Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 12.3
une correction des excès spéculatifs des années 1920, un accident conjoncturel comme il s'en
était déjà produit maintes fois sans conséquences à long terme, par exemple en 19071.
L'excédent budgétaire atteignait quatre milliards de francs; les stocks d'or de la Banque de
France s'accroissaient régulièrement. Le chômage était à peu près nul (il y avait douze mille
chômeurs recensés en décembre 1930 — selon des critères il est vrai bien plus étroits
qu'aujourd'hui). Les salaires avaient donc tendance à augmenter, puisqu'il y avait pénurie de
travailleurs, même si le patronat, pour limiter ces tensions sur le marché de l'emploi, avait
recours à l'immigration (voyez au chapitre 11). De ce fait la consommation était euphorique,
ce qui contribuait à la bonne santé du secteur productif. Toutes les branches de l'économie
progressaient, à l'exception de l'agriculture.
En fait, c'étaient paradoxalement les archaïsmes de l'économie française qui la
protégeaient momentanément de la crise. Le commerce extérieur jouait un rôle assez
faible: l'économie française était moins extravertie que celles du Royaume-Uni et de
l'Allemagne, ce qui fit que les entreprises françaises furent moins vite touchées par les effets
de l'effondrement de la consommation aux États-Unis et par ceux des dévaluations
"compétitives" des monnaies anglo-saxonnes2. Le protectionnisme forcené de la IIIe
République empêcha la baisse des prix mondiaux, notamment agricoles, de se répercuter
immédiatement. Mais à terme, une économie introvertie croît toujours moins vite qu'une
économie extravertie3, car depuis l'Antiquité le commerce a toujours été une activité plus
rentable que l'extraction ou la production, et le marché français était de taille réduite. De
même, il y avait peu d'investissements américains en France et les entreprises françaises
dépendaient peu des banques, nationales ou étrangères, et de la Bourse, car elles avaient
largement recours à l'autofinancement: de ce fait, elles furent peu affectées par les faillites en
chaîne qui se succédèrent aux États-Unis, puis en Europe centrale, et les retraits de capitaux
américains; mais à terme, toute enteprise a besoin de capitaux pour se développer, et le
système bancaire français n'y suffisait plus. Le sous-peuplement relatif de notre pays, et le
manque de jeunes, protégeaient momentanément du chômage, mais à terme ces facteurs
représentaient une menace pour la consommation et pour le dynamisme de l'économie en
général. Seuls facteurs réellement positifs, dans les années 1920 la France n'avait pas connu
1 En octobre 1987, donc après la fin de votre programme, de nouveau il a eu un très grave krach à Wall
Street, mais il n'a pas eu de conséquences économiques notables à long terme. Qu'un krach débouche sur une
crise économique mondiale est plutôt l'exception que la norme, contrairement à ce que la mémoire hypertrophiée
de celui de 1929 tendrait à faire croire aujourd'hui.
2 Pour une définition de cette expression voyez le cours de Relations internationales, à la fiche E1.
3 Sauf dans le cas d'un pays-continent comme les États-Unis, dont le marché se suffit à peu près à lui-
même. Sauf peut-être aussi dans le cas d'une économie en phase de décollage, qui peut avoir besoin d'une
protection face à la concurrence internationale pour se constituer une base industrielle (encore que l'expérience
d'un grand nombre de pays du tiers-monde entre 1950 et 1980 semble indiquer que les effets négatifs d'une telle
protection dépassent souvent les effets positifs — voyez le cours de Relations internationales, à la fiche E3);
mais en 1930 ce n'était plus le cas de la France.