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contexte, en les détachant de cette violence éma-
nant des mêmes sources, comme si les Juifs
étaient en dehors de la communauté nationale.
Lorsqu’on insulte un rabbin dans la rue, qu’on
persécute un enfant juif à l’école, qu’on attaque
une synagogue, c’est l’ordre public qui est en
cause, au-delà de la communauté juive. Cette
façon de parler de l’antisémitisme et d’inter-
peller les pouvoirs publics a eu, en outre, des
effets calamiteux en Israël et aux États-Unis.
Quand on examine l’histoire de l’antisémi-
tisme, les circonstances et les formes dans les-
quelles il se manifeste, on voit bien que les Juifs
n’y jouent qu’un rôle passif. L’antisémitisme
s’explique par tels ou tels problèmes de la société
dans laquelle il se développe ; il traduit un malaise
social, ou économique, ou politique, plutôt que
l’action ou le caractère des Juifs. Les Juifs ne
sont coupables que de continuer à exister. Tout
l’antijudaïsme chrétien repose là-dessus : les
Juifs, par leur simple existence, rappellent que
Jésus était juif, un parmi d’autres dans le bouil-
lonnement des idées et des sectes de son temps ;
c’est un problème pour les chrétiens. De même,
l’intégration des Juifs dans la société française
au moment de la Révolution a été un mouve-
ment dans la logique de l’idée révolutionnaire
d’égalité et d’émancipation des individus par
rapport aux statuts particuliers traditionnels.
L’affaire Dreyfus a été vécue, à l’époque, comme
la dernière bataille de la République contre la
réaction : problème français encore, de même
que l’épisode de Vichy. Les Juifs ont-ils quelque
chose à dire et à faire face à l’antisémitisme ?
Certes, je peux faire connaître aux autres le
judaïsme et les Juifs, expliquer d’où vient cette
identité, mienne par la naissance et parce que je
me veux juif, les valeurs qui la constituent, mon-
trer que cette identité et ces valeurs ne sont en
rien contradictoires, culturellement et politique-
ment, avec mon appartenance à la nation fran-
çaise. Mais ce sont les antisémites qui ont un
problème avec moi et non l’inverse. Beaucoup
de Juifs sont réticents à rattacher l’antisémitisme
au racisme, au problème plus général du respect
de l’autre, de celui qui paraît différent, étrange ;
ils ont le sentiment que l’antisémitisme est d’une
essence distincte. C’est une réaction néfaste, bien
que compréhensible. N’oublions pas qu’à nos
yeux aussi le « goy » paraît parfois si étrange !
Moi, juif, je n’ai aucun besoin de l’antisé-
mite pour assumer dans la dignité mon identité
et ma culture ; l’antisémite, lui, ne peut se passer
de me soupçonner, me craindre ou me haïr, pour
vivre les siennes. Je ne suis alors que le symptôme
apparent d’un mal-être dont je ne suis pas la
cause ; je n’en suis que le témoin ou la victime.
Les violences dans les écoles ou les lycées, les
outrances verbales et la récupération des vieux
poncifs contre les Juifs ne sont-ils pas, avant tout,
les signes d’un malaise profond que traverse une
jeunesse mal intégrée ou une société arabe en
quête d’elle-même dans les bouleversements de
la globalisation et la liquidation lente d’un colo-
nialisme passé ? Nous ne pouvons répondre que
par la volonté incessante du dialogue et de la
reconnaissance de la dignité de chacun.
En dépit de l’émancipation, nous ne sommes
pas encore sortis du ghetto. Sortir du ghetto,
c’est accéder à la dimension politique de l’exis-
tence humaine. Concrètement, c’est entrer dans
la vie politique du pays où l’on réside, pas seu-
lement en termes d’adhésion à des idéaux, mais
aussi de participation aux compromis, à la
balance du désirable et du possible qui sont le
propre de la politique. Là est notre difficulté,
nous avons du mal à considérer l’autre dans une
relation politique, parce que, à cause de l’antisé-
mitisme, nous avons désappris à le considérer
autrement que comme une menace, réelle ou
Théo Klein
Pour un renouveau
du judaïsme