RIP Claude-Henri Rocquet, le chemin comme horizon des abîmes

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RIP Claude-Henri Rocquet, le chemin comme horizon des abîmes
(1933-2016)
Le 30 mars dernier avait lieu l’inhumation de Claude-Henri Rocquet dans le
magnifique village de Gordes, au cœur du Lubéron. Auteur malheureusement
méconnu du grand public, Claude-Henri Rocquet a probablement été, ces 40
dernières années, l’une des plus belles plumes de la littérature française :
prosateur doté d’un style magnifique, il a publié de nombreux essais, livres
d’entretien, recueils de poésie, articles, critiques, biographies et pièces de théâtre.
C’est comme dramaturge que Profession Spectacle souhaiterait aujourd’hui lui
rendre hommage, afin de susciter le désir, parmi les professionnels du spectacle
vivant, de rencontrer cet écrivain perpétuellement en chemin, unique dans le
paysage littéraire français.
Crédits : Anne Fougère.
Né à Dunkerque en 1933, Claude Henri-Rocquet est avant tout un écrivain franco-flamand.
Il garde de sa terre natale une passion qui ne se démentira jamais, durant les 82 années de
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(1933-2016)
son existence terrestre. Cet attachement trouvera d’ailleurs – Histoire oblige – un pendant :
l’attrait réel exercé par l’Espagne, entre autres celle de Goya. Il déménage à Bordeaux et
intègre l’Institut d’études politiques, où il a pour professeur Jacques Ellul ; Claude-Henri
entretient des liens forts, tout au long de sa vie, avec Bordeaux, jusqu’à devenir membre
correspondant de l’Académie de la ville en 1995. Il gagne par la suite Paris pour y travailler
les lettres et l’histoire de l’art.
Entre la peinture et l’enseignement, l’espace de l’écriture
Toute sa vie il cultive un amour pour différents arts, à commencer par la peinture qu’il
pratique un peu, sur laquelle il écrit beaucoup – avec une prédilection pour les Flamands. Il
consacre plusieurs ouvrages à Pieter Bruegel (réunis récemment en une somme
impressionnante, publiée par Le Centurion), un à Jérôme Bosch et un autre à Vincent Van
Gogh : « Dans ces ouvrages, il ne s’agit pas de l’étude d’une certaine œuvre, ni même d’un
regard sur un tableau, ou sur l’ensemble de l’œuvre d’un peintre, mais, comme dans un film,
il convient d’allier l’image et le texte, la parole et le regard. Travail qui ne me plaît pas
moins que la nécessité d’y être explicite », écrit-il dans la courte autobiographie parue sur
son site.
Alors qu’il est encore lycéen à Bordeaux, Claude-Henri Rocquet rencontre Lanza del Vasto,
en qui il reconnaît un père : c’est comme fils spirituel qu’il le suit dans ses actions nonviolentes « pour la paix en Algérie et contre les tortures » ; c’est comme fils qu’il rompt avec
lui à la suite de divers désaccords, notamment en raison de la foi en Dieu de Lanza del Vasto
que le jeune homme récuse alors : « Je me suis éloigné de Lanza comme d’un père qu’on
refuse, dit-il dans une conférence donnée à Bruxelles le 24 octobre 1998. Ce n’est pas le fait
d’aller, soldat, en Algérie, qui m’a éloigné de l’Arche et de Lanza, c’est l’épreuve de
l’athéisme. […] Lanza, figure du père, cristallisait, dans mon désir de vérité, mon refus de
Dieu ». Il croise également la route de nombreuses personnalités littéraires et artistiques,
telles que le poète Norge, les écrivains Raymond Guérin et Jean Forton, le dramaturge Jean
Vauthier, le vitrailliste et émailleur Raymond Mirande…
La vie de Claude-Henri Rocquet se partage entre l’enseignement – à Paris, Montréal,
Narbonne, Montpellier avant qu’il n’intègre, en 1978, l’Ecole nationale supérieure des arts
décoratifs de Paris – et l’écriture.
Théâtre du Très-Tôt : chemin originel
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(1933-2016)
Claude-Henri Rocquet à Gordes, août 2015
(crédits : MHC).
Son œuvre de dramaturge commence en Algérie, où le jeune homme fait son service
militaire. Il participe au Groupe d’Action Culturelle dirigé par Raymond Hermantier, pour
lequel il écrit notamment deux pièces, en 1960 : La merveilleuse histoire de Jeha,
personnage traditionnel du Maghreb, et Le petit retable de frère François d’Assise,
succession de courts tableaux de la vie du saint considéré comme un chantre de la nonviolence en son temps. Claude-Henri écrit dans son Survol autobiographique : « Sans
l’amitié de Claude Bonnefoy, je n’aurais pas été l’élève de Voisin et je n’aurais pas rencontré
Hermantier, je n’aurais sans doute pas écrit de théâtre. »
Ces deux textes sont regroupés sous l’intitulé « Théâtre du Très-Tôt », dans le cadre d’une
édition intégrale de son théâtre, qui devrait voir le jour prochainement sous format
numérique aux éditions Éoliennes. Projet important et inédit que cette intégrale, divisée en
quatre parties thématiques : outre « Théâtre du Très-Tôt », les sections ont pour titre
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« Théâtre d’encre », « Théâtre du Labyrinthe » et « Théâtre de l’Invisible », auxquelles
s’ajoutent les adaptations que Claude-Henri Rocquet a faites de pièces de Tirso de Molina et
de Maurice Maeterlinck. Au total, ce sont près de vingt textes qui seront ainsi disponibles
pour les lecteurs. Une source d’inspiration d’une grande richesse pour les professionnels du
théâtre.
Claude-Henri préconise d’aborder son œuvre à travers quatre thèmes majeurs :
le Nord et l’enfance,
la Bible grecque,
la Bible juive et chrétienne,
la peinture.
Notre perspective sera nécessairement différente, puisque nous privilégierons
essentiellement son théâtre : notre plan est repris de celui de la publication prochaine de sa
dramaturgie.
Théâtre d’encre : chemin de passage
Dans Le Livre des sept jardins, Claude-Henri imagine un cheminement intérieur à travers
les jardins de Perséphone, de Merlin, de Léonard, de Tchouang-Tseu, d’Aladin, de Médée et
d’Ulysse. La création radiophonique avec France Culture a lieu en avril 1993, sous la
direction de Jean-Pierre Colas, qui enregistre plusieurs pièces du dramaturge. Le lecteur
principal est le célèbre récitant Alain Cuny, compagnon de la première heure de Jean Vilar.
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Cette pièce tient un rôle important dans le parcours de ClaudeHenri Rocquet, d’une part parce qu’il place au cœur de cette pérégrination intime un
pavillon, qui symbolise la mort et la résurrection, de jardin en jardin, d’autre part parce que
ce texte signifie la destinée du dramaturge : la vie est un chemin, est plus spécifiquement un
« chemin de parole », titre d’un de ses plus beaux livres, paru aux éditions de Corlevour en
2007.
Le Livre des sept jardins coïncide également avec le début d’une fructueuse collaboration et
d’une belle amitié avec la comédienne belge Monique Dorsel, au milieu des années 90 :
« Grâce à Michel Camus, j’ai noué des liens avec le Théâtre-Poème, de Monique Dorsel, qui,
souvent, m’invite à Bruxelles, rue d’Ecosse, pour une rencontre, une causerie, la création du
Livre des sept jardins ; et ces heures à Bruxelles et au Théâtre-Poème, l’amitié avec
Monique et ceux qui l’entourent, sont de grands bonheurs. »
Le « Théâtre d’encre » comporte notamment Tintagel, pièce créée à la radio en 1994 (avec
Catherine Sellers et Alain Libolt), Pénélope, dont la création eut lieu au Musée
départemental de l’Arles antique en 2009, ou encore un texte inédit, Le troisième ange, qui
a fait l’objet d’une lecture au Théâtre du Nord-Ouest en 2000, par Pascal Parsat, avec
Philippe Desbœuf et Stéphane Géraud, puis de représentations.
« J’ai écrit l’histoire de Loth pour ne rien oublier, ne rien laisser dans l’ombre, pour
peindre l’ombre, écrit Claude-Henri Rocquet. Sachant aussi que toutes ces figures
de la Bible ou de la mythologie sont des songes qui nous éclairent sur nos
épouvantes et nos désirs – nous-même. J’ai marché à mon tour sur un chemin de
soufre. […] Trois anges visitent Abraham et s’attablent sous le chêne de Mambré.
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Deux anges détruisent Sodome et Gomorrhe. Deux anges escortent Loth et sa
famille. La Bible ne dit rien du troisième ange. Ni de la mort de Loth. J’ai vu se
rencontrer Loth et le troisième ange, ange de miséricorde et d’amour, en cet instant
de feu et de passage. »
Chemin de soufre, chemin qui traverse le feu, chemin qui est un passage – une « Pâque »,
pour le dire en hébreu. Tel est le sens de ce théâtre de l’encre la plus sombre, noircie
jusqu’au point d’incandescence, afin de laisser – enfin – jaillir la première lueur.
Théâtre du Labyrinthe : chemin de l’exil
À son retour d’Algérie, notamment à la demande du réalisateur Pierre-Alain Jolivet, fils du
fameux compositeur André Jolivet, Claude-Henri Rocquet écrit plusieurs pièces de théâtre,
regroupées dans le « Théâtre du Labyrinthe », allusion évidente à l’Antiquité grecque : « À
la demande de Pierre-Alain Jolivet, j’écris La ville sous les armes, une Antigone ‘‘d’après les
Tragiques’’, et, avec Maurice Clavel, une adaptation du Don Juan de Tirso de Molina ; puis,
pour Jean-Pierre Miquel, une adaptation, très libre, de l’Oreste d’Alfieri. »
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(1933-2016)
Crédits : Anne Fougère.
Antigone ou la Ville sous les armes et L’Oreste d’Alfieri sont créés en 1965. La première
pièce est mise en scène au Théâtre Récamier par Marie-Claire Valène. Dans la distribution
figurent le tout jeune Jean-Pierre Miquel, dans le rôle d’Etéocle, et Benoît Allemane, dans
celui de Hémon ; ce dernier sera surtout connu par la suite pour être la voix française de
Morgan Freeman dans la plupart des films tournés par l’acteur américain. Claude-Henri
Rocquet s’intéresse à la relation entre Antigone et Tirésias, entre la mystique et le prêtre :
« J’ai vu se lever Antigone entre les vautours et les astres », écrit-il.
Le même Jean-Pierre Miquel met par ailleurs en scène L’Oreste d’Alfieri, qui reçoit le prix
du public et le prix du jury aux Jeux dramatiques d’Arras à Saint-Vaast. Le metteur en scène
Jean Gillibert, mort il y a un an et demi, reprend la pièce en 1992, avec Maria Casarès et
Robert Bensimon, l’évoquant en ces termes : « Théâtre visionnaire, surromantique, dont
seule peut rendre compte une parole pleine, sèche et craquante comme le feu, vivant de son
manque, et mourant de sa force. »
En 2005, des extraits de L’aveugle sont joués au Conservatoire du XXe arrondissement de
Paris, tandis que la pièce demeure inédite. Nous sommes, avec ce texte, au cœur du
labyrinthe, suivant les pas d’un Œdipe désormais aveugle, qui bénéficie de visions
intérieures sur les malheurs qui frappent Thèbes : le duel fratricide et la mort de ses fils. Il
en rit et frémit d’horreur, se prépare à mourir… mais se reprend. Il devient comédien
errant, se met en chemin et nous devance sur cette route dont il ne connaît pas l’issue.
Claude-Henri Rocquet est revenu d’Algérie, a retrouvé sa terre physique pour mieux initier
une pérégrination intérieure : l’acceptation d’un chemin d’exil, qui est celui de l’artiste
(Œdipe) et du mystique (Antigone). À vue humaine, le labyrinthe n’a d’autre horizon que la
mort, celle des fils de L’aveugle, celle d’Antigone, que le dramaturge met au centre d’une
autre pièce inscrite dans cette section : La mort d’Antigone, créée en 2003 au Théâtre du
Nord-Ouest par Jean-Luc Jeener, avec Pauline de Meurville (Antigone), Laurent Benoît
(Créon) et Pascal Quignard (Hémon).
Antigone meurt d’avoir choisi la légitimité contre la légalité, nous le savons depuis 2500
ans. Mais cet horizon de la mort n’est plus l’obstacle ultime sous la plume du dramaturge,
puisque ce dernier raconte comment Créon retrouve Antigone de nuit pour la persuader de
vivre : il a changé, au point que le sacrifice d’Antigone se purifie. La mort n’est que la vision
partielle d’un espace qui se déploie par-delà et qui ne se comprend que dans l’invisible
d’une foi indéracinable.
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(1933-2016)
« Dites-moi que malgré́ mes lèvres bientôt décomposées, il y aura ce profond
sourire de mon âme, il y aura ce sourire de vivante, qui vivra ! Et que le corps qu’on
met en terre est comme une graine dont le fruit, à travers les ténèbres de la terre,
s’accomplit en l’un de vous ! Dites-moi que je suis l’un de vous, que notre âme est
un astre que la naissance enveloppe d’argile et que la mort délivre. Ah ! dites-moi
que les hommes sont astres de passage par l’argile ! Car j’ai peur, et je tremble de
dégoût, et de pitié́ pour moi-même ; et si vous n’êtes notre patrie, amour céleste,
nous sommes un malheureux bétail pris de vertige, une parcelle de terre admise à
contempler un bref instant votre festin d’éternité, à le contempler dans le froid et le
dénuement du dehors, pour disparaître affreusement. » (extrait de La mort
d’Antigone)
Théâtre de l’Invisible : chemin d’espérance
Dans sa conférence à Bruxelles, citée plus haut, Claude-Henri Rocquet évoque sa vie à
travers trois étapes :
l’athéisme de la révolte, ou athéisme du cœur ;
l’athéisme moderne du rationalisme, du positivisme et du scientisme, ou athéisme de
raison, qui va même jusqu’à « l’athéisme de la beauté », tout chef-d’œuvre n’étant plus
qu’un « leurre idéologique »;
la conversion à l’orthodoxie.
Diverses rencontres marquèrent le réveil de ce que Claude-Henri
Rocquet qualifie de « la mort de l’homme » : « Ce qui a commencé de me tirer de ce
mauvais sommeil dogmatique, c’est une exposition Georges de La Tour. » Sa rencontre avec
Mircea Eliade, auquel il consacre un livre d’entretiens, est l’un des leviers de son acte de
foi : « La rencontre avec Eliade ne me conduira pas seulement à réfléchir sur la nature et les
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métamorphoses du ‘‘sacré’’ ; elle me prépare à la rencontre de l’Église orthodoxe. » Il entre
dans cette dernière et prend le nom de Martin. Sur la page d’accueil de son site figure un
poème autobiographique, dont voici la dernière strophe :
« Il est grand temps d’aimer l’amour
Il est grand temps de vivre enfin
Claude aujourd’hui nommé Martin
Du nom secret de ton baptême
C’est ce pour quoi tu vins au jour
Il est grand temps d’être toi-même. »
Le Théâtre de l’Invisible collige les pièces qui ont comme thématique la Bible juive et
chrétienne : « Je n’ai jamais voulu aller puiser dans la Bible des sujets, affirme-t-il dans sa
fameuse conférence à Bruxelles. C’est une source naturelle, évidente. Elle est pour moi ce
qu’elle fut pour Chagall : un rêve plus profond, plus ancien, un songe. » Il est d’ailleurs
frappant de voir que la première pièce de cette section est la première pièce jamais écrite
par le dramaturge. Claude-Henri Rocquet est en Algérie, il vient d’intégrer le Groupe
d’action culturelle de Raymond Hermantier, fondé avec le soutien de Malraux et de Camus :
« Théâtre populaire – en français, en arabe, en kabyle – dans les tourments de la guerre.
J’écris Noé, ma première pièce. »
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Noé – Chronique du Déluge ouvre son œuvre théâtrale ;
Lucernaire, qui évoque la résurrection de Lazare, la ferme en 2004. Du déluge à la
résurrection de l’ami, en passant par différentes figures bibliques : Rahab, Jonas, qu’il
associe au capitaine Achab, dans Moby Dick de Herman Melville, Jessica, Judith et Hérode.
Ce dernier fait l’objet d’un récit publié en 1992, lequel a été adapté pour le théâtre en
1994 ; la pièce fut jouée pendant six mois par Raymond Hermantier à la crypte Sainte-Agnès
de l’église Saint-Eustache, dans une mise en scène signée par Jean-Luc Jeener. Le terme de
ce périple intérieur et théâtral est le Christ, en son mystère d’incarnation. Lieu où la vie
prend chair. Analogie évidente avec le théâtre.
C’est pourquoi la fête de Noël revêt une telle importance pour l’écrivain ; chaque année,
dans le prolongement de Norge, il écrit un poème autour de l’avènement de Jésus, en
prenant la place du clou, de la chouette et du hibou, de l’araignée, de la puce, de l’escargot,
du rossignol et des moutons… Le fait que tout le divin soit recueilli dans l’humanité d’un
fragile bébé marque sa prose, résume même tous ses thèmes, de Noé à Bruegel, comme il
l’écrit dans son autobiographie en ligne : « Ces Noëls sont un cheminement. L’arche du
déluge et l’étable de Bethléem, entourée de tous les animaux de la terre, s’y rejoignent, s’y
confondent. Beaucoup d’images de neige et d’hiver me viennent de Bruegel. Les soldats
d’Hérode et les soldats romains sont les soldats allemands que j’ai connus enfant. D’autres
images, de caserne ou de garde, proviennent de mon temps d’Algérie. »
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RIP Claude-Henri Rocquet, le chemin comme horizon des abîmes
(1933-2016)
Profession Spectacle évoque régulièrement de belles
plumes de notre temps, de grands noms du théâtre et du cinéma, d’importantes voix du
spectacle vivant. Il est toutefois rare aujourd’hui de mentionner un dramaturge de haut vol
qui soit authentiquement chrétien : l’orthodoxe Claude-Henri Rocquet est de ceux-là. Et sa
plume trempée à l’encre de l’invisible plonge dans le labyrinthe du cœur humain : « Sur le
thème de la continuité évangélique où le non à la relativité humaine devient le oui au projet
de l’amour de Dieu, Claude-Henri Rocquet, un de nos rares grands auteurs contemporains,
poursuit sa quête : un parcours spirituel qui révèle et assume le gouffre de notre condition
d’homme », écrit Jean-Luc Jeener, à propos de Jessica en 1994.
L’art abolit les frontières humaines en ce qu’il tisse l’humanité entre les hommes, qu’ils
soient croyants, athées, partisans de la lutte des classes ou de la communion des saints. Il y
a ce point de convergence au plus intime de notre propre intimité, qui consiste en le simple
fait d’être homme, et d’essayer de l’être toujours davantage. L’écriture porte la trace de
cette quête, de ce cheminement dans l’invisible, qui revêt la forme d’une espérance
irréfragable : « Écrire, dès l’enfance, dès la jeunesse, m’a peut-être sauvé de bien des
désordres. L’écriture m’a conduit à l’espérance du Salut. À l’espérance de la vie où la mort
ne sera plus, ni aucune douleur, aucune larme. »
Acteur, dramaturge ou poète : chemin questionné
Si Claude-Henri eut l’occasion de monter sur les planches, notamment au Théâtre du Nord-
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Ouest, grâce à Jean-Luc Jeener, s’il eut également l’opportunité de mettre en scène divers
textes, tel Tite et Bérénice de Corneille ou encore Le Repos du septième Jour de Claudel, ce
fut de manière sporadique, comme un à-côté, comme l’ombre d’une vie qu’il aurait pu avoir
mais dans laquelle il n’est finalement jamais entré. C’est ce qu’il confie dans sa courte
autobiographie : « Chemin faisant, je vois que le métier de comédien et le métier de metteur
en scène, j’aurais pu les exercer, pleinement. Une autre vie. Une autre vie que celle que
j’aurai vécue. Si j’ai joué et mis en scène, ces années-là, sans doute est-ce en grande partie
pour savoir cela. Mais les effets de cette expérience sont allés au delà du plaisir d’avoir
renoué avec une vocation ancienne et abandonnée. »
Claude-Henri Rocquet est un homme à facettes,
impossible à enfermer dans ces systèmes dont notre époque contemporaine raffole. Militant
de gauche, partisan de la paix, orthodoxe à l’espérance chevillée à la plume, face à la mort
et par-delà, jusque dans l’attente finale, il construit une œuvre unique, tissée d’une même
foi, d’un même feu, d’un même amour : « Je vais avoir soixante-dix neuf ans. J’ai publié ou
fait jouer une quarantaine d’ouvrages. J’ai mis très longtemps à oser me dire ‘‘écrivain’’ ; je
disais simplement, en réponse aux questions mondaines : ‘‘j’écris’’. Il m’est toujours difficile
de parler de ‘‘mon œuvre’’ s’il s’agit d’évoquer l’ensemble de mes ouvrages. J’ai pourtant le
sentiment qu’il forme un seul et même tissu. Si quelqu’un me définit comme poète, j’espère
qu’il dit vrai. »
C’est ainsi en poète que Claude-Henri Rocquet écrit ses essais, ses articles, ses chroniques,
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RIP Claude-Henri Rocquet, le chemin comme horizon des abîmes
(1933-2016)
ses biographies de peintres et ses pièces de théâtre : « Mon théâtre, écrit pour qu’on le
joue, est de l’ordre du poème », confie-t-il à Bruxelles. Puisse cet immense écrivain
continuer à vivre sur scène… Artistes, vous avez un beau chemin qui s’ouvre à vous !
Pierre MONASTIER
Remerciements à Daniel Cunin pour sa relecture attentive et ses conseils avisés.
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