Quelle place pour le contrôle de gestion dans la sphère non

Dispositifs de contrôle de gestion et établissements publics
d’enseignement : une vision trop instrumentale
Le cas des EPSCP et des EPLE
Guy SOLLE
Maître de Conférences en Sciences de Gestion
IUFM – Université de Nice –Sophia Antipolis
Laboratoire RODIGE, CNRS-IDEFI, UMR 6044 CNRS
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Dispositifs de contrôle de gestion et établissements publics d'enseignement :
une vision trop instrumentale.
Le cas des EPSCP et des EPLE
Résumé
Le contrôle de gestion, au sens opérationnel du terme, constitue une aide au pilotage des
établissements publics et influence le comportement des acteurs. Son implantation exige une
réflexion préalable sur les missions de la structure concernée afin que puissent être précisés
les objectifs de son action et les moyens nécessaires pour les atteindre.
Les actions de rénovation des pratiques comptables et budgétaires dans les établissements
publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) ou encore celles liées
l'implantation de techniques comptables analytiques dans les établissements publics locaux
d'enseignement (EPLE), se traduisent fondamentalement par l'instauration de nouveaux outils
de gestion. L'attention est portée sur l'usage de ces outils, sur leurs modalités de
fonctionnement et leur traduction informatique alors que les questions liées à leur
signification pour les utilisateurs, à leur légitimité ou encore à la collision entre les logiques
qu'ils véhiculent avec celles qui étaient en place dans les institutions, semblent occultées.
Introduction
L'exigence d'efficience, d'efficacité et de qualité qu'impose de nouveaux modes de
fonctionnement des organisations publiques françaises est l'une des caractéristiques
essentielles de leur évolution. La modernisation des services publics voulue par l'Etat (plan de
modernisation de 1989, circulaire Rocard) correspond à la prise en compte de changements
contextuels forts et notamment à la mise en situation d'émulation (pour ne pas employer le
terme concurrence) des établissements. Cette évolution encourage ces établissements à passer
d’une orientation production à une orientation marché et ceci n’est pas tout à fait récent1. « La
modernisation par l'usager ou l'orientation-client sont devenues les nouveaux fers de lance du
management public comme privé » (Lévy, 2001, p.14). De surcroît, la raréfaction des
ressources publiques accroît les exigences en termes d'efficience alors que parallèlement, la
nécessaire prise en compte des demandes des usagers conduit à développer des critères
d'analyse de l'efficacité des politiques conduites. Cette modernisation est souvent traduite par
un accroissement de l'autonomie d'action et de l'autonomie financière des services non-
marchands. L'exercice de l'autonomie conduit les acteurs à une interprétation de la demande
de services émanant des usagers. Il s'agit, pour les établissements, d'affiner les objectifs
poursuivis, de les rendre cohérents avec les attentes des usagers, eu égard aux missions
générales fixées par la tutelle, puis de traduire ces objectifs en activités à déployer. Cette
interprétation forme un préalable à la définition locale des projets d'établissement et surtout à
l'utilisation d'outils de gestion visant à "piloter la performance" des établissements. Si dans le
contexte des organisations publiques ce concept de performance revêt des acceptions
1 Voir J.-P. Nioche, 1991.
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particulières2, nous nous attacherons, ici, à la gestion budgétaire et au suivi des coûts qui,
certes, n'en constituent qu'une dimension (l'économie voire l'efficience) mais qui apparaissent
souvent comme une priorité, voire comme une fin en soi, dans les actions de modernisation.
Déterminer des objectifs, appréhender des coûts, maîtriser des dépenses, constituent
désormais autant d'obligations assignées aux services publics qui, en réponse, adoptent
progressivement des instruments de gestion mais en s'intéressant plus à leurs aspects
techniques qu'à leurs impacts sur les dispositifs structurels et organisationnels.
Nous prendrons appui, dans un premier temps, sur la réforme des procédures budgétaires dans
les EPSCP qui devait engager une réflexion sur l'adoption de techniques de comptabilité
analytique dans ces établissements. Nous présenterons, dans un deuxième temps, la démarche
analytique de gestion qui instaure ces techniques dans les EPLE.
Nous nous interrogerons ensuite sur les techniques de comptabilité de gestion à adopter et sur
la place du contrôle de gestion dans les services publics d'enseignement. Il convient, quel que
soit le degré de perfectionnement des technologies adoptées, notamment lorsqu'il s'agit de
méthodes transposées du secteur privé, d'identifier au préalable les problèmes, les contenus et
les enjeux des activités à piloter et à contrôler. Parmi ces méthodes, la comptabilité à base
d'activités (ABC ou Activity Based Costing3) nous semble, plus encore que d'autres méthodes,
exiger une étude organisationnelle et une analyse du jeu des acteurs. Il s'agit de construire, sur
ces bases, des dispositifs de pilotage adaptés aux besoins de chaque établissement. Il ne s'agit
pas d'instaurer un seul contrôle financier mais d'initier des pratiques d'aide à la décision et
d'orienter les comportements des acteurs d'autant que selon les conclusions du "comité
d'enquête sur les coûts dans les services publics" (1994), l'intérêt du contrôle de gestion
semble méconnu.
1. Deux exemples de réforme
La Nouvelle Approche BUdgétaire et Comptable (réforme N.A.Bu.Co.) appliquée dans les
années 90, rénove le cadre budgétaire et comptable des EPSCP. Toutefois, malgré les
ambitions de la réforme, la prépondérance accordée par ses promoteurs à la technique
comptable et informatique témoigne de l'absence de réflexion sur les dispositifs
organisationnels des universités et notamment des réactions et des comportements des acteurs.
Au-delà des pratiques budgétaires, N.A.Bu.Co. sous-tendait le déploiement d'une
instrumentation comptable de gestion et de dispositifs de contrôle de gestion qui, malgré les
perspectives des années 90, restent encore peu développés dans les établissements
universitaires.
Une approche différente et plus récente, l'Aide à la Démarche Analytique de Gestion
Informatisée et Optimisée (A.D.A.G.I.O.) dans les EPLE, correspond à l'introduction de
techniques comptables analytiques dans les collèges et lycées qui revendiquent leur filiation
avec les méthodologies de comptabilité à base d'activités (ABC). Cette approche nous
permettra de poser une interrogation sur la posture organisationnelle que ces méthodologies
postulent.
2 Voir A. Bartoli, 1997.
3 Pour une présentation détaillée de cette méthode, voir notamment P. Mévellec 1992, 1993 ; P. Lorino 1995 ou
H. Bouquin, 1997.
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1.1. N.A.Bu.Co. ou, lorsque la technique budgétaire supplante l'analyse
organisationnelle
Le projet global de modernisation de la gestion des établissements publics à caractère
scientifique, culturel et professionnel présenté au début des années quatre-vingt-dix rénove les
pratiques de gestion budgétaire et comptable des établissements. S'inscrivant dans un projet
global de modernisation de la gestion des EPSCP, la réforme de leur régime budgétaire,
financier et comptable s’est concrétisée par le décret du 14 janvier 1994 qui se substitue au
décret du 22 janvier 19854. Une instruction comptable rénovée forme le prolongement
opérationnel de ce décret et un logiciel de gestion5 remplaçant le logiciel GFC (Gestion
Financière et Comptable) alors en place, constituent les éléments logistique de la réforme
N.A.Bu.Co..
Concrètement, la méthodologie N.A.Bu.Co. forge un mode de régulation interne inédit qui
s’impose aux établissements en situation de relation contractuelle évolutive6. Ces dispositifs
de gestion sous-tendent des modifications sociologiques, organisationnelles, opérationnelles.
Or, l'expression finalisée des règles de gestion financière masque des changements
fondamentaux liés aux dispositifs organisationnels (Solle, 2001a).
N.A.Bu.Co. présente de nouveaux instruments comptables et budgétaires qui visent à préciser
les finalités et objectifs des établissements puis à les traduire en termes financiers. Ce
dispositif devait engager une réflexion sur les modes de pilotage et, de manière timide,
envisageait le déploiement d'une "comptabilité de gestion" puis de dispositifs de contrôle de
gestion.
Outre la personnalité morale qui leur est reconnue par la loi, l'exercice d'une autonomie sur le
plan budgétaire, financier et comptable, suppose que les établissements universitaires puissent
agir et décider par eux-mêmes, sans que tous leurs actes et décisions soient systématiquement
soumis à approbation par l'autorité de tutelle. Cette condition est a priori acquise, grâce à un
régime budgétaire et financier dérogatoire qui offre des marges d’autonomie encore accrues
par la réforme récente (Rapport de la Cour des Comptes, 1999).
1.1.1. Les procédures rénovées : Principes et transcription
Les objectifs de N.A.Bu.Co. sont ambitieux : définir des principes communs d'organisation et
de gestion ; redonner au budget son rôle central ; simplifier la réglementation ; construire un
système d'information et des outils de gestion adaptés (Cour des comptes, 1999). Les lignes
de changement se concentrent sur la nécessité de distinguer deux présentations
complémentaires et parallèles du budget puis sur l'identification de trois niveaux dans la
hiérarchie budgétaire des Universités. Parallèlement, l'élaboration du système d'information et
des outils de gestion repose sur un logiciel qui freine l'évolution organisationnelle de la
réforme et contraint les acteurs.
4 Pour une présentation plus complète voir G. Solle, 1994 ou G. Solle, 2001a pour une lecture sociale.
5 Très rapidement la réforme N.A.Bu.Co. a été associée à ce logiciel et la méthodologie confondu à l'outil
informatique. Lorsque les utilisateurs parlent de N.A.Bu.Co., ils désignent le plus souvent le logiciel et non la
réforme et les ambitions managériales qu'elle véhiculait (Solle, 2001a).
6 Les établissements, par l’intermédiaire de notes de politique générale expriment, par la voie de la
contractualisation, un réel projet d'établissement qui nécessite, non seulement l'adhésion des gestionnaires et
des décideurs en exercice, mais aussi celle de tous les acteurs de l'organisation.
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Le régime financier et comptable des E.P.S.C.P. projette une simplification de la
réglementation comptable et budgétaire. Il vise à réduire les contraintes liées au respect des
principes de comptabilité publique pour redonner au budget un rôle dominant de traduction
financière de la politique de l'établissement. Pour cela, N.A.Bu.Co. initie deux présentations
complémentaires de ce budget afin de relater les réalités de l'établissement puis de décrire les
structures décisionnelles et la politique de développement.
Un budget par nature (recettes et dépenses) assure la cohérence avec la comptabilité
publique et le respect de ses formes essentielles. Le budget global par nature se substitue
au budget par fonction antérieur. L'abandon des "fonctions budgétaires" confirme la
cohérence de la nouvelle approche avec la politique de globalisation des moyens et avec
l'accroissement de l'autonomie des établissements. Les budgets particuliers des écoles,
instituts, services communs ou U.F.R. suivent la même présentation en respect du plan
comptable spécifique des E.P.S.C.P.
Î
Î Un budget de gestion7, à l'instigation de l'établissement, représente l'amorce d'un
processus de contrôle de gestion et retrace les objectifs de gestion correspondant aux
grands axes de développement.
La procédure rénovée tend à responsabiliser les différents intervenants dans la gestion des
finances publiques et propose une structuration des établissements en niveaux. On distingue
ainsi l'établissement doté de l'autonomie financière, puis les unités budgétaires formées des
composantes définies par la loi de 1984 et sur lesquelles portent les contraintes budgétaires, et
enfin les centres de responsabilités. Il s'agit de doter chaque niveau d'un degré d'indépendance
vis à vis du niveau supérieur et d'une capacité d'arbitrage sur les niveaux inférieurs
éventuellement constitués. Toutefois, les contraintes budgétaires ne portent que sur
l'établissement et ses composantes. Au-delà de la responsabilité budgétaire, comprise comme
l'obligation de rendre compte du respect des principes de la comptabilité publique et du suivi
de l'affectation des fonds publics, une responsabilité de gestion qui échoit à différents acteurs
dans l’établissement, apparaît. Ainsi, chaque niveau définirait puis évaluerait ses objectifs
avant de les transmettre au niveau supérieur doté de droit d'arbitrage. La notion de
responsabilité de gestion témoigne d’une recherche de cohérence et de pertinence des activités
au regard des objectifs poursuivis, puis de l’inscription de ces derniers dans la ligne
stratégique de l'établissement.
Une définition des règles internes de fonctionnement, d'observation et d'animation s'impose
sans oublier, toutefois, que comme l'énonce Amintas (1992) “tout système comptable de
gestion s'analyse dans une mise en perspective des conceptions managériales et des modes
organisationnels qui le sous-tendent et l'encadrent”. Les observations réalisées dans les années
90 ont révélé la difficulté de superposition d’un organigramme de responsabilité budgétaire à
celui d'une réelle responsabilité de gestion8 (Solle, 1994).
1.1.2. Une conception déterministe du changement
Si le budget de gestion constitue une avancée indéniable dans l'instauration d'une démarche de
7 Ou Budget par destination, terme quelquefois employé dans les présentations de la réforme.
8 Au-delà de la responsabilité budgétaire comprise comme l'obligation de rendre compte du respect des principes
de la comptabilité publique et du suivi de l'affectation des fonds publics émergerait une responsabilité de
gestion. Elle témoignerait d’une recherche de cohérence et de pertinence des activités au regard des objectifs
poursuivis puis de l’inscription de ces derniers dans la ligne stratégique de l'établissement.
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