(nord), le vicholî (centre), le larî (sud), le tharî (sud-est), le lasî (Baloutchistan)
et le kutchî (Gujarat en Inde).
Les langues jouèrent un rôle prédominant dans la construction des identités
musulmane et hindoue dans l’Inde coloniale. L’épisode le plus marquant est
la controverse ourdou-hindî (Rahman, 1996 : 59-78). La démarcation des
communautés hindoue et musulmane va se focaliser sur la reconstruction d’une
langue pure et originelle. Ces reconstructions aboutiront à la distinction entre
le hindî et l’ourdou, qui accèderont au rang de langues nationales avant même
l’indépendance de l’Inde et du Pakistan. L’identité spécifique de l’ourdou, comme
langue des musulmans, s’appuiera sur son vocabulaire arabo-persan, alors que
le hindî le remplacera par des termes d’origine sanscrite.
Dans le Sindh, le rapport à la langue dans la construction nationaliste va
se cristalliser sur la question du choix d’un alphabet. Mais si cet épisode est
relativement bien connu, on oublie cependant qu’il a été précédé d’un débat
sur le choix de la langue qui devait être utilisée par l’administration britannique,
une fois le persan écarté. Richard Burton4 mentionne sur un ton sarcastique les
discussions inutiles qui eurent lieu à ce propos parmi les dirigeants britanniques :
les linguistes préféraient le sindhî, un autre parti le persan et encore un autre
l’hindustânî5. Les deux derniers partis soutenaient que le sindhî était une
langue grossière (crude), sans dialecte standard et sans littérature (Burton,
1851 : 151).
Sir Bartle Frere, le commissaire du Sindh, optera finalement pour le sindhî.
En 1851, il prit une décision déterminante en imposant à tous les fonctionnaires
britanniques, civils comme militaires, de passer un examen en « colloquial
sindhî » (Aitken, 1907 : 414). Il fallait encore déterminer quel dialecte deviendrait
le sindhî standard : le dialecte vicholî fut choisi. Le vicholî était parlé dans
la partie centrale du Sindh dont Hyderabad était la capitale6. Hyderabad était
également la capitale du Sindh avant la conquête britannique. Comment
expliquer ce choix ? Sans doute est-il dû à l’influence des `Âmils7, sur lesquels
les Britanniques s’étaient appuyés avant même la conquête. Le vicholî était
le dialecte parlé par cette caste de scribes qui étaient considérés comme des
lettrés. On en déduisait que leur langue était la moins grossière. En revanche,
4
Richard Burton (1821-1890) est un explorateur britannique qui commença sa carrière en s’engageant
dans l’armée de l’East India Company. Il séjourna quelques années dans le Sindh où il acquit rapidement
une connaissance approfondie des populations locales. Par la suite, il voyagera à La Mecque, traduira
les Mille et Une Nuits en anglais, avant de retourner en Afrique à la recherche des sources du Nil. Sur
le Sindh, il a publié plusieurs ouvrages dont le fameux Sindh and the Races that inhabit the Valley of
the Indus en 1851, qui fait encore autorité.
5
Terme qui désigne la langue commune parlée dans le nord de l’Inde, avant qu’elle ne se scinde
en hindî et en ourdou.
6
D’après N.B. Baloch, le vicholî était également le dialecte le plus répandu (Baloch 1992 : ix).
7
Les `Âmils étaient à l’origine un sous-groupe de la caste marchande des Lohânâs. Par un processus
mal connu, ils se spécialisèrent dans l’administration sous les Kalhorâs et les Talpûrs. De ce fait,
ces hindous devinrent des spécialistes du persan.