencespourl’enseignant,àmettreàlaportée
desélèves
Ce travail donnera l’occasion, même avec des plus jeunes, de se questionner sur la place de l’objet dans le théâtre, ce qui
engagedefaituneréflexionsurlesdifférentessortesdemisesenscène,dunaturalismeàlathéâtralisation.Sereporteràla
typologie de Pavis dans son ouvrage L’Analyse des spectacles (Armand Colin 2005, p. 194) et à l’adaptation qui en a été
proposéedansl’ouvragedeMarieBernanoce,Écrireetmettreenespacelethéâtre,CRDPdeGrenoble/ÉditionsDelagrave,
2002,p.117.Voiraussidanscetouvrage,p.60,lerésumédelaquestiondurapportàl’objetauthéâtreprésentéparJean-Pierre
RyngaertdansLeJeudramatiqueenmilieuscolaire,DeBoeckUniversité,Bruxelles,1991,p.41-42.
C.Miseenjeu:dudireaufaire
Lamiseenjeudecettepièceparaîtassezdifficile,ycomprispourdesprofessionnels.Onpourraitalorsfairetournerletravailde
jeuproposéàdesjeunesautourdel’adresse.
Unedesquestionsessentiellesquedevraiteneffetseposerunmetteurenscèneseraitdesavoirsil’onestounondansen
rapportdeproximitéetdecomplicitéaveclepublic,enfrontalitéounon,avecousans4èmemur…
Commedanslesmisesenvoixetenespace,onpourraalorsexplorerplusieurspossibilitésdifférentes,enuneformequel’on
peutappelerun«jeudesvariations»,afind’expérimenterleseffetsproduits,éventuellementlàaussipourlescombiner.Nous
allonsnouspenchericisurdeuxdecespossibilités,encontinuantàprendrepourobjetlesquatrepremiersfragmentsdutexte.
A.Fairesanslepublic
Toujourssurlesquatrepremiersfragments
Lapremièrepisteàsuivreconsisteraàemporterletexteducôtéoùsonancragesocialetpolitiquepeutl’entraîner:uncertain
réalisme, tirant même du côté du naturalisme. On peut ainsi imaginer que chacun des fragments corresponde à une
reconstitution:quiparle?àqui?où?avecquelsobjets?etc.Nousseronsalorsdansunesorted’enquêtepolicière,clairement
connotéeparendroitscommenousl’avonsvu,avecdesformulesdutype:«Ilsemble»,«Queldrôlede»(voirla première
partiedelamiseenvoix).
Sicetypedemiseenjeupeuts’appeler«sanspublic»,c’estquelechoixduréalismesupposequ’existelequatrièmemur.On
faitcommesilepublicassistaitàtoutcelasansquelescomédiensnemontrentjamaisqu’ilssaventquelepublicestlà,ou
seulementàderaresmoments.Onpourraainsifairelire,surtoutparlesplusgrands,lepassagedeDiderotpensantl’idéede
4èmemurdanssonouvragede1758,Discourssurlapoésiedramatique:«Imaginezsurlebordduthéâtreungrandmurqui
voussépareduparterre;jouezcommesilatoileneselevaitpas.».C’estl’esthétiquedutroudeserrure,commelaprésentait
BrechtbienplustarddansL’Achatducuivre(Écritssurlethéâtre,I,L’Arche,1972,pp.551-557).Lepublicassisteàcequise
jouesurscènecommes’ilregardaitparletroudelaserrure,commes’ilsurprenaitcequisepassesurscène,sanslui:
LEDRAMATURGE:Qu’enest-ilduquatrièmemur?
LEPHILOSOPHE:Qu’est-cequec’est?
LEDRAMATURGE:Habituellement,onjouecommesilascèneavaitnontroismurs,maisquatre;le
quatrièmeducôtédupublic.Onsusciteetonentretientl’idéequecequisepassesurscèneestun
authentiqueprocessusévénementieldelavie;or,danslavie,iln’yaévidemmentpasdepublic.Jouer
aveclequatrièmemursignifiedoncjouercommes’iln’yavaitpasdepublic.
LECOMÉDIEN:Tucomprends,lepublicvoitsansêtrevudesévénementstoutàfaitintimes.C’est
exactement comme si quelqu’un, par un trou de serrure, épiait une scène dont les protagonistes
seraient à mille lieues de soupçonner qu’ils ne sont pas seuls. En réalité, nous nous arrangeons
évidemmentpourquetoutsoitvusansdifficulté.Simplement,l’arrangementestcamouflé.
Consignedonnéeauxélèves:vousallezproposerunemiseenscènedesquatrepremiersfragments,enappuisurl’existence
duquatrièmemur.
Choixpossible:réellemiseenjeuetenscèneourédactionsemi-collectived’uncahierderégie
Étantdonnéladifficultéquereprésentelamiseenscènedecetexte,onpourrafacilementimaginerquelesélèvescomplètent
leursessaisdemiseenvoixetdemiseenespaceparl’élaborationd’uncahierderégie,danslequelrêverlamiseenscène,y
comprisavecdesmoyensimpossiblesàexploiterdanslecadredutravaildansetavecuneclasse.L’idéalseraitbiensûrde
pouvoirmontrerauxélèvesuncahierderégied’unvraispectacle,sipossibleauquelilsaurontpuoupourrontassister,defaçon
àlesfairerentrerdanslaprofessionnalitédelamiseenscènedontilscomprendrontmieuxainsicommentelleapuêtreinventée
aucoursduXIXèmesiècle,précisémentparAntoine,leréinventeurdu4èmemur.
Àceteffet,l’enseignantintéressépourraconsulterlesiteduSCEREN/CRDPdeParispourlapartie«Piècesdétachées»ou
encorelesitehttp://educ.theatre-contemporain.net.
En suivant cette piste de mise en scène, on pourrait ainsi voir apparaître en début de fragment 1 une armada d’enquêteurs,
pourquoipasdugenreSherlockHolmes,seretrouvantsurlapistedespersonnagespropriétairesdevêtementsquelepublicpeut
voiretentendremaisqu’euxnevoientpasetdontilsreconstituentl’histoireàlaquellelespectateurvad’autantpluss’identifier
qu’il semble en apparence exclu de ce jeu. Le travail sur le premier fragment pourrait donner le cahier de régie suivant qui
pourraitêtreagrémentédecroquisdedispositifscénique,decostumes,etc.:
Lechœurdesenquêteurs,présentsurscèneavantquelespectaclenecommence,s’animeetpartàla
recherched’indicessurleplateau.Ilsdécouvrentdesvestesmilitaires,qu’ilssepassentdemainsen
mains:
Queldrôlede
Petit
Militairepeutportercetteveste
USArmy
Tailletrenteetquatre?
Unefilleapparaîtenfonddescène,àjardin,vêtuedelamêmevestemilitaire,àpeineéclairée.Le
Chœurdesenquêteursnelavoitpas.Elleseparleàelle-même,commeunfantôme:
Lesoldatpremièreclasses’appelle
Clémence
Lechœurdesenquêteurscontinuesonjeuderechercheetbrusquementl’undesenquêteurstrouveun
indice,uneétiquette:
Clémence
Passagedemainsenmains,lechœurseretrouvegroupéenavant-scènecour,pleinsfeuxfroids:
Queldrôledeprénom
Pourcellequiporteunearme.
Lechœurdesenquêteurs,deplusenplusfébrile:
Unetache
Enbas
Surlacouturedelapoche
Lafille,pleinededouceur,semblevouloirlesaider,petitgesteaumilieudesonimmobilité
Cellededroite
Lechœurdesenquêteurs
Dusang?
Lafille,gourmande
Non
Lechœurdesenquêteurssortseséprouvettes,mesure,teste
Ilsemblenon
Lafilleritdoucementdesapetitefarceinvolontaire
Duchocolat
Lechœurdesenquêteurs,déceptionmanifeste
Duchocolat
Ilsembleoui
Lafillesanslesregarder,separlantànouveauàelle-même
Duchocolatoui
Lechœurdesenquêteurssortantleurscarnets,minesdépitées
Duchocolatouipasdusangnon.
Lafille
Quelledrôlede
Petite
Guerre.
Lechœurdesenquêteursrangeantleurscarnets
Quelledrôlede
Petit
Régiment.
Noirplateau
Lafille
Quelledrôlede
Petite
Guerre.
Onlecomprend,écrirelecahierderégierevientaussiàécrireletextedidascaliquederégiequel’écrituredeSylvainLeveya
complètementexclueetl’oncomprendfacilementunedesraisonsdecetteabsence.Làoùilchoisitdegarderunmaximum
d’ouverturedanslerapportdesontexteaveclepassageauplateau,unerecherchedemiseenscènevanécessairementdevoir
fairedeschoixdoncrefermercetteouvertureettoussespossibles.
Ici la proposition faite amènera à rendre visible certains des personnages propriétaires de vêtements, mais sans en faire un
procédéquinuiraitfortementaurythmeetàlaforcedelapièce.Danslefragment2,onneverraitquelechœurdesenquêteurs
maiscelapourraittoutaussibienseprésentercommeunreportagetélévisuelavecunegrandiloquencejournalistiquedétournant
lapoésieetlesmétaphoresdupassage:
Lahaie
Finebouche
Et
Grandegourmande
Afiniparmangerlemohair.
B.Faireaveclepublic
Toujourssurlesquatrepremiersfragments
Àl’inverse,icivontêtreexploréesdesformesdemiseenscènejouantaveclepublic.Eneffet,onnepeuts’empêcherdepenser
quecethéâtreretrouvequelquechoseduthéâtredeparticipation,avantl’inventiondu4èmemur,quandonfaisaitduthéâtresurle
parvisdeséglises,danslesauberges,surlaplacedesvillages.
Onpourrasensibiliserlesélèvesàcesformesdemiseenscèneenleurmontrantdesimagesdel’ouvraged’AndréDegaine,
L’Histoireduthéâtreillustrée,oubienencoredesextraitsdefilmscommeleMolièred’ArianeMnouchkinepourcequiestdes
tréteauxdevillageoùl’onvoitcommentlepublicapostrophaitlescomédiens,cequinousemmèneraitaussiducôtéduthéâtre
demarionnettescommeGuignoloubienencoreducôtéduthéâtred’inspirationsocialeàlaAugustoBoal:onpourraitainsi
imaginerdeconstruireunemiseenscènedefragmentsdelapiècedestinésàsejouerdanslesruesoudansdesespaces
publicspourfairecroireauxgensqueletexteestimprovisé!
Rien n’empêche de penser la mise en scène de ce texte en théâtre d’objets ou à l’inverse en théâtre de voix, avec ou sans
supportsvisuelsoudeplateau.
Consignedonnéeauxélèves:vousallezproposerunemiseenscènedesquatrepremiersfragments,encassantlequatrième
mur.
Choixpossible:réellemiseenjeuetenscèneourédactionsemi-collectived’uncahierderégie
Sil’onreprendlepremierfragmentetlespistesdecahierderégieprésentéesplushaut,onpourraitainsiimaginerlamiseen
scènesuivante:
Lechœurdesenquêteurssurgitdufonddelasalleetpartàlarecherched’indicesaumilieudupublic.
Lasalleresteéclairée.Ilsdécouvrentdesvestesmilitaires,qu’ilssepassentdemainsenmains,d’un
boutàl’autredelasalleens’apostrophantbruyamment:
Queldrôlede
Petit
Militairepeutportercetteveste
USArmy
Tailletrenteetquatre?
Une poursuite s’immobilise sur une fille, assise au premier rang, à jardin, vêtue de la même veste
militaire. Lumière crue, froide. Le Chœur des enquêteurs ne la voit pas. Elle se lève,parle aux
spectateurs,colèreetrévolte:
Lesoldatpremièreclasses’appelle
Clémence
Lechœurdesenquêteurscontinuesonjeuderechercheetbrusquementl’undesenquêteurstrouveun
indice,uneétiquette:
Clémence
Passagedemainsenmains,lechœurseretrouvegroupéenavant-scèneouaupieddelascène,
pleinsfeux,adresseaupublic
Queldrôledeprénom
Pourcellequiporteunearme.
Lechœurdesenquêteurs,deplusenplusfébrile:
Unetache
Enbas
Surlacouturedelapoche
Lafille,impatiente
Cellededroite
Lechœurdesenquêteurs
Dusang?
Lafille,mépris
Non
Lechœurdesenquêteurssortseséprouvettes,mesure,teste
Ilsemblenon
Lafilleritàgorgedéployéedesafarceinvolontaire,
Duchocolat
Ellevamontrerlechocolatsursavesteàuncertainenombredespectateurs
Duchocolat
Duchocolat
Duchocolat
Adlibitum
Lechœurdesenquêteurs,déceptionmanifeste.
Duchocolat
Ilsembleoui
Lafille,adressepublic,découragement,lassitude,douleur,montesurscène.
Duchocolatoui
Lechœurdesenquêteurssortantleurscarnets,minesdépitées
Duchocolatouipasdusangnon.
Lafille,adressepubliclarge
Quelledrôlede
Petite
Guerre.
Ellesortbrusquementenfonddescènejardin,commeapeurée.
Lechœurdesenquêteursrangeantleurscarnets,ens’adressantauxspectateurs
Quelledrôlede
Petit
Régiment.
Adlibitum
Ilss’assoientdanslepublicàdesplacesréservéesàceteffet.
Noirsalle
C.Combinaisondesdeuxchoix
Commeonl’avuplushautpourlamiseenvoixoumiseenespace,ilseraitfortintéressantdeprolongercetravaildevariation
autourdedeuxpistesdifférentesliéesauquatrièmemuretàl’adresseenessayantdelescombiner.
Danslapremièresolution,avec4èmemur,onpeutsoudainavoiruneadresseaupublic:c’estleprincipedel’aparté.Ilfaudrait
trouverquandcelapeutavoirdusens,oucréerunerupturederythme.
Danslasecondesolution,àl’inverseonpeutretrouverlecôtépresquefantomatiquedelafille:
Lafille,separleàelle-même
Quelledrôlede
Petite
Guerre.
Commeonlepercevrafacilement,l’écrituredecettepièceesttellementouvertequetoutsemblepossibleetducoupleschoix
sontdifficiles,d’oùl’intérêtd’untravaildevariationsetnonunerechercheachevée.
D.Bilanesthétique
Autermedeceparcoursdedramaturgieetdemiseenscène,onpourraitdémarrerunediscussionsurcequecettepièceporte
demétathéâtralité d’un genre très particulier car ce n’est pas du théâtre dans le théâtre mais, un peu à la manière de Jean
Tardieu,explorationd’uncertainnombred’élémentsdethéâtralité,commedansunjeu.Ceséléments,rapportounonaupublic,
montré/raconté,blanc-silence/saturation-accumulationlyrique,semblentl’objetd’unesorted’explorationjubilatoiredeleurs
gammes,donnantàlapièceuneteintemulticoloreàl’imagedecequ’ellerevendique.
Cettevariétéludiqueenelle-mêmeporteunegrandpartdusensdecettepiècequel’onpeutqualifierde«contagieuse»:donnant
envied’écrire,deregarder,des’enthousiasmeretdes’indigner,elletransmetdemultiplesfacettesdelaviepriseauxsourcesde
l’enfance.
D.L’environnementartistiquedeSylvain
LeveyetdeCentculottesetsanspapiers
CetextedeSylvainLeveyaétépubliéenfévrier2010.Iln’apasencorefaitl’objetd’unecréation.Voiciuntexteinéditdanslequel
SylvainLeveyexpliquelagenèsedesontexte,sesinfluences,sonenvironnement...
A.L’histoired’unclic
Deuxclicsexactement.Lepremierclicdirectionlacorbeillepourlefichier«onnesaitpasquionnesaitpasquandonnesait
paspourquoi(titreprovisoire)».Fichierrangédansledossier«textesendevenir»demonordinateur,textequin’enavaitplus
beaucoup,d’avenir,puisqueledeuxièmeclicavidélacorbeilleetaenvoyéledocumentàtoutjamaisdanslesméandresdes
circuitsinformatiques.
Et puis un matin, en vacances, j’adore travailler le matin, j’adore travailler en vacances, je couche des mots, des débuts de
quelquechose,surleversodequelquesfeuillesetsurleversodecesquelquesfeuilles,letexte«Onensaitpasquionnesait
pasquandonnesaitpaspourquoi(titreprovisoire)».Commeunrescapédunaufrage.Unrevenant.
Aprèslecafédumidi,àl’heuredelasieste,j’adoretravailleràl’heureducafédumidi,jefaistrèsrarementlasieste,jerelisces
textes,bidouilleunpeu,j’adorebidouillerlestextescommeunadodesannéesquatre-vingtbidouillaitsamobylette(bidouiller,
c’estchangerunmot,enenleverunautre,leremettrefinalement,ajouteruncomplément,trouverunepetitephrasequifaitquelà,
c’estlabonnemusique),jebidouilledoncuneheurepuisdeuxpuistroisenattendantquelasupéretteduvillageouvre,j’enfile
mes claquettes et sors acheter l’unique cahier proposé à la vente dans les rayons de l’épicerie, cahier sur lequel je vais
reprendre « on ne sait pas qui on ne sait pas quand on ne sait pas pourquoi (titre provisoire) » au début du début du
commencement.
Jesaisenrevenantdel’épiceriebaguettedepainetcahiersouslebrasquecetexteseramonprochainlivre.
Cetexte,donc,c’estl’histoired’unerenaissance,d’unsursis,d’unevieaprèslamort.
Ce texte, c’est soleil, coquillages et crustacés. Premières lignes écrites à Jullouville en Normandie dans une maison de
vacances avec vue sur la mer, du sable jusque dans le salon. C’était l’été 2007. (Déjà.) Dernières lignes, bidouillages donc,
astiquage,resserragesdeboulonssurlaterrassepleinsudd’unappartementdevacancesàGuétharyauPaysbasqueavecvue
surlessurfeursetlesbateauxdepêcheurs.C’étaitl’été2009.
Entrelesdeux,deuxlonguesannéesdedoutesetderemisesencausesetd’abandonetd’oublidutexte.
Cetexte,c’estuntextesurl’écoleécritdurantlesgrandesvacances.
Cetexten’estpasuntextesurl’école.Pasque.L’écoleestunprétexte.Commelevêtementoubliéd’ailleurs.Cequim’importe
ici,c’estl’histoireavecunH,ungrandpas,l’histoireausensdramaturgiquedutermecaricid’histoireiln’yenapas,ilyades
résonancesoui,desclinsd’œildetextesàtextes,deschocsaussi,letoutformantunensembleetvice-versa.
Il faut lire ce texte une première fois car l’ordre a une logique, la mienne. La mienne de logique associe la rythmique et le
paysage.Pourdéfinirmonpaysageetmonrythmej’aisuspendumontexteàlaverticale,feuilleàfeuille,untexte(unvêtement)
surchaquefeuilleetj’airegardélevideetlepleindecesfeuillesetj’aidéplacépuisdéplacédenouveaupuisencorejusqu’à
trouverlepaysagequimeconvenait.C’estunjeuquiassociedonccepaysage(l’œil)etlerythme(l’oreille).Untextecourtaprès
deux longs, pourquoi pas, un texte dialogué long après un monologue court suivi d’une liste ou d’une phrase seule, deux
dialoguesdesuitemaisunàdeuxvoixetl’autreàtroisintercalésparunmonologueouuntextenarratif…Celaparaîttechnique,
celanel’estpas.C’estinstinctif.C’estanimal.
Ensuite il faut faire du trampoline et sauter de texte à texte, passer par-dessus certains pour associer deux textes qui se
répondent.Touteslescombinaisonssontpossiblesets’expliquentetontleurproprepersonnalité.Chaquecombinaisonprovoque
deschocsetdespaysagesetrythmesquiluisontpropres.
DansAlicepourlemoment,j’aiécritcequej’appelleunromanthéâtre;ici,dansCentculottesetsanspapiers,j’aiécritnonpas
unthéâtrepoèmemaisunthéâtredemicronouvelles.Lamicronouvellecommesonnoml’indiqueestunenouvelleréduiteau
strictminimum.Cenesontpasdespoèmes,ilnefautpasselaisserpiégerparlamusique.Cesontdesmicro-histoiresqui
misesensembleracontentunegrande.
Aufaitoui,letitre,c’estCentculottesetsanspapiersetcelaaprisdutempsetdel’énergieàmoi-mêmeetàtoutel’équipedes
Éditionsthéâtrales.Quiaditquelemétierd’écrivainestunmétiersolitaire?Nousétionsaumoinssixàréfléchirsurletitre.
Lestitresénoncésmaisnonretenus:Vêtementsoubliés;Uneétoiledanslefond;Dernierjouravantlasortie;Sang,culotteset
centpapiers;Pierrefeuilleciseaux;Sansculottesetcentpapierset,j’enoubliesûrementetbiensûr,Onnesaitpasquionne
saitquandonnesaitpaspourquoi.
Comment mettre en scène ce texte ?Toutes les entrées sont possibles, du théâtre d’objets bien évidemment (ou de
vêtements !), un dispositif plastique, une mise en onde avec casque, pourquoi pas, une troupe d’acteurs aussi c’est un axe
intéressant,unseulacteurouuneseuleactriceseulesurunechaisefacepublicsansriend’autrequ’elleetletexte.Uneseule
porte est fermée, celle qui ouvre sur le chemin de la nostalgie. Il ne faut pas se laisser piéger par le côté « les doigts plein
d’encre»,avectoutlerespectquej’aipourlephotographeRobertDoisneau.C’estavanttoutuntextepolitiquequireplacele
jeunelecteurspectateuracteuràl’endroitoùilsetrouve,c’est-à-diredébutduvingtetunièmesiècleavecunehistoireavant,une
histoirependant,unehistoireaprèslui.
Je n’ai pas vraiment deréférences qui m’ont servi à l’écriture de ce texte. En fait j’ai des références musicales,
cinématographiques, plastiques, littéraires qui sont le socle de l’ensemble de mon travail d’écrivain. Je pourrais citer en
littératureHubertSelbyJunior,JohnFante,JohnKennedyToole,PaulAuster,TanguyViel,LouisCalaferte,AlbertoMoravia,Ou
encoreMichaelHanekeencinéma,lefilmDogDays,lesfilmsduDogmedeLarsVonTrier.
J’aimeaussibeaucoupdesfilmscommeLaGraineetleMuletquiassocientrigueur,engagementetaccessibilitéaulargepublic,
j’aime la simplicité d’Agnès Varda, j’aime les films de la Nouvelle Vague, surtout Godard, surtout Pierrot le Fou, j’aime
Soulages,Pollock,Hopper,FridaKahlo,Gauguinenpeinture,j’aimeThomasFersen,NoirDésir,DominiqueA,legroupeBeirut,
TomWaits,IggyPopetJoyDivisionenmusique.
Paris,Avril2010
B.Unepoétique
PublieruntextedeSylvainLevey,c’estaccrocherdansunegaleriehauteencouleursunenouvelletoiled’unpeintrepointilliste.
Arméd’uneposturenaïvefaceaumonde,sifécondecarenapparenceinoffensive,l’auteuravancepartouches,isolées,pour
composerunetoilequ’onpeutembrasserd’unregard.Etsansqu’ondécèlelescouturesdutexte(structureàrhizomesécriraitle
chercheur…)aufildelalecture,sesfragmentsfinissentparoffrirunensemblequ’onsaisitd’uncoup.Unefoisarrivéàbonport.
ÉditerCentculottesetsanspapiers,c’estlaisserembellirlemurdel’écoleparungrapheurd’aujourd’hui.Làencorelafresque
secréesousnosyeux.Notreattentionsefocalisesurundétail,unvêtementoublié.Puis,c’estcetteétoilejaunelaisséeaufond
d’uncarton,cettelitaniedemarquescommeautantderéférentscommuns,malgrénous,etfinalementlaréceptiond’unartbrut,
urbainetcitoyen.EtladramaturgiedeSylvainLevey,quiestaussicelledurebondinattenduetparfoisdelaformulequinous
cueille,dépasseamplementlesimplecollecteurdesituationsquotidiennesqu’onavaitsouslesyeuxsansyprêterattentionet
dontonsedit:«C’estbientrouvé».Carrelevercequidevientpresquedesaphorismesdel’icietmaintenantestleB.A.BAdu
journaliste.Maisl’écrivain,lui,viseplushaut:mettreenperspectivecesfaitshappésparuneactualitéadepteduzappingouau
contraire tellement rabâchés qu’ils sont ancrés dans nos cerveaux disponibles ; tel un alchimiste, transformer le métal sans
valeurd’unesuccessiond’informationsenunautreplusprécieuxcaratteignantlevrai.
Lire les différentes versions deCentculottespouraccompagnerladernière,c’estobserverunmanueld’éducationciviqueen
traindes’écrire.Carl’auteurSylvainLeveynesedépartitjamaisducitoyenexigeantetalertéqu’ilestpourproposeruntexte
hautementpolitiquedansl’acceptionnobleduterme:relatifàlacité,àlachosepublique,àl’«encommun».Maislecitoyen
Levey(onsecroiraiten89)n’abandonnejamaissaviséepoétiquecarilsaitcombienl’artdirectementetuniquementpolitique,
n’usantpasdedétours,resteaustadedel’imprécationsouventvaine,aumieuxéveilleusedeconsciences.Ildélivrealors,parle
prismedepetitsboutsderien,depoèmeslaissésépars,dehaïkusposéslà,uneseuleetlonguephrase,puissante,fracassant
touslesmursmentauxouréelsparlaseuleforcedesmots.
Etcettephraseengoncéedanscepetitlivres’adressebiensûrauxenfantsd’aujourd’hui:ilsenferontcequebonleursemblera,
maisserontsansdouteamusésquecetanimalmystérieuxqu’estl’auteurdethéâtreleurparlepresqueavecleursmots,mais
finalementdécalésverscequ’ilsnenommentpasencoreuneesthétique,unerecherchedubeau.Elles’adresseaussiànous,
anciensenfants,quiregardonsunpeucequenousn’avonspasfait,cequenousavonslaisséfaire,cequenousferonspeut-être
demain.Quisait?CarlireCentculottesetsanspapiersdeSylvainLevey,c’estbienprendreconnaissanced’unenouvellepierre
dansunmurenconstruction,qu’onappelleœuvre.
PierreBanos
E.Annexes
A.Miseenréseau/bibliographiepourallerplusloin
Intertextualitéponctuelle,avecdesréférencesplusoumoinsexplicites
JacquesPrévert,«LeCancre»,Paroles,FolioGallimard,1976(voirlefragment11,pp.27-29)
JacquesPrévert,«Inventaire»,Paroles,FolioGallimard,1976(voirlefragment32,pp.66-68)
Autrespiècesdethéâtresurlathématiquedel’immigration
FrançoiseDuChaxel,L’étédesmangeursd’étoiles,Éditionsthéâtralesjeunesse,2002(pouradolescents)
NadineBrun-Cosme,Unesipetitevalise,Écoledesloisirs,2009(pourenfants)
B.Plandeséquenceencollège,classede4èmeoude
3ème
Lecture
-Découvertesemi-collectivedesseuilsdelapièce
-Miseenvoixdesquatrepremiersfragmentsdelapièce
-Lecturecursiveindividuelledelatotalitédelapièce,enparallèleavecletravaildelangueenclasse
Outilsdelalangue
Lesdifférentessituationsd’énonciationprésentesdanslapièceenrepartantdumodèledelasituationd’énonciation(schémade
Jakobson,complétéparlesapportsdelapragmatique)
Lecture
Bilansdeslecturescursivesindividuelles:
-réactionspersonnellesdechacun:miseencommunsousformedepostitouentravaildegroupesavecsynthèse…
-Questionsposées
-Réponses:l’histoiredel’écriturethéâtrale,lathéâtralitédecetteécriture
Écriture
-Transformerlasituationd’énonciationd’unfragment.Exemple:fragment1,àréécrireenenfaisantlemonologuedeClémence
-Travailpersonnel
Miseenvoix/miseenespace
Expérimentationsthéâtrales,laquestiondel’adresse(situationd’énonciationdansl’espacescénique)
Écriture
-Écrituresemi-collectiveducahierderégiedesquatrepremiersfragments,endivisantlaclasseenplusieursgroupesauxquels
correspondentunoudesfragmentsdifférents:écrituredesdidascaliesderégie
- En travail personnel à la maison : réalisation de croquis du dispositif scénique, de costumes, de « plans de feux », de
déplacements
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