REGARDS CROISÉS SUR L’ÉTHIQUE
Chapitre 9
ÉTHIQUE DU RECRUTEMENT
DANS LES ENTREPRISES ET LES INSTITUTIONS
Yves Loire
Les Conseils en recrutement associés
I- LE RECRUTEMENT : ACTEURS, PRATIQUES, CONTRAINTES
Par définition, recruter c'est l'action de rechercher, sélectionner, contracter, accueillir un nouveau
membre d'un groupe ou d'une entreprise, pour combler un départ (succession) ou pour grandir.
Tout le monde l'a pratiqué et le pratique souvent comme M. Jourdain, en autodidacte du
recrutement !
Pour le recruteur, il est généralement signe de projet, de développement pour lui-même ou son
groupe. Il est aussi parfois la conséquence d'un échec antérieur ou d'événements non
maîtrisables.
Pour celui qui va être recruté, il est chargé d'espoir et d'inquiétude : être accueilli ou être ignoré,
rejeté, exclu...
Recruteur et recruté sont conduits à échanger pour se connaître, « se mesurer », et conclure ou
non à l'association de leurs personnes dans les projets de leur groupe ou de l'entreprise.
1— Les acteurs du recrutement
Deux acteurs principaux et de nombreux acteurs intermédiaires interviennent dans toute opération
de recrutement.
I. Le recruteur décideur de l'entreprise, qui est le plus souvent le supérieur hiérarchique de la
personne à recruter ;
II. Le candidat qui sera ou non recruté.
Autour de ces deux acteurs principaux, des acteurs intermédiaires vont influencer directement ou
indirectement la décision, par leur capacité d'information ou de médiation :
-pour le candidat, ce sont les annonceurs dans les médias de l'emploi, les associations d'anciens
élèves. les amis ou les relations qui font fonctionner le « bouche à oreille ».
-pour le décideur dans l'entreprise, c'est sa hiérarchie, le service recrutement interne ou le
Directeur des Ressources Humaines, ou le Consultant du cabinet de Conseil en Recrutement qui
a été mandaté à cet effet.
Tous ces acteurs — hommes et femmes — ont toute liberté d'agir, proposer, influencer et/ou
décider, avec leurs repères, leurs objectifs, leurs contraintes, dans des cadres légaux, ou de
règlements intérieurs ou professionnels, précis ou non, spécifiques à des métiers ou des pays.
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C'est ainsi que le recrutement est certainement un des processus d'action et de décision où le
questionnement éthique -étonnement face à la diversité des pratiques- est le plus fortement vécu
par chacun des acteurs, objectivement et subjectivement.
2 — Un constat : des pratiques très diverses du recrutement
Quelques exemples très actuels :
— la pratique de la graphologie, extrêmement répandue en France, car considérée comme
science expérimentale validée par plusieurs décennies d'expériences capitalisées et enrichies
dans le temps, professionnalisée, encadrée bien que pas vraiment réglementée, est une
abomination dans de nombreux pays anglo-saxons, en particulier aux USA. Il vaut mieux pour un
cabinet français ne pas faire référence à son utilisation, s'il veut être référencé comme cabinet
conseil par les majors américains ou suédois, ou même par les très grands groupes français dont
les ambitions mondiales se doivent d'afficher leur adoption totale des « US business affairs
ethics » ;
— simultanément aux USA, dans certains états et dans certaines entreprises, l'utilisation des
données génétiques humaines peut être utilisée dans la sélection à l'embauche. D'autres lois, pour
favoriser l'accès de minorités à certains postes imposent des quotas de discrimination positive
fondés sur des critères tels que le sexe, l'ethnie ou la nationalité. Abomination en France,
fondatrice et patrie des Droits de l'Homme ! La charte des membres du Syndicat du Conseil en
Recrutement principal syndicat professionnel français fixe dès son premier code « le conseil en
recrutement ne pratique aucune discrimination ethnique, sociale, syndicale, sexuelle, politique,
religieuse ».
« Vérité en deçà des Pyrénées, Erreur au-delà » : la vie est faite de diversité qui surprend, inquiète
et motive !
Pour baliser nos réflexions, il est intéressant de recenser les pratiques dans l'histoire, comme dans
la géographie.
Repères historiques en France.
Avant l'ère industrielle, la référence du recrutement est l'armée : tirage au sort, éventuellement
rachetable pécuniairement. Dans l'artisanat, le compagnon du Tour de France fait son
apprentissage ambulant, est recruté par sa confrérie après que son « Œuvre » ait été reconnue.
Dans l'entreprise industrielle taylorisante la personne recrutée est fortement sélectionnée avant
l'embauche (diplômes, tests) et sa mobilité ultérieure est freinée tant par des contraintes internes
(organisation très analytique poussant à la spécialisation) qu'externes (les lois sociales de 1945
donnent le monopole du recrutement à l'ANPE).
Au cours des trente glorieuses (1945-1975), l'entreprise formalise son organigramme et ses règles
de management. C'est le début des définitions de postes, la montée en puissance d'un
recrutement objectivé.
À partir de 1975, les difficultés économiques croissantes conduisent les entreprises à utiliser deux
pratiques extrêmes : sélectivité accrue pour les postes clés les plus stratégiques, utilisation de
l'intérim ou de contrats à durée déterminée pour les postes les plus standards où il y a pléthore de
candidats.
De 1992 à1996, la France connaît une dépression collective. L'exclusion l'emporte sur l'embauche.
La période est dramatiquement difficile pour les chercheurs d'emploi et aussi pour les cabinets de
recrutement dont la moitié disparaissent !
Depuis mi 1997, un changement s'opère dans l'économie, la mobilité est devenue un atout,
« l'entreprise projets » se substitue à « l'entreprise institution », mais les garanties (du diplôme, du
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statut...) s'estompent. Les pratiques de recrutement se diversifient et perdent leur cohérence dans
un pays où sont en compétition, y compris dans la même profession, des pratiques et des cultures
d'entreprises très différentes. Pratiques archaïques et méthodes les plus avancées cohabitent.
Repères géographiques : les pratiques en Europe.
Une étude approfondie « Travailler en Europe » a permis de cerner les pratiques de recrutement
de cadres dans 14 pays .Elle fait apparaître les chocs de cultures, les chocs de morale et leurs
conséquences sur la mobilité.
Parmi les constatations :
— Les cultures nationales et managériales ont des traits très diversifiés sur les plans:
nationalisme, attitudes vis à vis du travail, style de management, relations sociales, rôles des
dirigeants, modes de communication, prise et mise en œuvre de décisions, appréhension du
temps, appréhension de l'argent.
— Ce ne sont pas les réglementations mais les attitudes sociales qui régentent les marchés
(mobilité des personnes, fluidité de l'emploi..).Les cadres législatifs sont parfois hyper-protecteurs
et parfois inexistants. Les citoyens européens en majorité, ne sont pas favorables à un droit du
travail trop rigide. Mais en France, la législation sociale détient le ruban bleu de la complexité et il
est de plus en plus manifeste qu'elle finit par nuire à ceux qu'elle devrait protéger, qu'elle entrave à
la fois salariés et employeurs dans les relations d'un autre age et ne nourrit plus l'avenir.
— Les contrastes sont parfois plus forts entre pays contigus (exemple France et Suisse, Norvège
et Suède) qu'entre pays plus lointains.
— Les cadres appelés à une mobilité européenne, (5% actuellement, peut-être 30 à 40% dans 10
ans) doivent connaître les barrières socioculturelles pour les reconnaître, décoder, décrypter, enfin
d'éviter des erreurs fondamentales de management.... et de recrutement.
Les cadres et tout particulièrement les jeunes diplômés ou futurs diplômés peuvent et doivent
légitimement s'interroger sur cette diversité de pratiques.
3 — Coûts et enjeux économiques d'un recrutement
Les candidats et les entreprises ont généralement des repères sur le salaire mensuel normal d'un
poste, sur le revenu net à en attendre et le coût pour l'employeur.
Ils ont beaucoup plus de difficultés à imaginer ou à calculer le coût complet d'un recrutement-
résultant de ses différentes étapes :
— Valorisation du temps passé à définir le poste par l'entreprise et éventuellement son conseil.
— Coût de communication — annonces presse, Web, bouche à oreille, ou intervention d'un
chasseur de tête.
— Coût de présélection et lecture des curriculum vitae.
— Coût des entretiens d'évaluation ( durée: trente minutes une ou deux heures) complétés
éventuellement de tests.
— Coûts administratifs au recrutement en particulier de réponses négatives aux candidats non
retenus;
À titre de repère, le coût d'un recrutement très spécifique pour un poste de cadre ou dirigeant peut
représenter deux à cinq mois de son salaire.
Un recrutement de masse de professionnels pour des postes très standards coûte l'équivalent d'un
mois de salaire, non compris le coût de l'annonce dans un hebdomadaire qui est du même ordre.
Ce coût, qui est un investissement pour l'entreprise, est à rapprocher de son espérance de gains
et de risques. Là, plusieurs dizaines de mois de salaires peuvent être en jeu.
Le recrutement a ses contraintes économiques, même si le respect des candidats et sa valeur en
tant que personne n'ont pas de prix.
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4 — Les contraintes de temps
Recrutement hyper-urgent suite à un départ ou à une défection ou recrutement réfléchi et prudent
pour faire mûrir les décisions, l'éventail d'attitudes et pratiques est vaste : le processus opportunité
peut durer quelques heures, un processus normal deux mois, des successions majeures peuvent
occuper six mois de recherche. Du coté des candidats les contraintes sont analogues en terme de
disponibilité pour les rencontres, et de maturation du processus de décision.
II. LES PROBLÈMES ÉTHIQUES DANS LES ÉTAPES D'UN RECRUTEMENT
1 — La définition du poste
— Formalisée pour décrire la mission, les objectifs, les responsabilités et moyens alloués au poste
à pourvoir, elle est de la responsabilité de l'entreprise. Elle est parfois informelle et même dans
certaines entreprises inexistante.
-— Elle est un reflet de l'entreprise de sa structure, de son management, et parfois de ses valeurs,
vu par le supérieur hiérarchique et/ou le Directeur des Ressources Humaines.
— Mais est- elle le reflet de la réalité, d'un consensus entre personnes, ou cache-t-elle -
volontairement ou non- des divergences d'opinions, de stratégies, de moyens ?
— Autant de questions parfois inutiles pour des positions classiques, internes reconnues et
formalisées par l'entreprise et son secteur professionnel, déjà plus importantes pour des postes
nouveaux ou pour des postes se situant aux frontières de l'entreprise (commercial, achats ), et
bien sûr tout à fait nécessaires pour des fonctions d'encadrement et de direction
Les réponses ne seront pas toujours transparentes.
2 — La communication du recrutement
La communication du recrutement n'est pas le recrutement.
L'interrogation rejoint celle de l'éthique de la communication, et donc des médias, oraux, écrits,
papier, high tech.
Vérité de l'annonce : les annonces dans la presse sont comme les publicités soumises en France
au contrôle du BVP (Bureau de Vérification de la Publicité). Interdiction des limites d'age, comme
du sexe dans certains pays, valorisation dithyrambique de la société qui recrute dans beaucoup
d'annonces anglo-saxonnes. quelle diversité de pratiques !
Tout est fonction des cultures des pays et bien sûr de la volonté de l'entreprise qui recrute : parler
vrai, ou se mettre d'abord en valeur ou rester discrète et confidentielle sur son véritable besoin. Au
lecteur de déchiffrer.....
Les supports Minitel pour les cadres tels que 3617 CADREMPLOI sont contrôlés, de même que
les kiosques Minitel des supports-presse, mais la jungle peut sévir pour des postes non cadres ou
des missions à statut peu clair.
INTERNET est un outil très intéressant et peu onéreux pour informer des candidats très éloignés
partout dans le monde, mais la « toile » n'est actuellement ni contrôlée ni vraiment contrôlable et la
véracité des annonces peut être sujette à caution. L'Europe et les USA sont en divergence totale
sur leurs projets de législation. De plus, les facilités des médias les plus modernes, en particulier
INTERNET, sont très réductrices : les critères de sélection sont toujours très standards,
obligatoirement objectifs, et ne peuvent rendre compte de la vraie relation entre salarié et
entreprise. Ce média est idéal pour une relation entre personnes et entreprises indépendantes. Il
n'est pas suffisant pour établir un contrat de travail.
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Vérité de la perception de l'annonce : le lecteur du journal ou du message Minitel ou Web en
analyse plus ou moins en profondeur, objectivement et subjectivement les données.
Risques concernant la confidentialité : le candidat, en poste, qui répond à l'annonce ne risque -t-il
pas que sa recherche soit dévoilée à son employeur actuel. Sait-il quel est le destinataire de son
curriculum vitae ? A-t-il la garantie que son dossier n'est communiqué qu'avec son accord
préalable, même s'il bénéficie de la loi française « Informatique et Libertés ».
Coût des annonces : gratuité et risques de rumeur du bouche à oreille, coûts économiques variant
de 1 à 10 selon les supports utilisés, conduisent à une limitation de la libre concurrence, autant de
données qui peuvent heurter le citoyen démocrate égalitariste. Le recrutement est un acte
économique qui contraint à une optimisation du rapport qualité/prix.
3 — L'entretien de recrutement
L'objectif est que les deux parties (candidat, entreprise) vivent une rencontre de vérité et de
confiance pour que chacune d'entre elles puisse décider s'il y a lieu de contracter (= se choisir
formellement pour travailler ensemble);
La condition nécessaire : ne pas avoir peur, se respecter, atteindre un niveau d'équilibre des
intérêts pour aboutir à la décision.
Si cette dernière est positive, elle signifie que recruté et entreprise vont partager dans la durée
certains projets. Ceux de l'entreprise tournés vers le client, vers l'interne et bien sûr ses résultats
économiques et financiers, ceux du recruté, en terme de responsabilité et de reconnaissance
(salaire, signes d'appartenance, développement personnel et professionnel).
Si la décision est négative, il s'agit de se séparer évidemment sans se détruire, et même sans
ignorer le sens de cette décision. Expliquer est utile autant pour l'entreprise que pour le candidat,
comme repère pour chacun. Pour le futur, il est important que les deux parties décident si le
dossier va être conservé et pour quel usage. Il en est de même et surtout dans la relation avec un
cabinet de recrutement (loi sur les fichiers Informatique et Liberté).
Sur quels domaines doit porter l'entretien de recrutement ?
C'est le recruteur qui impose les règles du jeu. Le candidat a-t-il la possibilité et la motivation, dans
le temps qui lui est imparti, de faire connaître sa vérité, défendre sa chance comme il le
souhaiterait?
Pour valider une candidature le recruteur a besoin de cerner, selon les enjeux du poste tout ou
partie du capital du candidat: ses savoirs (connaissances), savoir-faire (pratiques professionnelles)
et savoir être (comportements) qui composent la compétence (= la valeur professionnelle du
candidat telle qu'elle est jugée par son environnement) et son être (motivations). Le
professionnalisme recouvre les trois premiers critères, mais comment apprécier le quatrième, alors
que déjà beaucoup vivent mal le questionnement sur le savoir être.
Tact, capacité à échanger sur le mode de confiance, discernement face au dit et ou non-dit, savoir
s'arrêter à temps à l'entrée du jardin secret du candidat, c'est le talent dont doit faire preuve le
recruteur. Chaque position, en fonction du contexte et des enjeux, nécessite une grille de lecture
appropriée. Pour l'opérateur industriel qui conduit seul une machine, ou pour une opératrice de
saisie informatique, valider le savoir et le savoir-faire sont suffisants, si l'employeur n'en attend pas
un emploi à vie.
Pour recruter un commercial dans une organisation de vente très structurée et à turn-over élevé,
le savoir être est prépondérant, une formation au savoir-faire peut se greffer sur un capital de
savoir validé, la motivation par l'argent peut être suffisante!
Pour un chef des ventes qui va manager une équipe de commerciaux, la compétence doit être
reconnue sinon ses collaborateurs prendront la fuite, ou sa place !..
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