Les Cahiers de la Maison Jean Vilar
N ° 9 8 - A V R I L , M A I , J U I N 2 0 0 6 .
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L E S C A H I E R S D E L A M A I S O N J E A N V I L A R N ° 9 8
KICK ASS ?
Il y a 10 ans, Maria Casarès nous quittait laissant le souvenir d’une artiste
complète, à la fois comédienne et écrivain, et dont le génie perdure dans sa
maison en Charente devenue aujourd’hui la Maison du comédien. Tout natu-
rellement la Maison Jean Vilar entretient les liens les plus affectueux avec
cette autre Maison à laquelle elle prêtera l’été prochain costumes et docu-
ments. Cette édition de nos Cahiers laisse une large place aux échanges nom-
breux que Maria Casarès entretint avec Jean Vilar. Au fil de ces lignes appa-
raît une profonde amitié artistique, de la hauteur de celle que l’on pouvait lire
dans la correspondance entre le même Jean Vilar et Gérard Philipe.
Avant de rendre compte de notre voyage en terre écossaise, nous ne pouvions
pas ne pas saluer l’un des très grands metteurs en scène de la seconde moi-
tié du siècle dernier, Benno Besson. Et comment mieux évoquer cette figure
majeure du Festival d’Avignon (à l’époque où Paul Puaux en était l’adminis-
trateur permanent), qu’en demandant à son interprète et ami Philippe Avron
de le faire ici pour nous ?
Edimbourg donc...
Nous publions dans ce numéro les transcriptions des entretiens que nous ont
accordés les principaux partenaires des festivals qui, chaque été, font de la
capitale écossaise un carrefour artistique.... phénoménal !
Nés en 1947, Avignon et Edimbourg ont tous deux 60 ans : l’occasion était
trop belle d’une petite enquête permettant de relativiser la notion de “plus
grand festival du monde” et d’identifier la différence de nature, malgré tant
de similitudes apparentes, entre ces deux rencontres majeures du paysage
artistique européen. Même si nous sommes loin, dans notre mentalité médi-
terranéenne, de l’énergique industrie culturelle défendue dans les Highlands,
on reste étonné par la vigueur, l’enthousiasme, la fierté de ces propos, la
capacité d’unir tant de différences au service d’un effort collectif. Pour nous,
un véritable coup de pied au cul, traduction littérale de notre photo de cou-
verture (enseigne d’une boutique d’Edimbourg) : “Kick ass !” À nous d’en
tirer la leçon, par comparaison, pour notre Avignon.
Jacques Téphany
Des “bouts de papiers” comme ceux-ci, griffonnés par
Jean Vilar tout au long de sa vie, foisonnent dans les
archives de la Maison...
Ci-dessous : le ah ! dans la marge est de la main
de Jean Vilar.
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En triant les lettres, coupures de presse et
autres documents du fonds, antérieurs au TNP,
certains aspects de la personnalité et de
l’œuvre de Jean Vilar prennent un relief inat-
tendu en ce début de carrière, sans doute
moins bien exploré.
A côté des activités de la Compagnie des Sept
et des spectacles qui ont fait date comme
Orage, Don Juan et Meurtre dans la cathédrale,
en marge des premiers festivals d’Avignon et
des rôles au cinéma, d’autres préoccupations
liées au répertoire, aux auteurs, à l’enseigne-
ment et à la recherche d’un lieu de travail sont
déjà d’actualité et irriguent une œuvre nais-
sante.
Par exemple, on connaît sa lettre de candida-
ture spontanée à la direction du théâtre de
l’Odéon adressée à Jeanne Laurent en avril
1950. Mais sait-on que dès 1943, il sollicite le
Studio des Champs-Elysées pour y créer un
spectacle et que les « Autorités d’Occupation »
semblent lui préférer un autre candidat ?
Fin 1945, des discussions s’engagent avec le
Théâtre Edouard VII en vue de créer un centre
théâtral pas seulement destiné à la représenta-
tion de spectacles. Un projet suffisamment
avancé pour que la presse s’en fasse l’écho et
annonce même le premier spectacle : La Petite
ville de Thornton Wilder... En plus exotique et
suite à une demande d’information, le cahier
des charges du concours lancé pour la direction
de deux saisons 1949/50 et 1950/51 du théâtre
municipal de Casablanca. Cette même année
1949 voit l’ébauche d’un projet de saison théâ-
trale à Addis Abeba mais il faut y renoncer, le
mariage de la petite fille de l’Empereur a vidé
les caisses de la municipalité !
L’enseignement, par ailleurs, apparaît comme
un souci récurrent de Vilar. Dès le lancement de
la Compagnie des Sept, des cours de théâtre
sont prévus, ils se poursuivront dans des condi-
tions souvent difficiles et aléatoires comme en
témoignent les lettres des élèves, les annonces
dans la presse et les courriers des différents
lieux sollicités pour les abriter. Des notes
manuscrites postérieures à 1945 évoquent un
programme complet d’enseignement, entre
cours d’interprétation, pratique sportive et cul-
ture générale où il est question des rapports
avec les «intelligences » de ce temps : Paulhan,
Sartre, Camus, Malraux, Gide etc… Ces notes
ont probablement été rédigées au moment de la
création de l’EPJD (Education par le jeu drama-
tique) par J M Conty en 1946. Celui-ci a en effet
sollicité les personnalités théâtrales de
l’époque (Vilar, Barrault et d’autres) à participer
à la création de cette association.
C’est cependant la relation aux auteurs et la
recherche de textes qui laissent les traces les
plus significatives dans les archives de cette
période. Si Vilar ne fait que jouer dans une
pièce de Sartre Le Diable et le Bon Dieu, on
Le fonds Jean Vilar : chronique de l’inventaire...
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observe que Caligula de Camus, Eleutheria et la
seconde pièce de Beckett (probablement
En attendant Godot) lui passent entre les
mains. Il s’attèle à une adaptation théâtrale de
La Condition humaine de Malraux, il passe un
contrat avec le Théâtre des Noctambules pour
monter Les Incendiaires de Maurice Clavel, une
réalisation prévue en mars 1946 mais non abou-
tie. Dans ses réflexions autour de la program-
mation de la Compagnie des Sept, on trouve un
brouillon de distribution pour Woyzeck de
Büchner, inconnu en France à l’époque.
Vilar sollicite les auteurs, ses proches lui font
passer des manuscrits, les traducteurs aussi et
les courriers s’accumulent, parfois peu amènes,
s’inquiétant des silences ou du peu d’empres-
sement à restituer les textes. Steve Passeur,
après avoir vu Meurtre dans la cathédrale pense
que sa pièce ne peut pas convenir à Vilar et lui
demande de la rendre.
A côté d’Adamov, Claudel, Gide, Maulnier,
Schlumberger, Supervielle dont il monte les
textes , les échanges avec Anouilh, Cocteau,
Queneau, Claude Roy et de nombreux autres
auteurs souvent inconnus ponctuent cette
période et rendent compte de cette quête per-
manente de nouveaux textes contemporains ou
non, du domaine français ou étranger qui
semble l’avoir habité tout au long de sa carrière.
Lettre de de Steve Passeur
à Jean Vilar, 5 juillet 1945 :
Cher Monsieur,
Vous seriez tout à fait gentil
de me renvoyer mon
manuscrit le plus vite pos-
sible. Je ne crois plus qu’il
puisse vous intéresser.
J’ai détesté Meurtre dans la
cathédrale ou tout au moins
le peu que j’en ai vu. Ça m’a
semblé d’une prétention et
d’un ennui épouvantables
pour le théâtre.
Votre mise en scène et votre
interprétation sont remar-
quables.
Je me réjouis sincèrement
de votre succès
Steve Passeur
Lettre-questionnaire de Jean Vilar
avec les réponses de Maria Casarès
ARCHIVES MAISON JEAN VILAR.
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