SOUVENEZ-VOUS. La saison dernière avait vu
notre imagination s’en prendre aux violences de
ce monde et, sous les feux des représentations, la
Comédie-Française batailler de passion et de jeu
aux fins d’en pourfendre les périls, les injustices
autant que les absurdités. À ce titre, la plus belle des
issues fut sans conteste la rencontre des émotions,
chaque soir et en tous lieux, avec des salles pleines
et un public heureux. Et ces énergies, en somme
rassemblées de part et d’autre de la rampe, d’ajouter
simplement du théâtre à la vie et de la vie au théâtre.
Nobles desseins pour de si doux combats…
Aujourd’hui, demain, dans une séquence économique
particulièrement difficile, il nous appartient peut-être
plus que jamais d’y rêver toujours et, dans le « refaire »
de notre art, d’y parvenir encore, Simul et Singulis.
Mais se pose bien sûr la question du comment.
Comment, avec un budget réduit, reconduire notre
voilure naturelle et par essence déjà tendue d’une
quinzaine de créations par an ? Et surtout, comment,
à l’aune de cet impératif absolu, bâtir une saison
nouvelle, pleine, entière et ambitieuse, sans poser
sur sa programmation le pesant fardeau de la
contrainte et du manque, le dénominateur commun
du moins-disant et de la soustraction, le sentiment
oppressant de l’étroitesse et du corseté ? Et voici
que dans les limbes de cette réflexion légitime,
nécessaire, s’effacent peu à peu les perspectives
initialement tracées car trop coûteuses… Désormais,
en effet, il nous faut tout revoir pour ne point subir
et, ensemble, faire de ce choc un rebond, une chance.
Alors comment ? Eh bien en laissant cette fois notre
imagination s’en prendre à nous-mêmes, à notre
ouverture d’esprit et à nos capacités de réponse, car
« quelque critiques que puissent être la situation
et les circonstances où nous nous trouvons, ne
désespérons de rien ; c’est dans les occasions où
tout est à craindre qu’il ne faut rien craindre ; c’est
lorsqu’on est environné de tous les dangers qu’il n’en
faut redouter aucun ; c’est lorsqu’on est sans aucune
ressource qu’il faut compter sur toutes
1 ». Et cette
année, qu’on se le dise, la Comédie-Française aura à
cœur de s’appuyer sur sa troupe, sur son répertoire,
sur l’ensemble de ses métiers et ses savoir-faire.
Ainsi, face aux inquiétudes de notre époque, à
la perte des repères, à la dilution des valeurs et
à la quête de sens, les grands textes classiques
seront privilégiés, redécouverts, afin de résonner
au présent avec une part d’inconnu. De même, et
sans nullement renoncer à toute sensibilité et
intelligence extérieures, il reviendra d’abord aux
acteurs, comme à toutes les équipes de la maison, de
créer l’essentiel des spectacles proposés. Nombre
d’entre eux, d’ailleurs, s’y sont par le passé essayés
avec bonheur et réussite. Et pour chacun l’enjeu
sera double. Mettre en scène, avec toujours la même
exigence et la même intensité. Mais aussi concevoir
une scénographie qui réinvente et prenne à bras-le-
corps le défi conjugué de l’économie et de l’artistique.
Se jouer ainsi de l’apparente pénurie pour y déceler,
dans le prolongement de ce qu’avait pu faire
autrefois Antoine Vitez, par exemple, l’imaginaire
ÉDITO