Le droit face à la mondialisation-compte rendu

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Le droit face à la mondialisation
Conférence du 19 février 2013 donnée par le Professeur Jürgen Basedow
Compte-rendu
Le processus de mondialisation dépeint dans sa réalisation un tableau aux contrastes vifs
réunissant sous une même enseigne des volontés antinomiques : un universalisme des valeurs
face à des revendications économiques particulières. Cette dynamique implique un
renouvellement de l’ensemble des sciences humaines et sociales. Phénomène insistant sur la
dimension mondiale des problèmes contemporains, la globalisation est avant tout perçue comme
un danger : danger pour l’Etat providence, danger pour l’Etat Nation, danger pour la Démocratie.
En introduction de son intervention, l’éminent juriste allemand Jürgen Basedow constate que la
discussion gravite nécessairement autour de la règle de droit. Que l’on s’interroge en matière
familiale, s’agissant de la gestation pour autrui par exemple, ou en matière économique, la
question de la préservation des valeurs d’une société donnée au cœur de la mondialisation se
pose. Le contournement de la règle de droit national ainsi que la protection du marché national
font partie de ces problématiques inévitables. Le Professeur Basedow nous livre en quatre temps
ses éléments de réponse, mêlant savoir et opinion. Revenant d’abord sur les dessous techniques
de la mondialisation (1), l’universitaire nous offre un aperçu des bouleversements de la
conception nationale du droit qui en résultent (2). Par la suite, l’attention se porte sur l’action des
institutions gouvernementales (3) et des institutions internationales et organisations non
gouvernementales dans la globalisation (4).
(1) Selon l’expression de Jürgen Basedow, le monde semble se rétrécir. Selon les propos
d’Ulrich Beck, l’identité nationale se dilue et les frontières étatiques ne semblent plus pertinentes.
Un mélange des allégeances affecte l’individu, qui est cumulativement national, ou binational,
citoyen européen le cas échéant, et encore citoyen du monde. Ce sont là les conséquences de la
mondialisation et non les causes, dont le Professeur Basedow nous entretient également. La
racine de la mondialisation réside dans l’évolution technique des transports. Il s’agit d’abord
d’évoquer le transport physique de personnes et de marchandises qui connut un essor
considérable. Le temps et le coût du transport diminuant, l’extension géographique des marchés
devient une réalité. Mais si le transport physique connut une progression formidable, c’est dans le
domaine du transport de données que l’évolution est la plus prodigieuse. L’information circule
instantanément dans le monde d’aujourd’hui. Sur le terrain financier, les cours boursiers se lient
entre eux. Par ailleurs, les violations des droits de l’homme sont immédiatement mises en lumière
par le biais des réseaux mondiaux. La politique change de visage. L’enseignant allemand nous
propose ses observations sur le phénomène. Tout d’abord, l’évolution en matière de transport est
le fruit d’une volonté immanente de l’humanité. L’histoire de la mondialisation se veut ainsi moins
linéaire que circulaire, alternant période de stagnation technologique, où la mondialisation
produit ses effets, et période de progression technique, où la mondialisation retrouve une
impulsion. Ensuite est soulignée l’irréversibilité des changements intervenus. La menace des
structures sociales inadaptées à cette société globalisée devient alors réelle et la question se pose
des moyens juridiques à mettre en œuvre.
(2) Classiquement, le monde se découpe en Etats souverains qui se dotent chacun d’un
système juridique. Est encore répandue l’opinion que le droit est purement national, c’est-à-dire
produit par l’Etat et ajusté pour l’Etat. Le Professeur Basedow juge cette doctrine dépassée. Le
phénomène de perméabilité des ordres juridiques autorise à le penser. Dans un monde où les
divergences entre les lois sont conçues comme des obstacles, il se produit une indiscutable
concurrence entre les ordres juridiques, concurrence qui dicte sa part de normes. La dialectique
entre mobilité internationale et législation nationale évolue. C’est la raison pour laquelle la règle
de droit nationale voit son champ d’application territorial étendu aux questions internationales. Il
en résulte un chevauchement des champs d’application des différentes lois nationales. Par voie de
conséquence, il convient de souligner l’importance du droit international privé. En matière civile et
commerciale, des instruments conflictuels conséquents existent aujourd’hui, permettant
d’arbitrer entre les législations nationales. Le constat est plus mitigé s’agissant du droit public qui
semble encore gouverné par l’unilatéralisme. Les règles de conflit sont pourtant devenues
essentielles dans la mondialisation. Par ailleurs, l’émergence d’un droit non-étatique ne peut être
passée sous silence. Elle confirme qu’une conception purement nationale du droit est dépassée.
Les différences entre ordres juridiques s’étant avérées des entraves au commerce international,
une soft law a vu le jour et a reçu une approbation internationale, faisant même parfois l’objet
d’une consécration au sein de la hard law. Le Professeur Basedow met l’accent sur cette non-state
Law, cette lex mercatoria qui s’est accompagnée de la mise en place de l’arbitrage international,
procédure judiciaire privée, bien qu’organisée et surveillée par les Etats.
(3) Il se produit à plusieurs niveaux un mouvement d’institutionnalisation de la
mondialisation. L’éminent conférencier revient d’abord sur l’action des institutions
gouvernementales. Depuis la fin du XIXe siècle, les activités privées ont ainsi été réglementées par
des conventions bilatérales ou multilatérales conclues par les gouvernements, à buts
d’harmonisation ou d’uniformisation. L’instrument du traité est alors privilégié. On en trouve de
nos jours dans tous les domaines : droits de l’Homme, avec la Convention EDH, droit commercial,
avec la CVIM, droit pénal, avec les accords d’extradition, ou encore droit routier, avec la CMR. Il
s’ensuit une véritable internationalisation des sources du droit, largement méconnue des
citoyens. Des inconvénients contemporains à l’utilisation de conventions sont également relevés
par le juriste allemand. Dans le monde multipolaire qui est le nôtre, de véritables négociations et
échanges d’idées permettant d’aboutir à des traités effectivement ratifiés sont plus difficiles à
obtenir que dans l’ancien monde polarisé par les grandes puissances coloniales. Cependant, il
n’est pas dit que ces faiblesses ne soient pas contrebalancées par l’action des institutions
internationales.
(4) Les institutions internationales sont aujourd’hui multiples : Nations-Unies, au sein
desquelles il faut décliner l’OMS ou l’UNESCO par exemple, la CNUDCI, l’institut UNIDROIT ou
encore la Conférence de droit international privé de La Haye. La création de l’OMC en 1994 est
figurative de l’institutionnalisation de la mondialisation. Les Etats adhérents à ces organisations
sont en attente constante de résultats concrets. Les projets d’harmonisation ont ainsi, dans ce
cadre, de sérieuses chances d’aboutir. Il se trouve d’ailleurs, selon le Professeur Basedow, que la
loi de la majorité prime dans ces organisations internationales. Un droit de réserve, de
rétractation ou de révocation unilatérale appartenant aux Etats existe en théorie, mais
l’expérience démontre que cette faculté n’est jamais, ou presque, mise en œuvre, ce qui rend ces
institutions internationales particulièrement propices à l’édification d’un droit uniforme. Allant de
pair avec la multiplication des organisations internationales, des tribunaux internationaux voient le
jour. On pense spontanément à la Cour européenne des droits de l’Homme, tribunal régional, ou
encore à la Cour Pénale Internationale basée à La Haye, au rayonnement mondial.
En conclusion, il semble bien que la conception nationale du droit soit dépassée. L’exemple
européen l’illustre suffisamment. L’harmonisation et l’uniformisation du droit permettent de
parler d’une mondialisation juridique, conséquence d’une mondialisation économique et
technique. La politique se doit d’apprendre ces nouvelles données et le professeur de les
enseigner. Le Directeur du Max Planck Institute conclut en se référant à Bergson. Selon le
philosophe, le monde se divise en sociétés closes et en sociétés ouvertes : les premières sont
gouvernées par l’instinct, les secondes par l’intelligence, celles-ci se défendent quand celles-là
s’ouvrent. Résolument optimiste, Jürgen Basedow estime que la mondialisation consacrera la
société ouverte en tant que modèle dominant et l’intelligence comme principe de gouvernement.
Maxime BARBA
Doctorant de l’EDIEC (IDCEL)
Julie COURTOIS
Doctorante de l’EDIEC (IDCEL)
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