Résistance aux antibiotiques – Etat des lieux
1. PRINCIPE DE LA RESISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES
Définition
La résistance bactérienne aux antibiotiques peut être naturelle ou acquise. La problématique
actuelle concerne les résistances acquises moins stables que les résistances naturelles.
Une bactérie est dite "résistante" lorsque la concentration d'antibiotiques nécessaire pour
inhiber sa croissance (Concentration Minimale Inhibitrice = CMI) est supérieure à la
concentration maximale d’antibiotique disponible dans l’organisme humain dans le cadre
d’un traitement, administré aux posologies recommandées par l'AMM.
Chaque année, en Europe, environ 25 000 personnes meurent d'une infection à germe
multirésistant1.
Le problème de l'accroissement de la fréquence des souches bactériennes résistantes est
majeur pour les patients hospitalisés. La pression de sélection exercée par une
consommation d'antibiotiques très élevée, dans ce contexte (plus de 15% de patients traités
par antibiotiques dans les établissements de santé en France en 20062), y est maximale. La
fragilité des patients concernés induit une gravité supplémentaire, et la promiscuité
hospitalière favorise la diffusion de ces souches entre les patients. Les bactéries
multirésistantes ont donc une place importante dans les infections nosocomiales, qui
concernent en France 1 malade hospitalisé sur 202 ; Le risque n’étant en fait pas uniquement
individuel, mais également écologique avec transmission interindividuelle
Une évolution dans le temps et dans l'espace
o Un phénomène ancien, observé très peu de temps après l'introduction des
antibiotiques dans la pratique médicale et qui avait été anticipé par Flemming lui-
même.
o Un phénomène négligé pendant plusieurs décennies du fait de la mise sur le
marché régulière de nouvelles molécules (en 1 demi-siècle, plus de 200
substances actives mises sur le marché dans le monde3).
o Un phénomène croissant qui a connu une accélération récente et une tendance
à la mondialisation. Désormais les bactéries responsables d'infections
communautaires et les antibiotiques majeurs qui les traitent sont également
touchés par ce phénomène d'acquisition de résistance4.
Deux mécanismes connus d'acquisition de résistance
o Résistance par transfert de gènes (acquisition d'un plasmide ou d'un
transposon) : acquisition, par les bactéries, de gènes codant pour des protéines
conférant une résistance accrue à des familles d'antibiotiques (le plasmide
comportant plusieurs gènes de résistance). Elles sont transmissibles entre
bactéries d'espèces différentes. Ces bactéries sont normales et ne sont donc pas
contre-sélectionnées en l'absence d'antibiotiques.
o Résistance par mutation chromosomique : ces mutations se produisent au
hasard et ne sont pas provoquées par un antibiotique mais elles peuvent diminuer
la sensibilité de la bactérie. La mutation chromosomique ne s’exerce que vis-à-vis
d’un seul antibiotique et n’est, en principe pas transférable d’une espèce
bactérienne à l’autre. Les bactéries mutées sont plus fragiles que les bactéries
normales et sont en fait souvent contre-sélectionnées en l'absence
d'antibiotiques.
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o Le rôle joué par l'antibiotique est donc essentiellement un rôle de sélection
de bactéries porteuses de gènes de résistances, en diminuant, voire en détruisant
la flore normale sensible, permettant ainsi aux bactéries résistantes de proliférer
Deux facteurs majeurs d'augmentation des résistances
o Augmentation de la pression de sélection par les antibiotiques due aux
importantes quantités de produits utilisées. La pression exercée par un
antibiotique permet la sélection de la résistance correspondante ; ainsi un
antibiotique n'induit pas en lui-même une résistance mais sélectionne les souches
qui lui sont résistantes et qui seront favorisées par rapport aux souches sensibles.
Il faut bien concevoir que l’antibiotique diffuse dans l’organisme et sélectionne
des résistances dans des sites qui ne sont pas l’objet du traitement prescrit. Ainsi,
par exemple, un antibiotique prescrit pour une angine sélectionne des bactéries
résistantes dans le tube digestif du patient.
o Augmentation de la dissémination des bactéries résistantes entre individus
due à l'évolution des modes de vie (importance des regroupements humains,
mondialisation des déplacements…)
Deux cibles épidémiologiques distinctes
o En France et dans les pays développés : les conséquences de la résistance
touchent des populations limitées mais fragiles, dans des groupes de patients
relevant de pathologies et de traitements sophistiqués (chirurgicaux,
immunodépression, traitements du cancer), dans le cadre d’infections
nosocomiales. Les bactéries principales sont bien identifiées : bacille Gram
négatif (dont pseudomonas, enterobacter, E. coli, sécréteurs de BLSE) ou Gram
positif (principalement en France S. aureus).
o Dans le monde : risque d’infections de grande diffusion avec des fréquences
croissantes de résistances : salmonelles, shigelles, E. coli, BK, etc…
2. LA CONSOMMATION D'ANTIBIOTIQUES EN FRANCE
La consommation d'antibiotiques a connu un net fléchissement en France au cours des
dernières années, avec toutefois une reprise depuis 2007.
La consommation en France reste une des plus élevées d'Europe après la Grèce (figure 1).
Figure 1
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Le niveau de consommation en France reste un des plus élevés en Europe derrière la Grèce
Source : CNAMTS (2010). Antibiotiques : où en est-on? (dossier de presse – mai 2010)
3. LES MOYENS DE LUTTE CONTRE L'AUGMENTATION DES RESISTANCES
Lutter contre la pression de sélection : optimiser la prescription
o en développant des procédures diagnostiques fiables pour une prescription
appropriée
o en favorisant le bon usage en santé humaine ; à noter que l’arrêt de la promotion
des antibiotiques (depuis la commercialisation des génériques) a pu avoir un
impact sur la diminution d’information diffusée aux médecins et sur le bon usage
o en contrôlant la prescription en milieu vétérinaire, tout particulièrement pour les
animaux de compagnie. Ils sont par définition proches des humains et donc
susceptibles de leur transmettre facilement des bactéries résistantes ainsi
sélectionnées.
Prévenir ou limiter la dissémination des bactéries résistantes : renforcer les mesures
d'hygiène et d'isolement au sein des structures de soins et des collectivités
4. LE ROLE DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE
a. Un besoin urgent de nouveaux antibiotiques
L'augmentation des résistances bactériennes rend la mise à disposition de nouveaux
antibiotiques originaux nécessaire et urgente. Ce besoin ne pourra être satisfait qu'à la
condition de mettre en œuvre des modifications profondes de nos méthodes de
développement, d'évaluation, d'usage et de financement pour ces produits.
Optimiser la recherche et le développement : inventer de nouveaux types de
développement et faire évoluer les modes d'évaluation réglementaire
o Stades précoces : difficultés d'anticipation et faible exploitation de la
modélisation
Anticipation : si le lien entre la forte pression de sélection et l'augmentation
des résistances est scientifiquement établi, il est très difficile de prévoir
la dynamique et la géographie de nouvelles souches résistantes
Modélisation : les modèles in vitro et les modèles animaux disponibles
sont insuffisamment exploités alors même qu'ils pourraient fournir des
éléments d'appréciation majeurs en termes de présomption d'efficacité
et de sécurité
Propositions Anticipation
surveillance accrue de l'émergence de nouvelles résistances
partenariats public/privé très précoces
Modélisation
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accompagnement des autorités de santé dès le début du
développement dans l'objectif de limiter les risques de
développement aussi bien en termes d'efficacité qu'en termes de
sécurité
prise en compte des relations structure-activité et structure-toxicité
pour éviter les impasses
développer les modèles animaux : pour valider l'efficacité clinique
et microbiologique dans des infections à germe sensible, pour
évaluer l'efficacité in vivo dans des infections à germe résistant,
pour déterminer les doses efficaces. Un meilleur usage des
modèles animaux pourrait permettre un moindre recours à des
essais cliniques extrêmement couteux et souvent peu informatifs
o Passage à l'homme : difficultés méthodologiques et de recrutement
Méthodologie
Pour les molécules destinées aux infections accessibles aux traitements
déjà disponibles : la très grande efficacité du traitement comparatif de
référence rend difficile voire impossible toute démonstration de
supériorité et impose le recours aux études de non infériorité dont les
résultats ne pourront pas être valorisés
Pour les molécules destinées au traitement des infections graves à
bactéries multirésistantes : les malades porteurs de ces infections ne
seront pas en nombre suffisant, dans le cadre de l'essai clinique
randomisé comparatif, pour être contributifs pour la démonstration
d'efficacité sur les bactéries multirésistantes
Recrutement : inclusion difficile de malades porteurs de bactéries
multirésistantes, car ils sont peu nombreux et seront donc très peu
représentés dans les essais cliniques
Propositions
Méthodologie : adaptation des méthodes d'évaluation
la nécessité d'adapter les développements à ce nouveau contexte
s'impose désormais.
Des recherches méthodologiques devraient permettre de proposer
des protocoles aptes à prendre en compte la rareté des patients
(incompatible avec les essais de non infériorité), et/ou la gravité de
la maladie (incompatible avec les essais comparatifs versus
placebo). Les méthodes « adaptive design » pourraient être
explorées.
La comparaison au « standard of care » doit être la règle
Recrutement : tests diagnostiques
La nécessité de repérer rapidement et spécifiquement les malades
porteurs de bactéries multirésistantes s'impose également
Cette évolution sera conditionnée par le développement de
techniques de détection rapide des germes résistants
(spectrométrie de masse et utilisation de biopuces)
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Concevoir une politique de valorisation différente pour les antibiotiques5
o Difficultés au regard de l'existence d'alternatives thérapeutiques et vis à vis
de la population cible
Alternatives thérapeutiques : pour une nouvelle molécule n'ayant
démontré son efficacité que sur des infections également sensibles
aux traitements disponibles
Valorisation des résultats difficile avec ses conséquences prévisibles en
termes de prix
Population cible : pour une nouvelle molécule qui aurait démontré une
efficacité contre des bactéries multirésistantes
volonté légitime de réserver ce nouveau traitement aux seules
infections multirésistantes afin de préserver l'intérêt de la molécule
mais, pour l'industrie, conséquence en terme de population cible qui
peut s'avérer extrêmement faible, voire dans certains cas, inexistante
car encore hypothétique
o Difficultés d'obtention d'un retour sur investissement acceptable
illustrées par l'indice "Index NPV (Net Product Value)" :
100 millions de dollars pour un antibiotique
300 pour un médicament anticancéreux
720 pour un médicament du SNC
1150 pour un médicament du système musculo-squelettique6
Prix ne reflétant pas l'efficacité en termes de réduction de la morbi-
mortalité.
Les antibiotiques sont en quelque sorte victimes de leur efficacité et de
leur bonne tolérance
Leur rôle majeur est acquis en France depuis de nombreuses années
et ne peut donc pas être valorisé au titre de l'innovation
Propositions
Politique de prix : adaptation de la politique de prix au contexte : molécule
efficace et "de niche" justifiant l'attribution d'une ASMR de bon niveau
Génériques : revoir la politique de promotion des génériques dans ce
champ thérapeutique du fait de son caractère potentiellement contre-
productif en termes de bon usage par effet de banalisation
Au total : Pourquoi pas un statut proche de celui des médicaments orphelins?
Cette option serait justifiée dans la mesure où, dans le contexte actuel, les
infections à bactéries multirésistantes répondent aux critères définissant
les maladies rares
incidence très faible des maladies concernées, avec les difficultés
de développement et de positionnement afférentes
perspectives de rendement de l'investissement faibles
absence de traitement efficace disponible
cette option serait incitative par partage des risques entre état et industrie
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