texte transcrit par les services de la FSR

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Rencontre du conseil élargi de l'USJ
avec le Rvd P. Adolfo Nicolás
Supérieur Général de la Compagnie de Jésus
(le 24mars 2011)
Texte transcrit par les services de la FSR
Mot du Père général des jésuites, P. Adolfo Nicolás
Merci beaucoup pour cette opportunité de trouver la fameuse université Saint-Joseph. Ce
que j'ai trouvé cet après-midi est très impressionnant comme vision, comme orientation et même
comme résultats. J'ai rencontré des étudiants, j'ai rencontré aussi des personnes qui travaillent
dans l'Opération 7eme jour et qui sont lancés dans divers engagements dans la société avec la paix
après la guerre et c'est vraiment très impressionnant et très encourageant ; les jésuites n'ont pas
perdu leur temps.
Je trouve toujours difficile de parler sans dialogue, mais vous avez envoyé des questions
et c'est le principe du dialogue. Alors, comme première réflexion autour des questions que vous
avez envoyées, je ne cherche pas à donner des réponses parce que, quelquefois, il n'y a pas de
réponses, il y a un chemin à faire. Alors, je ferai seulement des commentaires autour des
questions et puis nous pouvons continuer le dialogue jusqu'à ce que le recteur nous demande de
mettre fin aux discussions.
Questions-Réponses
II y a des questions réparties selon les facultés, alors je les mettrai ensemble.
Questions de la Faculté des sciences de l'éducation
Q 1 : Comment être une université jésuite et laïque à la fois ?
(Je crois que c'est une question très générale).
Q 2 : Que peut être l'apport spécifique des jésuites au Liban dans le double contexte
de la composition multiconfessionnelle de ce pays et des transformations que traverse le
monde arabe ? (Cette question est un peu plus difficile pour moi).
Q 3 : Quelle stratégie mettre en place afin d'assurer les synergies entre les diverses
institutions d'enseignement des jésuites, de par le monde, écoles et universités ? Comment
garder vivant le message d'Ignace de Loyola auprès des jeunes ?
R1 : Premièrement, je voudrais dire qu'il n'y a pas de contradiction entre être une école
jésuite ou laïque. Il n'y a pas l'école jésuite, il y a des écoles que les jésuites ont fondées, il y a
des écoles où les jésuites travaillent, il y a des écoles où les jésuites sont les directeurs ou les
recteurs. Mais les écoles, comme l'éducation, appartiennent à une mission plus grande que la
Compagnie de Jésus. Je l'ai dit ce matin à Jamhour et je le répète maintenant : La mission que
nous avons et la mission que les jésuites considèrent importante parce qu'elle a affaire avec
l'Evangile, le Royaume de Dieu, est beaucoup plus grande que ce que les jésuites peuvent faire,
elle est une mission qui a besoin de toutes les forces possibles. Donc tous les hommes et femmes
de bonne volonté peuvent collaborer à cette mission parce que c'est la mission de l'humanisation
du monde. Il y a des processus dans le monde tels que la globalisation, la guerre, la violence, la
faim, la pauvreté et le chômage. Il y a des problèmes qui nous préoccupent tous, mais personne n'a
la solution. La solution doit venir d'une collaboration mondiale, au niveau mondial. Alors, ce
sont toutes des questions qui sont au-delà de ce que les jésuites peuvent faire. L'éducation est
une de ces questions, elle est une question vraiment très profonde : Comment assurer l'éducation
de tout le monde au cycle primaire? Même si nous nous consacrons seulement à ça, nous ne
pouvons pas le faire parce qu'il y a des gouvernements qui doivent œuvrer, il y a des traditions,
des résistances et puis il y a des limitations dans la Compagnie de Jésus. Tous nous sommes
limités, c'est pourquoi, nous avons besoin de la collaboration de tous. C'est Dieu qui peut faire
les grandes choses et pour ça, tous ceux qui ont le cœur, la mentalité et la vision de contribuer,
sont les bienvenus. Et ne croyez pas que nous, parce que nous avons une tradition, nous pouvons
faire tout. Ce serait dire à nous-mêmes des mensonges et ça ne va pas.
Alors la question ne consiste pas à demander si l'école est laïque ou jésuite. La question
est: Quelle est la vision de cette école, de cette institution, de cette université ? Quelle est la
vision ? Est-ce que nous avons une identité ? Je crois que nous avons une identité, l'USJ a une
identité claire, elle a une vision, quelle est cette vision ?
R 2 : Comment pouvons-nous approfondir cette mission ? Comment pouvons-nous
accomplir cette mission tant profonde en tant qu'enseignants, administrateurs, étudiants afin que
l'USJ ait une influence positive sur le pays, sur la société, sur le monde, le Proche-Orient et sur
le monde à travers le Proche-Orient. Je crois que c'est la question à laquelle tous peuvent
contribuer. C'est pourquoi je suis toujours content de ce que j'ai trouvé ceux avec qui nous
travaillons, comme vous-mêmes ici. C'est toujours très encourageant parce que je trouve des
personnes très motivées, d'une motivation profonde pour faire quelque chose de significatif au
monde, très professionnel, et très bien préparé, avec une préparation, non seulement
professionnelle mais affective et spirituelle. Et alors, c'est très encourageant parce que les
jésuites tout seuls pourront faire quelque chose, mais très peu … mais avec vous, on peut
réfléchir, faire des choses nouvelles, on peut continuer à travailler, à réfléchir, à avoir de
nouvelles possibilités et à créer des possibilités nouvelles.
C'est la collaboration, c'est l'aide que vous pouvez donner. Il serait impossible de penser
à un futur dynamique, le poids du passé est quelquefois très lourd et nous avons besoin d'être
encouragés à aller plus loin. Mais si nous voulons approfondir notre identité comme Université
Saint-Joseph, comme un centre d'études, comme institution éducative profonde où on fait la
recherche, où l'éducation est de qualité, où nous voulons accompagner les étudiants à croître
comme personnes et comme personnes de vision et de responsabilité, alors on doit cultiver cette
identité. Rien d'important ne passe automatiquement. Ni l'amour, ni la vérité, ni la beauté, rien.
Tout a besoin de nourriture. Et c'est pourquoi, maintenant, nous voyons que, dans toutes les
institutions où les jésuites ont quelque chose à dire et à faire, il y a des programmes très bien faits
pour maintenir l'identité avec profondeur. Ce sont des programmes où les jésuites partagent avec
les autres ce que notre tradition nous a donné. Et nous apprenons des autres ce que la réalité, la
profession et la vision qu'ont les autres peuvent nous donner. C'est un processus très enrichissant
et on voit partout que, grâce à la collaboration que nous recevons de beaucoup d'autres
personnes très bien préparées, les jésuites aussi deviennent meilleurs et je vous en remercie
pour ça. Alors programmes de formation, programmes de training et puis une dédicace à la
vision originelle. Et ce n'est pas facile parce qu'il y a des forces sociales qui parlent de
professionnalisme, de vie étroite, des succès limités, etc.
J'ai lu l'histoire de Google récemment, c'est une histoire très intéressante. C'est
extraordinaire que deux jeunes gens, deux étudiants aient exécuté ce projet. Ce qui est
extraordinaire c'es que ces deux jeunes, au temps où ils avaient 24 ans, avaient une dédicace à la
vision qu'on trouve chez beaucoup de personnes qui ont plus de 40 ans. Chez ces deux jeunes
gens, la vision consistait à donner toute l'information possible, mais sans propagande.
C'était la vision qui les a accompagnés. Au commencement, ils travaillaient dans un garage et
puis dans une salle qui était usée pour ramasser des choses et c'est après cinq, six ans de travail
de ce genre, ils ont développé une entreprise de plusieurs millions de dollars. Et ce qu'on apprend
ici, c'est la vision et la dédicace à la vision. C'est important pour qu'une institution puisse
contribuer dans la société, sinon nous entrons dans un chemin qui tourne en rond. Nous avons
beaucoup d'exemples catholiques, chrétiens, et d'autres non chrétiens. J'ai vécu au Japon plus
que 36 ans et en Asie 48 ans, j'ai trouvé beaucoup de non chrétiens qui sont totalement
consacrés à l'éducation, dédiés à ce qu'ils font pour la société et avec un témoignage sur les
Japonais (qui sont extraordinaires).
R 3 : Quelle stratégie avons-nous pour conserver l'esprit de Saint Ignace ? La stratégie
est une dédicace à la vision de Saint Ignace. Saint Ignace était très réaliste, il avait une vision
très haute, mais une vision pour laquelle il devait étonner tous. Il ne voulait pas seulement des
jésuites, il voulait des personnes qui donnent tout. Il y avait un jésuite dans sa communauté qui
priait beaucoup. Dans la nuit, il allait à la chapelle deux heures, chaque nuit. Et quelqu'un de la
communauté était très touché, alors il est allé chez Saint Ignace et il a dit : « Père Ignace, ce père
est un homme de prière » et Saint Ignace a dit : « Peut-être, s'il peut sortir de lui-même pour les
autres, peut-être qu'il sera un homme de prière". C'est une façon de voir les choses
profondément. Ce n'est pas être seulement convaincu par des choses extérieures : se trouver
toujours dans l’église, mais le cœur est renfermé sur soi. Il y a des personnes de prière, mais leur
cœur est donné toujours aux autres. Ce sont des personnes d'une générosité extraordinaire, des
personnes de prière. Elles n'ont pas d'espace pour elles-mêmes, c'est Dieu qui remplit cet
espace. Alors, en ce qui concerne cette vision de profondeur, je crois que c'est ce que Saint
Ignace voulait des jésuites. Dédier totalement ce que l'on vit, au Christ, à l'humanité et au
monde. Il s'agit d'une totale dédicace et alors, la stratégie c'est voir comment aider, comment
appuyer les jésuites qui veulent cela et je crois que la crise du monde moderne est si profonde
que, ou bien on va aux sources de notre vie ou on est perdu dans le monde de l'Internet ou
ailleurs.
Question de la Faculté des Lettres et des sciences humaines
Q : Nous vivons dans une région où les frontières, tels que les paysages du désert,
changent continuellement. C'est à la fois une source d'instabilité et de dynamisme. Dans le
cadre de cette problématique, comment la Compagnie de Jésus gère ces frontières avec ses
voisins telles que l'université Saint-Joseph, les autres congrégations religieuses et les autres
communautés confessionnelles ?
R : Je crois que l'unique manière chrétienne et humaine de le faire, que tout ce qui est
profond doit être ouvert à tous. La question de la collaboration pour le Royaume est ouverte à
tous. Dans le dernier Jugement dans l'Evangile selon Matthieu Jésus dit : « Quand j'avais soif
vous m'avez donné à boire, quand j'avais faim, vous m'avez donné à manger », etc. Alors, ceux
qui ont à cœur de répondre à la souffrance humaine, à la vérité, à la justice, à la beauté et à la
souffrance humaine, ce sont les vrais religieux.
Il y a un livre très profond intitulé : The Great Transformation. Il traite des processus
de la religiosité du 10ème siècle avant le Christ jusqu'au 3ème siècle avant le Christ. C'est le
temps qu'on appelle temps axial où il y a eu une transformation de la spiritualité et de la
mentalité humaine, une transformation qui a eu lieu en quatre cultures tout a fait différentes :
1. La culture chinoise (Confucius, Lao Tsu) ;
2. la culture indienne (les mystiques de l'Upanishad, l'Hindouisme et puis Bouddha, la
naissance du Bouddhisme) ;
3. le Moyen-Orient (Israël, les Prophètes de l'exil) ;
4. et puis la Grèce (et la Grèce est l'unique pays européen, les autres sont asiatiques).
C'est une étude très profonde de la manière qui a poussé les sages et les hommes
religieux à trouver la paix entre les personnes humaines, contre la violence et à réduire la
souffrance. Ils ont cherché tous les moyens et le rituel. Le rite est une aide, mais ce n'est pas
suffisant, la violence continue. Alors ils ont cherché les sacrifices et ça a été une aide : au lieu de
tuer un ami, on tue une chèvre, mais l'acte meurtrier demeure. Il y a encore de la violence qu'on
attribue à Dieu : Dieu veut le sacrifice. Alors, ça ne marche pas. Et alors on a continue à chercher
et on est arrivé au temps axial. Tous ces sages (Confucius, Mencius, Lao Tsu, les prophètes de
l'exil) ont dit : le changement est intérieur. Si on ne change pas intérieurement, le changement
extérieur ne fait rien, le changement est tout à fait intérieur. C'est le confucianisme, le
bouddhisme, l'hindouisme, Israël et puis Socrate. Celui-ci a dit : « Tu dois te connaître toimême ». C'est le commencement de la sagesse et Platon l'a développé. Mais l'auteur du livre a
dit : C'est facilement oublié. Chaque fois que la politique et la religion se mettent ensemble, on
oublie et on use la politique ou la religion pour d'autres fins. On a perdu cette vision. C'était la
vision du Christ et saint Paul et elle a été perdue ; c'était celle de Mahomet et a été perdue. Elle a
été celle des mystiques du christianisme, de l'hindouisme, du bouddhisme et des soufis. C'était
le chemin intérieur. Et je crois que c'est dans cette tradition que les jésuites sont nés. Saint
Ignace n'est pas un théologien, n'est pas un penseur, Saint Ignace est un homme spirituel, un
homme de chemin intérieur. Et je crois que l'éducation, le mot éducation (educere) veut dire
porter ce qu'il y a dedans vers l'extérieur, faire que les étudiants soient conscients des forces
intérieures qu'ils ont et cela les transformera parce que c'est l'Esprit de Dieu qui travaille dans le
cœur des hommes et des femmes. Alors, si c'est vrai, cela veut dire que toutes les personnes qui
ont le cœur ouvert sont nos compagnons de chemin et sont nos collaborateurs. Nous devons
partager ce que nous avons de mieux avec eux pour que le chemin continue ouvert en avant. Et
alors, aux frontières, on ne voit plus seulement au centre, on voit les autres, alors, on peut
marcher avec les autres. J'ai vécu dans les frontières du Japon beaucoup de temps et j'ai vu des
Japonais non chrétiens qui ont un cœur extraordinaire. Et on voit maintenant la crise du séisme et
du tsunami et la compassion qu'ils montrent ainsi que le partage. Un professeur australien qui
enseigne l'anglais dans cette région, sa maison a résisté au séisme. Mais chaque jour, elle trouve
à la porte de sa maison quelque chose à manger et elle ne sait pas qui met la portion là. C'est un
des voisins qui, probablement, pense que, comme étrangère, elle trouvera très difficile de
trouver quelque chose à manger et alors il lui donne chaque jour à manger. Il est totalement
anonyme, mais cela indique que non seulement les Japonais sont disciplinés, comme nous le
savons, ils donnent un refuge, ils partagent la vie.
Alors, je crois que nous devons être contents de cette situation. L'humanité est si riche, si
pleine de bonté et de possibilités, alors nous pouvons toujours apprendre. Et dans la tradition
catholique, on a toujours dit : « Dieu est toujours plus grand ». Mais j'aime dire : « Dieu est
toujours différent ». Et dans la différence des autres nous pouvons apprendre quelque chose de
Dieu. Dans les autres cultures, les autres mentalités, les autres traditions, il y a toujours quelque
chose de Dieu que nous pouvons apprendre parce que Dieu est différent de nous, il est différent
de l'Espagne, il est différent du Japon, il est différent de tout. Combien de fois je répète : « mes
voies ne sont pas vos voies », « mes principes ne sont pas vos principes », Dieu est différent.
Dieu pardonne.
L'enseignant n'est plus le phare du savoir, il est en danger d'être remplacé par des
programmes, des logiciels, des sites d'Internet. Viendra un jour où l'apprenant se passera de
lui ? Il est vrai que le monde a changé et que les étudiants que j'ai rencontrés me l'ont dit
maintenant, ils peuvent participer beaucoup plus dynamiquement à leur propre éducation
qu'avant parce qu'ils ont beaucoup de possibilités que je n'avais pas quand j'étais enfant ; c'est
clair. Mais il faut toujours la sagesse d'une personne qui m'accompagne. J'ai senti, depuis un
mois, dans une réunion, je ne me rappelle plus où, qu'une femme disait : « les jeunes
aujourd'hui ne veulent pas de direction, ne veulent pas que quelqu'un leur dise : fais ceci, ne
fais pas cela. Ils n'aiment pas ça. Ils aiment nager, mais ils veulent que quelqu'un nage à leurs
côtés ». Et quelquefois ils disent : non, nous aimons que quelqu'un nous dise : tu dois faire
comme ça, sinon tu perds beaucoup d'énergie. Ils aiment ça, mais n'aiment pas qu'on leur dise
: pour nager, fais ceci et fais cela.
Alors, cette sagesse, cette voie de sagesse et d'expérience, de quelqu'un qui a fait des
erreurs dans la vie et a appris des erreurs, c'est très important pour les gens et je crois que ce sera
toujours important. Les machines ne pourront jamais prendre la place de la personne humaine.
Alors, je crois que même s'il y a de nouvelles possibilités, la sagesse, l'affection,
l'amour, l'accompagnement, l'expérience, la chaleur qu'on reçoit d'une personne ne peuvent
être substitués. Au Japon, pour les âgés, il y a beaucoup de robots, des petits chiens, mais ils sont
toujours froids. Il n'y a pas de chaleur, il n'y a pas de conversation, il n'y a pas de rencontre
personnelle. Les gens, même s'ils disent : nous n'avons pas besoin de nos parents, au fond ils en
ont besoin et c'est un besoin très profond.
Questions de la Faculté de Droit et des sciences politiques
Q : Dans le contexte actuel de la mondialisation, comment se présente la traditionnelle
mission éducative de la Compagnie de Jésus ?
R : L'année dernière, nous avons eu un rassemblement au Mexique des universités où les
jésuites sont actifs et on a parlé, avec beaucoup d'échos, sur la « globalisation de la
superficialité ». C'est le grand problème aujourd'hui. On a beaucoup d'informations, mais à la
surface. Et il est très difficile de digérer cette information, il est difficile de juger sur la vérité ou
non-vérité de l'information, alors on est en vrai tsunami d'informations. Mais le danger est de
nous trouver toujours dans la superficialité et nous ne savons jamais quelle est la vérité. Il y a un
an et deux mois il y avait un congrès en Hollande. Ils ont invité un journaliste hollandais
spécialisé en Moyen-Orient. Et le résumé de toute la conférence qu'il a faite est : "Si vous lisez
les journaux, vous ne saurez jamais qu'est-ce qui se passe au Moyen-Orient". Parce que toute
l'information est achetée, elle est idéologique ou économique ou impliquant des intérêts de
groupes qui manipulent l'information. J'ai reçu une lettre du Japon disant : ils sont vraiment
très en colère parce que les journaux européens jouent avec la souffrance du Japon pour
provoquer la peur contre les centrales nucléaires. Alors, il y a une campagne politique contre
les centrales nucléaires et pour cela, ils provoquent la peur à tous ceux qui sont au Japon et
tous ceux qui ont un familier au Japon. Alors quelqu'un qui vit au Japon, marié avec une
Japonaise, a écrit : "C'est une manipulation incroyable de l'information". C'est clair qu'il y a une
manipulation politique. Tout dépend de qui rédige l'information, pourquoi il la rédige et qu'est-ce
qu'il en veut ? Et la même chose pour l'Afrique et les situations difficiles. Alors la globalisation
de la superficialité est un problème très grand, même dans l'Église. Si vous voulez le
confirmer, vous pouvez aller à Google et écrire : "jésuites" et vous trouverez beaucoup de
choses très intéressantes, mais fausses.
Alors, dans ce monde superficiel, il faut vraiment souligner la profondeur de
l'information. Comment former des étudiants qui ne croient pas à tout ce que l'on dit, qui
cherchent la vérité, l'humanité et les choses les plus profondes. C'est pourquoi je crois que
maintenant, dans la Compagnie, nous avons un rôle spécial d'aider l'Église à trouver la
profondeur : profondeur spirituelle, profondeur théologique, profondeur de pensée, profondeur
de vérité, etc. et je sais que le Pape Benoît veut ça. Et chaque fois que je le rencontre, il dit :
«Nous avons besoin des jésuites pour la profondeur». Il s'agit alors d'éduquer en profondeur,
sinon nous sommes perdus, nous sommes les serviteurs des politiciens ou des journalistes.
Peut-être que tous les journalistes sont un peu dramaturges. Alors, il s'agit d'un service de
profondeur, un service de chercher la vérité et de trouver toujours un fondement pour ce que
nous faisons, ce que nous vivons, ce que nous voyons. Analyser la réalité et aller en
profondeur dans les problèmes. Si parmi nos étudiants quelqu'un veut prier, voir qu'est-ce que
ça veut dire prier ? Qu'est-ce que la prière ? Et voir diverses manières de prier. Il s'agit d'aller en
profondeur dans la prière. Alors dans la profondeur, chrétiens et musulmans, nous pourrons nous
rencontrer comme nous avons rencontré les bouddhistes qui ne nient pas Dieu, mais disent : c'est
un mystère si profond que nous ne pouvons pas en parler. Et alors le mot Dieu n'a pas de sens.
Mais si nous avons à prier ensemble, les bouddhistes trouvent une paix profonde et les chrétiens
trouvent une paix profonde et, dans cette profondeur, nous nous trouvons et nous croyons que,
dans cette profondeur, Dieu est là et travaille. Parce que c'est une profondeur qui porte une
compassion et un partage et nous ouvre aux autres. Ce n'est pas un retour à soi-même, c'est la
profondeur qui nous ouvre aux autres et c'est le principe de compassion bouddhiste base sur la
limitation même. Tous nous sommes limités et, dans cette limitation, nous trouvons la
compassion pour les autres. Personne ne peut être ferme dans les moments durs, comme dans le
cas du séisme. Peut-être les bouddhistes ont expérimenté beaucoup de séismes et ils savent que
l'humanité n'a pas de fondement en soi. Nous disons que notre fondement est Dieu et notre
fondement n'est pas dans les personnes, mais en Dieu. C'est une sortie de soi-même.
Je passe à une question à laquelle je ne peux répondre, mais c'est intéressant.
Q : Comment voyez-vous le rôle et le développement et surtout l'avenir de l'Université SaintJoseph dans les décennies à venir ?
R : Je ne suis pas prophète. Mais je crois que, maintenant, toutes les universités jésuites
sont très intéressées à travailler en réseau, travailler avec d'autres, pas seulement en réseau au
même niveau universitaire, mais en réseau avec d'autres, par exemple avec les écoles, les
paroisses et avec les centres sociaux. Parce que les problèmes qu'on trouve dans les paroisses,
dans les centres sociaux et dans les écoles, on peut les investiguer à l'université et répondre aux
problèmes actuels. Par exemple, toutes les écoles subissent le problème de l'éducation. On
connaît beaucoup de choses qu'on ne connaissait pas avant : Comment le cerveau de l'enfant se
développe ? Qui peut y investiguer ? Ceux qui sont dans les écoles n'ont pas le temps, alors c'est
l'université qui aide les écoles, les paroisses, etc. Ce travail apporte un intérêt à beaucoup de
jésuites et laïcs qui travaillent dans nos universités et je crois que c'est très important. Donc, faire
un réseau plus grand et puis investiguer. C'est une fonction de l'université. Même le président de
la République du Liban - nous l'avons rencontré - a parlé de l'université comme étant la place
où on peut investiguer dans un pays où il y a beaucoup de minorités, où il y a beaucoup de
problèmes. Cette investigation doit être faite là où il y a des possibilités réelles, donc à
l'université là où il y a des bibliothèques, des méthodes et des possibilités qu'on n'a pas partout.
Q : Quelles recommandations donnez-vous aux enseignants, aux éducateurs et aux
étudiants pour s'acquitter, chacun en ce qui le concerne, de son rôle et de sa mission,
conformément au message du Christ et aux recommandations de Saint Ignace de Loyola ?
R : Au Japon, on dit - et c'est une image qui me plait -: Le sculpteur qui fait une image de
Bouddha, fait l'image qu'il a dans son cœur. Alors, je dirai : si nous voulons que nos étudiants
gradués portent à la société des valeurs, une contribution profonde, le problème de l'éducation
est que ça devienne réalité dans leur cœur et leur corps. Mon expérience d'Asie m'a confirmé
cette réalité. Les prêtres et les politiciens parlent très bien, mais nous avons perdu beaucoup de
crédibilité. Notre corps porte cette expérience dans la vie là où il y a un témoignage et des
convictions beaucoup plus fortes. C'est pourquoi, beaucoup de gens ne croient pas aux paroles.
Et les gens sont très critiques quand ils voient que ce que nous disons et ce que nous vivons est
différent, alors ils laissent tomber. Nous sommes convaincus de l'importance de l'éducation.
Cette éducation intégrale - quand on parie de l'éducation jésuite - est une éducation du cœur, des
sentiments et des idées, mais aussi du corps. C'est pourquoi, nous avons du théâtre, nous avons
des relations humaines et du sport parce qu'on doit trouver un équilibre pour que le corps soit
actif et puis il y a l'esprit. Alors, je dirai que, pour le futur, c'est là que nous devons travailler
profondément. Et c'est pourquoi le programme de pastorale universitaire et de pastorale scolaire
est très important pour aider à accompagner les étudiants à faire de la synthèse. Sinon, il est très
facile que nous ayons un étudiant brillant dans une matière en mathématiques, mais pauvre en
humanisme, pauvre dans les relations humaines.
Q : Etes-vous pour ou contre la prise en charge de plus en plus grande par des laïcs
des tâches et des missions traditionnellement assumées par les Pères de la Compagnie de
Jésus ?
R : Je ne suis ni pour ni contre. Je crois que chaque décision est basée - et c'est dans la
tradition des jésuites - sur le discernement. Si la personne laïque est mieux préparée, plus habile
et professionnellement préparée, on ne peut sacrifier la force et les valeurs éducatrices et les
valeurs professionnelles à des privilèges de groupe. Je ne suis pas pour privilégier les jésuites. Le
jésuite est bon parce qu'il a la vision et les valeurs professionnelles, mais si on ne trouve pas les
jésuites adéquats, alors les laïcs sont très bien préparés. Je crois que c'est un bon moment pour
l'Eglise partout et je l'ai découvert quand je voyage : les laïcs sont beaucoup mieux éduqués
qu'avant. C'est dû à la frustration que beaucoup de laïcs expérimentent dans la paroisse parce
que les laïcs sont beaucoup mieux préparés. Ils ont une bonne éducation professionnelle et des
responsabilités et quelque fois les prêtres ne sont pas à cette hauteur. Alors on est dans la
frustration : avec qui parler? C'est un problème pastoral très grand dans l’Église, mais je crois
que nous devons prendre au sérieux les laïcs. Et si les laïcs sont bien préparés, il n'y a rien dans
nos institutions qu'un laïc n'est pas capable de faire. Si on veut donner des responsabilités, qu'on
les donne à ceux qui peuvent faire mieux et alors, l'institution va en avant avec la mission et le
professionnalisme qu'on espère des institutions universitaires. Alors, je crois que ce n'est pas
une question de choix, c'est une question de discernement pour chaque moment, pour chaque
situation, pour chaque position : se demander qui est la personne qui peut aider mieux
l'institution. Et l'expérience montre que nous avons des laïcs extraordinaires. Par exemple, en
célébrant l'anniversaire de la Compagnie en Australie, il y avait seulement, à ce moment, 160
jésuites, mais le slogan était : une mission pour 2000 personnes, parce que le chiffre 2000
indiquait le nombre total des collaborateurs laïcs et des jésuites. Et quand j'ai visité l'Australie,
avant de devenir général, avec beaucoup plus de liberté, j'ai vu qu'il y avait des laïcs
extraordinaires : des laïcs directeurs d'écoles, des laïcs directeurs de maisons de retraite, de
spiritualité et ils ont adopté la spiritualité ignatienne avec une profondeur magnifique. Alors,
pour faire beaucoup de choses, nous pouvons continuer de la même manière, distribuer les
responsabilités et créer de nouveaux apostolats de nouvelles possibilités. Alors je crois que c'est
très important même pour la créativité de la Compagnie de Jésus et pour l'espoir de faire des
choses nouvelles.
Questions du Campus des sciences médicales
Q : Quelles sont les valeurs essentielles de l'université jésuite, localisée en Orient, à
instruire à ses étudiants ?
R : Je ne connais pas le Moyen-Orient, je connais l'Extrême-Orient. Mais je dirai que les
mêmes valeurs sont partout et je crois que l'essence de l'éducation jésuite est la croissance. Je
crois que, dans la vision de Saint Ignace, la croissance de la personne et sa transformation sont
essentielles. Et je crois qu'il a collaboré tout de suite avec d'autres qui voulaient ouvrir des
écoles et il a accepté tout de suite parce qu'il a vu que l'école est une place privilégiée pour la
croissance et la transformation de la personne. S'il n'y a pas de croissance, c'est-à-dire que
quelque chose ne va pas dans l'institution éducative. Alors, il y a croissance, profondeur et
fraternité. Alors je crois que l'éducation jésuite est surtout à travers les relations : relations des
jésuites aux élèves, relations des professeurs aux élèves et relations entre les élèves (amitié,
communauté). On m'a demandé comment l'Université Saint-Joseph contribue-t-elle à établir des
communautés d'étudiants ? C'est magnifique parce qu'on apprend des autres, on apprend
beaucoup de choses en communauté et surtout la recherche de la vérité. C'est un terme du Pape
Benoît qui veut toujours la recherche de la vérité parce que la vérité nous met dans une
discipline nouvelle. Et puis la justice consiste à donner des possibilités à tous sans manipuler les
autres et puis il y a la dignité de la personne, etc. Il y a beaucoup de valeurs, mais je crois que la
croissance est au commencement de tout. Les Exercices Spirituels sont des systèmes de
croissance et Saint Ignace voyait que la personne humaine a une capacité de croissance.
Q : La Compagnie de Jésus a sans aucun doute réussi à édifier un empire éducatif sur
lequel le soleil ne se couche jamais - c'est un peu de la littérature -. Il y a tout un réseau de
collèges et d'universités, mais il existe aussi d'autres réseaux éducatifs et des qualités
académiques. Qu'est-ce qui fait, à votre avis, la différence entre l'enseignement des jésuites et
un autre aussi excellent et rigoureux ? Et s'il existe vraiment une spécificité jésuite, dans
quelle mesure croyez-vous qu'à l'Université Saint-Joseph, et dans ce contexte libanais si
complexe, nous parvenons à l'intégrer dans notre quotidien universitaire ?
R : L'affirmation est bonne. Il y a beaucoup de réseaux d'éducation : les écoles
chrétiennes, les maristes, les marianistes. Il y a beaucoup de groupes excellents, il y a beaucoup
de réseaux. Ce qui est important c'est que nous pouvons collaborer. Je crois que la compétition
n'est pas évangélique, elle consiste seulement à aller à l'avant. Ce n'est pas une valeur religieuse
et la compétition nous fait beaucoup de mal parce qu'on met les valeurs secondaires en premier
lieu. C'est une grande distraction. L'idée me fait penser au prophète Moïse quand on lui a dit
qu'il y a des gens hors de la tribu qui prophétisent et qu'il faut les faire taire. Et Moïse a
répondu : Je voudrais que tout le monde prophétise. Je crois que c'est la vision de l'éducation :
que tout le monde soit de grands éducateurs et alors, tous les gens auront la possibilité d'une
croissance humaine. Alors tout ce qui aide à collaborer et à aller ensemble, je crois que c'est très
important. L'une des valeurs jésuites est : l'éducation de la liberté - et celle-ci, on peut la
partager avec tous. L'éducation de la liberté à travers l'interaction personnelle, pas à travers les
livres seulement parce qu'on apprend beaucoup avec une vision universelle, et c'est là où les
pauvres entrent, c'est une société pour tout le monde, pas seulement une société pour une élite,
pour un groupe privilégié, mais une société pour tous. C'est pourquoi nous sommes préoccupés
avec les pauvres parce que nous sommes préoccupés avec tous, avec la totalité de la société. Si
les pauvres ne trouvent pas leur chemin, alors la société n'est pas complète, elle n'est pas
humaine. Et puis, il y a une vision de l'histoire. L'histoire a beaucoup à nous enseigner ce qui est
bon et ce qui est mauvais, mais le bon c'est pour aller avant. Et l'histoire nous le dit. Nous
apprenons très peu de l'histoire et je vous donne l'exemple de l'Espagne. L'Espagne a été
occupée par les Phéniciens, par les Grecs, les Romains, puis les Allemands et les Arabes. Nous
avons lutté 700 ans pour libérer l'Espagne des Arabes et la même année de la libération, nous
avons occupé l’Amérique latine. Nous n'avons rien appris. L'expérience d'être occupés et la
souffrance d'être occupés ne nous a pas aidés à voir que nous ne devons pas occuper les autres.
Nous n'avons rien appris. Et ça se passe continuellement et tous les groupes
révolutionnaires sociaux, quand ils ont le pouvoir, ils deviennent des dictateurs. Où est le
cœur, où est l'humanité ? Cela me préoccupe et c'est pourquoi l'histoire est importante. Et
puis il y a l'éducation en vue de la transformation. S'il n'y a pas de transformation, l'éducation
reste incomplète.
Q : Y a-t-il un échange d'expériences et de formations sur l'utilisation des
technologies, le développement et la modernisation des universités jésuites ?
R : Oui et ça se passe déjà. Il y a déjà beaucoup d'échanges entre les universités,
échanges dans les méthodes, les programmes, etc., ce qui marque un signe d'espoir.
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