La forêt tire principalement son caractère monumental de son échelle : la canopée qui constitue la voûte forestière culmine entre 20 et 40 mètres avec des arbres qui peuvent émerger à 50 voire 60 mètres. Les fûts énormes des troncs parfois soutenus de contreforts « acabas » s’élancent dans le ciel donnant l’impression de ne jamais se terminer. A l’intérieur de la forêt on se sent minuscule. La faible densité du sous-bois liée à l’ombrage important qui limite le développement d’une végétation basse laisse le regard se porter relativement loin. Ce caractère surdimensionné et cette ambiance de pénombre où l’on entend une faune étonnante sans jamais la voir, donne une dimension importante de mystère et l’on perd rapidement ses repères. Une forêt sempervirente… Si, dans les pays tempérés, la majeure partie des arbres perdent leurs feuilles en période hivernale, le climat équatorial n’impose aucune contrainte thermique ou hydrique à la végétation. Chaque essence conserve donc son propre rythme biologique : c’est pourquoi on peut voir en même temps des arbres dénudés, en fleurs ou, pour la plupart, couverts d’un épais feuillage dense. La chute continuelle des feuilles y donne une impression de pluie végétale incessante. Si le brun des feuilles mortes qui jonchent le sol déploie un épais tapis sombre, parfois veiné de la latérite mise à nue par les écoulements d’eau, il suffit de lever les yeux pour être ébloui par toutes les nuances pointillistes des verts. Les légumineuses, au sens large, occupent la première place et sont représentées par de nombreuses espèces comme l’Angélique, l’Amarante, le Wacapou et le Boco constituent des bois d’œuvre remarquables. Les Lécythidacées comme le canarimacaque ou le mahot-cigare se distinguent par leurs fruits en forme de récipients. Les lauracées, appelées localement « cèdres », sont très connues grâce au Bois de Rose longtemps exploité pour la fabrication de parfums. Les rosacées sont représentées notamment par les « Gaulettes » dont le bois fendif sert à faire des lattes qui, une fois tressées, constituent les murs des cases rustiques. De nombreux arbres exsudent un latex, qui permet souvent de les distinguer, et qui peut servir de succédané du caoutchouc comme le Balata. Fig. 9 : Nuances chromatiques de la forêt sempervirente Un paysage sylvestre homogène avec d’infinies variations L’uniformité du moutonnement vert qui s’étale à perte de vue n’est qu’apparente et le camaïeu infini de vert émaillé des taches colorées de floraisons éphémères, laisse deviner toute la complexité des écosystèmes forestiers. La combinaison du relief et des effets d’évapotranspiration compose des effets de sfumato spectaculaires qui donnent une impression de « forêt à nuages ». Fig. 8 : Ambiance de monumentalité perçue dans la forêt Fig. 10 : Vue aérienne sur les collines recouvertes du manteau forestier Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 8 Fig. 11 : Angélique sur la Montagne des Singes Si les arbres constituent les éléments de base de la forêt, ils ne sont cependant pas majoritaires en nombre d’espèces. Ils servent de support à de puissantes lianes qui s’épanouissent sur la canopée comme les Echelles-Tortues. Fig. 12 : Une étonnante diversité de lianes qui partent à l’assaut des troncs VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Les arbres les plus âgés portent également de nombreuses plantes épiphytes qui poussent sur les hautes branches pour profiter de la lumière. Plantes couramment utilisées en pots en métropole, on retrouve ici pour les principales toutes les Orchidées, les Aracées dont Philodendron et Anthurium et les Broméliacées comme les ananas. Sur la base de ces compositions végétales, les écosystèmes forestiers vont composer différentes ambiances au gré des reliefs notamment au travers des configurations d’hydraulique, d’exposition et de sols différentes. On distingue ainsi : Les forêts de milieux humides recouvrent de nombreux types : Les forêts de basse altitude sur sols hydromorphes avec les forêts marécageuses (pauvres en espèces et souvent marquées par la dominance du palmier Pinot), les forêts ripicoles (proches en composition de la forêt de terre ferme mais avec quelques arbres spécifiques en plus comme le cacao rivière et les Wapas), les forêts inondables d’îlots de sauts (avec des arbres souvent petits, ponctués de quelques grands sujets couverts d’épiphytes et un sous-bois, avec des « herbes à couteau » et certaines fougères) et les forêts de « flat » qui occupent les vallées alluviales plus rarement inondées (avec peu de grands arbres mais beaucoup d’espèces et un sous-bois envahi de lianes recouvertes de mousses et d’épiphytes). Fig. 13 : Les épiphytes qui viennent capter la lumière sur les plus hautes branches Les sous-bois quant à eux, sont occupés par des arbrisseaux adaptés à l’ombre, comme les Rubiacées, les Mélastomatacées et les Pipéracées (famille du poivre). On y retrouve également la silhouette graphique des palmiers épineux comme le Counana et le Mourou-mourou. Les plantes herbacées sont peu représentées en raison du faible éclairement ; on les retrouve cependant souvent sur les lisières ou au bord des cours d’eau. On remarque notamment le balisier par ses inflorescences chatoyantes et les gingembres. Fig. 15 : Cacao, rivière en rive de cours d’eau Les forêts de basse altitude sur sols drainés, recouvrent les pentes et les crêtes de collines, et constituent les forêts les plus étendues et les plus riches en espèces. Elles ont un aspect relativement uniforme et les variations de flore sont plus facilement perceptibles sur les changements de conditions de drainage que de sols. Ainsi, les forêts poussant sur les roches éruptives basiques constituent les plus élevées et les plus majestueuses de Guyane avec des arbres de 40 à 50 mètres de haut, aux fûts puissants et élancés. Sur les cuirasses latéritiques se distinguent des forêts basses, broussailleuses et riches en lianes avec des sous-bois envahis de plantes herbacées notamment les broméliacées épineuses. (Les plus accessibles sont les forêts du plateau du Mahury et la Montagne de Kaw). Fig. 17 : Ambiance spécifique des forêts à nuages (Mt Kotika – S.Linares DIREN) Fig. 14 : Graphisme des palmiers épineux des sous bois Les forêts de moyenne altitude (500 à 680m)correspondent aux sommets tabulaires les plus élevés de Guyane (Montagne Bellevue de l’Inini, Monts Atachi Baka, Monts Kotika, Monts Gaa-Kaba, Massif du Décou-Décou, Montagne lucifer…). Les ruisseaux qui y prennent naissance descendent en cascades au fond de vallons encaissés. La forêt de plaine, en prenant de l’altitude, laisse place à la forêt submontagnarde à nuages, caractérisée par une abondance de fougères notamment arborescentes. Le paysage composé est réellement très singulier : la nébulosité entraîne une humidité permanente qui favorise la prolifération des mousses et des épiphytes qui forment des guirlandes végétales et des manchons le long des troncs. Les Cambrouses constituent des milieux originaux dans la forêt : formations denses, impénétrables, monospécifiques et de quelques mètres de haut ; elles se distinguent de la forêt, notamment vues d’avion, où elles apparaissent comme des prairies. Elles sont constituées de bambous épineux, de calumets ou plus rarement de graminées ou de fougères. La dynamique de colonisation de ces espèces conduit à une sorte d’équilibre qui empêche son évolution vers un stade forestier puisqu’aucun arbre ne peut y germer. Fig. 16 : Vue sur la Canopée de Saül Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 9 VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane Les inselbergs et « savanes roches » : navires de pierre sur les paysages forestiers « Le terme de « savane roche » est propre au territoire de la Guyane française. Il désigne un élément de paysage bien connu des Guyanais, car il est présent en plusieurs sites de la zone littorale sous la forme d’étendues ouvertes, c’est-à-dire non couvertes de forêt et non inondées en saison des pluies, contrairement aux savanes proprement dites. La savane roche apparaît comme une mosaïque d’espaces de roches nues et de végétation basse, essentiellement herbacée avec quelques bosquets d’espèces arbustives. La composition floristique est évidemment différente de la forêt et se rapproche de celle des savanes qui s’échelonnent le long du littoral. Il s’agit donc d’un faciès particulier, appartenant à l’éventail des paysages guyanais. » (Introduction au rapport final de présentation de juin 2005 – ECOFOR, GIS Silvolab IRD, coordonnateur J.P. GASC). sont accessibles et suffisamment hauts, les inselbergs constituent des belvédères privilégiés sur la forêt. Spectaculaires quand on les observe depuis les airs, ils ne se révèlent qu’au dernier moment lorsqu’on les atteint par la forêt. Le plus souvent inaccessibles, ils contrastent par leur aridité et l’ouverture spectaculaire qu’ils offrent sur leur environnement forestier. Par leurs îlots de végétation spécifiques sur un sol de pierre, ils composent à eux seuls des micro-paysages contrastés et uniques. Les criques : un vaste réseau ouvrant la forêt Espace fermé et luxuriant qui paraît impénétrable, le paysage forestier s’ouvre cependant sur l’onde des criques qui semblent fendre l’épais tissu vert de la canopée pour laisser s’engouffrer le ciel et la lumière au cœur de la forêt. Les lisières, souvent épaisses, composent un étroit corridor et le regard se perd en enfilade sur la perspective du cours d’eau qui ouvre une porte dans la sylve. Axes de pénétration et de déplacement majeurs de la forêt (à la fois pour les hommes et pour la faune), les criques et leur réseau dense drainant tout le territoire laissent ainsi les paysages du cœur de la Guyane se découvrir au « fil de l’eau » : à la fois lentement, flottant sur le reflet des frondaisons qui descendent jusque sur le miroir de l’onde ou, plus vivement sur les rapides des sauts où les chaos rocheux composent un paysage riche de combinaisons entre pierre – eau -air et matières végétales. Fig. 18 : Les inselbergs des Montagnes de la Trinité Fig. 20 : Schéma de principe de formation des inselbergs (H. THEVENIAUT, BRGM, 2005) Fig. 22 : Les criques : brèche lumineuse ouvrant une voie dans la forêt (saut sur la Camopi, Cliché T. REQUILLART) L’eau par le rythme de son débit, contribue également à transformer les paysages de la forêt. En période sèche, les petites criques alors ourlées de blocs rocheux peuvent à la saison des pluies, envahir la forêt sur de vastes zones d’expansion et gommer les subtiles variations topographiques des fonds de vallées. Si l’eau est biologiquement indissociable de la forêt elle est également le moyen quasi incontournable d’en découvrir les paysages. Fig. 19 : Contraste roche/végétation sur un inselberg Les Inselbergs sont nés de l’altération et de l’érosion des roches anciennes du bouclier guyanais pendant 200 millions d’années, ce qui a conduit, lors des variations climatiques récentes, au décapage de la couche altérée sur les reliefs et leur accentuation. Les inselbergs ressortent dans le paysage non seulement par leur volume et leur végétation particulière mais aussi par leur couleur pourpre ou sombre et la texture de la roche mise à nue qui contrastent avec la canopée tout en nuances de verts. Lorsqu’ils Fig. 21 : Paysage de savane-roche (Ill, de Granville) Direction Régionale de l’Environnement de la Guyane 10 Fig. 23 : Le paysage intime des berges où la lisière enlace l’onde VU D’ICI & ARUAG - Atlas des Paysages de la Guyane