7èmes Rencontres des chercheurs en Didactique de la Littérature, IUFM de Montpellier, 6 au 8 avril 2006
Edwige Chirouter : La portée philosophique de la littérature jeunesse
nomme le “ courant philosophique ”. Il insiste sur les exigences intellectuelles inhérentes au
discours dit philosophique. 3
Pour ma part, professeur “ classique ” de philosophie, j’ai d’abord regardé l’ensemble de ces
pratiques avec une certaine méfiance. Cette innovation pédagogique bouleverse effectivement
complètement les représentations traditionnelles de l'enseignement de cette discipline. Les
enfants en sont-ils vraiment capables ? Il ne suffit effectivement pas de discuter d'un thème
philosophique pour philosopher. Le discours philosophique exige une rigueur intellectuelle et des
compétences spécifiques. Michel Tozzi a montré dans sa thèse4 qu’on pouvait les résumer au
triptyque suivant : problématiser, conceptualiser, argumenter. En philosophie, il ne suffit pas de
dire ce que l'on pense, mais de penser ce que l'on dit. Ce qui n'est évidemment pas la même
chose ! C’est pourquoi il me semble indispensable de toujours garder comme fil conducteur de
nos séances ces exigences intellectuelles. Mais se pose alors la question de savoir comment et
quels outils donner à de jeunes enfants pour leur permettre de répondre aux exigences citées. Car
“ philosopher ” s’apprend. Pierre Bourdieu, notamment, a bien montré qu’aucune aptitude
intellectuelle, aucun soit-disant “ talent ”, “ compétence ”, “ goût ” ou “ disposition ” ne sont le
fruit d’une nature plus ou moins bienveillante, mais l’aboutissement d’un long processus
d’incorporation de nos multiples influences sociales, familiales et culturelles. Et l’école, par
ignorance de ces processus, exige de ses élèves des compétences qu’elle n’offre pas, creusant et
légitimant ainsi les inégalités sociales. De la même façon, la réflexion philosophique exige des
compétences qui ne sont pas innées mais qui nécessitent un long apprentissage – ce que
l’institution scolaire semble toujours ignorer. C’est pourquoi beaucoup d’adolescents de
Terminale semblent si désappointés devant le degré d’exigence de la discipline. On peut ainsi
considérer qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour la didactique de la philosophie que d’étudier les
conditions d’une initiation précoce à la fois aux interrogations métaphysiques (mais les enfants
n’ont pas besoin de l’injonction de l’institution scolaire pour commencer à se poser ces
questions ! ) et surtout à la rigueur intellectuelle qu’elle requiert. C’est ce que souligne Michel
Tozzi quand il affirme que depuis vingt ans “ le paradigme de cet enseignement a très peu évolué : les élèves,
généralement motivés au départ par l’espoir de s’exprimer sur les questions existentielles, sont souvent vite rebutés
par l’aridité d’un cours magistral, la difficulté de textes philosophiques, et la faible note de leur première
3 Pour plus de précisions sur l’historique de la philosophie avec les enfants et les différents courants, voir les
nombreux travaux de M. Tozzi, notamment l’article “ Lipman, Levine, Tozzi ”, in, La philosophie pour enfants,
le modèle M. Lipman en discussion, Collectif, sous la direction de Claudine Leleux, Bruxelles, De Boeck, 2005.
4 Tozzi Michel, Vers une didactique de l’apprentissage du philosopher, doctorat sous la direction de Philippe
Meirieu, Lyon II, 1992
Parler, lire, écrire dans la classe de littérature : l’activité de l’élève / le travail de l’enseignant / la place de l’œuvre
7èmes Rencontres des chercheurs en Didactique de la Littérature, IUFM de Montpellier, 6 au 8 avril 2006