"-\Ol'ltE RAPPOR'l' A LA CO\SOM\,|'[I'ION
ILST Pl.t'S I\TERR(XI'\TIF,
MAIS NOIJS
AURONS TOUJOURS BESOIN DE RÊVER."
Ires consomrnateurs ont-ils encore envie de
marques ?
Christophe André : Le <
branding
n,
valorisation
de la marque, caractérise nos sociétés hyper-
matérialistes. La publicité détecte nos besoins
fondamentaux,
nos aspirations au bonheur, à
I'amour, au lien, à i'équilibre, à Ia paix, et leur
apporte des réponses matérialistes, créant des
condition::ements
:nous aurons
r:ne vie familiale
harmonieuse en buvant tel café, de bons rap-
ports avec nos enfants en achetant
telle voiture.
Si ce que vous dites, Mecedes Erra, est wai je
suis rassuré,
mais j'ai l'impression que cela ne
concerne que les classes favorisées en termes
d'accès à I'information, moins touchées par
l'obésité, moins dépendantes des achats
impul-
sifs aux caisses
des supermarchés.
Mercedes Erra : C'est une question
de culture,
pas de publicité.
Les consommateurs ont été au-
delà de ce gue vous dites. ils sont intelligents.
Christophe turdré : Ils sont fragiles...
Mercedes Erra : Ils savent sélectionner,
se pro-
téger contre les modes d'influence. Et la publi-
cité est un mode d'inJluence comme les autres,
plus faible - et c'est normal - que l'inïluence de
Ia famille et des amis. Dans notre métier, nous ne
travaillons
pas contre les gens (tout simplement
parce gue cela ne marche jamais), mais en al-
Iant dans Ie sens de leurs propres valeurs. Si
Leclerc a résisté beaucoup mieux que Carre-
four, c'est qu'il a su mettre en avant une utilité
plus forte, celle du combat pour les prix bas,
celle de la défense du pouvoir du consomma-
teur. Le rapport à la consommation est au-
jourd'hui plus interrogatif,
plus complexe,
liexi-
gence de sens devient encore plus essentielle,
La
publicité doit remplir ce rôle.
Christophe Andé : On peut lutter, mais pour-
quoi laisser des pressions
aussi fortes s'exercer,
notamment sur ceux que les démocraties doivent
protéger ? Des sommes d'argent, des quantités
d'intelligence s'emploient sur les moyens d'in-
fluencer nos comportements d'achat. Il existe
heureusement de nouveaux contre-pouvoirs
avec les mouvements associatifs,
militants, rem-
plissant
le vide entre
I'Etat
et Ie citoyen.
Mercedes Erra :Vous êtes moins généreux que
moi avec les consommateurs
I Ils sont lucides,
tieruxent des discours nouveaux et j'en tiens
compte.
Ils complexifient
leur consommation, lui
cherchent un sens,
un intérêt. Les marques se
sont sophistiquées. Car si les consornmateurs
veulent qu'elles portent des valeurs de quatité,
ils exigent aujourd hui d'avantage. Les marques
sont des entreprises qu'on interroge sur leur
comportement envers leurs salariés, sur leur
éthique. Sous
la pression de ses clients,
Nike a
revu ses réseaux de production et hterdit le tra-
vail des enfants dans ses usiles asiatiques,
Christophe Ânùé : Cette prise de conscience
est positive, mais la majorité sous-estime ce
qu'e1le
doit affronter et surestime sa capacité de
Iiberté. Nous ne somrnes pas aussi libres crue
nous le pensons,
nous soûtrrres beaucoup plus
manipulables
gue vous le dites.
Mercedes Erra : Nous venons d'une époque
marquée par une vision du monde narve : le
rêve communiste s'est effondré, celui du pro-
gnès aussi. La plupart des gens ne remettent
plus en cause le capitalisme, mais ils veulent le
remodeler.
Christophe Anùé : Oui, nous sommes dans
une période de transition, angoissalte et insé-
curisante. Nous nous savons personnellement
responsables de notre destin et nous essayons
de nous construire intérier:rement, à travers dif-
férentes
pratiques, pour faire face à cette
société
à laquelle nous ne faisons
plus confiance.
Mercedes Erra : Je vous rejoins ici : pour Ia
première fois, les gens ne cherchent plus à
identifier un responsable, ils considèrent qu'iJ
leur revient de changer de mode de vie. Une
des clés de ieur recherche est le bonheur per-
sorurel, sals projection vers le futur. On va vers
une société moins matérialiste mais plus dé-
sespérée.,.
Christophe AndÉ : Nous faisons partie des
premières générations convaincues que demain
sera pire qu'hier et que si nous ne sorrurres
pas
forts, nous serons broyés par ce qui nous en-
toure. D'où les aspirations à d'avantage d'estime
de soi, d'équilibre émotionnel, de compétences
relationnelles,
pour se protéger,
Ce que vous décrivez là est un progrès...
Christophe André : Pourvu
qu'il s'accompagne
d'un progrrès
social,
que les politiques prennent
conscience de ce qui a dysfonctiomé et de ce
que dewaient être nos sociétés de demain. I
Propos recueillis par Djénane KarehTager
et lean-Iouis Sennn-Schreiber
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