Document B – A. Smith est avant tout un philosophe
Ce texte met en évidence une nouvelle lecture de l’analyse d’Adam Smith et peut figurer dans la
1re partie (ou partie I).
A. Smith désigne lui-même sa démarche théorique sous l’appellation de philosophie.
Cette dernière se définit comme une pensée systématique qui tente de relier les divers domaines du
savoir à partir de lois générales. Elle unifie ainsi des disciplines que nous considérons comme
séparées. Les intérêts de A. Smith sont suffisamment larges pour l’amener à écrire, outre son
célèbre ouvrage d'économie, des textes sur l’esthétique, la linguistique, la rhétorique, la théorie de
la connaissance, la morale et la politique, ainsi que le droit. […] En les étudiant, on comprend que
tous ces domaines sont reliés entre eux parce qu'ils sont régis par les lois de ce que A. Smith
nomme la nature humaine. L’économie est donc une partie de la philosophie en ce sens qu'elle
étudie certaines lois de la nature humaine, celles qui permettent la production et l'échange de la
richesse. A.Smith ne pratique pas l'économie pour elle-même, comme une science autonome, mais
pour enrichir une compréhension aussi globale que possible de la nature humaine.
[…] Certes, les économistes qui, aux XIXe et XXe siècles, ont œuvré à constituer
l'économie en science autonome, ont largement puisé dans les concepts élaborés par A. Smith.
Mais cette autonomisation n'est pas un projet de A. Smith lui-même. […] La vérité est que son
économie entretient un rapport indissociable avec la philosophie morale et politique exposée par la
Théorie des sentiments moraux. Ce dernier ouvrage a pour but de montrer que l'ordre social est
d’autant plus stable et harmonieux que les hommes font preuve des trois vertus fondamentales que
sont la prudence, la justice et la bienveillance.
Or l’activité économique n'est pas isolée de l’ordre social, elle s’y inscrit pleinement et
s'appuie donc nécessairement sur les vertus qui le rendent possible. Cela est évident pour les deux
premières vertus : peut-on imaginer une économie où les hommes agissent sans le minimum de
prudence, c'est-à-dire recherchent leur intérêt sans jamais éviter les illusions de la démesure ou les
attraits de la jouissance à court terme ? Peut-on imaginer une économie où les hommes agissent
sans le minimum de justice, c'est-à-dire sans jamais respecter leur parole ou sans s'abstenir de la
propriété d'autrui ? Quant à la bienveillance, A. Smith concède qu’elle est superflue dans les
échanges marchands proprement dits. Mais elle s’avère quand même nécessaire à la conduite de
l’État quand elle prend la forme de l'esprit public, lequel motive l’accomplissement des devoirs
régaliens (sécurité nationale, paix civile, travaux d'utilité publique) indispensables à la bonne
marche de l'économie.
Est-ce à dire que les « agents économiques » doivent être moraux ?
Oui, mais ne tombons pas dans l’angélisme. A. Smith distingue en gros deux degrés de
moralité : un degré idéal, où les hommes pratiquent les vertus à la perfection, et un degré minimal,
où les hommes se permettent de très nombreux écarts. Or ce degré minimal suffit pour que la
société et le marché subsistent, et même prospèrent malgré bien des à-coups et des crises. Comme
nous constatons dans l'expérience commune, cela ne fonctionne pas trop mal si les gens sont
médiocrement prudents, médiocrement justes, et très peu bienveillants. Mais A. Smith ne renonce
jamais à l’idée que la société et le marché pourraient mieux fonctionner si les hommes, qu’il
s'agisse des agents économiques ou de ceux qui sont à la tête de l’État, étaient plus vertueux.
M. Biziou, « A. Smith est avant tout un philosophe », Sciences Humaines n° 179, février 2007.
Questions
1. Quelle est la place de l’économie dans l’analyse de Smith selon l’auteur du document ?
2. Quelles sont les vertus qui fondent un ordre social stable et harmonieux pour A. Smith ?
3. L’économie échappe-t-elle au besoin de ces vertus ?.