Laura Pinault IEP Toulouse Femmes, travail et développement durable : étude des liens entre problématique d’égalité et enjeux environnementaux Sous la direction d’Isabelle Guérin 2013-2014 1 Introduction « Au travail, c’est le talent qui compte » : cette expression sert d’intitulé à une campagne de communication lancée en juillet par le gouvernement français, qui a proclamé l’année 2014 année de la mixité des métiers. Une plateforme d’action pour la mixité des métiers ainsi qu’une fondation Egalité-Mixité ont été créées avec l’objectif de fournir davantage d’opportunités professionnelles aux femmes, qui se concentrent dans un petit nombre de métiers souvent peu qualifiés, tout en valorisant les métiers les plus féminisés. Le 19 août a été atteint le « jour du dépassement » : l’expression désigne la date à laquelle la population mondiale a consommé l’intégralité des ressources que la Terre peut produire en une année. En d’autres termes, « aujourd’hui, 86% de la population mondiale vit dans des pays qui demandent plus à la nature que leurs propres écosystèmes peuvent renouveler » comme l’a déclaré l’ONG WWF (Mounier, 2014). Nous vivons désormais à crédit. Quels liens existent entre ces deux enjeux ? C’est ce que se propose d’aborder la présente étude, dont l’objectif est de croiser les thématiques du développement durable et des inégalités existant entre hommes et femmes sur le plan du travail. Il s’agira de mettre en lumière certains des liens qui émergent de leur confrontation et d’analyser les interactions à l’œuvre. L’ambition ici est d’appréhender différentes facettes de l’égalité entre hommes et femmes au travail : cela signifie donc s’attacher à la question des inégalités professionnelles, c’est-à-dire observables dans le monde du travail rémunéré, mais aussi aux inégalités à l’œuvre dans les autres formes de travail existantes et notamment le travail familial et domestique, principalement effectué par les femmes à travers le monde. D’une manière générale, il faut rappeler que l’égalité entre les sexes est une idée récente dans l’histoire des sociétés humaines. Elle ne fait d’ailleurs pas l’unanimité dans toutes les sociétés et tous les pays. Pendant des siècles, l’infériorité des femmes était considérée comme naturelle, ce qui avait des répercussions sur toute l’organisation de la société (Ferrand, 2004). En France, il a fallu attendre la Constitution de 1946 pour que le principe d’égalité et de non-discrimination entre hommes et femmes soit posé et inscrit dans 2 la loi1. Au niveau européen, la Charte des droits fondamentaux de décembre 2000 a consacré le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et interdit toute discrimination fondée sur le sexe. Le principe a aussi été consacré comme un droit au niveau international, par plusieurs textes de l’ONU. L’égalité entre les sexes est désormais un engagement de la communauté internationale, notamment intégré dans les Objectifs Millénaires du Développement des Nations-Unies. Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’égalité entre les sexes « indique un état dans lequel femmes et hommes jouissent des mêmes droits, des mêmes possibilités et des mêmes avantages dans la vie civile et politique » (FAO). L’Organisation défend cependant l’idée d’équité entre les sexes dans la mesure où traiter de la même manière deux personnes qui sont dans des situations différentes voire inégales peut conduire à accentuer ces inégalités. En France l’égalité des sexes s’est fondée sur le principe républicain de l’égalité, c’est-à-dire la dénégation des différences (les individus sont tous égaux, malgré leurs différences) (Laufer, 2009). En termes de travail, le droit à l’égalité professionnelle est encore plus récent, surtout quand on se souvient qu’en France, les femmes ont eu besoin du consentement de leur mari pour pouvoir exercer une activité professionnelle jusqu’en 1965. Au cours de son évolution juridique, la notion a fait l’objet de formulations variées, d’égalité de droits à égalité de traitement puis à égalité des chances. Aujourd’hui, la stratégie pour l’égalité passe par la logique du « mainstreaming » ou « approche intégrée de l’égalité » prônée par l’Union Européenne (Laufer, 2009). L’égalité professionnelle est aujourd'hui définie par le Ministère des Droits des Femmes comme « l’égalité de droits et de chances entre les femmes et les hommes, notamment en ce qui concerne l’accès à l’emploi, les conditions de travail, la formation, la qualification, la mobilité, la promotion, l’articulation des temps de vie et la rémunération » ; elle inclut un objectif de parité et de mixité2. Nous verrons qu’en dépit d’un véritable arsenal juridique, les inégalités professionnelles entre hommes et femmes sont toujours une réalité. Commenté [LP1]: Faudra en parler en chap 1 Il est donc question ici des inégalités dans la sphère professionnelle, autrement dit dans le monde du travail rémunéré. Le travail est toutefois défini comme une « activité 1 Le Préambule de la Constitution de 1946 établit que « la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme ». 2 Selon le ministère des droits des femmes, la parité dans une entreprise ou une instance de consultation ou de décision signifie un même nombre de femmes et d’hommes. Il n’implique pas la mixité, définie comme la présence de femmes et d’hommes dans un type d’emploi, une même catégorie professionnelle ou un métier. Selon l’INSEE, un métier est mixte quand il y a une répartition à peu près équilibrée entre h ommes et femmes (dans une fourchette de 40 à 60 % de chaque sexe) (Ministère des Droits des Femmes, « 5 définitions clés », 2012, (en ligne). Disponible sur : http://www.ega-pro.fr/?page_id=19) 3 rémunérée ou non, pouvant impliquer un effort par lequel l’homme transforme son environnement naturel et social » (Echaudemaison et al., 2007). Trois types d’activités peuvent être distingués : le travail salarié, le travail non salarié, tous deux rémunérés, et le travail domestique réalisé dans le cadre non familial et non rémunéré (Echaudemaison et al., 2007). Au niveau mondial, les femmes se retrouvent plus souvent dans les deux derniers types d’activités, et sont très majoritaires à exercer les tâches domestiques et familiales. En élargissant la perspective pour prendre en compte l’activité non rémunérée, on met au jour d’autres inégalités de travail, qui se jouent notamment dans la question de l’articulation des temps de vie (vie professionnelle, vie familiale, vie sociale...) La définition du travail donnée ci-dessus appelle à une autre remarque : combinée à l’étymologie latine du terme3, le travail évoque une activité pénible visant à transformer la nature. D’où vient cette idée d’un effort de l’être humain sur la nature, effort qui parait nécessaire à sa survie, et sans quoi il n’aurait pas lieu d’être ? Cela tient à l’inadaptation de l’humain au milieu naturel : « l’homme [est] nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes » (Platon). Si l’espèce humaine a survécu, c’est qu’elle a su, grâce à la technique utilisée dans le cadre d’un travail, adapter la nature à ses besoins ; et ce, au contraire des autres espèces, qui sont adaptées à la nature. Ainsi, l’existence des hommes tient à leur capacité à utiliser les ressources naturelles de leur environnement, qui passe nécessairement par le travail. L’évolution de la technique a permis de faciliter ce travail, jusqu’à permettre aux individus d’extraire de plus en plus de ressources pour satisfaire des besoins toujours croissants. C’est là que se joue la spécificité du rapport des êtres humains à la nature : un rapport dominant-dominé, d’indépendance et d’exploitation où la nature, désormais simple réserve de matières premières, sert l’homme et ses besoins à l’infini et sans contrepartie d’aucune sorte. Cette vision est véhiculée par les religions monothéistes comme dans la philosophie moderne (Descartes, Bacon) : l’homme comme « maitre et possesseur de la nature » (Descartes). Or depuis peu, les hommes ont pris conscience que les ressources de la Terre ne sont pas infinies et que leurs activités ont une incidence potentiellement très néfaste sur leur environnement, au détriment du maintien équilibres écologiques et de la reconstitution du patrimoine naturel : érosion des sols, pollutions atmosphériques et aquatiques, atteintes à la biodiversité, épuisement de certaines ressources non renouvelables et changement climatique… Face à cette crise écologique due en majeure partie aux conséquences de l’action de l’homme sur la nature, et qui a d’ores et déjà des conséquences sur le mode de 3 Tripaliare, torturer avec le tripalium, instrument formé de trois pieux. 4 vie de certaines populations, les défis à relever sont nombreux. Pour appréhender ces enjeux, plusieurs termes dont de nouvelles notions sont employés parfois indifféremment ; on parle de nature, mais aussi d’environnement, d’écologie puis de développement durable… L’environnement désigne à la fois le proche, ce qui entoure et la nature : il peut être défini comme une nature socialisée, ‘anthropologisée’ car pensée dans sa relation à l’homme (Weisbein, 2012). L’écologie est à l’origine la science des écosystèmes, ayant pour objet les conditions d’existence des êtres vivants et les interactions que ceux-ci nouent avec leur milieu ; mais à partir des années 1970, le terme prend une connotation militante et politique, en réaction avec la société industrielle, et désigne de plus en plus le mouvement de défense du milieu naturel et de l’environnement. Le développement durable est à la fois le terme le plus récent et le plus polysémique. Il est formulé et défini lors de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement humain de 1987, la Commission Brundtland : « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette définition reprend l’idée de Hans Jonas formulée dans son livre de 1979, Le principe responsabilité : l’homme a les moyens de destruction de la planète et son action provoque déjà de nombreuses atteintes à l’environnement, mais il est responsable devant les générations futures et se doit donc d’empêcher l’aggravation des problèmes environnementaux. La responsabilité s’étend alors dans le temps, mais aussi dans l’espace : dans un monde globalisé, le développement durable est un enjeu planétaire et chaque être humain, du Nord comme du Sud a le même droit aux ressources de la terre. La notion combine d’ailleurs trois dimensions : la préservation de l’environnement, le progrès social et la viabilité économique. Le développement durable est donc un développement qui doit pouvoir réduire les inégalités sociales et préserver l’environnement tout en maintenant les activités économiques de production et d’échange (Weisbein, 2012 ; Falquet, 2002). Ces trois piliers sont étroitement imbriqués et interdépendants : les dégradations environnementales ont des conséquences aggravées sur les populations les plus pauvres. En particulier, les femmes constituent une population à risque, parce qu’elles sont confrontées à la pauvreté et aux inégalités. On touche ici au cœur du sujet : l’imbrication entre les enjeux environnementaux et les inégalités qui touchent les femmes en raison de leur sexe. En partant de la question du travail, on peut alors se demander si les inégalités de genre en termes de répartition de travail n’entraveraient pas l’action en matière de protection environnementale et la mise en œuvre de réponses et de solutions efficaces aux problèmes environnementaux. Il semble 5 en effet que depuis bientôt trente ans de prise de conscience globale des enjeux environnementaux, le développement durable relève encore de l’utopie et les politiques environnementales de louables intentions ; ou plutôt, que rien ne semble pouvoir arrêter l’exploitation irraisonnée des ressources naturelles et les dégradations écologiques qui en résultent. Comment se lient problématique de genre et d’inégalités et préservation environnementale ? Le rapport des femmes à l’environnement n’est-il pas différent de celui des hommes ? Et les rôles sociaux qui leur sont attribués en termes de travail ne sont-ils pas défavorables à une meilleure gestion environnementale ? Dans un premier temps, nous nous attacherons de manière ciblée à l’étude de la situation des femmes au travail en France et les inégalités professionnelles auxquelles elles sont confrontées. Nous verrons que ces inégalités perdurent en grande partie à cause de l’inégale répartition des activités entre les sexes Dans un second chapitre, nous tenterons d’expliciter l’impact de cette division sexuée des tâches sur la relation des femmes à l’environnement ; des liens particuliers existent en termes de sensibilité, des pratiques, de la vulnérabilité, des compétences...Et les inégalités de la répartition du travail empêchent les femmes d’exercer un rôle adéquat en matière de protection de l’environnement. Enfin, nous analyserons dans le troisième chapitre la place des femmes dans les emplois de l’économie verte et les enjeux associés, éclairant de nouveau l’impact de la division sexuée des activités et des rôles. 6 Chapitre I : Le travail des femmes : état des lieux sur les inégalités professionnelles en France Historique sur le travail des femmes Le travail est une notion large et complexe : le dictionnaire Larousse identifie ainsi une quinzaine de significations différentes et leurs définitions associées : « activité de l’homme appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose » ; « ensemble des opérations que l’on doit accomplir pour élaborer quelque chose » ; « exercice d’une activité professionnelle ; lieu où elle s’exerce » « activité professionnelle régulière et rémunérée ». Les deux premières définitions renvoient à l’idée commune d’une action de l’homme, des tâches et activités voire des efforts, orienté(es) vers un objectif particulier, la création, production de biens ou de services. Elles sont très générales et anhistoriques. Les définitions suivantes sont plus spécifiques en ce qu’elles renvoient à une compétence particulière ou un métier exercé en contrepartie d’une rémunération monétaire. C’est l’acceptation la plus courante aujourd’hui, et elle s’est développée à partir du 18ème siècle : c’est à cette période que le travail devient une marchandise, à laquelle correspond une valeur, et comme tout bien, il s’échange sur un marché. (Daune-Richard, 2001). C’est ainsi que les activités exercées en dehors du cadre du marché ont cessé d’être considérées comme du travail. La langue française fait que le masculin l’emporte, et que la généralité est masculine. Les définitions ci-dessus mentionnent ainsi « l’homme » au sens d’être humain. Mais travailler est-il la même chose pour les hommes et pour les femmes ? Les deux premières définitions, très générales, semblent « asexuées » et s’appliquer à la fois aux hommes et aux femmes. Une différence surgit néanmoins en ce qui concerne l’objet du travail: historiquement hommes et femmes n’ont pas réalisé le même type de productions. C’est ainsi que sont distinguées les tâches de la production de biens de celles liées à la reproduction des individus (Ferrand, 2004). En revanche, si l’on retient les deux définitions suivantes, la notion d’activité professionnelle rémunérée a été pendant très longtemps associée au sexe masculin. Dès la sédentarisation de l’espèce humaine il semble ainsi que les activités se répartissent nettement en fonction du sexe : les hommes partaient à la chasse et rapportaient de quoi nourrir la famille ou la tribu, tandis que les femmes s’occupaient des 7 enfants, de la préparation des produits de la chasse pour l’alimentation, des vêtements, du maintien du feu etc., selon la configuration sociale et l’époque. Ainsi, dès les premières formes de communautés humaines, aurait existé cette division sexuelle des tâches : les hommes tournés vers l’extérieur, le dehors, responsables de la survie du groupe par la dimension vitale que revêt la recherche de nourriture ; et les femmes tournées vers l’intérieur, le dedans, chargées du soin aux enfants et de la bonne marche du foyer, assurant également la survie de la famille ou du groupe. Avec la complexification des sociétés humaines, cette séparation de deux mondes, deux espaces se renforce : d’un côté la sphère « publique », le marché, la production, la monnaie, domaine des hommes ; de l’autre, la sphère « privée », la famille, la reproduction et le don, domaine des femmes. Le partage des tâches entre les sexes renvoie à une idée de complémentarité, mais aussi à une hiérarchisation, les activités « masculines étant systématiquement plus valorisées que celles dévolues aux femmes » (Ferrand, 1994). Ainsi, « le travail productif marchand - longtemps domaine réservé des hommes - » est indiscutablement jugé supérieur, socialement plus valorisé et légitime que « le travail productif et reproductif effectué sans rémunération (sauf personnel domestique) dans le cadre de la famille, par les femmes » (Ferrand, 2004). Du fait de son caractère gratuit, le travail domestique, et donc le travail des femmes, a été rendu invisible ; il n’est pas comptabilisé dans la mesure de la richesse (PNB), alors même qu’il forme la base de l’économie capitaliste et est essentiel au bon fonctionnement de l’économie. Néanmoins, les femmes ont toujours travaillé, et il parait important de le rappeler (Schweitzer, 2002). Fernand Braudel a ainsi montré dans ses écrits l’importance des échanges à caractère non marchand et donc de l’économie domestique, non monétarisée et de réciprocité (Drion, 2006). La séparation hiérarchisée et sexuée des sphères est au fondement des structures sociales. Elle a néanmoins été remise en cause, au moins partiellement, à partir de l’entrée des femmes dans le salariat - principalement ouvrier - avec l’avènement du capitalisme industriel. Le travail des femmes connait alors une évolution significative : de non rémunéré car limité à l’enceinte du foyer, il s’est étendu à la sphère professionnelle où il fait l’objet d’une rémunération. Cette mutation ne s’est pas déroulée sans heurts : au XIXème siècle comme le souligne Isabelle Guérin, « l’idée même du travail féminin [rémunéré] [est devenu] un sujet de débat officiel » (Guérin, 2003). L’emploi féminin est condamné par plusieurs économistes et penseurs qui invoquent trois arguments principaux : « il représente une concurrence », « il est défavorable à la productivité ouvrière » car il ne permet pas aux femmes de bien exercer leur mission de « contribution au capital humain c’est-à-dire les 8 soins aux enfants, et enfin « il est susceptible d’accroitre la mortalité infantile » (Guérin, 2003). L’activité salariée des femmes est peu à peu acceptée mais plusieurs éléments montrent que le modèle « traditionnel » de la division sexuelle des tâches perdure. Les femmes sont censées abandonner toute activité professionnelle salariée afin d’élever les enfants ou pour toute autre raison d’ordre familial (Battagliola, 2000). La participation des femmes à la production n’est donc considérée que comme provisoire, ce qui conduit à une différenciation des travailleurs selon le sexe, et par ricochet, des emplois selon le sexe ; les emplois féminins, correspondant à la ‘nature’ féminine, étant « toujours situés au bas de la hiérarchie des professions et des salaires » (Ferrand, 2004). Pendant plusieurs décennies, le travail des femmes dépend des besoins du marché, notamment en période de guerre, ou d’expansion économique et de pénurie de main d’œuvre. La fin des guerres, ou les moments de crise et de chômage, signifiaient ensuite le retour des femmes au foyer et aux seules activités familiales, et donc la réaffirmation des rapports de sexe et de la division sexuelle du travail. Pourtant, à partir des années 1960, la situation des femmes sur le marché du travail va profondément évoluer : l’activité féminine progresse de manière spectaculaire et ininterrompue et la crise de l’emploi n’a pas remis cette tendance en question. Le travail féminin perd ainsi son caractère « contingent et discontinu » (Ferrand, 2004), du fait aussi de la « fixation continue des femmes dans l’activité » (Maruani, 2011). De 1962 à 2010, le nombre de femmes actives est passé de 6,6 millions à 13,4 millions et cette hausse est observée dans tous les pays européens et dans toutes les classes d’âge hormis chez les moins de 25 ans du fait de l’allongement des scolarités (Maruani, 2011 ; Albouy, Djider, Maingené, 2012). De plus, le taux d’activité n’a cessé d’augmenter entre les années 1980 et 20104 et les femmes en âge d’avoir des enfants et de les élever (25-49 ans) sont désormais les plus actives : leur taux d’activité a presque doublé entre 1962 et 2007, passant de 42% à 86%. Les femmes ont donc des « trajectoires professionnelles continues » (Maruani, 2011), à l’instar des hommes. A cet égard, Margaret Maruani parle d’un « basculement des normes sociales de l’activité féminine » : il est considéré comme ‘normal’ qu’une mère de famille travaille, alors même qu’il y a cinquante ans, il était ‘normal’ pour une femme de s’arrêter de travailler à la naissance du premier enfant (Maruani, 2011). 4 Période caractérisée par une crise de l’emploi (cf Maruani, 2011). 9 La croissance de l’activité féminine constitue ainsi une mutation structurelle de l’emploi ; elle est à relier à deux autres tendances fortes, la tertiairisation et la salarisation du marché du travail (Maruani, 2011). Les femmes vont massivement investir le secteur tertiaire, ce qui va contribuer à le développer ; d’autre part, le développement du salariat est parallèle à la croissance de l’activité féminine et depuis 1975, les femmes sont plus souvent salariées que les hommes (Maruani, 2011). La féminisation du marché du travail est également indissociable de l’évolution des scolarités féminines. Les femmes sont de plus en plus diplômées ; elles réussissent mieux à l’école et à l’université que les garçons, comme l’ont notamment montré Christian Baudelot et Roger Establet dans un ouvrage de 1992. Dans l’Union Européenne en 2012, plus de femmes ont été diplômées de l’enseignement supérieur (40% contre 32%) (Meulders, 20135). Ce succès s’accompagne cependant d’une forte ségrégation selon les filières d’enseignement : les filles sont plus nombreuses en lettres et sciences humaines, tandis que les garçons sont majoritaires dans les filières scientifiques et techniques. Cette croissance de l’activité féminine, la transformation de leur rapport à l’emploi et leur réussite scolaire devraient être synonymes d’une situation égalitaire des femmes et des hommes sur le marché du travail. Pourtant, les inégalités professionnelles entre hommes et femmes sont une réalité incontestable, qui se manifeste sous de nombreuses formes. Nous tenterons d’abord de dresser un tableau significatif des inégalités hommesfemmes au travail, à partir de l’analyse de données chiffrées, puis l’on essaiera d’en comprendre les causes. Enfin, nous verrons quelles sont les actions politiques et législatives mises en place pour lutter contre ces inégalités dont l’existence est aujourd’hui globalement reconnue. 5 Danièle Meulders est professeur à l’Université Libre de Bruxelles 10 L’emploi des femmes en France: des inégalités avérées qui perdurent I) 1) Activité et emploi : le phénomène de ségrégation horizontale a) La convergence relative des taux d’activité et d’emploi féminin et masculin Dans les années 1960, les femmes représentaient 30% de la population active 6 européenne ; en 2010, elles en représentent 45%. La France fait partie des pays où les femmes ont les taux d’activité les plus élevés : elles constituent près de la moitié de la population active (47,7%). En 2011, le taux d’activité des femmes européennes âgées de 15 à 64 ans est de 64,8% (77,6% pour les hommes) (voir annexe 1). En France, il est respectivement de 66,6% et 75,3% (voir annexe 2). Les femmes françaises sont donc plus actives que la moyenne des femmes européennes alors que le contraire est observé pour les hommes. Cependant, malgré une forte progression sur une longue période, le taux d’activité des femmes reste, à tout âge, inférieur à celui des hommes (DARES Analyses, 2012). En outre, en dépit d’un rapprochement important des comportements d’activité et des trajectoires professionnelles des femmes et des hommes, les écarts de participation au marché du travail sont plus importants aux âges où les personnes ont des enfants en bas âge à charge. L’activité des femmes reste plus discontinue que celles des hommes (Albouy, Dijder, Maingené, 2012)7. Ainsi, le taux d’activité des femmes diminue avec le nombre d’enfants, surtout si l’un d’eux au moins a moins de trois ans, alors que celui des hommes augmente. En 2012, le taux d’emploi8 des femmes entre 15 et 64 ans est de 60% et celui des hommes est de 67,9% (Beauvoir et al., 2013). Cette différence provient en partie d’une hausse du taux d’emploi des seniors (50 ans ou plus) plus marquée pour les hommes. Pour 6 La population active au sens du BIT est constituée de la population active occupée et des chômeurs Pour plus d’informations sur les taux d’activité, selon le sexe, l’âge le nombre d’enfants, voir annexe 3 Le taux d’emploi est le taux d’actifs occupés. Le taux d'emploi d'une classe d'individus est calculé en rapportant le nombre d'individus de la classe ayant un emploi au nombre total d'individus dans la classe. Il peut être calculé sur l'ensemble de la population d'un pays, mais on se limite le plus so uvent à la population en âge de travailler (généralement définie, en comparaison internationale, comme les personnes âgées de 15 à 64 ans) 7 8 11 être plus précis, le taux d’emploi en équivalent temps plein 9 des 15-64 ans est de 53,1% pour les femmes et 66% pour les hommes (Beauvoir et al., 2013). En ce qui concerne le statut d’emploi, 92,3% des femmes en emploi sont salariées (en 2012). Elles représentent 49, 7% des salariés et moins d’un tiers des non-salariés (31, 8%) (voir annexe 4). Toutefois, cette relative parité en termes d’activité (les femmes représentent près de la moitié des actifs) et d’emploi salarié (les femmes occupent la moitié des emplois salariés en 2010) ne rime ni avec mixité, ni avec égalité. b) Le phénomène de ségrégation horizontale Les femmes et les hommes n’exercent pas les mêmes métiers. Il existe en effet une forte hétérogénéité sectorielle : dans leur majorité, les emplois féminins se concentrent dans quelques secteurs d’activité et sont regroupés sur un petit nombre de métiers fortement féminisés (Maruani, 2011). C’est ce que l’on appelle la ségrégation horizontale. Au niveau des grands secteurs d’activité Les clivages du marché du travail par grand secteur d’activité se sont renforcés ces vingt dernières années : le secteur tertiaire est de plus en plus féminin, le secteur industriel de plus en plus masculin (Albouy, Dijder, Maingené, 2012). Graphique 1 : Part des femmes dans les différents secteurs en 1990 et en 2010 Source : Albouy, Dijder, Maingené, 2012 9 Le taux d'emploi en équivalent temps plein d'une classe d'individus est calculé en rapportant le nombre d'individus de la classe ayant un emploi converti en équivalent temps plein au nombre total d'individus dans la classe. Il peut être calculé sur l'ensemble de la population d'un pays, mais on se limite le plus souvent à la population en âge de travailler (généralement définie, en comparaison internationale, comme les personnes âgées de 15 à 64 ans). Repéré sur : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/tauxemploi-equiv-temps-plein.htm 12 Dans le secteur tertiaire, 55,1 % des emplois sont occupés par des femmes. Mais 88% des femmes actives occupées travaillent dans ce secteur, comme le montre le tableau cidessous. Tableau 1 : Emploi selon les secteurs et le sexe Source : Guggemos et Vidalenc, 2012. Les femmes sont majoritaires dans le secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier (55,7 %) et représentent même plus des deux tiers des effectifs dans l’administration publique, l’éducation, la santé et l’action sociale (67,4 %), Inversement, dans les secteurs de l’industrie et de l’agriculture, seuls trois emplois sur dix sont occupés par des femmes et un sur dix dans celui de la construction (Guggemos et Vidalenc, 2013). 13 Au niveau des CSP et des métiers En 2005, près de 60% des femmes actives occupées sont regroupées dans six catégories socioprofessionnelles sur les 31 définies par l’INSEE. Ces six professions les plus féminisées sont les personnels de service aux particuliers, les employés de la fonction publique, des entreprises, du commerce, les professions intermédiaires de la santé et les instituteurs. Ce sont les mêmes qu’en 1982 et elles sont proches des activités historiquement accomplies par les femmes dans les foyers. En revanche, les femmes ne représentent que 7% des catégories plus masculines (ingénieurs et cadres techniques, contremaitres et agents de maitrise, policiers et militaires, ouvriers qualifiés). Les femmes sont globalement sous-représentées dans les métiers qualifiés même si elles y accèdent de plus en plus. Parallèlement, leur part dans l’emploi non qualifié progresse. Ceci est en partie lié à la tertiarisation de ce type d’emploi : les emplois peu qualifiés se développent dans le tertiaire et sont majoritairement occupés par des femmes 10. Ainsi, en 2010, 27% des femmes en emploi occupent des postes non qualifiés d’employés ou d’ouvriers, contre 14% pour les hommes (Minni, 2012). De fait, les inégalités s’accentuent au sein de la population active féminine (Maruani, 2011 ; Brunet, Dumas, 2012) Il est intéressant de relever que, sur le plan des secteurs d’activité comme des métiers, les femmes se concentrent dans les activités dites du care, c’est-à-dire qui font appel à des qualités dites féminines, de soin et de souci d’autrui (le soin, la santé, l’enseignement, les services etc.). On retrouve donc l’opposition fondatrice entre sphère publique productive marchande et sphère privée reproductive non marchande. Les compétences nécessaires pour exercer ce type de métiers correspondraient à des qualités naturelles, innées chez les femmes (ou du moins apprises dans la sphère familiale), ce qui leur ôte de fait le statut de qualifications professionnelles. Il en résulte une double dévalorisation sociale des compétences et des métiers, identifiée dans de nombreux travaux (Maruani, 2011). L’analyse de la ségrégation des femmes dans certains secteurs et métiers en termes de qualités féminines, développées grâce au travail domestique, ouvre sur une imbrication entre sphère professionnelle et sphère familiale, autrefois complètement séparées. La reconnaissance de ces deux lieux comme lieux de travail, et donc d’une 10 La fréquence de ces emplois du tertiaire peu qualifiés chez les femmes actives va de pair avec les phénomènes de temps partiel, sous-emploi et bas salaires (Brunet et Dumas, 2012) 14 définition élargie du concept de travail (englobant le professionnel et le domestique) permet de rendre compte de manière plus globale de la division sexuelle du travail à l’œuvre parallèlement dans les deux sphères ; la répartition inégalitaire des tâches dans la famille influe sur la production des inégalités professionnelles (Maruani, 2011). La ségrégation professionnelle semble ainsi s’enraciner dans la division sexuelle ‘originelle’ des tâches dans la famille. Plus généralement, plusieurs analyses féministes ont d’ailleurs montré qu’il est impossible de traiter du travail et a fortiori du travail féminin sans tenir compte de ce qui se passe dans la sphère privée (Ferrand, 2004). La définition des qualifications constitue un enjeu en ce qu’elle sert de base au calcul des salaires ; la non reconnaissance de qualifications, qui joue souvent contre les femmes, se traduit alors presque systématiquement par des salaires féminins moins élevés (Maruani, 2011). 2) Des écarts de salaires qui persistent D’un point de vue global, les femmes perçoivent des revenus inférieurs à ceux des hommes (Silvera, 1996 ; Minni, 2012 ; Albouy, Dijder, Maingené, 2012). L’égalité salariale n’existe d’ailleurs dans aucun pays de l’Union Européenne (Maruani, 2011) : en 2010, l'écart salarial horaire moyen de l'UE était de 16% (Meulders, 2013). Les inégalités salariales se retrouvent dans tous les pays, toutes les professions et tous les secteurs d'activité. Pour les non-salariés, l’écart est d’environ 27% (Albouy, Dijder, Maingené, 2012). a) Calculs de l’écart de salaire entre hommes et femmes Les écarts de salaires hommes/femmes 11 sont cependant difficiles à mesurer et diffèrent selon le critère retenu : salaire horaire, mensuel, annuel, en EQTP etc. S’il s’agit d’un salaire offert pour un volume donné de travail – salaire d’un temps complet ou d’un EQTP12 – une femme gagne en moyenne 18 ou 20 % de moins qu’un homme. « Cet 11Selon l’INSEE, « l’écart de salaire est la différence entre le salaire moyen des hommes et le salaire moyen des femmes, divisée par le salaire moyen des hommes et exprimée en pourcentage. L’écart est donc positif quand le salaire moyen des hommes est supérieur à celui des femmes, et négatif dans le cas contraire. Ce calcul peut s’appliquer à la rémunération annuelle comme au salaire horaire ». Il faut souligner qu’il s’agit ici d’un choix de calcul ; l’écart de salaire pourrait être présenté du point de vue féminin, en regardant co mbien les hommes gagnent de plus que les femmes au lieu du contraire : on obtient un chiffre plus élevé. Comme le souligne l’Observatoire des Inégalités, « aucune des deux méthodes n’est plus « juste » ou meilleure. Mais il est frappant de constater que celle qui aboutit au chiffre le plus faible s’est imposée dans le débat public » ; http://www.inegalites.fr/spip.php?article972 12 Le salaire en équivalent-temps plein (EQTP) est calculé en prenant en compte tous les postes de travail des salariés (y compris les postes à temps partiel). Les postes à temps complet qui ne couvrent pas toute l’année sont annualisés et les postes à temps partiel sont pris en compte au prorata de leur volume horaire de travail rapporté à celui d’un poste à temps complet (INSEE, 2013). 15 écart, qui s’explique en partie par des différences de structures de qualifications, s’est fortement réduit sur la période 1951-1994, passant de 35 % à 20 % » (INSEE, 2013). Il demeure aussi un effet en termes de durée du temps de travail car les femmes à temps plein travaillent en moyenne une heure de moins par semaine que les hommes (Ferrand, 2004). Depuis, l’écart salarial n’a que très peu évolué. Mais « si l’on intègre le volume annuel de travail et notamment l’impact du temps partiel qui est essentiellement féminin, l’écart s’élève à 26 % en termes de salaires annualisés 13 et à 28 % en termes de revenu salarial14 ». (INSEE, 2013). Selon Albouy, Dijder et Maingené, cet écart provient principalement de salaires horaires moyens plus faibles pour les femmes (20% de moins). Quel que soit l’indicateur, l’écart s’est légèrement réduit au cours des cinq dernières années. (cf graphique ci-dessous) Tableau 2 : Ecarts salariaux selon le sexe et l’âge Source : INSEE, Emplois et Salaires, Edition 2013 Même en raisonnant en équivalent temps plein (EQTP) on s’aperçoit que les différences de salaires entre hommes et femmes sont importantes. « Ainsi en 2010, le salaire net moyen en EQTP des femmes atteint 80% de celui des hommes dans le secteur privé et 87% dans le secteur public ». Cette situation s’explique en partie par la structure des emplois, les femmes étant moins souvent cadres du secteur privé. Cependant, comme le constate l’INSEE, les écarts existent aussi au sein de chaque catégorie socioprofessionnelle ; c’est particulièrement le cas chez les cadres, où les femmes gagnent en moyenne 23% de moins que leurs homologues masculins dans le secteur privé et 17% de moins dans le secteur public. Ces écarts reflètent en partie des différences dans les choix de formation et de secteur d’activité. Ils ont aussi pour origine 13 Un salaire annualisé correspond au salaire du poste si sa durée avait été de 12 mois avec la même quotité de travail. Tous les postes de travail, y compris les temps partiels, sont pris en compte dans son calcul. Le salaire annualisé intègre l’impact de la quotité de travail sur la rémunération. 14 Le revenu salarial est la somme de tous les salaires perçus par un individu au cours d’une année donnée, nets de toutes cotisations sociales, y compris contribution sociale généralisée (CSG) et contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). (INSEE, 2013). 16 des différences dans les trajectoires professionnelles (déroulement des carrières) : en effet les femmes sont plus nombreuses que les hommes à interrompre leur carrière ou réduire leur activité pour concilier travail et vie familiale. En particulier chez les cadres, les écarts, faibles en début de vie active, s’accroissent au fil du déroulement des carrières, dans la mesure où les femmes accèdent moins souvent aux postes hiérarchiques élevés15 (INSEE, 2013) Dans les entreprises de 10 salariés ou plus, en termes de rémunération annuelle brute moyenne, les femmes touchent 24% de moins que les hommes. Si l’on regarde la rémunération annuelle brute rapportée au nombre total d’heures rémunérées, c’est-à-dire le salaire horaire, l’écart est de 14%. Cela montre encore une fois l’impact du temps de travail, sachant que le temps partiel concerne surtout les femmes (Muller, 2012). L’analyse de la DARES souligne également que les hommes sont plus nombreux que les femmes à recevoir une rémunération pour heures supplémentaires. En outre, les femmes touchent un montant total de primes inférieur de 25% à celui des hommes en moyenne (Muller, 2012). b) Comment expliquer les écarts de salaire ? Le facteur « durée du temps de travail », lié à la plus grande fréquence du temps partiel pour les femmes, a déjà été évoqué ; il est la cause principale des inégalités de salaires. Or en comparant les salaires à temps complets ou les salaires horaires, les femmes perçoivent toujours 14% de moins que les hommes, pour les entreprises d’au moins 10 salariés du secteur concurrentiel (Muller, 2012). L’écart de salaire horaire moyen résulte aussi de « différences de caractéristiques individuelles moyennes observables entre les hommes et les femmes » (niveau de diplôme, expérience professionnelle16) et de différences de caractéristiques des emplois occupés (catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité, taille de l’entreprise, statut de l’emploi etc.) (Ferrand, 2004 ; Minni, 2012). Par exemple, même « si les femmes sont en moyenne plus diplômées que les hommes, elles occupent moins souvent un emploi de niveau supérieur, qu’il s’agisse d’emplois cadres ou d’emplois ouvriers qualifiés » (Ferrand, 2004). Olivier Godechot montre aussi que les « différentiels de salaires entre hommes et femmes sont effectivement plus faibles lorsque le supérieur est de sexe féminin ». (Godechot, 2013) Pour plus d’informations sur l’écart de salaires selon les caractéristiques des postes et l’ancienneté dans l’entreprise, voir l’annexe 5 16 Souvent inférieure pour les femmes à un âge donnée car elles s’arrêtent plus souvent de travailler momentanément (obligations familiales) 15 17 En neutralisant ces effets de structure (disparités de situation professionnelle), en d’autres termes en tenant compte de ces différences de niveau d’études, statut d’emploi, expérience et secteur d’activité, l’écart salarial entre hommes et femmes est alors de 9% ; c’est-à-dire en fait que 5%, environ un tiers de l’écart de salaire horaire s’explique par la prise en compte de ces caractéristiques moyennes observables. Il reste donc 9 points d’écart de salaire horaire moyen « non expliqué ». Là où certains auteurs y voient la « preuve d’une véritable discrimination » (Meurs et Ponthieux, 2000 ; Ferrand, 2004), l’INSEE et la DARES sont plus réservées dans l’interprétation : sont évoqués entre autres des « effets individuels mal pris en compte dans la modélisation proposée » ; des « caractéristiques non observables » comme les caractéristiques personnelles et les caractéristiques précises du poste occupé (spécialités de formation, effort fourni, pouvoir de négociation face à l’employeur, interruptions de carrière, type de métier, niveau de responsabilités…) ; et « des pratiques de discrimination salariale ou de processus inégalitaires jouant en défaveur des femmes à divers moment de la carrière, voire en amont de la vie professionnelle » (Minni, 2012 ; Muller, 2012). Selon l’Observatoire des Inégalités, la « discrimination pure serait de l’ordre de 6 ou 7% ». Graphique 2 : décomposition des écarts de salaires entre hommes et femmes Source : L’Observatoire des Inégalités, 2013, a Une des conséquences directes de l’écart salarial durant la vie active est sa répercussion sur le montant des retraites, comme nous le verrons ensuite. 18 3) Une plus grande précarité en termes d’emploi Plusieurs données montrent que les femmes sont plus souvent en situation d’emploi précaire que les hommes. Différents aspects de l’emploi précaire seront passés en revue (temps partiel, statut d’emploi chômage etc.) ; ils sont très souvent imbriqués. a) Statut d’emploi Les femmes occupent plus souvent des emplois à durée déterminée que les hommes (51% contre 31%). Les hommes eux sont plus concernés par l’intérim (Albouy, Dijder, Maingené, 2012) En revanche, le taux d’entrée en CDI est pratiquement identique pour les deux sexes (INSEE, 2013). b) Temps partiel et sous-emploi En France, la croissance de l’activité féminine a été associée au temps plein, ce qui constitue une originalité française (Maruani, 2011). Le temps partiel est donc un phénomène récent dans l’histoire du travail des femmes en France, mais qui a pris de l’ampleur. En 2012, 18 % des personnes en emploi travaillent à temps partiel. Les femmes sont quatre fois plus souvent dans cette situation (30,2 %) que les hommes (6,9 %) (Guggemos et Vidalenc, 2013). 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes (Ministère des Droit des Femmes, 2013). Cette surreprésentation des femmes dans l’emploi à temps partiel peut en partie s’expliquer par les nécessités familiales qui incombent en majorité aux femmes : ce sont en effet plus souvent elles qui réduisent leur temps de travail pour s’occuper des enfants. Or, même les femmes sans enfant sont plus souvent employées à temps partiel que les hommes Cela est alors lié aux types d’emplois qu’elles occupent : les entreprises ont souvent recours au temps partiel pour les métiers peu qualifiés du secteur tertiaire, exercés surtout par les femmes ; il s’agit alors très souvent d’un temps partiel subi. (INSEE, 2013). En outre, la majeure partie des femmes occupant un emploi temps partiel ne sont pas les plus susceptibles de procréer : ce sont celles qui ont le plus de mal à s’insérer sur le marché du travail, c’est-à-dire les plus jeunes et les plus âgées (Maruani, 2011). Cela signifie qu’il s’agit plutôt de temps partiel subi que choisi. Les temps partiels sont très souvent pénalisants dans la mesure où ils sont synonymes de rémunérations faibles, et parfois de conditions de travail difficiles. 19 Les femmes sont également plus touchées par le sous-emploi17 que les hommes. En moyenne en 2012, 7,9% des femmes (actives) occupées sont en situation de sousemploi, contre 2,8% des hommes (voir annexe 6). Elles représentent ainsi plus de 80% des personnes dans cette situation en 2009 (Brunet, Dumas, 2012). c) Chômage Selon une étude de l’INSEE, entre 1990 et 2010, les femmes ont été plus exposées que les hommes au chômage. Cependant, lors des épisodes de crise économique de 2008 et 2011, les hommes ont été plus touchés que les femmes. Fin 2012, les taux de chômage des hommes et des femmes étaient presque identiques (respectivement 10,1% et 10,2 %). (Beauvoir et al., 2013) d) Niveau de qualification et précarité Les femmes occupent plus souvent des emplois peu qualifiés : 80% des personnes rémunérées au SMIC sont des femmes (INSEE, 2013). Cela peut s’expliquer par le type d’emploi et le secteur où les femmes se concentrent : elles sont par exemple majoritaires dans le secteur de l’action sociale et des services domestiques auprès des ménages, où les emplois sont très souvent à temps partiel et peu qualifiés (INSEE, 2013). e) Retraites Les retraites sont un miroir de la situation d'emploi des femmes décrite jusqu’à présent, et des inégalités de sexe qui se jouent dans le monde du travail. Les inégalités professionnelles se répercutent ainsi sur le niveau des retraites, et les femmes perçoivent des retraites plus faibles que les hommes. En 2008, le montant des retraites des femmes âgées de 65 ou plus est inférieur de 31% à celles des hommes 18 (Albouy, Djider, 17 Le sous-emploi comprend les personnes actives occupées au sens du BIT qui remplissent l'une des conditions suivantes : - Elles travaillent à temps partiel, souhaitent travailler davantage pendant la période de référence utilisée pour définir l'emploi, et sont disponibles pour le faire, qu'elles recherchent activement un emploi ou non ; - Elles travaillent à temps partiel (et sont dans une situation autre que celle décrite ci-dessus) ou à temps complet , mais ont travaillé moins que d'habitude pendant une semaine de référence en raison de chômage partiel, ralentissement des affaires, réduction saisonnière d'activité ou mauvais temps. (INSEE) 18 « Ce montant inclut, outre la pension de droit direct, les bonifications de pension ainsi que les éventuelles pensions de réversion et allocations du minimum vieillesse. Il est établi sur le champ des personnes percevant au moins une pension de droit direct auprès de régimes de retraite français » (Albouy, Djider, Mainguené., 2012) 20 Mainguené, 2012). En outre, les femmes partent en retraite plus tard que les hommes : à 60 ans, 71 % des hommes sont en retraite (60 % à 60 ans, et 10 % avant) contre 60 % des femmes (Ministère des droits des femmes, 2013). Il faut souligner également que l’espérance de vie des femmes dépassant celle des hommes, les femmes à la retraite font face en moyenne à un niveau de vie diminué pour une période de temps plus longue : cet effet constitue l’un des aspects de la féminisation de la pauvreté. 4) L’accès des femmes aux professions « supérieures » : ségrégation verticale et « plafond de verre » L’INSEE définit au niveau agrégé les « cadres et professions intellectuelles supérieures ». Au niveau de publication courante (un peu plus précis), on trouve 3 professions : les « professions libérales et assimilés » (31), les « cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques »(32) et les cadres d’entreprise (36). Au niveau détaillé, sont différenciés 6 professions: les professions libérales (31), les cadres de la fonction publique (33), les « professeurs, professions scientifiques » (34), les « professions de l’information, des arts et des spectacles » (35), les « cadres administratifs et commerciaux d’entreprise » (37) et les « ingénieurs et cadres techniques d’entreprise » (38). Tableau 3 : Correspondance entre les groupes et les catégories socioprofessionnelles Source : INSEE, brochure PCS-2003, 200319 19 Téléchargeable sur : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=nomenclatures/pcs2003/pcs2003.htm 21 a) De plus en plus de femmes dans les professions « supérieures »… Tableau 4 : proportion de femmes parmi les « cadres et professions intellectuelles supérieures » (estimations, en %) 2010 1962 Cadres, professions intellectuelles 40,2 16 supérieures Professions libérales 41,8 19 Cadres de la fonction publique 45,3 11 Professeurs, professions scientifiques 55,3 39 Profession de l'information, des arts et des 47,1 39 spectacles Cadres administratifs et commerciaux 44,6 13 d'entreprise Ingénieurs et cadres techniques d'entreprise 21,7 3 . Source : Maruani, 2011 ; Minni, 2012 Ce tableau montre la forte progression du nombre de femmes exerçant une profession dite « supérieure » en une cinquantaine d’années. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les métiers qualifiés et la féminisation de l’encadrement est en progression constante ; elles constituaient seulement 16% des « cadres et professions intellectuelles supérieures » en 1962, mais déjà 30% en 1990 et 40% aujourd’hui. en 2010 (Maruani 2011 ; Minni, 2012). On peut ajouter à ces chiffres que la part des femmes parmi les chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus est de 16,4% en 2012, ce qui est donc bien inférieur à leur part dans la PCS « cadres et professions intellectuelles supérieures ». En ajoutant à cette PCS les chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus », 13,8% des femmes en 22 emploi exercent une de ces professions supérieures contre 20,6% des hommes en 2010 (Minni, 2012). Ce constat va de pair avec celui de la féminisation de métiers traditionnellement très masculins et valorisés socialement, voire prestigieux ; il y a de plus en plus de magistrats, avocates, journalistes, médecins etc. Et en aucun cas ces métiers n’ont perdu de valeur sociale. « Féminisation ne rime plus systématiquement avec dévalorisation » (Maruani, 2011). Elles sont toutefois toujours moins représentées que les hommes. En outre, la proportion de femmes dans ces différentes professions varie de manière significative. b) …Mais des perspectives et opportunités de carrière toujours inférieures à celles des hommes… Le tableau ci-dessus ne montre pas les variations selon les postes au sein de ces emplois ; leur part est nettement moindre au plus haut niveau hiérarchique (Minni, 2012). Ainsi, si la progression du nombre des femmes à des postes à responsabilités est indéniable, ces dernières occupent des fonctions qui restent généralement moins élevées dans la hiérarchie que celles des hommes. Les chances d’accéder à un emploi de cadre ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes, à niveau de diplôme équivalent ; pour les détenteurs d’un diplôme de deuxième ou troisième cycle universitaire, la probabilité qu’un homme devienne cadre est de 76% mais seulement de 57% pour une femme (Maruani, 2011). Il y a un effet de carrière : les femmes accèdent moins à la promotion professionnelle que les hommes, tout au long de leur vie active ; les écarts sont plus faible chez les jeunes qu’en fin de carrière (Octant Analyses, INSEE Bretagne) À niveau d’études équivalent, les hommes occupent plus souvent que les femmes des postes de techniciens ou même de cadres. Ces écarts sont en partie liés aux ‘choix d’orientation’ et aux spécialités de diplômes qui diffèrent beaucoup selon le sexe. Au-delà de ces différences, il s’avère que les dynamiques propres à chaque métier influent sur les trajectoires professionnelles : or « les hommes travaillent plus souvent que les femmes dans des métiers à forte promotion interne, comme par exemple dans les métiers qualifiés de l’industrie ou du bâtiment » (Muller, 2012). 23 c) …Et une sous-représentation dirigeantes…. accentuée dans les instances D’après une étude réalisée par le réseau des Grandes écoles au Féminin (GEF), à niveau d’études et âge égal, les femmes sont bien moins nombreuses à siéger aux comités de direction (28% contre 43%), elles encadrent moins et sont responsables d’équipes plus réduites (Brunet et Dumas, 2012). En 2011, une loi instaure l’obligation pour les plus grandes entreprises de respecter d’ici 2017 un quota de 40 % de sièges dévolus à chaque sexe au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés. En conséquence, le taux de féminisation des conseils d’administration des plus grandes sociétés cotées a beaucoup augmenté : il est estimé à 22,3% en janvier 2012 (Ministère du droit des femmes, 2013). Depuis le 1 er juin 2014, la part des femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 a même dépassé les 30%. Les entreprises du SBF 120 connaissent une progression similaire, avec 28,8% de femmes. La France se situe pourtant à la deuxième place parmi les pays de l’Union Européenne, la moyenne étant de 18%. Seulement 17,6% des dirigeants salariés d’entreprise sont des femmes. Cette part varie selon le secteur d’activité, et diminue avec l’augmentation de la taille ou du chiffre d’affaires des entreprises. On ne compte aucune femme dans les PDG d’entreprise du CAC 40. d) …que le phénomène du « plafond de verre » peut expliquer Ces résultats renvoient aux phénomènes de la ségrégation verticale (ou différenciation des carrières selon Françoise Battagliola), et du plafond de verre : les femmes sont sous-représentées dans les postes à statut et salaire élevés et leur progression hiérarchique est limitée (Meulders, 2013). Cela tient aux stéréotypes culturels, aux interruptions de carrière et aux divers compromis professionnels, davantage réalisés par les femmes pour concilier vie professionnelle et vie familiale (Muller, 2012). Les femmes développeraient même une peur de réussir, et limiteraient alors leurs aspirations (Ibarra, 1993 in Eydoux, 2013). Selon Laurence Eydoux, « le relatif immobilisme en matière d’ascension professionnelle des femmes, en comparaison de leurs avancées en matière d’éducation et de diplômes, s’explique par des traditions culturelles qui font prédominer les normes et les 24 valeurs masculines dans l’entreprise, à mesure que l’on monte dans la hiérarchie » (Eydoux, 2013). Les femmes managers devraient adopter des « comportements » d’hommes car la figure idéale du manager est pensée au masculin : elles doivent présenter des qualités jugées masculines comme l’autorité, pour être prises au sérieux ; mais elles paraissent alors souvent agressives. « La féminité est associée à l’incompétence, alors que l’action compétente ne peut être que masculine » (Voynnet-Fourboul et al., 2007 in Eydoux, 2013) L’égalité des sexes progresse, dans tous les domaines. Les femmes investissent chaque jour davantage des espaces et des domaines jusque-là bastions masculins. Le marché de l’emploi s’est très largement féminisé, et le travail salarié des femmes va désormais « de soi ». Pourtant, les inégalités de sexe dans le monde du travail sont une réalité. Les modalités de l’activité féminine ont beaucoup évolué, et avec elles les inégalités professionnelles. Les inégalités se déplacent, se transforment, se reconstituent mais toujours se maintiennent. Comme le souligne Margaret Maruani, « toute l’histoire du travail féminin est faite de tensions entre des avancées vers l’égalité, des stagnations et des régressions », et de la juxtaposition de formes d’inégalités dans un monde en pleine mutation (Maruani, 2011). Comment expliquer l’existence et la persistance de ces disparités et inégalités sexuées ? II) Aux origines des inégalités professionnelles : construction du genre et différenciation sexuée des activités De nombreux travaux ont cherché à comprendre d’où venaient les inégalités de sexe, en faveur des hommes dans l’immense majorité des cas, et comment et pourquoi s’étaient instaurée la suprématie des hommes sur les femmes, qui se retrouve notamment dans le monde professionnel. Plusieurs types d’explication ont été avancés et nous en donnerons un aperçu, orienté sur les facteurs spécifiques aux inégalités professionnelles. 25 1) Explications biologiques : le fondement de la division sexuelle des activités Les femmes et les hommes sont biologiquement et physiologiquement différents : une combinaison différente de chromosomes conduit à des appareils génitaux différents. Cette distinction « originelle » sert de fondement à de multiples explications et interprétations : la fonction maternelle contraindrait la femme à centrer ses activités autour de la famille alors que la fonction paternelle n’exerçant pas de telle contrainte sur les hommes, ceux-ci pourraient -ou devraient - s'investir en dehors de la cellule familiale. Ces fonctions, découlant directement du sexe biologique, détermineraient les comportements et les relations entre hommes et femmes. Cette interprétation se construit ainsi sur un déterminisme biologique : le sexe conditionne le comportement. Dans la lignée de cette thèse, on trouve d’ailleurs l’idée que les femmes seraient physiquement plus faibles et moins aptes à la chasse et à la guerre que les hommes20. La grossesse, l’éducation des enfants rendraient les femmes plus vulnérables, ce qui justifierait la soumission aux hommes pour protection (Ferrand, 2004). De fait, la physiologie féminine en fait des êtres passifs, au corps dominé par le rappel de la fonction maternelle, via le cycle menstruel. Cette idée d’une nature féminine radicalement différente de la nature masculine, principalement en raison de la fonction maternelle, se dessine au XVIIIème siècle, à partir duquel des hommes, écrivains, philosophes, médecins s’ingénient à définir l’essence féminine et à justifier la hiérarchie du masculin sur le féminin. Cette vision des deux sexes, hiérarchisés, à la fois opposés et complémentaires, s’accompagne de la différenciation des capacités, comportements et émotions en fonction du sexe. En prise aux variations de son corps, la femme est d’humeur variable, émotive, sensible, incapable de maîtriser ses sens et de constitution délicate, tandis que l’homme peut s’émanciper plus facilement de son corps et accéder à la culture et à la raison. Conséquence sociale de cette dichotomie (femme/homme, nature/culture), héritée de la différence biologique, se constitue la division des espaces sociaux en fonction du sexe : les femmes, fragiles, restent dans la sphère privée, tandis que les hommes gèrent les affaires publiques. En conséquence, l’argument des différences biologiques va servir de justification à la division sexuelle des tâches et à la domination masculine qui repose sur un statut inégalitaire : les hommes ont accès aux deux sphères, et exercent un contrôle sur la sphère domestique ; les femmes elles sont totalement exclues de la sphère publique et n’ont en plus pas d’exclusivité sur la sphère domestique. Les femmes ont été jusqu’à 20 Simone de Beauvoir parle ainsi de « sexe qui engendre » et de « sexe qui tue » dans le Deuxième Sexe (1949) 26 récemment encore exclues des affaires publiques (cf histoire du droit de vote des femmes). Ce mode désormais très ancien de division des tâches a évolué, surtout au XXème siècle, mais permet toujours d’expliquer la répartition du travail entre hommes et femmes : « des travaux d’hommes et des travaux de femmes », des métiers d’hommes et des métiers de femmes, des fonctions masculines et féminines (Kergoat, 1982 ; Ferrand, 2004). Mais cette théorie a fait l'objet de critiques, évoquant le rôle des femmes dans le développement économique (culture, industrie etc.) et les limites du déterminisme : la capacité de raison, les trajectoires de vie, la socialisation familiale, influencent le développement des personnes et leurs comportements comme autant de facteurs différenciateurs. La question serait alors la suivante : quelle part des différences de comportement est attribuable aux seules différences biologiques? Selon Margaret Mead, le tempérament est déterminé culturellement et non biologiquement (Mead, 1935 in Diouf, 2012). Des études scientifiques ont démontré que les capacités du cerveau féminin n’étaient pas inférieures à celles du cerveau masculin, contrairement à la thèse qui permettait de justifier le déni aux femmes d’une capacité de raison et en conséquence de droits civiques et politiques. La biologie a ainsi pu être instrumentalisée pour justifier des écarts de statuts et de droits entre hommes et femmes, alors qu’elle ne définit en elle-même aucune hiérarchie, aucune spécialisation sociale sexuée. L’inégalité des statuts entre hommes et femmes relève de représentations et de croyances collectives quasi ancestrales qui conditionnent la socialisation des individus. Celle- ci se fait sur un mode sexué dès les premiers instants de vie, et même avant la naissance. 2) Explications sociologiques : la construction sociale des inégalités On quitte ici le champ du déterminisme biologique pur, grâce à une distinction fondamentale entre deux notions ou types d’identité : l’identité sexuelle et l’identité sexuée, le sexe et le genre. L’identité sexuelle ou biologique oppose hommes et femmes sur la base d’attributs anatomiques et hormonaux. L’identité sexuée ou identité de genre correspond-elle au « sentiment intime que chacun a d’appartenir à l’un des sexes que la biologie et la culture distinguent » (Chiland, 1999). Elle relève d’un processus, d’une construction, appelée « socialisation différentielle » par Erving Goffman : « les personnes de sexe différent se voient attribuer un traitement différent, acquièrent une expérience différente, vont bénéficier ou souffrir d’attentes différentes. En réaction, […] il existe une 27 manière spécifique d’apparaître, d’agir, de se sentir lié à la classe sexuelle. […] Il existe des idéaux de la masculinité et de la féminité, [qui constituent des normes sociales et auxquels correspondent] des attributs appréciés et des attributs dépréciés» (Goffman, 2002). De nombreuses études menées par des sociologues et des anthropologues décrivent ces différences comme produits de constructions sociales ; ainsi, d’une société à l’autre, la distribution des rôles entre hommes et femmes n’est pas toujours la même. A ces identités de genre construites correspondent des rôles sociaux acquis au cours du processus de socialisation, en fonction du sexe de l’enfant. Jouets, couleurs, attitudes des parents : beaucoup de choses changent. (Baudelot et Establet, 2007). Les enfants intériorisent ainsi très tôt les normes comportementales, les rôles et préférences attendus d’eux en fonction de leur sexe. Les enfants tendent aussi à s’identifier au parent du même sexe, ce qui est un facteur de reproduction de la division des tâches et du travail ; les filles tendent plus à se projeter comme de futures mères de famille, et les constructions sociales s’institutionnalisent, même si les représentations évoluent du fait de la participation importante des femmes au marché du travail. L’école est le deuxième lieu principal de socialisation après la famille 21. Les relations avec les pairs contribuent à la construction de l’identité sexuée (Ferrand, 2004). Mais pendant longtemps, les filles ont été exclues du système éducatif. Puis il y eut le temps de la séparation : d’un côté les écoles de filles de l’autre les écoles de garçons. Aujourd’hui l’école est mixte et les filles réussissent globalement mieux que les garçons au cours de leur scolarité. Mais des différences subsistent dans les choix d’orientation et les spécialisations. Les filles sont plus présentes dans la filière générale et les farçons dans l’enseignement professionnel et les filières techniques. Au sein de la filière générale puis à l’université, les filles choisissent moins les cursus scientifiques, considérés comme les plus prestigieux. (Ferrand, 2004). Elles suivent majoritairement des études en lettres sciences sociales et santé, qui les orientent en général vers des secteurs très féminisés et des métiers aux statuts et salaires inférieurs. C’est donc ainsi que semble se perpétuer la division sexuelle du travail. Le processus de socialisation conduit les femmes à intérioriser les rôles sociaux et les comportements et qualités associés au genre féminin, selon la société où elles sont élevées. Cela va conditionner beaucoup d’aspects de la vie des femmes, et notamment leur vie professionnelle. Les femmes, ayant plus tendance à l’autodépréciation et à la 21 Socialisation primaire et secondaire 28 modestie auraient ainsi une moindre ambition que les hommes, et renonceraient à certains postes et à la course aux positions de pouvoir professionnelles, à la promotion etc., alors que les hommes ont plus été élevés sur le mode de la compétition. Il n’y aurait donc pas de différences de capacité, mais plutôt de volonté. Attention cependant, car on risque de nier aux femmes une volonté libre et même une force de caractère, pour « retomber » dans les stéréotypes fondés sur les explications de type biologique. On néglige aussi les freins et obstacles que peuvent rencontrer les femmes dans leur ascension professionnelle, dont le modèle est masculin. Plutôt que limitées par une moindre ambition, les femmes feraient en fait des « choix raisonnables », contraintes par une inégale répartition des tâches domestiques et familiales qui joue toujours en leur défaveur. Pourrait-on penser cependant que les femmes ne luttent pas assez pour renégocier ce partage ? Ce point sera précisé en abordant la question essentielle de l’articulation des temps de vie. 3) Eléments culturels : des inégalités institutionnalisées Le genre est un élément indissociable des rapports sociaux. La construction de l’identité sexuée va de pair avec la reproduction de rapports de pouvoir, globalement au détriment des femmes. Selon Françoise Héritier, les filles sont moins socialement valorisées que les garçons et cette « valence différentielle des sexes » est « l’expression d’une volonté de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir si particulier » (Héritier, 1996). Si l’origine des inégalités entre hommes et femmes peut être recherchée dans cette volonté masculine de compenser le pouvoir reproducteur des femmes par le monopole de domaines progressivement présentés comme les plus nobles, d’autres éléments sont venus s’y ajouter : c’est le cas notamment du rôle des religions. a) Religions Dans la mythologie grecque, comme dans les religions judéo-chrétienne et musulmane, les femmes sont toujours définies par rapport à l’homme et dans une situation d’infériorité. Leur activité est présentée comme principalement reproductrice et secondairement économique, ce qui a probablement constitué un obstacle culturel majeur lorsqu’elles ont investi le marché du travail à partir du XIXème siècle et peut expliquer en partie les inégalités qui touchent les femmes dans le monde professionnel. 29 b) Droit Le droit et les lois ont longtemps rendu légale une véritable discrimination envers les femmes, participant de son institutionnalisation. Ces dernières n’étaient même pas considérées comme sujets de droit et ont longtemps été exclues des droits civiques. Elles ont été, et sont parfois encore dans certains pays considérées comme des « mineures ». Ainsi, dans le Code civil mis en place en 1804, un article précise que le mari dispose de l’autorité maritale et paternelle et que son épouse lui doit obéissance. Pour tout acte juridique, financier, les femmes doivent obtenir une autorisation de leur mari. En France, il faut ainsi attendre 1945 pour que le droit de vote soit reconnu aux femmes, 1965 pour qu’elles soient émancipées de la tutelle maritale et puissent notamment disposer d’un compte en banque et gérer leurs biens. La notion de « chef de famille » n’a été supprimée qu’en 1970, date à laquelle l’autorité parentale est instituée. Mais c’est en 1985 que l’égalité complète des époux dans la gestion de la famille est reconnue. 4) Explications économiques : une construction intellectuelle excluant les femmes du travail rémunéré La théorie économique dominante a été produite par des hommes, qui plus est issus de la classe bourgeoise aisée ; la science économique n’est pas neutre, elle s’est construite à partir d’hypothèses sexuées, qui reflètent l’absence de prise en compte du genre. (Meulders, 2013). Michèle Pujol, dans une étude sur la place des femmes dans les écrits des pères fondateurs de la science économique, identifie cinq postulats, qui ne sont ni discutés, ni justifiés par les économistes : 1. Toutes les femmes sont mariées ou le seront, elles auront des enfants 2. Toutes les femmes dépendent financièrement d’un homme: mari ou père 3. Toutes les femmes seront ménagères: leur capacité de reproduction les spécialise dans cette fonction 4. Leur productivité est faible comparée à celle des hommes dans le travail industriel 5. Elles sont irrationnelles, ne se comportent pas en agent économique, ne prennent pas les bonnes décisions. Ces hypothèses reflètent la vision des femmes en vigueur à leur époque, dans leur milieu : « il n’était pas pensable qu’une femme travaille », donc le travail des femmes comme activité économique n’a pas été étudié (Godard). Pujol montre également que l’apport des femmes économistes dans l’histoire de la pensée économique a été sous30 estimé. Le résultat de ces aspects divers de la sous-représentation des femmes dans l’économie est un « biais androcentrique » dans les hypothèses et développements de la science économique : « toute la théorie de l’utilité se base sur le comportement rationnel d’un Homo oeconomicus qui a pour choix travail rémunéré ou loisirs dans l’affectation de son temps » (Laufer et al., 2003). Les femmes et la famille ont ainsi été rendues invisibles dans l’analyse économique du comportement humain ; les femmes sont sans cesse renvoyées à leur rôle domestique, alors même qu’à l’époque existaient des données attestant d’un travail des femmes, comme le montre Godard. Pendant longtemps ces hypothèses et ces concepts n’ont pas été remis en question et ils restent sous-jacents de nos jours. « Même si depuis ces concepts ont été discutés et travaillés, ils gardent bien souvent une teneur relative à l'époque de leur création » (Godard). Dans le même sens, une autre critique soulève la question de la définition de la richesse (PIB), et de l’activité par le critère du salaire dans la théorie économique, car elles ont contribué à exclure les femmes de l’analyse. L’indicateur du PIB ne tient pas compte des biens non marchands (tels qu’un environnement sain) et du travail non marchand, comme le soin apporté aux membres de la famille (Folbre, 1998). Ainsi, les activités liées au « care », majoritairement effectuées par les femmes, ne sont pas rémunérées et comptabilisées dans le PIB, alors que les femmes y consacrent un temps important. Les femmes ont toujours été actives dans le cadre de l‘économie familiale et informelle, mais étaient considérées comme inactives ou n’exerçant pas d’activités économiques, alors même que leur travail était essentiel au fonctionnement de l’économie et au travail rémunéré des hommes. Selon Pujol, cela peut constituer une piste d’explication de la position inférieure des femmes sur le marché du travail (Laufer et al., 2003) ; en effet, ces concepts ont inspiré et inspirent toujours aujourd’hui les politiques publiques, et des stéréotypes sont ainsi véhiculés d’une manière dissimulée. Il est intéressant de noter que cette théorie économique globale a aussi été critiquée dans une perspective écologique ; la théorie économique sous-estime les femmes, mais aussi l’environnement et l’impact des activités économiques sur les écosystèmes et les territoires (Le Monde selon les femmes, 2008). Un dernier élément majeur, apparaissant déjà en filigrane dans les explications évoquées précédemment, doit à présent être abordé. 5) Au cœur des inégalités professionnelles : la question de la conciliation vie professionnelle/vie privée 31 La question de l’articulation des temps de vie est peut-être celle qui englobe toutes les explications précédentes ; elle constitue le point de convergence de ces différents arguments et permet d’appréhender à la fois les causes, les aspects et les conséquences des inégalités professionnelles et des inégalités de travail au sens large. La maternité22 constitue une fonction des femmes qui n’est pas transférable, pas négociable d’une certaine manière. Ce sont les femmes qui portent puis engendrent les enfants. Suivant le nombre et le type de grossesse, les carrières des femmes se trouvent plus ou moins impactées et accidentées. Mais la maternité seule ne suffit pas à expliquer les inégalités professionnelles auxquelles sont confrontées les femmes. Gwénaëlle Poilpot-Rocaboy et Michelle Kergoat formulent l’hypothèse que les constructions sociales qui affectent les hommes et les femmes dans des rôles sociaux établis génèrent une division sexuelle des tâches qui crée elle-même une forte inégalité face au temps : les femmes sont toujours assignées à la sphère privée et aux charges familiales, alors même qu’elles sont actives professionnellement pour 83,8% d’entre elles entre 25 et 49 ans23 (Poilpot-Rocaboy et Kergoat, 2010). La division traditionnelle du travail et les représentations associées n’ont donc pas été bouleversées par les mutations liées à la féminisation du marché du travail. L’importance du travail domestique, frappé d’invisibilité, a cependant été reconnue, sans incidence forte sur les comportements et les pratiques (Ferrand 2004). Les femmes continuent d’assurer majoritairement les charges domestiques et les soins aux enfants et aux personnes dépendantes au sein de la famille. D’après l’enquête Emploi du temps 2010 de l’Insee, les femmes passent quatre fois plus de temps que les hommes à faire le ménage et deux fois plus à s’occuper des enfants ou d’un adulte à charge à la maison. La part des hommes augmente néanmoins quand leurs conjointes sont actives professionnellement. Leur investissement varie aussi suivant le type de tâche, le milieu social, la situation maritale du couple. Il est frappant de constater que le fait d’avoir des enfants joue en sens inverse pour les hommes et pour les femmes : le taux d’emploi des femmes décroit avec le nombre d’enfants et celui des hommes augmente (Ferrand, 2004). Mais comme le souligne Michèle Ferrand, « derrière la hausse continue des taux d’activité professionnelle des femmes, se profile toujours leur destin d’abord familial. Les femmes, même quand elles ont une activité professionnelle, ne 22 Dans le sens de « porter et mettre au monde un enfant » : signification parue en 1986 dans le dictionnaire de l’Académie Française. Disponible sur : http://www.la-definition.fr/maternit%C3%A9 23 En 2012. Taux d’activité des femmes de 15 à 64 ans en 2012 : 66,6% (INSEE) 32 remettent pas en cause le principe de leur disponibilité permanente au service de la famille [Chabaud et al., 1985] » (Ferrand, 2004). Graphique 3 : Unr journée moyenne en métropole en 2010 Source : Ministère des Droits des femmes, 2013 Il est donc plus difficile pour les femmes de concilier vie professionnelle et non professionnelle. D’où la deuxième hypothèse de Poilpot-Rocaboy et Kergoat: « l’inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes résulte de l’absence d’intégration de pratiques de conciliation des temps sociaux dans les politiques de ressources humaines des entreprises » (Poilpot-Rocaboy et Kergoat, 2010). Le facteur clé des inégalités au travail pointé ici est celui de l’absence de redistribution des tâches dans le foyer. Les femmes qui souhaitent progresser dans leur carrière se heurtent à des difficultés qui augmentent avec le nombre d’enfants et le niveau de responsabilités : la carrière, la réussite professionnelle est en effet pensée sur le modèle du male breadwinner, et requiert un investissement croissant en termes de disponibilité et de mobilité ; il semble en effet qu’en France, il soit difficile d’obtenir une promotion, d’accéder à plus de responsabilités sans augmenter le nombre d’heures de présence sur le lieu de travail. Le travail à domicile ou télétravail est encore peu répandu et peu considéré. Il domine une culture du présentéisme et de l’exploit, qu’il faut remplacer par une « culture de l’efficacité et de la performance durable », selon Jérôme Ballarin, président de lObservatoire de la Parentalité en Entreprise) (Ministère des droits des femmes, 2014). Les femmes sont le plus souvent celles qui vont faire des concessions pour mener de front carrière professionnelle et vie familiale, souvent au détriment de leur carrière. La question de l’articulation des temps de vie apparait ainsi fondamentale dans l’explication des inégalités professionnelles : comme Margaret Maruani le résume, « si hommes et femmes ne sont pas en situation d’égalité professionnelle, c’est […] parce qu’il 33 y a une division inégalitaire des tâches dans la famille » (Maruani, 2011, p.43). Elle souligne l’apport de la recherche sociologique sur le travail domestique, qui a contribué à révéler ce point essentiel : « la division du travail et les rapports sociaux de sexe dans la famille contribuent fortement à la production des inégalités professionnelles » (Maruani, 2011). C’est pour cette raison que la recherche comme les politiques en faveur de l’égalité professionnelle ne peuvent légitimement pas se focaliser uniquement sur la sphère professionnelle mais doivent aussi prendre en compte la sphère domestique. Les entreprises ont un rôle important à jouer dans la facilitation de cette articulation entre les temps de vie professionnelle et personnelle, au travers de leurs règles pratiques. L’évolution des perceptions associées au genre est aussi une nécessité. En effet, à la question de l’articulation des temps de vie et au-delà sont associés des représentations et des stéréotypes culturels et sociaux persistants, qui forment autant d’obstacles à l’égalité professionnelle. Gwénaëlle Poilpot-Rocaboy et Michelle Kergoat montrent que la maternité est encore souvent perçue comme un « événement contraignant » par les employeurs, pouvant porter préjudice à l’emploi d’une femme jeune. Des représentations jouant comme des stéréotypes négatifs rendent ensuite l’évolution de carrière plus difficile : la perception d’une « disponibilité moindre des femmes », qui est liée à la réalité du partage inégal des tâches dans la sphère privée mais aussi l’acceptation limitée de demandes liées aux responsabilités familiales en provenance des hommes. Perdurent aussi des représentations liées à une « nature » féminine comme celle d’une « moindre ambition professionnelle des femmes » et le maintien de stéréotypes sexués notamment sur les métiers. Les métiers d’hommes se féminisent progressivement mais le contraire n’est pas vrai : ils pénètrent encore rarement les sphères féminines, et il n’existe d’ailleurs pas vraiment de mot pour désigner les rares sages-hommes ou puériculteurs …Les chercheuses concluent qu’il existe une représentation positive de l’emploi féminin mais que le modèle masculin du breadwinner continuer à influencer les représentations des employeurs (Poilpot-Rocaboy et Kergoat, 2010). Les inégalités de genre, et notamment les inégalités de traitement des femmes et des hommes sur le marché du travail, trouvent leurs racines dans des représentations sociales très ancrées sur les rôles et les fonctions spécifiquement masculines ou féminines. La persistance de stéréotypes culturels et sociétaux genrés contribue à pérenniser ces inégalités, en induisant des orientations, des choix de formation et donc de métiers 34 différenciés. Pourtant le principe de l’égalité des sexes et de l’égalité professionnelle en particulier est juridiquement établi depuis plus de cinquante ans (Brunet, Dumas, 2012). Nous allons maintenant passer en revue les différents dispositifs législatifs et réglementaires aux niveaux international, européen et français. III) Promotion de l’égalité au travail: un cadre législatif international, européen et national incitatif 1) Le cadre international en matière d’égalité professionnelle Sans prétendre présenter de manière exhaustive le rôle des organisations internationales dans la promotion de l’égalité professionnelle, il semble intéressant d’en mentionner quelques points clés. L’entrée privilégiée fut celle du principe de non-discrimination, consacré et décliné dans de nombreuses conventions adoptées sous l’égide de l’ONU et des institutions qui lui sont rattachées. L’Organisation internationale du travail, organisation de la Société des Nations créée en 1919, et rattachée à l’ONU en 1946, a posé comme droits et principes fondamentaux la non-discrimination et la promotion de l’égalité. Ainsi deux des huit conventions considérées comme fondamentales traitent de ces questions : la Convention n°100 de 195124 pose le principe de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un travail de valeur égale et la Convention n°111 de 1958 25 porte sur l’élimination de toute discrimination en matière d’accès à l’emploi, à des professions particulières et à la formation professionnelle. Marie-Thérèse Lanquetin note cependant que certaines conventions de l’OIT plus anciennes interdisaient l’emploi des femmes dans l’industrie, au nom de la répartition des rôles entre hommes et femmes et de leur protection (Lanquetin, 2013). L’ONU va notamment promouvoir ces principes à travers le droit international des droits de l’homme : on les retrouve en effet dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux adoptés en 24 25 Ratifiée par la France en 1953 Ratifiée par la France en 1981 35 196626. En 1979, l’ONU adopte la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF/CEDAW), qui affirme « « l’égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines ». Ratifiée par la France en 1983, cette convention constitue « l’accord le plus complet sur les droits fondamentaux des femmes » (Brunet, Dumas, 2012). Son article 11 est consacré à l’égalité professionnelle : les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes dans le domaine de l’emploi (critères de sélection, libre choix de la profession, promotion et égalité de rémunération). Depuis 2002, la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes fait partie des 8 Objectifs du Millénaire pour le Développement fixés par l’ONU : « l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes sont essentielles pour éliminer la pauvreté et promouvoir un développement et une croissance durables ». …L’ONU cherche à faire mieux comprendre les liens essentiels qui existent entre le travail décent, l’élimination de la pauvreté et l’égalité des sexes. « Un meilleur accès des femmes à l’emploi et au revenu est la condition fondamentale pour la réussite des efforts qui sont déployés pour combler l’écart entre les sexes en matière d’éducation et pour l’autonomisation des femmes »27. 2) Le rôle déterminant de l’Union Européenne a) Traités et directives L’Union Européenne (UE) a joué et joue toujours un rôle moteur en matière d’égalité des sexes et notamment d’égalité professionnelle. La politique et le droit communautaires ont constitué un levier efficace pour faire évoluer les politiques et législations nationales. Cela tient au rôle du droit de l’UE qui est de fixer des objectifs communs à atteindre - et non d’unifier les droits des Etats membres. La Cour de Justice des Communautés Européennes a également joué un rôle déterminant en fournissant une jurisprudence importante en matière d’égalité hommes-femmes ; elle a notamment encadré juridiquement la discrimination directe et indirecte en raison du sexe, et aidé les victimes en aménageant la charge de la preuve. Quatorze directives forment un cadre juridique européen solide en matière d’égalité hommes-femmes. Treize d’entre elles concernent l’emploi, la formation professionnelle et la protection sociale. La dernière directive, adoptée en 2006, rassemble en un texte unique 26 27 L’ensemble de ces trois textes forment la Charte internationale des droits de l’homme Information disponible sur : www.un.org/millenniumgoals/ 36 sept directives existantes concernant l’égalité professionnelle. Celle-ci est l’objet de l’essentiel de l’action de l’UE en faveur de l’égalité hommes-femmes. L’égalité femmes-hommes a d’abord été posée sous la forme d’un principe de nondiscrimination. Le droit de l’Union européenne interdit les discriminations entre les femmes et les hommes. Selon Marie Thérèse Lanquetin, ce principe de non-discrimination constitue « l’expression du droit fondamental à l’égalité dans le champ du travail et de l’emploi » (Lanquetin, 2013). Il est présent dans le Traité de Rome en 1957, qui pose le principe de l’égalité de rémunération dans l’article 119. La Cour de Justice des communautés européennes (CJCE), devenue Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a fait de cet article une interprétation volontariste en affirmant rapidement que « le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes est un droit fondamental qui fait partie des principes généraux du droit dont la Cour a pour mission d’assurer le respect. ». La directive 76/207/CEE a affirmé l’égalité de traitement en matière d’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et en matière de conditions de travail. Puis en 1999, le traité d’Amsterdam renforce l’engagement européen à l’égard de l’égalité de genre en introduisant dans les politiques communautaires la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations entre les hommes et les femmes. Il s’agit de la stratégie du gender mainstreaming : face à la difficulté d’ « actions positives » visant des femmes dans des situations particulières, l’idée est d’intégrer de façon explicite une dimension de genre et un objectif d’égalité à toutes les actions politiques et négociations engagées (Laufer, 2013). Quant à la Charte des droits fondamentaux du 18 décembre 2000, son article 23 précise que « « l’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération ». Cette charte a une valeur juridiquement contraignante depuis le traité de Lisbonne, qui réaffirme l’égalité entre les femmes et les hommes comme une valeur de l’Union. La directive 2006/54/CE est relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail. Cette directive rassemble toutes les dispositions antérieures relatives à l’égalité professionnelle ; elle traite de l’égalité de rémunération, de traitement dans l’emploi, de formation, de promotion, de conditions de travail et intègre la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE). 37 En 2011, la Commission européenne a proposé l’instauration de quotas pour porter la part des femmes dans les conseils d’administration (parmi les administrateurs non exécutifs des grandes sociétés cotées en bourse) à 30% d’ici 2015 et 40% en 2020. En cas de qualification égale, la priorité devra être donnée au/à la candidat (e) du sexe sousreprésenté (Commission Européenne, b, 2014). Le 20 novembre 2013, le Parlement Européen a voté à une large majorité en faveur de cette proposition de directive, actuellement en discussion au Conseil de l’UE. La logique du droit a profondément évolué, de la protection vers l’égalité de traitement des femmes au travail. La CJCE a ainsi affirmé que « la prise en considération de la grossesse et de la maternité constituait une discrimination directe fondée sur le sexe n’admettant aucune justification » (Lanquetin, 2013). En outre, grâce à la directive sur le congé parental, chaque parent qui travaille a désormais le droit à un congé d’au moins quatre mois lors de la naissance ou de l’adoption d’un enfant. Au moins un des quatre mois de congé ne peut être transféré à l’autre parent, ce qui encourage les pères à prendre ce congé (Commission Européenne, 2014, a). b) Politiques, actions et recommandations Chaque année depuis 2004, la Commission Européenne adresse au Conseil Européen un rapport sur les avancées dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les Etats membres et présente les orientations et défis pour l’avenir. En 2006, suite à la réception du troisième rapport mesurant les progrès accomplis en matière de mainstreaming, le Conseil européen de Bruxelles a adopté un Pacte européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, encourageant les Etats membres et l’Union Européenne à prendre des mesures pour lutter contre les inégalités professionnelles et favoriser un meilleur équilibre des temps de vie. L’égalité salariale est une des priorités de la Commission Européenne : pour en faire une réalité, elle surveille de près l’application de la législation sur l’égalité de traitement des femmes et des hommes. Pour sensibiliser l’opinion publique, elle a lancé en 2011 une journée pour l’égalité salariale (equal pay day) (Commission Européenne, a, 2014). Sa date symbolise les jours supplémentaires de travail que les femmes doivent accomplir afin de gagner un salaire équivalent à celui des hommes sur une année (par exemple le 2 mars 2012) (Silvera, 2013). La Commission a également publié en mars 2014 une recommandation aux États membres pour les encourager à faciliter la transparence des salaires dans les entreprises. 38 Au-delà de la législation, l’Union Européenne tente ainsi d’infléchir les pratiques des pays et des acteurs. C’est ce qui est rappelé dans la Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes de 2010-2015 de la Commission européenne, où l’égalité salariale est un des cinq domaines d’actions privilégiés (Silvera, 2013). La promotion de l’emploi des femmes fait aussi partie intégrante de la Stratégie de l’Union Européenne pour la croissance économique (Europe 2020). Dans ce cadre, un financement a été alloué aux Etats membres afin de favoriser l’investissement dans des établissements de garde d’enfants et pour promouvoir la participation des femmes au marché du travail. L’égalité entre hommes et femmes est une obligation, un droit fondamental, une valeur, un objectif de l’Union Européenne. L’équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle, enjeu majeur de l’égalité des femmes et des hommes au travail, fait désormais partie des valeurs de l’Union. En 2000, la CJCE a affirmé que « la conciliation vie familiale/vie professionnelle est un corollaire de l’égalité de traitement entre hommes et femmes ». Malgré une action déterminante dans la promotion de l’égalité hommes-femmes, l’Union européenne reconnaît que c’est au niveau national, entre les mains des gouvernements et des partenaires sociaux, que résident les vraies solutions (Silvera, 2013). 3) Le droit des femmes au travail en France : un cadre juridique développé En matière d’égalité au travail, le dispositif législatif français est fourni ; les droits des femmes au travail ont été maintes fois l’objet de l’attention politique et législative. L es avancées du droit européen ont constitué une impulsion déterminante, puisque l’ensemble des directives et traités doit être transposé dans le droit français. Le préambule de la Constitution de 1946 pose le principe selon lequel « la loi garantit à la femme dans tous les domaines égaux à ceux des hommes » (Maruani, 2011). Néanmoins, il est frappant de constater que les femmes n’ont obtenu le droit d’exercer une activité professionnelle qu’en 1965 avec la loi sur la réforme des régimes matrimoniaux. Le principe d’égalité entre les femmes et les hommes énoncé en 1946 va connaitre plusieurs déclinaisons dans les décennies qui vont suivre. La première interprétation du principe d’égalité, l’égalité des droits, va donner lieu en 1972, à une loi introduisant le principe de l’égalité salariale entre les sexes dans le Code 39 du Travail : à travail égal ou de valeur égale, salaire égal. Mais dans les faits, cette loi a eu une efficacité limitée (Maruani, 2011). La loi Roudy du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a eu pour ambition de renforcer la loi de 1972 : le principe d’égalité y est étendu. La loi introduit également un principe général de non-discrimination et rend obligatoire pour les entreprises la publication annuelle d’un rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes. « Le constat des inégalités persistantes et la nécessité de dépasser le niveau des principes en matière d’égalité professionnelle ont abouti à la formulation juridique de deux notions, l’égalité de traitement et l’égalité des chances […] » (Laufer et Silvera, 2006). Entre 2001 et 2006 sont votées plusieurs lois. Le principe de l’égalité de traitement, formulée par la directive européenne de 1976, a été transcrit en France par la loi du 17 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations. Celle du 9 mai 2001 (loi Génisson) instaure l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de plus de 50 salariés et ajoute au RSC des indicateurs chiffrés ; la loi du 4 décembre 2001 crée le congé paternité ; celle du 23 mars 2006, issue de l’Accord interprofessionnel de 2004, instaure l’obligation de réduction des écarts de rémunération. Encore plus récemment, de nouvelles dispositions ont été adoptées : la loi de 2010 sur la réforme des retraites met en place l'obligation de créer un accord collectif afin de favoriser l'égalité, sous peine de sanctions. La loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle du 27 janvier 2011 impose aux sociétés répondant à certains critères 28 de respecter d’ici 2017 un quota de 40 % de sièges dévolus à chaque sexe au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés. Dans le même sens en 2012, une nouvelle loi crée des quotas pour favoriser la féminisation des emplois d’encadrement supérieur et dirigeants dans la fonction publique. En juillet 2011, la volonté de renforcer l’application des lois en vigueur conduit à la signature d’un décret instaurant une pénalité financière à l’encontre des entreprises d’au moins 50 salariés qui ne respectent pas l’obligation d’être couvertes par un accord d’égalité entre les hommes et les femmes. Au total depuis 40 ans, le dispositif législatif et réglementaire en faveur de l’égalité professionnelle s’est considérablement enrichi. 9 lois consacrées à la promotion de l’égalité professionnelle auront été votées. Pour l’heure néanmoins, « le droit à l’égalité professionnelle est resté lettre morte » (Maruani, 2011). Un rapport du Conseil économique, Seules les entreprises de plus de 500 salariés et de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires sont concernées par ces quotas (Ministère du droit des femmes, 2013) 28 40 social et environnemental datant de 2012 évoque lui un « bilan d’application [des lois] modeste » (Brunet et Dumas, 2012). Les prérogatives des entreprises, la liberté de l’employeur et la faiblesse de la mobilisation des partenaires sociaux pour ce champ de négociation29 sont autant de limites à l’effectivité du droit à l’égalité professionnelle. L’accès des femmes au travail rémunéré et la féminisation du salariat, la forte hausse des taux d’activité et d’emploi féminins ainsi que du niveau d’éducation des femmes n’ont pas conduit à l’égalité réelle entre hommes et femmes au travail. Les femmes sont confrontées à des inégalités multiples : temps partiel, sous-emploi, ségrégation horizontale et verticale, inégalités salariales… Les inégalités professionnelles entre hommes et femmes perdurent, sous des formes diverses, et malgré le dispositif législatif et réglementaire qui s’est mis en place au niveau européen et national. Le passage de l’égalité formelle à l’égalité réelle n’a pas encore eu lieu, principalement en raison de l’inégale répartition des obligations familiales (Guérin, 2003). Si les femmes ont massivement investi la sphère professionnelle, elles continuent d’assurer majoritairement les charges domestiques et familiales. L’absence de redistribution des tâches dans le foyer, le maintien de la division traditionnelle du travail « contribuent fortement à la production des inégalités professionnelles » (Maruani, 2011). Les inégalités au travail ne se résument donc pas aux inégalités existant dans le monde du travail rémunéré : elles englobent la répartition inégalitaire des tâches dans la sphère privée et son absence de remise en question, due à l’ancrage des représentations collectives sur les rôles sociaux construits en termes de genre. Ces inégalités de travail en général ont un impact sur la situation économique des femmes, plus souvent précaire. L’ONU à partir du Sommet du Millénaire de 2000 a mis en évidence les liens qui existent entre le travail décent, l’élimination de la pauvreté et l’égalité des sexes. Ces objectifs sont clairement définis comme un enjeu clé du développement durable. D’après l’ONU, l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes sont en effet essentielles à la promotion du développement durable. « Théoriquement, l’égalité hommesfemmes fait entièrement partie des objectifs politiques […] inclus dans les objectifs de développement durable, dans le volet éthique» (Lalanne et Lapeyre, 2009). La crise économique, sociale et environnementale actuelle a en effet mis en lumière l’imbrication d’enjeux multiples : enjeux environnementaux et enjeux d’égalité des sexes apparaissent désormais liés. Quelles relations spécifiques se tissent entre les femmes et l’environnement, au regard des problématiques de dégradations écologiques ? La signature par l’ensemble des syndicats de l’Accord national interprofessionnel sur l’égalité et la mixité le 1er mars 2004, témoignait pourtant de l’affirmation de l’enjeu de l’égalité professionnel et du consensus existant sur cette question (Laufer et Silvera, 2006) 29 41 Chapitre II : Les femmes et leurs activités face aux enjeux environnementaux : différences et inégalités de genre I) Des femmes plus sensibles et plus responsables face aux problématiques du développement durable Pour des raisons pratiques 30, le DD sera donc ici considéré parfois dans sa dimension globale et parfois uniquement dans sa dimension environnementale. L’hypothèse principale ici est la suivante : il y aurait une sensibilité au développement durable différenciée en fonction du genre. Les femmes seraient plus sensibles aux valeurs du développement durable, leurs pratiques seraient plus respectueuses de l’environnement et donc leur empreinte environnementale serait plus faible que celle des hommes. Nous allons voir dans un premier temps qu’il est possible de parler d’une sensibilité féminine particulière au développement durable, en termes de valeurs et de pratiques. Puis dans un deuxième temps nous évoquerons des études qui ont mis en évidence une empreinte écologique plus faible des femmes. 1) Une sensibilité particulière environnementaux des femmes aux enjeux Les obligations familiales relèvent dans la plupart des sociétés de la responsabilité des femmes, érigée en véritable devoir. Ce rôle sexué, socialement construit, tend à être associé à des qualités spécifiquement féminines d’abnégation et de renoncement de soi. Ce rôle familial est en effet d’une exigence extrême, considéré comme une « véritable contribution au capital humain » (Guérin, 2003) ; il est de fait prioritaire par rapport à tout projet personnel ou autre démonstration de la liberté individuelle. Il y aurait même un lien spécial entre les femmes et le don (Godbout et Caillé, 1992, in Guérin, 2003). Or l’environnement est souvent perçu comme une « extension de la sphère domestique ou privée » (Drion, 2006). Cette idée est liée à la notion de « care », qui Les études qui ont été faites sur la question et qui sont reprises aussi portaient parfois sur l’environnement et parfois sur le développement durable 30 42 correspond aux activités de soin considérées comme traditionnellement féminines, exercées en dehors de toute activité rémunératrice. Il y aurait en fait une extension de la notion de care, pour englober les pratiques d’entretien du milieu de vie et donc de l’environnement (« concept de reproduction étendue du vivant »31) (Drion, 2006). Dans cette conception, les femmes seraient donc « naturellement portées à faire les choses gratuitement » pour la préservation de l’environnement (Drion, 2006). Elles auraient donc une sensibilité et une préoccupation particulières pour les enjeux environnementaux. A la suite de cette réflexion, il semble que la définition de Nancy Folbre des « activités de proximité » comme travaux « entrepris par affection ou par sens des responsabilités vis-à-vis d’autrui, sans attente d’une contrepartie immédiate » (Folbre, 1997 in Guérin, 2003) puisse être élargie pour inclure le soin de l’environnement. Les femmes, dans le cadre de ces activités de proximité, accorderaient une attention non seulement à leur entourage humain mais aussi naturel. Conscientes de la dépendance des êtres humains à la nature, elles tendraient à un plus grand respect des écosystèmes et des ressources naturelles. Prendre soin de son environnement naturel direct, ou intégrer une dimension environnementale à son acte de consommation peut s’interpréter comme le signe d’une préoccupation pour le bien-être humain et des générations futures, au sens d’une éthique de la responsabilité comme l’exprime Hans Jonas. On peut d’ailleurs penser que les femmes auraient une sensibilité accrue à cette vision de par leur fonction maternelle. De plus, agir au quotidien pour l’environnement ne procure a priori aucun bénéfice direct. Il semble donc que « des soins aux humains aux « soins de la terre », il n’y ait qu’un pas (Falquet, 2002). Mais franchir ce pas c’est risquer de tomber dans l’essentialisme. Plusieurs études, internationales, européennes et françaises ont été menées pour tenter de mesurer la sensibilité des personnes à la préservation de l’environnement et aux valeurs du développement durable. Elles semblent de fait soutenir la thèse d’une sensibilité particulière des femmes. a) En France Selon un article de l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (ADEME) et reprenant les résultats d’études réalisées en 2004, les femmes seraient plus 31 Une hypothèse de Florence Degavre, dans : Enjeux du développement dans les contextes Nord : le rôle des femmes dans le care et la reproduction du lien social, Thèse de doctorat, ESPO/SPED - Département des sciences de la population et du développement, UCL, Louvain la Neuve, 2005. 43 sensibles aux valeurs environnementales. Elles exprimeraient cependant un niveau de connaissances inférieur à celui des hommes sur ces problématiques, a fortiori sur les plus techniques d’entre elles. L’ADEME donne l’exemple d’une enquête nationale sur les énergies renouvelables réalisée en mai 2004 : aux questions requérant un avis personnel, les femmes ont été systématiquement plus nombreuses à répondre qu’elles ne savaient pas. Elles semblent aussi être plus préoccupées par les enjeux en termes de santé, qu’elle soit humaine ou plus globale, et les hommes plus par des enjeux techniques ou politiques (ADEME). Une autre étude mentionne ce dernier point : les femmes sont légèrement plus soucieuses des questions de qualité de l’air que les hommes (39% contre 33%), « probablement car elles sont, de manière générale, plus attentives aux questions touchant à la santé » (CREDOC, 2012). Une étude du Service d’Observation et des Statistiques (SOeS) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) de 2011 a évalué la sensibilité des Français à l’environnement à travers le prisme de leurs opinions et de leurs pratiques. Selon le baromètre Crédoc-SOeS, l’attention des Français aux questions environnementales s’est accrue durant les dernières décennies, et surtout depuis une dizaine d’années : ainsi en 2011, 53% des Français se déclarent très sensibles à l’environnement, contre seulement 35% en 2002. Les variables sociodémographiques les plus déterminantes sont l’âge et la profession. En revanche, la sensibilité environnementale est un sentiment partagé presque autant par les hommes que par les femmes, comme l’indique les résultats du tableau cidessous (CGDD-SOeS, 2011, a) Tableau 5 : La sensibilité déclarée à l’environnement selon les variables sociodémographiques (Proportion des individus se déclarant très sensibles – notes 6 et 7 – à l’environnement, en % arrondis) Source : Crédoc, 2011. Deux autres études très récentes réalisées par le même organisme rendent compte d’enquêtes d’opinion en matière d’environnement : la première date de mars 2014 et s’intitule « Opinions et pratiques environnementales des Français en 2012 » ; la deuxième 44 est un « baromètre d’opinion sur l’énergie et le climat en 2013 ». Ni l’une ni l’autre de ces publications officielles ne mentionnent la variable de sexe, qui ne semble prise en compte à aucun moment. On peut donc en déduire deux hypothèses : la variable de genre n’est pas prise en compte par ces outils statistiques (pas de désagrégation de la donnée selon le genre), ou bien elle l’est, et alors il n’y a aucune tendance notable en termes de différenciation sexuée des opinions sur les questions d’environnement. L’enquête « Conditions de vie et « aspirations », du CREDOC, publiée en juin 201332, ne montre pas de sensibilité supérieure des femmes à l’environnement. Selon cette enquête, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à exprimer avoir une idée précise de ce que signifie l’expression « développement durable » : 44% des femmes contre 59% des hommes en 2013, mais cette différence se retrouve chaque année depuis 2004. Une proportion plus grande d’hommes associe spontanément le développement durable et son volet environnemental (63% d’hommes contre 56% de femmes) alors qu’il n’y a pas de différence entre hommes et femmes à propos des autres volets. Les femmes sont également plus nombreuses à déclarer ne faire aucune association d’idée avec le développement durable (16% de femmes 11% des hommes en 2012). Le CREDOC note que les hommes, qui déclarent plus volontiers que les femmes avoir une idée précise du développement durable, se distinguent finalement assez peu lorsqu’il s’agit d’en donner une définition. « C’est une spécificité que l’on observe souvent dans des questions de connaissance : les hommes se montrent souvent plus affirmatifs dans leurs réponses » (CREDOC, 2012). Dans cette enquête, c’est la connaissance et la compréhension de la notion de développement durable qui sont évaluées : on ne peut donc en déduire une véritable différenciation sexuée de l’intérêt et de l’attitude face aux enjeux qu’il implique. Une enquête33 réalisée par l’entreprise Harris Interactive pour Coca-Cola au mois de mars 2014 a cherché à mettre en lumière le rapport des Françaises à l’environnement, en comparaison avec celui des hommes. Lorsqu’elles pensent à l’environnement « les femmes évoquent spontanément des éléments factuels et actuels quand les hommes L L’’enquête a été réalisée par le CRÉDOC en « face à face », en juin et juillet 2013, auprès d’un échantillon représentatif de 2 009 personnes, âgées de 18 ans et plus, sélectionnées selon la méthode des quotas. Ces quotas (région, taille d’agglomération, âge - sexe, PCS) ont été calculés d’après les résultats du dernier recensement général de la population. Un redressement final a été effectué pour assurer la représentativité par rapport à la population nationale de 18 ans et plus2. 33 « Le rapport des femmes à l’environnement, une posture singulière ? » :« enquête réalisée en ligne du 18 au 20 février 2014. Echantillon de 1000 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l’interviewé(e) ». 45 l’envisagent davantage à un niveau macro et à plus long terme ». Les Françaises, plus que les Français ont le sentiment qu’elles se préoccupent personnellement davantage de l’environnement que le reste de la population, et a fortiori que les chefs d’entreprise et les responsables politiques (90% des femmes contre 83% des hommes) (Harris Interactive, 2014). b) Aux niveaux européen et international Selon des enquêtes réalisées en Angleterre, les femmes sont plus préoccupées par le changement climatique que les hommes. Elles démontrent également une plus grande volonté d’adapter leurs modes de vie (WEN, 2007). Au niveau européen, un eurobaromètre datant de 2002 a montré que les femmes étaient plus préoccupées par les variations climatiques et par les enjeux en termes de santé que les hommes. En termes de politiques, les femmes étaient un peu plus nombreuses que les hommes à penser que les décideurs politiques devraient accorder autant d'importance à l'environnement qu'aux politiques économiques et sociales (88% contre 85%) et ne prenaient pas suffisamment en compte l’environnement lorsqu’ils décidaient des politiques dans d’autres domaines, comme l’économie et l’emploi (17% contre 22%) (Commission Européenne, 2002). Selon un eurobaromètre plus récent portant spécifiquement sur le changement climatique, les femmes sont, en moyenne, plus préoccupées par celui-ci. Elles éprouvent aussi un plus grand besoin d’action pour lutter contre le changement climatique. (European Commission, 2011). Une étude de l’OCDE portant sur le test PISA de 2006 rapporte que les filles plus que les garçons ont témoigné d’une préoccupation forte pour l’environnement et un sens des responsabilités plus important, dès l’âge de 15 ans (OECD, 2008, a). Une autre étude de l’OCDE souligne que les hommes tendent à prendre les problèmes environnementaux moins au sérieux, et à croire moins dans l’utilité et l’efficacité de mesures politiques dans ce domaine (OECD, 2008, b). Comment interpréter ces résultats et leur variation selon les études ? On peut supposer l’existence de biais statistiques, les enquêtes n’étant pas réalisées de la même manière, les questions posées de la même façon, sur des échantillons qui ne sont pas équivalents. Un aspect de différenciation des comportements selon le genre peut également être soulevé, et il est d’ailleurs mentionné par le CREDOC : les hommes 46 tendraient plus que les femmes à affirmer savoir et connaitre lors des enquêtes, ce qui ne signifie pas pour autant que c’est le cas. De manière générale, les perceptions que les hommes et les femmes ont d’eux-mêmes individuellement ou en tant que groupe ne reflètent pas nécessairement la réalité mais peuvent être influencés par les représentations sociales sur leur sexe. Il importe donc de rester nuancé. Il y a bien des preuves empiriques d’une sensibilité environnementale plus forte des femmes ; mais il faut se demander comment cette sensibilité est mesurée, et d’autre part, vérifier que cette préoccupation s e traduit en pratiques concrètes pro-environnementales, ce qui pose d’autres problèmes (OECD, 2008, b). Il semble cependant possible de conclure, assez généralement et avec des réserves, à une plus grande sensibilité féminine aux questions environnementales en général. Les femmes semblent plus préoccupées par ces enjeux, et notamment par leur impact sur la santé. Elles semblent aussi valoriser l’adaptation des comportements et être plus enclines à agir personnellement en adoptant des gestes plus écoresponsables. Cela se traduit-il par des pratiques plus écologiques que celles des hommes ? 2) L’importance des pratiques des femmes en matière de développement durable Selon l’ADEME, les femmes seraient plus nombreuses à se dire disposées à modifier leurs comportements et à penser que l’adaptation individuelle peut contribuer à résoudre les problèmes environnementaux. Les hommes exprimeraient en majorité une croyance sans faille dans le progrès technique (ADEME). C’est aussi ce qui ressort de l’Eurobaromètre 2011 sur le changement climatique : en règle générale, les hommes ont davantage confiance dans les solutions technologiques (Commission Européenne, 2011). L’étude du Service d’Observation et des Statistiques (SOeS) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) qui a évalué en 2011 la sensibilité des Français à l’environnement a établi concernant les pratiques que l’action individuelle la plus populaire depuis 1996 est le tri des déchets ménagers ; et encore plus pour les femmes, les personnes âgées, et les personnes ayant les revenus les plus élevés. Les femmes se distinguent également dans l’attention portée à la quantité de déchets qui sera produite lors des achats de produits alimentaires (40% de femmes contre 29% des hommes) (CGDD, 2011, a). Mais aucun autre élément dans le reste de l’étude n’évoque une sensibilité ou des pratiques différenciées selon le sexe. 47 Selon l’enquête Harris Interactive 2014 sur le rapport des femmes à l’environnement (vue précédemment également), les femmes se montrent particulièrement investies dans ce domaine : 65% d’entre elles contre 57% chez les hommes parlent souvent d’environnement avec leur entourage, et 72% déclarent se mobiliser davantage que par le passé (contre 64% chez les hommes). De plus, 87% des femmes disent avoir changé certains de leurs comportements récemment pour tenir compte de l’environnement contre 76% des hommes. En outre, sur un ensemble de pratiques écoresponsables, les femmes se montrent plus actives que les hommes. Elles sont, avec les CSP+, et les personnes de plus de 35 ans, surreprésentées dans les groupes se déclarant les plus mobilisés. Graphique 4: réponse des enquêtés sur leurs gestes écoresponsables Source : Enquête Harris Interactive pour Coca Cola Entreprise, 2014 Pour une majorité de Français, la famille et l’école ont un rôle central à jouer pour l’éducation des jeunes générations à la protection de l’environnement et au développement durable : 80% des femmes le pensent contre 69% des hommes. Elles sont moins nombreuses que les hommes à mentionner les pouvoirs publics et les entreprises. On retrouve ici, au moins en partie, la différenciation sexuée des rôles et des activités, et 48 l’intériorisation de ceux-ci ; les femmes se considèrent plus légitimes que les hommes dans le rôle d’éducation et de « contribution au capital humain » (Guérin, 2003). Il est également intéressant de noter que les femmes tendent aussi à se considérer comme plus sensibles et investies que les hommes à l’égard des enjeux environnementaux, alors que ceux-ci pensent davantage que le sexe n’influe pas sur l’attitude à l’égard de ces enjeux. Les femmes identifient mieux que les hommes les produits respectueux de l’environnement dans les rayons (CREDOC, 2010). Elles ont une meilleure connaissance des labels environnementaux (écolabel européen, NF Environnement). Elles sont également plus nombreuses se dire prêtes à renoncer à utiliser la voiture en cas de pic de pollution (CREDOC, 2010) et à considérer l’impact écologique de leur futur véhicule comme un critère de choix important (84% de femmes contre 75% d’hommes) 34. D’après des enquêtes réalisées principalement en Angleterre, les femmes soutiennent une intervention gouvernementale plus volontariste sur les marchés pour promouvoir les pratiques de consommation responsables ; elles prônent l’interdiction des produits les moins durables, des prix réduits pour les produits les plus écologiques, une labellisation plus poussée. Elles souhaiteraient aussi un développement des subventions gouvernementales pour rendre les énergies vertes plus attractives en termes de prix et de simplicité d’accès (WEN, 2007). Selon une étude de l’OCDE, les femmes seraient des consommatrices plus responsables ; elles sont plus susceptibles de recycler, acheter des produits issus de l’agriculture biologique et éco-labellisés et préfèrent les moyens de transports les moins polluants (OECD, 2008, b) A propos du changement climatique, l’Eurobaromètre 2011 relève aussi que les femmes éprouvent un plus grand besoin d’action pour lutter contre le changement climatique et sont plus susceptibles de changer de comportement. En conclusion, on distingue concernant les pratiques et comportements deux tendances plus féminines : une volonté affichée d’adaptation des comportements plus forte, et des pratiques écoresponsables qui semblent plus développées. Or, du fait de leur rôle prégnant au sein de la sphère familiale, les décisions de consommation des femmes sont 34 Sondage réalisé par l’Institut Harris Interactive pour Auto Evolution et le Salon Automobile de Lyon en 2009 49 cruciales en matière de bien-être familial et d’impact environnemental associé. Il se trouve que les pratiques écoresponsables se déclinent dans des domaines tels que l’alimentation, la gestion de l’eau, le tri des déchets, la santé ou l’éducation des enfants, domaines d’action où les femmes sont en première ligne (Hofmann 2006 in Lalanne et Lapeyre, 2009).Par exemple, les courses sont prises en charge exclusivement par les femmes dans 51% des couples, partagées entre les hommes et les femmes dans 37% des cas et assumées exclusivement par les hommes dans 12% des cas (Bauer, 2007). Indéniablement donc, le rôle social des femmes, qui les assigne à la gestion des affaires courantes du foyer, rend leurs pratiques décisives d’un point de vue environnemental. Cela tient aussi au fait que leurs comportements et pratiques influent sur l’empreinte écologique de plusieurs personnes. Une analyse de genre de l’empreinte écologique semble d’ailleurs indiquer un impact environnemental moindre des femmes, en raison de standards de consommation, de modes de déplacement et de loisirs différents (Le Monde selon les femmes, 2008) 3) Un impact plus réduit des femmes sur l’environnement L’empreinte écologique est un outil qui permet de mesurer la pression qu'exerce l'homme sur la nature. Il permet d’évaluer la surface nécessaire en hectares pour produire les ressources naturelles que nous utilisons et pour absorber les déchets (y compris le CO2) que nous produisons » (Wackernagel et Rees 2005 in Lalanne et Lapeyre, 2009). Selon une étude réalisée pour le ministère suédois du développement durable, l’empreinte écologique des femmes est inférieure à celles des hommes. Les modes de vie et de consommation des hommes, riches ou pauvres, nécessiteraient plus de ressources naturelles et seraient moins durables (Johnsson-Latham, 2006). Ils prennent plus de repas à l’extérieur du foyer, consomment plus d’alcool et de tabac, et dépensent plus en transport et sport. Comme nous l’avons vu précédemment, les femmes feraient des choix de consommation intégrant des critères environnementaux (OECD, 2008, a). Elles préfèreraient les produits respectueux de l’environnement plus que les hommes car elles auraient une aversion au risque plus élevée (Jolly, 1991 in OECD, 2008, b). Les femmes auraient un consentement à payer pour une réduction de l’exposition aux pesticides supérieur à celui des hommes, ce qui se traduit par un achat de produits issus de l’agriculture biologique plus important. Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes sont celles qui achètent le plus de nourriture de base au sein du foyer et qu’elles sont plus sensible aux enjeux de sécurité et de santé (OECD, 2008, b). 50 La probabilité de possession d’une voiture augmente avec le revenu, et est plus élevée pour les hommes que pour les femmes. L’utilisation de la voiture suit le même schéma (OECD, 2008, b). Les femmes utilisent les transports en commun plus que les hommes et effectuent des distances plus réduites, alors que les hommes voyagent souvent avec leur propre voiture et sur des plus longues distances (Johnsson-Latham, 2007). Les femmes perçoivent les émissions de gaz à effet de serre comme une menace plus grande que les hommes. Les femmes tendent aussi à acheter des voitures plus petites, consommant moins d’essence, voire plus propres : cependant, ce choix ne reflète pas une conscience environnementale plus aigüe, mais plutôt des besoins et des moyens financiers différents. Finalement donc, les femmes produisent moins d’émissions de gaz à effet de serre que les hommes : une Française émet 32,3 kilos de CO 2 par jour en moyenne, et un Français 39,3 kilos (Wurtz, 2011). Ces différences proviennent principalement d’écarts en matière de consommation de viande et d’utilisation de la voiture. On retrouve le même phénomène, plus ou moins contrasté, dans les autres pays européens (EIGE, 2012). Comment expliquer ces écarts ? Les modes de consommation, qui sont responsable en grande partie de l’empreinte écologique, sont évidemment influencés par le niveau de revenu et le niveau social : ceux des femmes reflètent des revenus en moyenne inférieurs à ceux des hommes. Elles achètent plus souvent les produits de base les moins chers (nourriture, articles ménagers, vêtements). Les hommes gagnent et dépensent plus que les femmes, et ils réalisent en général des achats importants : maison, voiture, matériel électronique (OECD, 2008, a). Il est estimé que les femmes réalisent 80% des décisions d’achats, mais que les hommes dépensent plus de 80% du revenu du foyer, même si ces pourcentages tendent à évoluer (Yaccato, 2007 in OECD, 2008, a). Mais le genre est une variable importante ; les modes de consommation traduisent les identités et rôles de genre, et des conceptions différentes de la société et de soi, au-delà des moyens financiers de chacun (OECD, 2008, a). En conclusion, les femmes semblent plus sensibles aux enjeux environnementaux et se sentent plus concernées par les impacts de la dégradation écologique. Elles se disent également plus souvent prêtes à adapter leurs modes de consommation et leurs pratiques quotidiennes afin de tenir compte de l’environnement et adoptent déjà en moyenne des comportements plus écoresponsables que les hommes. En termes de solutions aux problèmes environnementaux, les femmes croient plus à la transformation des comportements qu’au rôle des instruments économiques ou des 51 technologies. Leur empreinte écologique est plus faible, elles contribuent moins aux émissions de gaz à effet de serre que les hommes. Quant à l’environnement, il y a donc bien des différences marquées entre les femmes et les hommes. Ces différences semblent à la fois trouver leurs origines dans les identités et rôles sociaux de genre qui les accroit en retour: le rôle des femmes en matière d’environnement est d’autant plus important qu’elles sont responsables en majeure partie des tâches domestiques et familiales (rôle clé en matière de consommation durable). Cette division sexuée des tâches fait des femmes des actrices essentielles du développement durable. Si les femmes démontrent une attitude globalement plus responsable et impliquée face à la crise environnementale, elles sont aussi plus vulnérables à ses effets. . II) Les femmes, victimes ou actrices face aux conséquences des changements environnementaux ? A travers le monde, les femmes sont plus vulnérables aux risques environnementaux ; cette inégalité face aux impacts des dégradations écologiques semble trouver sa source, entre autres, dans la division sexuée des activités : les inégalités de répartition des tâches qui en résultent pourraient alors être renforcées par la crise environnementale et les effets du changement climatique. Les femmes ont toutefois des ressources spécifiques pour faire face aux déséquilibres qui en résultent. 1) Les femmes plus vulnérables face aux environnementales et au changement climatique dégradations Le plus récent rapport du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), datant de 2014, établit que selon tous les scénarios, les températures moyennes mondiales vont continuer d’augmenter au cours du 21ème siècle ; les océans et les mers vont se réchauffer, la couverture de glace en Arctique et en Antarctique va diminuer et le GIEC estime probable voire très probable la tendance à la multiplication des épisodes de fortes précipitations et sécheresses (GreenFacts). En 2001 déjà, un rapport du GIEC affirmait que le climat se réchauffait à un rythme accéléré et soulignait la responsabilité humaine dans cette évolution. Ce rapport établissait aussi que les pauvres des pays du Sud seraient les premiers et les plus touchés par les effets 52 des changements climatiques, et notamment les agriculteurs pauvres (IPPC, 2001). Ces personnes ont en effet peu de ressources face aux conséquences des événements climatiques. Or dans le monde, les femmes constituent près des deux tiers (70%) des personnes vivant dans la pauvreté absolue, c’est-à-dire avec moins d’un ou deux dollars par jour selon les pays35 (UNDP- GCCA, 2012). Ce phénomène est souvent décrit par l’expression « féminisation de la pauvreté ». Les femmes sont donc particulièrement vulnérables au changement climatique et à ses effets, dans les pays développés comme dans les pays en développement. Ces effets varient selon les régions, et il faut noter que les femmes vivant dans certains pays, les plus âgées, celles en situation de handicap, avec des bas revenus, appartenant à certains groupes ethniques ou encore les migrantes sans papiers sont encore plus affectées que les autres. « L’environnement est un élément déterminant du maintien des moyens d’existence » (OCDE, 2001) et a fortiori pour les plus pauvres : presque les trois quarts des personnes les plus pauvres de la planète (vivant avec moins de deux dollars par jour) dépendent directement de leur environnement et des ressources naturelles qui s’y trouvent pour survivre chaque jour (World Resources Institute et al., 2008). Mais cet environnement et les ressources naturelles associées sont de plus en plus menacés. De manière encore plus certaine que le changement climatique, le modèle économique actuel de production et de consommation entraine de lourdes pressions sur les écosystèmes et la biodiversité, dont la « bonne santé » est pourtant essentielle à la vie humaine. Des détériorations durables sont à prévoir : déforestation, pénuries d’eau, dégradation des sols, pollutions multiples. Les effets néfastes de ces changements se font déjà sentir dans de nombreux domaines : l’agriculture et la sécurité alimentaire, la santé humaine, les installations et habitats humains et les schémas de migrations. Ces problèmes environnementaux, qui iront en augmentant du fait des changements climatiques, créent de fait plus de tensions sur les ressources naturelles dont les femmes pauvres et leurs familles dépendent (ILO, 2009). Ils sont donc des menaces directes pour les femmes, dont les conditions de vie risquent de se dégrader de plus en plus. Ils auront probablement un impact croissant en termes de santé et génèrent déjà plus de risques pour les femmes en termes de santé sexuelle et reproductive notamment. En 35 Définition de la pauvreté absolue de la Banque Mondiale : elle correspond à « un niveau de revenu nécessaire pour assurer la survie des personnes ». Le seuil utilisé dépend du niveau de développement des pays : il est de « $ 1 par jour » (pour les pays d’Afrique subsaharienne, par exemple) ou de « $ 2 par jour » (pour les pays d’Amérique latine et certains pays d’Asie). Définition disponible sur: http://www.haut-conseilegalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/fiches-de-synthese-5/article/les-femmes-pauvres-parmi-les 53 outre, le risque de décès dû à des catastrophes naturelles est quatorze fois plus élevé pour les femmes (Le Monde selon les femmes, 2012). Souvent, les filles n’ont pas été encouragées à apprendre à nager ou à monter aux arbres en raison de normes culturelles et de représentations sociales sexuées, alors qu’il s’agit de savoirs vitaux en cas d’inondation par exemple. C’est pour cette raison que beaucoup plus de femmes ont péri lors du tsunami qui a frappé le Sri Lanka en décembre 2004 (Oxfam). Les femmes sont moins éduquées, et ne sont souvent pas impliquées dans les décisions familiales et politiques qui affectent leurs vies. Les femmes sont aussi plus nombreuses parmi les personnes âgées, qui sont les plus à risque en cas d’événement climatique extrême. Elles constituent également 20 millions des 26 millions de personnes estimées avoir été déplacées en raison du changement climatique. Comment expliquer cette plus grande vulnérabilité des femmes face aux risques environnementaux ? Et quel est l’impact de la crise environnementale sur les femmes et leurs activités? 2) Des différences Nord-Sud : enjeux environnementaux, inégalités de travail et vulnérabilité Les inégalités de travail au sens large, c’est-à-dire rémunéré et domestique, affectant les femmes à travers le monde constituent un facteur multidimensionnel majeur de vulnérabilité. Les enjeux sont néanmoins différents dans les pays du Sud et dans les pays du Nord. a) Au Sud, l’impact de la crise écologique sur le travail des femmes risque d’accroitre les inégalités. Dans les pays du Sud, les tâches qui incombent aux femmes sont multiples et pesantes, allant de l’approvisionnement en eau et en énergie à la préparation des repas, en passant par l’agriculture etc. Elles ont un rôle majeur dans la production de nourriture, représentant dans certaines régions plus de 70% de la main d’œuvre paysanne et produisant jusqu’à 80% des ressources alimentaires (ONU Femmes 36 ; OCDE). Dans le contexte de la crise environnementale, accentuée par les effets du changement climatique, les sources traditionnelles de nourriture sont moins prévisibles et se raréfient. Les pertes ou endommagements de récoltes, souvent seules sources de revenus et de nourritures 36 Information disponible sur : http://femmes.durable.com/a-femmes-contre-la-pauvrete-et-la-famine ; 54 pour les femmes, conduisent à une augmentation des prix alimentaires, rendant la nourriture plus difficile d’accès pour les plus pauvres. Une étude portant sur 25 pays d’Afrique subsaharienne a révélé que 71% de celles et ceux qui vont chercher de l’eau dans la région sont des femmes et des filles. La raréfaction voire l’épuisement de la ressource en eau contraint celles-ci à effectuer de plus longues distances pour aller puiser de l’eau. Cela les rend plus vulnérables à la violence et peut aussi être un obstacle à l’éducation des filles, tout en réduisant le temps passé à des activités génératrices de revenus (ONU Femmes). La dégradation de la qualité de l’eau, possiblement causée par des activités humaines polluantes proches est aussi un enjeu majeur pour les femmes, leur santé et celle de leurs familles ; elle a aussi des conséquences en termes d’augmentation du temps nécessaire à la réalisation de ces tâches. Le phénomène est comparable pour ce qui est du bois, dont la disponibilité diminue à cause de la déforestation, et dont la collecte est principalement du ressort des femmes. Les femmes fournissent la grande majorité des soins au sein de la famille. Il est estimé qu’elles fournissent 70% à 90% des soins aux personnes vivant avec le VIH et le sida, « travail qui vient suppléer les systèmes de santé défaillants, mais demeure généralement non reconnu et non appuyé » (UNIFEM, 2010). Comme l’analyse l’ONG belge Le Monde selon les femmes, ce rôle crucial au sein de la famille est rendu plus difficile par les variations climatiques, qui affectent les cultures, l’existence et la qualité de la ressource en eau, les infrastructures… Pour ces raisons, les besoins en soins de manière générale sont destinés à augmenter, d’où un accroissement de la charge de travail des femmes. La complexification des tâches du quotidien nécessaires à la survie de la famille et/ou du groupe signifie également pour elles un temps diminué pour d’autres activités : formation, emploi rémunéré… (Le monde selon les femmes, 2012). Ce rôle familial limite déjà leur participation économique, politique, civique, et cette situation semble donc devoir empirer avec les conséquences de la crise écologique. Globalement, au Sud, les femmes constituent une population pauvre mais aux responsabilités étendues ; elles doivent supporter les coûts sociaux des plans d’ajustement structurel, et elles sont de plus en plus nombreuses à assumer le rôle et le statut de « chef de famille » mais elles ont un accès limité aux emplois salariés (Guérin, 2003). L’ampleur du travail non rémunéré réalisé par les femmes constitue en effet un désavantage significatif sur le marché de l’emploi face aux hommes qui n’ont pas ces responsabilités supplémentaires. A fortiori, elles souffrent souvent d’inégalités en matière d’éducation et de santé, ce qui les pénalise d’autant plus. Dans les pays du Sud et notamment en Afrique, la majorité des femmes sont employées dans le secteur informel 55 et/ou à des postes peu qualifiés (OCDE). Peu de femmes sont salariées hors du secteur agricole : moins de 20% en Asie du Sud, de l’Ouest et Afrique du Nord ; moins de 40% en Afrique subsaharienne et Asie du Sud-Est (ONU, 2013). Selon l’UNIFEM, plus de la moitié des femmes du monde (53%) travaillent dans des emplois précaires en tant que travailleuses familiales non rémunérées et travailleuses indépendantes ; en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, 80% des travailleuses possèdent ce type d’emplois considérés comme vulnérables 37 (UNIFEM, 2010). La crise environnementale et le changement climatique sont susceptibles d’exclure encore plus les femmes du marché du travail rémunéré et d’accentuer la précarité des femmes en emploi, en augmentant leur charge de travail domestique. b) Au Nord : inégalités hommes-femmes au travail et précarité dans la crise environnementale La précarité est comme on l’a vu synonyme d’une plus grande vulnérabilité aux effets des changements climatiques et des dégradations environnementales. Or dans les pays du Nord, les femmes sont davantage confrontées à la pauvreté que les hommes : ainsi, dans l’ensemble des pays de l’Union européenne en 2010, le taux de pauvreté des femmes est plus élevé que celui des hommes 38. Cette plus grande précarité des femmes s’explique principalement par leur situation d’emploi. Selon le Réseau Européen AntiPauvreté, en Europe, les femmes sont plus à risque en termes de pauvreté que les hommes car elles sont moins susceptibles d’avoir un emploi rémunéré, elles ont souvent accès à des emplois moins bien rémunérés, et qu’elles touchent généralement de plus petites pensions (EAPN). En France39, le premier facteur identifié par l’INSEE à l’origine de cet écart des niveaux de vie selon le sexe tient au fait que les femmes sont dans des situations familiales plus fragiles : « elles sont plus souvent seules ou mono-parent » (Jourdan et al., 2010). Deuxième facteur de précarité, les femmes sont moins souvent en emploi, a fortiori les moins diplômées. Enfin, lorsqu’elles ont un emploi, elles perçoivent des rémunérations plus faibles ; le temps partiel est une source de paupérisation, notamment pour les Les emplois précaires ou vulnérables selon l’OIT, correspondant aux « travailleurs à leur propre compte » et aux « travailleurs familiaux non rémunérés ». L’emploi vulnérable se caractérise par une rémunération insuffisante, une faible productivité, des conditions de travail difficiles et un manque de respect des droits fondamentaux au travail et d’accès aux avantages sociaux ou aux programmes de protection sociale. Repéré sur : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/fiches-de-synthese-5/article/lesfemmes-pauvres-parmi-les 38 Le taux de pauvreté des femmes est de 17,1 % contre 15,7 % pour les hommes en 2010 (L’Observatoire des Inégalités, 2012) 39 « Le taux de pauvreté féminin était de 8,2 % en 2011, tous âges confondus, contre 7,7 % pour les hommes. Après 75 ans, il y a deux fois plus de femmes pauvres que d’hommes ». (L’Observatoire des Inégalités, 2013, b) 37 56 personnes les moins qualifiés ; or comme on l’a vu en première partie, la majorité des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Les femmes exercent aussi en moyenne plus d’emplois peu qualifiés, et dans des secteurs moins valorisés et moins rémunérateurs (Jourdan et al., 2010). Cette situation d’emploi défavorable, détaillée dans le chapitre 1, s’explique entre autres par le poids des activités domestiques non rémunérées qui pèse surtout sur les femmes, en France comme dans les pays du Nord en général. Le constat est donc le suivant : la précarité et la pauvreté des femmes tiennent principalement à leur situation d’emploi, dont les spécificités sont porteuses de précarité, notamment en raison des inégalités de répartition des obligations familiales. Cette précarité, et les inégalités économiques associées se traduisent dans les pays du Nord par un moindre accès aux ressources nécessaires pour s’adapter aux impacts du changement climatique : financement, technologie et information. Les femmes, et en particulier les mères célibataires et les femmes âgées, aux revenus les plus faibles, sont de fait « défavorisées lorsque des mesures onéreuses d’adaptation sont requises » (EIGE, 2012). En cas de conditions climatiques extrêmes ou d’expériences stressantes engendrées par des catastrophes, davantage de victimes sont recensées chez les femmes. Lors de l’ouragan Katrina aux Etats-Unis, les femmes ont compté parmi les personnes les plus durement touchées et qui eurent le plus de difficultés à se rétablir. Elles n’avaient pas les moyens financiers ou pas d’accès aux fonds pour couvrir les pertes occasionnées par des événements climatiques (OECD, 2008, a ; UNDPP-GCCA, 2012). En Europe, 70% des personnes décédées lors de la vague de canicule en 2003 étaient des femmes (WEN, 2007). Dans l’ensemble, dans les pays du Nord, les plus pauvres sont les plus vulnérables en termes de santé ; or les problèmes environnementaux ont un impact croissant sur le bien-être et sur la santé. En milieu pauvre urbain, les personnes sont notamment plus à risque en cas de vagues de canicule (IPCC, 2001). Comme dans les pays du Sud, les impacts sur la santé se traduisent par des besoins plus importants en termes de soins, occasionnant une charge supplémentaire pour les personnes qui les prodiguent en majorité, c’est-à-dire les femmes. Les conséquences des évènements climatiques et des problèmes environnementaux en général affectent ainsi les femmes, et notamment les mères célibataires, de manière disproportionnée en raison de leur plus grande pauvreté. Mais elles aggravent aussi leur précarisation (OECD, 2012, a). Ils sont notamment susceptibles de générer une augmentation des prix de l’énergie, des transports, de l’alimentaire, affectant 57 d’abord ces populations. Les femmes encourent par exemple un plus grand risque de pauvreté énergétique que les hommes (EIGE, 2012). Les femmes les plus pauvres auront des difficultés à assumer les taxes environnementales mises en place dans le cadre de politiques publiques environnementales, payant ainsi doublement les conséquences des dégradations du milieu de vie. Au Sud comme au Nord, les femmes sont plus exposées aux risques environnementaux, principalement parce qu’elles sont en moyenne en situation de plus grande précarité économique ; cette précarité étant elle-même le résultat d’une division inégale des tâches entre hommes et femmes et des représentations associées. En outre, les conséquences des dégradations environnementales et du changement climatique entrainent la complexification de nombreuses tâches incombant aux femmes dans les pays du Sud, et risquent d’accentuer les inégalités existantes entre hommes et femmes au Sud comme au Nord. Pourtant, bien qu’elles puissent être les plus durement atteintes par les problèmes environnementaux, « les femmes représentent également une part essentielle de la solution » (Le Monde selon les femmes, 2012). 3) Connaissances et compétences environnementales femmes : un potentiel d’action qui reste inexploité des Considérer les femmes uniquement comme des victimes est une conséquence des inégalités de genre : les femmes sont certes plus vulnérables à la dégradation de l’environnement, pourtant, des études ont pointé l’expertise des femmes dans de nombreux domaines comme la sylviculture, l’agriculture, la santé animale, l’énergie, la protection de l’environnement. Les femmes sont aussi des actrices clés du développement durable et de l’adaptation aux problèmes environnementaux. Dans les pays du Sud, en raison de la répartition des activités décrite plus haut, elles sont majoritaires dans la gestion communautaire des ressources naturelles (eau, énergie, cultures et alimentation…), souvent sans en être propriétaires ou en avoir le contrôle (le Monde selon les femmes, 2012). Selon ONU Femmes, « les femmes jouent un rôle crucial dans la préservation des écosystèmes fragiles et dans la gestion juste, efficace et durable des ressources naturelles ». De fait, elles possèdent des connaissances et compétences uniques en matière d’environnement et ont développé une forte capacité d’adaptation aux contraintes environnementales ; connaissance de la biodiversité et de la 58 nécessité de maintenir les équilibres naturels, savoirs ancestraux sur les vertus des plantes médicinales, sylviculture etc. Malgré tout, selon ONU Femmes, « leurs contributions ne sont généralement ni reconnues ni appréciées à leur juste valeur ». Leurs responsabilités familiales les poussent à développer des stratégies d’adaptation aux évolutions de leur environnement, afin d’assurer la vie de leurs familles et de leurs communautés sur le long terme, ce qui suppose le respect du cycle écologique et l’entretien des écosystèmes. Cette motivation forte rendrait les femmes plus susceptibles de partager l’information bénéfique à la communauté, de choisir les sources d’énergie moins polluantes et de s’adapter plus facilement aux changements de leur environnement. L’expérience a montré que les communautés supportent mieux les catastrophes naturelles quand les femmes ont un rôle prégnant dans les systèmes d’alertes et dans la phase de reconstruction (ILO, 2009). Au Nord comme au Sud, du fait de leurs responsabilités au sein du foyer, les femmes déterminent en grande partie les tendances de consommation. Ainsi les femmes peuvent jouer un rôle fondamental dans l'adoption de modes de consommation, de gestion des ressources naturelles et de production durables et écologiquement rationnels. A cela s’ajoute leur rôle primordial dans le soin et l’éducation des enfants, par le biais duquel les femmes peuvent sensibiliser les jeunes et leur transmettre un mode de vie plus respectueux de l’environnement. L’enquête réalisée par WEN en 2007 démontre l’’importance décisive des femmes (britanniques) comme consommatrices, éducatrices et agents du changement, montrant l’exemple autour d’elles et incitant à l’adaptation leurs modes de vie, véritable nécessité pour parvenir à des réductions des émissions des CO2. Les femmes ont montré leurs capacités d’association, d’adaptation et d’innovation pour la préservation de l’environnement dans de nombreuses situations à travers le monde : on peut citer le mouvement de la Ceinture Verte au Kenya, initié par Wangari Maathai, dans lequel des groupes de femmes replantent des milliers d’arbres ; le mouvement Chipko à travers lequel de nombreuses femmes indiennes ont permis un taux de survie des arbres de 60 à 80%, contribuant ainsi à la réduction des glissements de terrains et pourvoyant de la nourriture et des ressources énergétiques ; la lutte des femmes allemandes contre les centrales nucléaires dans leur pays ; la mobilisation des femmes nigérianes pour protester contre les entreprises pétrolières et leurs activités très polluantes dans le Delta du Niger; ce mouvement a débouché sur une condamnation de ces pratiques par les cours de justice nigérianes (UNDP-GCCA, 2012) etc. Dans leur ouvrage, Vandana Shiva et Maria Mies ont mené un examen approfondi de ces luttes locales de femmes réunies indépendamment de 59 leurs origines raciales, ethniques, culturelles ou de classe autour d’une préoccupation commune, la protection de l’environnement (Mies et Shiva, 1993). Les connaissances et compétences spécifiques des femmes, leur potentiel d’action face aux changements environnementaux à risque sont toutefois limités par les inégalités de genre auxquelles elles sont confrontées : les inégalités dans la répartition du travail et donc de la richesse, dont on a vu qu’elles tendaient à se creuser du fait des conséquences des dégradations environnementales, sont renforcées dans les pays du Sud par des inégalités liées aux normes et traditions sociales. Les femmes ont des droits plus restreints que les hommes et leur statut est juridiquement inférieur : le code familial qui prévaut dans nombre de pays africains est défavorable aux femmes (OCDE). Les femmes ont un accès limité à la propriété ce qui signifie une absence de contrôle des femmes sur la terre et les ressources dont elles dépendent pour vivre, contribuant à rendre leurs conditions d’existence plus précaires. Cela tient principalement à des pratiques discriminatoires en matière d’héritage, à un accès inégal au marché foncier et aux réformes agraires sur lesquelles les femmes ont peu ou pas d’influence (Sustainlabour, 2009 ; UNIFEM, 2010). Ainsi, alors même qu’elles produisent près de 80% de la nourriture en Afrique, seules 15% des femmes sont propriétaires terriennes. L’absence de possessions de terres a des répercussions négatives sur l’accès à d’autres ressources : les terres servant de garantie : ainsi les femmes se voient souvent refuser les prêts bancaires et autres services financiers (UNIFEM, 2010). 60 Graphique 4 : Disparité vis-à-vis de la propriété des terres entre les hommes et les femmes Source : UNIFEM, 2010 L’accès à l’éducation, à la formation et à la technologie est aussi plus difficile pour les femmes des pays du Sud. Le taux d’alphabétisation des femmes augmente plus vite que celui des hommes mais 64% des adultes analphabètes sont des femmes et les deux tiers des enfants non scolarisés sont des filles (Oxfam). Il y a de grandes disparités suivant le niveau d’enseignement et les zones régionales (ONU, 2013). En ce qui concerne l’accès à la technologie, 29% des femmes utilisent Internet, contre 33% des hommes, ce qui représente un écart de 16% alors qu’il est de seulement 2% dans les pays du Nord (ONU, 2013). En outre, leurs possibilités de participation à la décision politique et leur pouvoir décisionnel à la maison, bien qu’en augmentation, peuvent encore beaucoup s’améliorer (ONU, 2013). Les barrières économiques, sociales et politiques limitent les capacités d’adaptation des femmes, et les rendent plus dépendantes de leur environnement naturel pour vivre au jour le jour, alors même que cet environnement est de plus en plus sous pression. 61 On distingue alors un double mouvement dans lequel les inégalités globales hommes-femmes, principalement en termes d’activité, de répartition des tâches et de pouvoir participent à la plus grande vulnérabilité des femmes aux problèmes environnementaux : les femmes sont parmi les plus pauvres, leurs responsabilités familiales et domestiques sont souvent directement liées à leur environnement et aux ressources naturelles disponibles et peuvent s’en trouver alourdies ; et leur capacité à agir pour trouver des solutions aux problèmes d’ordre environnemental est contrainte par un statut et des droits inférieurs à ceux des hommes au Sud, et par une plus grande pauvreté et un pouvoir décisionnel limité au Nord. En retour, les problèmes environnementaux et climatiques pourraient exacerber les inégalités existantes en termes d’activité et d’articulation des temps de vie entre hommes et femmes : elles doivent dédier plus d’heures de leur temps au travail domestique et familial, sont plus touchées que les hommes en cas de catastrophe naturelle. En résumé, les femmes sont à la fois particulièrement sensibles aux enjeux environnementaux, prêtes à adapter leurs comportements ou mettant déjà en œuvre des stratégies d’adaptation face aux risques environnementaux. Leur empreinte écologique est plus faible que celle des hommes mais elles sont plus vulnérables aux problèmes environnementaux. Malgré des ressources socio-économiques limitées, elles ont un véritable potentiel d’action pour la préservation de l’environnement. Pour toutes ces raisons, il semble évident que les femmes ont leur mot à dire dans la gestion de l’environnement et les processus de décision politique associés. Or elles en sont largement exclues. D’une part, les inégalités et les discriminations auxquelles elles sont confrontées se traduisent par une faible participation des femmes à la prise de décision et aux politiques en matière d’environnement ; d’autre part, la dimension de genre est encore peu prise en compte dans les politiques environnementales et de développement durables. Les connaissances et compétences multiples des femmes en matière d’environnement constituent des ressources précieuses mais inexploitées dans la lutte contre les dégradations de l’environnement et dans les stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Les inégalités de répartition à la fois du travail et de ses fruits, et du pouvoir économique et décisionnel, rendent donc les femmes doublement vulnérables et limitent la capacité de résistance des Etats aux phénomènes climatiques, qui se privent ainsi d’un potentiel et de ressources. Des liens particuliers se tissent entre femmes et environnement, à la fois porteurs de menaces mais aussi d’opportunités, pour elles, comme pour l’environnement. Les 62 inégalités qui les touchent sont à la fois causes et conséquences des problèmes environnementaux dans la mesure où ceux-ci accentuent les inégalités existantes. Cela montre à quel point les deux volets environnemental et social du développement durable sont interdépendants: lutter contre les dégradations environnementales, c’est empêcher que les inégalités sociales et notamment de genre se renforcent ; mais lutter contre les inégalités de sexe en intégrant les femmes, c’est aussi donner une chance de plus à la réussite des politiques environnementales. Ainsi, donner plus de place aux femmes dans la gestion environnementale, prendre en compte les aspects genrés du changement climatique et de ses conséquences, favoriser leur participation aux décisions en matière d’environnement sont les conditions d’une réponse plus efficace à la crise écologique globale, faisant progresser l’égalité. III) De l’importance de prendre en compte le genre et les femmes dans les processus de décision en matière d’environnement et de développement durable : Déclaration du Sommet nordique, Conseil des ministres nordiques, 2009 (in EIGE, 2012) : «nous avons besoins des talents et des ressources de chacun. Les hommes et les femmes pensent différemment et contribuent de façon différente aux solutions. Pour préserver cette diversité, les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes chances d’influencer et de bénéficier des investissements réalisés pour lutter contre le changement climatique (adaptation/atténuation). Ce processus rendra les hommes et les femmes égaux et en fera des partenaires et des citoyens collaborant à part entière.» Hommes et femmes ne sont pas affectés de la même manière par le changement climatique et ont des responsabilités, des besoins et des possibilités différentes en termes de ressources naturelles et d’atténuation des effets du changement climatique (UNDPGCCA, 2012). Les identités et les rôles construits socialement ainsi que les rapports sociaux de sexe influent sur la façon dont les femmes et les hommes contribuent, ressentent, et réagissent au changement climatique (EIGE, 2012). Toutes ces différences 63 de genre doivent donc être prises en considération lors de l’élaboration des politiques et des actions de lutte contre le changement climatique. Cet enjeu a fait l’objet d’une prise de conscience relativement récente sur la scène internationale, où sont décidées les grandes orientations en matière de politique environnementale et climatique mondiale. 1) La prise en compte croissante du genre par la communauté internationale dans les questions environnementales et climatiques Le genre fut pendant longtemps une variable invisible, voire inexistante dans les programmes de préservation de l’environnement. L’idée que les aspects de genre sont indissociables des questions d’environnement et que le développement durable doit les prendre en compte (Le monde selon les femmes, 2012) est relativement récente (Le Monde selon les femmes, 2012). Cette prise de conscience des liens entre inégalités de genre et enjeux environnementaux s’est notamment traduite en deux objectifs liés : le besoin de tenir compte du genre dans les politiques et programmes d’action environnementaux et climatiques et la nécessité d’intégrer les femmes aux processus de prise de décision politiques dédiés. Nous allons voir ce qu’il en est dans les instances chargées des questions de développement durable et dans celles chargées de la lutte contre le changement climatique. a) L’intégration de la notion de genre au DD Depuis l’origine de la notion, le développement durable comprend trois dimensions indissociables : la viabilité économique, le progrès social, et la préservation de l’environnement. Via son volet social et ses objectifs d’équité sociale et de lutte contre la pauvreté, le développement durable intègre l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais ajouter la problématique de genre au développement durable c’est rendre encore plus criante l’interdépendance des problématiques du développement durable : « Dans une perspective de genre, le développement durable implique des changements dans le rapport des hommes et des femmes à la propriété, au travail, à la culture et au développement personnel » (Falquet, 2002). Cette idée clé a notamment été établie dans le cadre onusien : le développement durable et l’approche genre sont croisés depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992 et la Conférence de Pékin en 1995. 64 La déclaration de Rio, qui a clôturé le sommet de la Terre de l’ONU à Rio en 1992, stipule que « la pleine participation des femmes est essentielle à la réalisation d’un développement durable ». Dans le cadre de la Conférence de Rio avait lieu également le premier Congrès mondial des femmes pour la santé de la planète, patronné par la Women’s Environnement and Development Organization (WEDO) et rassemblant à Miami des femmes venues de 83 pays. Le succès de ce congrès se reflète dans le document de la conférence de Rio, le programme d’Action 21, approuvé à cette occasion par les Etats présents. Celui-ci comprend plus d’une centaine de références aux rôles des femmes en matière d’environnement et de DD et un chapitre 24 intitulé « Action mondiale en faveur de la participation des femmes à un développement durable et équitable ». Il y est notamment déclaré que leur « participation active aux décisions économiques et politiques » est essentielle à la mise en œuvre effective du programme Action 21 (Le Monde selon les femmes, 2012) Vingt ans plus tard le document final de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable de Rio+20 réaffirme le lien entre ces enjeux : « Nous insistons sur le fait que les femmes ont un rôle essentiel à jouer dans le développement durable. Nous reconnaissons le rôle de premier plan qu’elles jouent et nous sommes déterminés à promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et à assurer leur participation pleine et effective aux politiques, programmes et processus de prise de décisions à tous les niveaux en matière de développement durable ». C’est la conférence de Pékin qui a fait avancer de manière concrète la promotion de la perspective de genre dans le domaine du développement durable (Falquet, 2002). La « Déclaration et Programme d’action de Pékin », adopté à l’unanimité par les hauts dirigeants du monde entier lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995, a défini douze domaines prioritaires d’intervention, se déclinant en un ensemble d’objectifs stratégiques et de mesures à prendre. L’un d’eux porte sur les femmes et l’environnement et a été décliné en trois objectifs stratégiques : « assurer une participation active des femmes aux prises de décisions concernant l’environnement à tous les niveaux » ; « intégrer les besoins, préoccupations et opinions des femmes dans les politiques et programmes en faveur du développement durable » ; « renforcer ou créer des mécanismes aux niveaux national, régional et international pour évaluer l’impact des politiques de développement et de gestion de l’environnement sur les femmes » (UN, 1995). La participation des femmes à la prise de décision dans le domaine du développement durable a été posée de nouveau comme objectif stratégiques du Programme d’action Pékin+5 de l’ONU. « Cela passe par la facilitation de leur accès à l’information et à 65 l’éducation, notamment dans les domaines des sciences, de la technologie et de l’économie » (ONU, 2000). Le Programme des Nations Unies pour le Développement propose quant à lui depuis 1995 un indice de développement humain (IDH) permettant de mesurer le développement durable en intégrant les aspects de genre (relations socioculturelles, économiques et politiques entre les hommes et les femmes) (Le Monde selon les femmes, 2008). Il est intéressant de noter aussi la naissance et l’existence de plusieurs courants de pensée nés de l’intégration de la problématique de genre aux questions de développement et notamment de développement durable : « femmes, environnement et développement (WED) et « genre et développement durable (GAD) ; ces mouvements vont pointer des éléments comme l’étroite dépendance des femmes envers leur environnement et leur rôle dans la défense de cet environnement ; ils vont essayer de comprendre d’où viennent les perceptions, intérêts, impacts différenciés sur l’environnement en fonction du genre. Ils vont aussi souligner le risque menant à considérer les femmes comme de simples objets de politiques de développement durable (Falquet, 2002). b) Réponse de la communauté internationale au changement climatique et égalité de genre L’égalité de genre n’est pas mentionnée dans la Convention Cadre de l’ONU sur le Changement Climatique (CCNUCC) entrée en vigueur en 1994, qui constitue le cadre international légal en termes d’action relative au changement climatique, et pourtant adoptée lors du Sommet de la Terre de Rio. Elle n’apparait pas dans les conférences des Parties à la Convention qui ont suivi chaque année, dont celle du Protocole de Koyto de 1997 (COP3), le premier traité international visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La notion de genre a été évoquée pour la première fois dans le texte de la résolution de COP 7 à Marrakech en 2001, mais a de nouveau disparu jusqu’à la Conférence des Paris de Cancun en 2010. Ce n’est finalement qu’à Doha en 2012 que les parties ont reconnu la nécessité pour les femmes d’être représentées dans tous les aspects du processus de la CCNUCC, à travers notamment la participation aux délégations nationales et aux différents groupes formels ou informels de négociation. Aucun des mécanismes de financement mis en place autour de la lutte contre les émissions et contre le changement climatique ne prend en compte la situation et les besoins spécifiques des femmes (ILO, 2009). 66 Il semble donc qu’en ce qui concerne les politiques et négociations climatiques, le genre fasse l’objet d’une prise en compte limitée. Selon l’Institut Européen pour l’Egalité entre les hommes et les femmes (EIGE), « la lutte contre le changement climatique est encore souvent considérée comme une politique neutre aux spécificités des genres ». Pourtant d’autres institutions internationales et de nombreux rapports et études appellent à une plus grande préoccupation internationale autour du genre, au nom de plusieurs avantages, à la fois pour l’environnement et pour les droits des femmes. Intégrer une approche de genre dans la définition et la mise en œuvre des politiques et lois en matière environnementale est un moyen de prendre en compte et répondre aux impacts différenciés de la dégradation environnementale selon le genre, qui sont exacerbés par le changement climatique (ILO, 2009). Selon l’OCDE, une approche plus équilibrée et plus efficace pourrait être développée si les processus de négociation internationaux sur le climat et si les politiques climatiques nationales prenaient en compte les aspects de genre (OECD, 2008, a). L’ONU recommande d’intégrer la perspective de genre dans les quatre domaines critiques de la réponse au changement climatique : atténuation, adaptation, transferts de technologie, et financement. Les femmes doivent être consultées et inclues dans toutes les initiatives relatives au changement climatique (UN, 2009) Ici apparait donc l’idée selon laquelle les politiques environnementales et climatiques peuvent être plus efficaces et renforcer l’égalité si elles prennent en compte les enjeux liés au genre (EIGE, 2012). Il se trouve que la participation des femmes aux processus de prise de décision environnementaux est un enjeu clé pour garantir que la perspective de genre et que les questions spécifiques aux femmes soient prises en compte dans les politiques environnementales (UN, 2010). La nécessité d’associer les femmes aux décisions a été établie lors de la Conférence de Rio en 1992, comme vu plus haut. Il y a donc lieu de se demander maintenant qui planifie et prend les décisions et comment la planification et les décisions sont prises en matière de politique environnementale. 2) Une nécessaire participation des femmes aux politiques et processus de décision en matière d’environnement a) La sous-représentation des femmes en politique : une autre forme d’inégalité de travail « Une participation accrue des femmes à la gestion des affaires publiques » (Guérin, 2003) est une condition de réalisation de l’égalité réelle entre hommes et femmes. L’égalité 67 de genre fait partie des droits fondamentaux, et elle doit donc être promue à tous les niveaux. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) stipule que les femmes soient représentées dans la vie politique et publique sur un pied d’égalité avec les hommes. Les inégalités en termes d’activité et de travail se retrouvent néanmoins dans la sphère politique, où les femmes sont sousreprésentées voire exclues dans certains pays. Dans les démocraties, les femmes ont souvent acquis la citoyenneté plus tardivement que les hommes. Devenues électrices, elles sont toujours moins élues ou nommées à des postes décisionnels que les hommes. Au niveau mondial, en 2014, seules 17,2% des postes ministériels sont occupés par des femmes, et celles-ci ne représentent que 21,8% des parlementaires. 36 pays comptent 30% de femmes ou plus parmi leurs ministres et 46 pays comptent plus de 30% de femmes dans au moins une chambre parlementaire. Parmi ces pays, nombreux sont ceux qui ont recouru à des quotas (ONU Femmes, 2014 ; Union Interparlementaire, 2014). En 2010, 29 pays avaient atteint ou dépassé les 30% de femmes au parlement, parmi lesquels 24 avaient recouru à des quotas (UNIFEM, 2010). a) Une participation limitée des femmes à la prise de décision politique en matière environnementale Aussi bien la science des changements climatiques que la définition des politiques correspondantes sont depuis longtemps et restent dominées par les hommes. Au GIEC, comme lors des conférences de négociations climatiques et environnementales, les femmes sont sous-représentées (Le Monde selon les femmes, 2012). Les femmes ont pu néanmoins s’investir de plus en plus à travers la société civile mondiale. Mais elles n’exercent qu’une minorité des postes décisionnels politiques relatifs à l’environnement. L’une des méthodes pour évaluer de la participation des femmes aux décisions environnementales est d’analyser si les Etats nomment des femmes dans les délégations environnementales internationales, et par exemple, lors des Conventions organisées par l’ONU. Les décisions relatives au changement climatique se prennent au sein de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), lors des réunions annuelles de la Conférence des parties (COP) et de ses organes d’appui 40. Un 40 Les négociations de la COP qui se tiennent une fois par an visent à prendre des décisions de politique internationale, notamment en fixant des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces négociations sont soutenues par es travaux de deux organes appelés « subsidiaires ». L’un d’eux est chargé des conseils scientifiques et techniques la COP ; l’autre participe à l’évaluation de l’application de la convention et s’occupe des questions financières et administratives. Ces organes se réunissent deux fois par an en général (EIGE, 2012) 68 rapport de l’Organisation des Femmes pour l’Environnement et le Développement (WEDO) a conclu à une moyenne de 32% de femmes membres des délégations nationales lors des négociations de l’ONU sur le climat dans le cadre de la CCNUCC, à la fois aux conférences des Parties et aux réunions des organes subsidiaires) entre 2008 et 2012. Les femmes continuent d’être sous-représentées dans les délégations de très nombreux pays, notamment les plus vulnérables aux changements climatiques, et d’une manière générale, surtout aux postes de plus haut niveau. En moyenne sur les cinq ans, 19% de femmes étaient chefs de délégation (WEDO, 2012). Les femmes étaient les plus nombreuses dans les délégations européennes (Est et Ouest) et d’Australie, des Etats Unis et de Nouvelle Zélande (WEDO, 2012). On voit dans le schéma ci-dessous que sur une période plus longue, ces chiffres tendent à être encore moins élevés. Source : http://www.gendercc.net/policy/conferences.html En moyenne, la participation des femmes aux Conférences des Parties annuelles est plus faible que dans les autres réunions. Observons à présent la présence des femmes dans les instances décisionnelles européennes chargées du changement climatique. Au niveau de l’Union Européenne, l’EIGE a proposé des indicateurs pour mesurer la participation des femmes dans la prise de décision en matière de lutte contre le changement climatique dans le secteur public. L’un 69 d’eux concerne le « pourcentage de femmes dans les instances décisionnelles chargées du changement climatique au sein de l’UE ». Source : EIGE, 2012 On peut constater qu’au Parlement européen, le secteur de l’environnement est le plus équilibré en termes de représentation hommes-femmes, ce qui n’est pas le cas à la Commission, où les femmes sont plus présentes aux postes décisionnels de haut niveau dans les institutions en charge de l’énergie et du changement climatique. On peut noter également que les femmes représentent 39,3% des députés européens siégeant dans les commissions du Parlement européen relatives à l’environnement et aux domaines liés, alors qu’elles représentent 35 % des députés européens de la législature 2009-2014 (EIGE, 2012). Cela dénoterait-il un intérêt supérieur des députées européennes pour ces questions ? On peut en faire l’hypothèse. En ce qui concerne la politique nationale, Les créateurs de l’Index Genre et Environnement (EGI) ont élaboré des données sur les ministres de l’environnement et d’autres domaines liés (ressources naturelles, agriculture, énergie, changement climatique, etc.) Sur les 72 pays étudiés dans l’Index, 12 pays ont une ministre de l’Environnement et une ministre d’un domaine lié à l’environnement ; 9 pays ont une ministre de l’environnement ; 6 pays ont une ministre d’un domaine lié à l’environnement (pas le 70 ministère de l’environnement lui-même) ; 45 pays n’ont pas de femmes à la tête d’un de ces ministères (IUCN, 2013). Source : IUCN, the Environment and Gender Index (EGI), 2013 Pilot, Washington, D.C. : IUCN, 2013. 71 L’ONU et L’Union Interparlementaire ont établi que sur l’ensemble des portefeuilles ministériels pris en charge par des femmes en 2014 (1096), 78 sont relatifs à l’environnement, aux ressources naturelles et à l’énergie, ce qui correspond à 7% des portefeuilles. UIP (Union Interparlementaire), Les femmes en politique, 2014 L’EIGE propose également un indicateur identifiant « le pourcentage de femmes dans des instances décisionnelles des Etats membres chargées du changement climatique » c’est-à-dire généralement les ministères de l’environnement, du transport et de l’énergie. 72 Source : EIGE, 2012 Comme le montre ce graphique, à l’échelon national, dans les Etats membres de l’UE, les femmes participent plus au processus décisionnel de haut niveau dans l’environnement que dans les transports et l’énergie. Notons aussi que la présence des femmes aux postes décisionnels de haut niveau varie aussi significativement selon les Etats membres. On retrouve aussi le phénomène du plafond de verre au cœur des ministères de l’environnement : une étude menée sur 17 ministères de l’environnement en 2006 a montré que les femmes constituaient 41% du personnel des ministères, mais seulement 27% d’entre elles occupent des postes décisionnels (UN, 2010). C’est aussi une des conclusions de l’EIGE : plus on monte dans la hiérarchie des postes ministériels, moins les femmes sont présentes. a) Un enjeu pourtant clé pour les communautés, les femmes et l’environnement Une plus grande participation des femmes à la politique environnementale et climatique, et même la parité dans les processus décisionnels est une question d’égalité, de justice et de démocratie. Elle est donc un objectif en soi. Mais elle ouvre aussi la voie à des politiques plus sensibles au genre (EIGE, 2012), et constitue ainsi une condition de meilleure efficacité, légitimité, et justice de cette politique. Pour toutes les raisons qui ont été passées en revue dans les points précédents – les femmes représentent environ la moitié de la population mondiale, elles sont plus vulnérables aux problèmes environnementaux, font 73 face à des inégalités en termes d’activité et de ressources socio-économiques, mais sont des actrices essentielles de l’adaptation et de l’atténuation des effets de ces problèmes – les femmes sont légitimes et doivent être associées à la définition et à la mise en œuvre de politiques publiques relatives aux questions d’environnement et de changements climatiques. C’est un gage d’efficacité dans la mesure où ces politiques reflèteraient et répondraient alors aux besoins de la communauté globale. Ainsi selon l’OCDE, quand les femmes participent à la prise de décision, la probabilité que les politiques publiques reflètent mieux les besoins de l’ensemble des citoyens est plus élevée (OECD, 2008, a). Mais elles sont, comme on l’a vu, sous-représentées dans les instances politiques gouvernementales et parlementaires. Une analyse de l’ADEME à partir d’une enquête datant de 2004 semble confirmer la thèse générale de l’OCDE (par ailleurs logique) à propos des enjeux environnementaux : le monde parlementaire restant très masculin, les valeurs environnementales, portées plus par les femmes, seraient sous-représentées. En d’autres termes, les inégalités professionnelles en politique sont un obstacle à la mise à l’agenda des questions environnementales. Les parlementaires femmes seraient aussi plus proches des perceptions de leurs électeurs en matière d’environnement : 34% croit que « les désordres du climat sont causés par l’effet de serre » et 38% de parlementaires femmes le pensent contre 18% d’hommes. Pour donner un autre exemple, 41 % de la population est favorable au renouvellement du parc de centrales nucléaires ; un avis partagé par 48 % des parlementaires femmes, contre 81 % de leurs homologues masculins. L’OCDE soutient qu’une participation accrue des femmes favoriserait des solutions plus globales ; les hommes dominant dans les domaines de l’énergie, du transport et de l’industrie, l’axe des politiques climatiques tend à être plus d’ordre technologique que comportemental. Les instruments et technologies proposés risquent d’avoir un impact différencié selon le genre, et pourraient affecter les femmes ou ne pas prendre en compte leur place spécifique (OCDE, 2008, a). De même, pour lutter contre les changements climatiques, les femmes préconisent en général une approche plus globale que les hommes ; elles insistent sur l’adaptation des comportements et des modes de vie individuels et collectifs pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (OECD, 2008, a) Mais leur sous-représentation en politique entrave la diffusion de ces arguments. Finalement, il parait intéressant de vérifier s’il est possible d’établir une véritable corrélation entre la participation des femmes aux processus décisionnels et la préservation de l’environnement. 74 Le rapport de WEDO précise qu’’une augmentation de la participation des femmes seule ne va pas transformer le processus de décision sur le climat, ou mener automatiquement à plus d’égalité hommes-femmes. Mais il rappelle que des recherches ont montré que la diversité (de genre, d’âge, de cultures..) dans les processus de décision conduit à des solutions plus efficaces et plus durables (WEDO, 2012). Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la nature (IUCN), des études récentes ont relié la participation des femmes et l’état de l’environnement. C’est le cas notamment du Rapport sur le Développement Humain 2011, qui a montré qu’un développement durable est étroitement lié à la participation des femmes dans la prise de décision en matière environnementale. Le rapport présente les éléments suivants : - Une étude menée sur 25 pays développés et 65 pays en développement a révélé que les pays avec une part plus importante de femmes parlementaires sont plus à même de mettre en place des zones de terres protégées (IUCN, 2013 ; UNDP-GCCA, 2012) - Les pays dans lesquels la représentation parlementaire des femmes est la plus élevée sont plus susceptibles de ratifier des traités internationaux sur les enjeux environnementaux, d’après une étude portant sur 130 pays rassemblant 92% de la population mondiale. (IUCN, 2013). Une autre étude va dans le même sens : les pays dans lesquels les gouvernements comportent une plus grande part de femmes ont signé plus de traités environnementaux que les autres (Norgaard et York, 2005) L’UICN ajoute que le nombre d’ONG dédiées aux questions de genre et d’environnement par personne dans un pays est positivement corrélé avec la réduction de plusieurs formes de dégradation environnementale (IUCN, 2013) Ainsi, il semble bien qu’une meilleure représentation des femmes parmi les décideurs permette de donner une plus grande priorité législative et politique aux questions environnementales (WEN, 2007). Cela aurait également des effets concrets sur la préservation de l’environnement. Les inégalités professionnelles en politique sont préjudiciables à l’élaboration des politiques les plus adaptées et les plus ambitieuses en matière d’environnement. Elles sont renforcées par le manque de formation des femmes dans les domaines liés à l’environnement (UN, 2010). Malgré des progrès, les politiques publiques et de développement et certaines conventions internationales n’intègrent toujours pas systématiquement une approche de genre et d’égalité hommes-femmes. La prise en compte de l’approche genre dans les politiques et 75 actions de développement durable a pourtant un effet d’accélérateur des progrès, notamment en matière de protection environnementale et de capacités d’adaptation des populations. Globalement, le manque de données désagrégées par sexe et d’analyse de genre limite la compréhension de l’impact différencié des dégradations environnementales selon le sexe, et des rôles respectifs des femmes et des hommes en matière d’impact sur l’environnement et de préservation de l’environnement (UN, 2010). En conclusion, une réponse efficace et durable aux problèmes environnementaux et un développement durable équitable ne peuvent se mettre en place sans les femmes et leur travail et la promotion effective de l’égalité de genre. En outre, nous avons vu que les atteintes à l’environnement, en alourdissant la charge de travail des femmes et réduisant leur temps libre, contribuent à renforcer les inégalités et rendent notamment plus difficiles aux femmes l’implication dans une activité rémunérée. Les enjeux environnementaux et la problématique du travail des femmes sont donc étroitement liés. Nous avons vu que les femmes travaillent déjà au développement durable de multiples façons. Mais ces actions s’exercent principalement dans le cadre de la sphère familiale et domestique ; les femmes seraient-elle des actrices bénévoles du développement durable ? Le développement durable, objectif de société de long terme, requiert la mise en place d’une économie durable ; la transition écologique passe par la reconfiguration du marché de l’emploi et implique une véritable mutation du monde professionnel. Qu’en est-il du travail rémunéré des femmes dans les métiers relatifs au développement durable ? Quelles opportunités représente pour elles la transition écologique ? 76 Chapitre III : Femmes, travail et développement durable : la place des femmes dans les emplois de l’économie verte « Nous déclarons que les politiques de promotion d’une économie verte dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la pauvreté devraient tirer parti de tout le potentiel qu’offrent les femmes et les hommes et assurer leur contribution à égalité ». Document de conférence de Rio+20 I) Emploi et développement durable : concepts, définitions, et enjeux de l’économie verte 1) Définitions et concepts a) Les métiers du développement durable L’essor et la diffusion de la notion de développement durable se sont accompagnés d’une mobilisation croissante d’acteurs. Au-delà de sa politisation, le développement durable a connu une professionnalisation, qui s’est traduite par la structuration d’un milieu professionnel (Weisbein). Les métiers correspondants sont souvent regroupés sous l’appellation « métiers du développement durable et de l’environnement », qui est aussi vaste qu’imprécise et requiert un travail de définition préalable. En France, certains préfèrent parler de champ environnemental, regroupant une multitude de secteurs, allant du traitement de l’eau à celui des déchets en passant par la maîtrise des énergies ou par l’éducation à l’environnement (Studyrama). Le paradoxe qui se profile est lié à l’ambition même du développement durable ; il a en effet vocation à s’intégrer à l’ensemble de l’économie, dans le but de la transformer en une économie durable. Il en résulte que tous les secteurs d’activité sont concernés par ces transformations : environnement, eau, énergie, recyclage des déchets, agriculture, agro-alimentaire, industrie, tourisme, bâtiment, urbanisme, transports, commerce, finance, solidarité internationale etc. 77 Comment alors définir ces métiers et cela a-t-il même un sens ? Selon Studyrama, un site spécialisé dans la formation, l’orientation et l’emploi des étudiants, de très nombreux métiers existants sont destinés à évoluer pour intégrer une dimension plus « durable », sous l’effet de nouvelles réglementations environnementales, comme celles issues du Grenelle de l’environnement de 2007 (juristes, acheteurs, responsables de communication, ingénieurs, professionnels du bâtiment, etc.) De nouveaux métiers apparaissent également, pour répondre à de nouveaux besoins et marchés, dans le secteur privé comme public (responsable développement durable, conseiller en agriculture durable, déontologue, trader en CO2, etc.). Un site internet spécialisé41 a lui identifié plusieurs catégories de métiers entrant toutes dans le domaine du développement durable : - Les métiers de la responsabilité sociale - Les métiers de l'environnement et des éco-industries - Les métiers de l'agriculture biologique et durable - Les métiers de l'aménagement du territoire et de l'amélioration du cadre de vie - Les métiers de l'écoconstruction et des énergies renouvelables - Les métiers de la qualité et de la sécurité - Les métiers du commerce équitable et de l'écotourisme Cette classification est intéressante mais ne fait pas l’objet d’analyses chiffrées, ce qui la rend difficile à utiliser. Elle présente cependant l’intérêt de ne pas se limiter à la dimension environnementale mais au contraire de refléter tous les métiers et secteurs incluant une dimension de développement durable au sens large (et notamment l’aspect social). Une autre notion que le développement durable a émergé pour appréhender la nécessaire transition de l’économie vers une économie durable, et notamment ce que cela implique en termes d’emplois. Il s’agit du concept récent d’’économie verte, un vocable qui a rapidement investi la communauté internationale mais aussi le gouvernement et l’administration français. a) Economie verte, croissance verte et emplois verts : déclinaison d’un nouveau credo international 41 Lesmétiers.net 78 L’économie verte est une notion inventée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en 2008, qui l’a définie ainsi : « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources » (PNUE, 2011). Elle se caractérise donc par une forte ressemblance avec le concept de développement durable : alors pourquoi un nouveau terme ? S’agirait-il d’une simple reformulation de ce concept plus ancien ? Selon l’Association 4D, il y aurait d’une part une intention communicationnelle (cf usage du qualificatif « vert ») et d’autre part, la volonté de créer une association d’idées avec la sortie de crise, économique, financière, et sociale (Hours et al., 2012). Cette notion a été de plus en plus largement employée sur la scène internationale ces dernières années. Elle a notamment fait l’objet de vifs débats lors de la Conférence des chefs d’Etats dite Rio+20 et en amont, lors des travaux préparatoires. Le terme a aussi été adopté par de nombreux Etats dont la France, où il est devenu un élément de référence dans le langage des politiques et des analyses statistiques. Le développement durable est posé comme objectif de l’économie verte, tout en étant le cadre de la réalisation de l’économie verte 42, une tautologie qui met en lumière le problème de la notion, c’est-à-dire le délaissement du volet social (Hours et al., 2012). Le collectif français Rio+20 a émis des réserves analogues : « Cette notion est plus restrictive que celle de développement durable, puisqu’elle ne mentionne pas explicitement des objectifs sociaux » (Hours et al., 2012). La croissance verte est une expression principalement utilisée par l’OCDE qui la définit comme suit : « La croissance verte est la voie à suivre pour passer de l’économie actuelle à une économie durable. Elle consiste à promouvoir la croissance et le développement tout en réduisant la pollution et les émissions de gaz à effet de serre, en limitant le plus possible la production de déchets et le gaspillage des ressources naturelles, en préservant la biodiversité et en renforçant la sécurité énergétique. Elle nécessite de « découpler » davantage les impacts environnementaux et la croissance économique et d’adopter des modes de consommation et de production plus respectueux de l’environnement L’Assemblée Générale de l’ONU a adopté le document final : “a green economy in the context of sustainable development and poverty eradication ” On y trouve notamment cette tautologie : “La réalisation d’une économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté est un des moyens précieux dont nous disposons pour parvenir au développement durable ». Repéré sur : http://encyclopedie-dd.org/encyclopedie/economie/economie-verte-histoire-et.html#nh2-5 42 79 tout en réduisant la pauvreté et en améliorant les perspectives des populations en matière de santé et d’emploi. La croissance verte implique de faire de l’investissement environnemental une nouvelle source de croissance économique » (OCDE, 2010) Cette définition est clairement tournée vers l’inclusion de la préoccupation environnementale dans la croissance et pour la croissance économique, qui reste l’objectif ultime. Aucune mention n’est faite des aspects sociaux du développement durable. Il semble que les termes d’économie et de croissance vertes soient désormais utilisés indifféremment. C’est notamment le cas en France, où le gouvernement a largement repris ces notions. b) La reprise de cette terminologie en France : Le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie a repris et intégré la notion d’économie verte, parfois remplacée par « croissance verte ». Très concrètement, le vocable constitue un onglet dans le « chapitre » « développement durable » du site. L’économie verte y est décrite comme un nouveau modèle de développement à construire, « efficace tout en respectant les grands équilibres naturels et sociaux ». Il s’agit de « développer de nouveaux modes de consommation et de production plus sobres en ressources naturelles pour pouvoir affronter les défis environnementaux […] tout en créant de nouveaux emplois » (MEDDE, 2013). Selon le ministère, c’est aussi une économie qui entre autres, « met les hommes et les femmes au centre de l’entreprise et du projet social » et « promeut la participation de chacun à la décision et s’enrichit de la différence » (MEDDE, 2013). Le ministère se mobilise depuis quelques années en faveur des « métiers de l’économie verte », dans le but « d’adapter aux réalités et perspectives de l’économie verte le marché de l’emploi et les services de la formation et de l’orientation » (MEDDE, 2013). Il pilote depuis 2009 un Plan national de mobilisation pour les emplois et les métiers de l’économie verte, qui s’inscrit dans la dynamique du Grenelle de l’Environnement. Ce plan s’est notamment traduit par la création en 2010 de l’Observatoire national des emplois et des métiers de l’économie verte (Onemev), qui a pour mission principale d’effectuer un suivi des emplois et produire de l’information quantitative et qualitative. 80 L’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte, créé au printemps 2010, a pour « but d’offrir un diagnostic partagé et centralisé de méthodes et de chiffrages sur les emplois, métiers et formations de l’économie verte », avec une déclinaison spécifique des travaux au niveau régional (participation du réseau des observatoires régionaux de l’emploi et de la formation (Oref)). Les travaux de l’observatoire ont permis de définir des activités et des métiers liés à la croissance verte. Il existe par exemple des activités sans spécificité environnementale dans les activités « vertes » (ex ; secrétaire, comptable) et inversement des métiers et emplois « verts » en dehors des activités identifiées comme « vertes ». Il est animé par le Service de l’observation et des statistiques (SOeS) du Commissariat général au développement durable (CGDD). Il est constitué de représentants du ministère chargé de l’Écologie (CGDD/Service de l’économie, de l’évaluation et de l’intégration du développement durable), de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), du Centre d’études et de recherche sur l’emploi et les qualifications (Céreq), du Centre d’analyse stratégique (CAS), de la Direction générale du Trésor (DGT), de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), de l’Alliance Villes Emploi (AVE), de Pôle emploi, de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), des observatoires régionaux de l’emploi et de la formation (OREF ou équivalents). Source : CGDD-SOeS, « Activités, emplois et métiers liés à la croissance verte. Périmètre et résultats », Etudes et Documents, n°43, 2011. En 2014, l’économie verte représente 4 millions d’emplois (CGDD-SOeS, 2014) 2) Emplois verts, enjeux et opportunités : la solution durable à une crise globale ? Le verdissement des économies impacte le marché du travail : de nouveaux métiers et emplois apparaissent, dans le secteur des énergies renouvelables par exemple ; d’autres se transforment, sont redéfinis, remplacés ou détruits, conséquence de l’adaptation des compétences, méthodes de travail, outils, ou encore matières premières. Les emplois verts sont définis par le PNUE comme des « emplois qui contribuent à la préservation ou au rétablissement de la qualité de l’environnement » (PNUE, 2008). Ils peuvent être identifiés dans tous les secteurs de l’économie, se diffuser dans tous les métiers, et concerner un large éventail de profils professionnels, de qualifications et de formations. Ils sont amenés à jouer un rôle majeur dans la réduction de l’empreinte écologique de l’activité économique. Leur définition est aussi appelée à évoluer avec le temps et les transformations de l’économie. Pour l’Organisation Internationale du Travail et de nombreux gouvernements, ils constituent la solution durable à une crise économique, sociale et environnementale, combinant reprise économique et stratégie de préservation environnementale (OIT, 2009). Selon une étude du PNUE en partenariat avec l’OIT, la création d’emplois verts est attendue dans 81 l’agriculture, l’industrie et la construction, les services et l’administration, en écho à des politiques énergétiques et industrielles visant à réduire l’empreinte écologique : construction durable, efficacité énergétique, transport durable, gestion des déchets, conservation des écosystèmes… d’immenses opportunités existent dans une variété de secteurs en termes de création d’emplois verts et peuvent conduire à une croissance économique durable (tant sur le plan soutenable que temporel) (PNUE, 2008). Le rapport estime par exemple que vingt millions d’emplois seront créés dans le seul secteur des énergies renouvelables d’ici 2030 (PNUE, 2008). Selon l’OIT, ces emplois devraient fournir des conditions de travail et des salaires décents qui contribueront à réduire la pauvreté. Dans son Agenda du Travail Décent, (ILO’s Decent Work Agenda), l’OIT souligne ainsi que la promotion d’emplois verts et entreprises « durables » est la clé pour lier les deux objectifs millénaires de développement (OMD) d’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim dans le monde et de préservation de l’environnement (ILO, 2009). On pourrait y ajouter le troisième relatif à la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes, tant cet objectif semble indissociable des deux autres. La notion de travail décent est donc posée comme un enjeu clé directement rattaché aux emplois verts. Elle résume les conditions que doit rencontrer tout être humain au travail43. Le travail décent est un moyen ou une condition pour parvenir à un développement durable équitable. Aujourd’hui pourtant, de nombreux emplois entrant dans la catégorie verte ne constituent pas des emplois décents : c’est le cas par exemple d’emplois dans le secteur du recyclage, qui se caractérisent par des rémunérations faibles et de la précarité, voire des conditions de travail très difficiles. Des millions d’emplois verts pourraient être créés dans le cadre d’efforts globaux pour lutter contre la dégradation de l’environnement et le changement climatique. Des motivations commerciales et des pressions politiques poussent les entreprises à adapter leurs pratiques et des méthodes de production plus respectueuses de l’environnement. L’économie verte offre un fort potentiel en termes de création de nouvelles activités et entreprises, générant de fait des emplois. Au-delà des créations de nouveaux métiers et nouveaux emplois, il s’agira en fait surtout d’une redéfinition et du « verdissement » d’un La notion de travail décent désigne la « possibilité d’exercer un travail productif et convenablement rémunéré, assorti de conditions de sécurité sur le lieu de travail et d’une protection sociale pour sa famille. Le travail décent donne aux individus la possibilité de s’épanouir et de s’insérer dans la société, ainsi que la liberté d’exprimer leurs préoccupations, de se syndiquer et de prendre part aux décisions qui auront des conséquences sur leur existence. Il suppose une égalité de chances et de traitement pour les f emmes et les hommes. » (OIT) 43 82 grand nombre d’emplois dans tous les secteurs. Par essence, ils semblent donc être générateurs d’activité pour tous, y compris les segments de la population plus désavantagés sur le marché du travail, comme les jeunes ou les femmes (PNUE, 2008). Ainsi, dans un scénario idéal de transition vers une économie verte, ces transformations bénéficieraient autant aux femmes qu’aux hommes ; cela supposerait l’élimination de la ségrégation sexuée des emplois, des écarts salariaux de genre, et des autres formes de discrimination sur le marché de l’emploi, ainsi qu’un accès égalitaire à toutes les formes d’éducation, de développement des compétences, d’emploi et aux postes à responsabilité et d’encadrement (UN Women, 2012). Selon le PNUE, les emplois verts permettraient même de répondre aux enjeux majeurs du 21ème siècle, la préservation de l’environnement et la promotion du travail décent, donnant à chacun la possibilité de jouir de conditions de vie satisfaisantes et dignes (PNUE, 2008). Les femmes, à la fois plus vulnérables aux conséquences des dégradations environnementales et plus souvent en situation d’emploi précaire, ont donc beaucoup à gagner de la transition écologique et de la réalisation de l’économie verte. De grandes attentes existent à leur encontre, en termes économiques, environnementaux et sociaux. Il semble néanmoins que le verdissement de l’économie ne sera pas bénéfique à tous. La création d’emplois verts ne permettra vraisemblablement pas de compenser les destructions d’emplois, le chômage et le sous-emploi au niveau mondial. De plus pour l’instant, les emplois verts ne profitent pas aux personnes qui en ont le plus besoin : les jeunes, les femmes, les populations pauvres des pays du Sud et ceux affectés par le changement climatique (PNUE, 2008). Le verdissement de l’économie est entravé par les lacunes et pénuries de qualifications ; de nouvelles connaissances et compétences doivent être intégrées à la formation pour de nombreux métiers appelés à incorporer une dimension environnementale, sans parler des nouveaux métiers verts. Par exemple, les techniciens, les architectes, les ingénieurs doivent se familiariser avec de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques, mais aussi de nouvelles normes (PNUE, 2008). L’adaptation des dispositifs de formation, initiale comme continue, est indispensable à la transition vers une économie durable. Un volontarisme politique est nécessaire pour organiser une transition harmonieuse vers une économie verte et mettre en place les politiques environnementales, économiques et sociales indispensables. Le PNUE recommande d’ailleurs de prendre en compte davantage la dimension sociale (PNUE, 2008). 83 Se dessinent déjà de nombreux enjeux autour de la définition de ces notions et des perspectives de l’économie verte et des emplois verts à court, moyen et long terme. Il est dès lors intéressant de tenter d’’appréhender la place des femmes dans cette économie verte. Nous avons déjà vu que des liens multiples existaient entre les questions de genre, d’activité, et d’environnement. Nous avons vu aussi que les femmes sont dans le monde entier caractérisées par une situation d’emploi défavorisée, et à la fois une plus grande sensibilité et une plus grande vulnérabilité face à la dégradation environnementale. Comment se situent les femmes, caractérisées par une sensibilité particulière à l’environnement mais confrontées à des inégalités professionnelles, dans cette économie verte ? Les évolutions des métiers et du marché de l’emploi, nécessaires à la transition écologique, seraient-elles profitables aux femmes et à leur situation d’emploi, favorisant ainsi une réduction des inégalités professionnelles? Et plus généralement, comme se le demande l’OIT, ces emplois seront-ils l’opportunité d’améliorer l’égalité des sexes ? (ILO, 2009)) L’analyse de la situation d’emploi des femmes dans l’économie verte en France semble contredire ces hypothèses optimistes. II) La situation de l’emploi des femmes dans l’économie verte en France : métiers et formations Il importe de débuter cette partie en signalant qu’il existe peu de données désagrégées par sexe dans les études et analyses de l’économie verte. Le genre dans les métiers verts ou la place des femmes dans l’économie verte n’ont pas fait l’objet d’une étude particulière par les services statistiques nationaux généraux ou spécialisés (Insee, SOeS, Onemev). En particulier, les enjeux relatifs aux temps de travail et aux salaires n’ont pas pu être étudiés. Cela étant, les enquêtes et rapports où des données de genre sont extraites mènent tous au même constat : les femmes sont sous-représentées voire absentes des emplois verts. 1) Analyse des emplois verts en France : des femmes encore peu présentes L’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte a analysé les emplois de l’économie verte via deux approches différentes : l’une centrée sur les activités 84 (activité des entreprises), l’autre centrée sur les métiers des personnes actives. Ces deux approches fournissent des périmètres distincts. Les activités de l’économie verte comprennent les « éco-activités » et les « activités périphériques ». Les « éco-activités » regroupent les activités produisant des biens et services environnementaux au sens strict, c’est à dire ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources naturelles. Il s’agit du périmètre de référence retenu par Eurostat pour le suivi de long terme des emplois environnementaux au niveau international44 . Les activités périphériques produisent des biens et services favorables à la protection de l’environnement ou à la gestion des ressources naturelles (des produits plus respectueux de l’environnement que d’autres rendant les mêmes services : chaudières à condensation, lampe fluocompacte...) 45 A ces activités de la croissance verte correspondent 955 500 emplois estimés en équivalent temps plein (ETP) en 2012. Aucune donnée sexospécifique n’a été identifiée via l’entrée par les activités dans les différentes publications du CGDD. En revanche, dans la seconde approche par les métiers, différenciant métiers verts et verdissants, une attention a été portée aux caractéristiques socioéconomiques des personnes exerçant ces professions a) Les métiers verts et verdissants : des métiers très masculins Dans l’analyse de l’emploi vert par l’approche métiers, L’Onemev différencie les métiers verts des métiers verdissants. Les métiers « verts » (quel que soit leur secteur d’activité) sont les métiers « dont la finalité et les compétences mises en œuvre contribuent à mesurer, prévenir, maîtriser, corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement » (CGDD-SOeS, 2011, b). Ils sont identifiés dans le répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Rome, version 3) de Pôle emploi d’une part, dans la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS46) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), d’autre part. L’emploi dans les professions vertes correspond au nombre d’actifs en emploi observés à une date donnée dans les 9 professions vertes identifiées comme telles. Il s’agit donc d’un périmètre restreint et spécifique à la France. CGDD-SOeS, 2009. Les éco-activités et l’emploi environnemental - Périmètre de référence – Résultats 2004-2007. Études & documents, n° 10, 43 p. 45 Pour plus de détails sur les activités de l’économie verte, voir annexe ? 46 PCS : 3 niveaux : le niveau agrégé avec 8 postes, le niveau de publication courante (24 postes) donc plus détaillé, et enfin le niveau détaillé avec 42 postes. Voir tableau de la page 11 du guide des PCS http://www.insee.fr/fr/methodes/nomenclatures/pcsese/pcsese2003/doc/Guide_PCS -2003.pdf 44 85 Tableau : l’emploi dans les 9 professions vertes Tableau : les caractéristiques socioéconomiques des personnes une exerçant profession verte en 2007 Source :CGDD-SOeS juin 2011 n°43 86 Les professions vertes correspondent aux domaines traditionnels d’activité de l’environnement : assainissement et traitement des déchets, traitement des pollutions, production et distribution d’énergie et d’eau et protection des espaces naturels. En 2007, 132 000 personnes exerçaient un métier dit vert. Ces métiers sont essentiellement masculins : les femmes n’occupent que 12% des emplois alors que sur l’ensemble des professions, leur taux d’emploi est de 47%. On observe également une surreprésentation des ouvriers: ils représentent 45% de ces travailleurs, contre 25% dans l’ensemble des professions. Cette part très importante d’ouvriers dans les professions vertes explique au moins en partie la sous-représentation des femmes, les métiers d’ouvriers étant peu féminisés en général (19% de femmes), et encore moins dans les professions vertes (5%) (CGDD-SOeS, 2011). L’écart hommes-femmes se réduit d’ailleurs en montant dans la hiérarchie ; les femmes représentent 22% des cadres et professions intellectuelles supérieures (contre 5% des ouvriers) ce qui reste toutefois bien inférieur à leur part dans cette catégorie sur l’ensemble des emplois (38%). Une double tendance apparait en fait : l’écart entre la part des femmes et celle des hommes est plus réduit chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (22% de femmes et 78% d’hommes) que chez les ouvriers (5% -95%) et dans les professions intermédiaires (17% contre 83%) : en outre, dans la PCS « cadres et professions intellectuelles supérieures », l’écart entre la part des femmes exerçant une profession verte (22%)et la part des femmes exerçant toute autre profession (38%) est inférieur à celui des autres PCS. Une nette différence existe en fonction de l’âge : la part des femmes parmi les moins de 30 ans (20 %) exerçant une profession verte est deux fois plus élevée que pour les plus de 30 ans (10%). Cela peut laisser présager d’une évolution dans le sens d’une féminisation croissante. Les métiers verts sont aussi caractérisés par une forte stabilité de l’emploi : les salariés ont un CDI pour 90% d’entre eux et 6% d’entre eux sont à temps partiel, contre 18% sur l’ensemble des professions. Il n’y a malheureusement pas de données sexuées désagrégées poussées qui permettraient de voir si les inégalités professionnelles constatées au niveau global en termes de temps partiel sont présentes à l’identique dans ces métiers. Voyons dans le détail les professions vertes et leurs effectifs associés : 87 Tableau (2): Effectifs des professions vertes et répartition par sexe en 2008 Source : DARES, mars 2012, c n°18 Dans ce tableau, on retrouve plus précisément le point commun de ces métiers verts : ils sont majoritairement exercés par des hommes. Les métiers les plus féminisés sont les métiers dits « transversaux », dont les ingénieurs et cadres techniques de l’environnement47, qui atteignent un tiers de femmes. Deux ans plus tard en 2010, la part des femmes a augmenté de 3 points et atteint 16% des effectifs (CGDD-SOeS, 2014). Une tendance générale qui semblait déjà ressortir dans le précédent tableau est celle d’une féminisation qui croît avec le niveau hiérarchique. Les femmes sont beaucoup plus représentées chez les agents de maitrise, techniciens et ingénieurs et cadres techniques que chez les ouvriers, et a fortiori dans les métiers qualifiés de « plus transversaux », qui sont les moins spécialisés et les moins techniques de ces métiers verts. En 2010, les femmes constituent 36% des « ingénieurs et cadres techniques de l’environnement » (PCS 387f) qui fait partie de la PCS 38 « ingénieurs et cadres techniques d’entreprise » ; en 2012, le taux de féminisation de la PCS 38 était de 21.7 %, ce qui semble donc prouver qu’il y a significativement plus de femmes exerçant un emploi vert ou verdissant dans cette PCS que de femmes dans la moyenne de cette PCS. Globalement, ces professions témoignent du phénomène de ségrégation horizontale décrit dans le premier chapitre ; ces métiers sont en forte majorité ouvriers et "ingénieurs en environnement, ingénieurs en traitement des déchets, chargés d’études, chargés de mission ou consultants en environnement 47 88 techniques, des domaines habituellement peu investis par les femmes, ce qui explique leur faible présence. Les métiers « verdissants » (quel que soit leur secteur d’activité) sont beaucoup plus divers. Ce sont les « métiers prochainement amenés à évoluer pour s’adapter aux nouvelles exigences et préoccupations environnementales » (DARES 2012, c). Leur finalité n’est pas environnementale, mais ils « intègrent de nouvelles ‘briques de compétences’ pour prendre en compte de façon significative et quantifiable la dimension environnementale dans le geste métier » (CGDD-SOeS, 2011, b). Les deux tiers s’exercent dans des activités sans lien direct avec l’environnement. Ces métiers restent difficiles à appréhender mais une soixantaine de professions de la nomenclature PCS ont été identifiées comme telles. Elles recouvrent des domaines assez larges relevant notamment du bâtiment (conception, construction/rénovation, équipements), des transports (conduite, logistique), de l’agriculture sylviculture, de l’industrie, de l’entretien des espaces verts mais aussi du tourisme, de l’animation, du commerce, de la recherche… Du fait de leur diversité, il est difficile de dresser une typologie exhaustive de ces métiers. Cette liste revêt en réalité un caractère expérimental. Le « verdissement » ne concerne pas toutes les professions de la même façon; certaines, exercées notamment dans le bâtiment ou les transports, seront plus particulièrement concernées par les évolutions de la réglementation et les objectifs fixés dans le cadre du Grenelle de l'environnement (DARES, 2012, c). En 2008, 3,5 millions de personnes exerçaient un métier verdissant. Pourquoi un "verdissement" (i.e. une évolution vers l'intégration de la dimension environnementale) de ces professions? D'abord pour s'adapter aux nouvelles exigences réglementaires, mais aussi en raison d'un engagement volontaire des entreprises dans des démarches de développement durable (DARES, 2012, c). 89 Tableau (4): Effectifs des professions verdissantes et répartition par sexe en 2008. Les professions liées au bâtiment représentent 38% des professions verdissantes. Les femmes représentent un quart des architectes, mais cette part varie du simple au double selon le statut: 20% d'architectes femmes libérales, près de 40% parmi les architectes salariées). Les hommes constituent 99% des couvreurs et des électriciens. Dans les professions liées aux transports, à la logistique comme celles liées à l’agriculture –sylviculture, il semble que les femmes sont plus représentées aux postes de techniciens, cadres et ingénieurs. Les autres professions verdissantes regroupent des métiers variés, liés à l’industrie, au tourisme, au commerce, à la recherche etc. 48. Ils sont plus féminisés que la moyenne des professions verdissantes avec presque 30% de femmes. Les femmes sont donc, comme pour les professions vertes, proportionnellement plus nombreuses dans les professions les plus qualifiées, tout en restant minoritaires. En 2010, la part des femmes est identique dans les emplois verts et dans les emplois verdissants. 2) Etude régionale : l’exemple de PACA 48 ingénieur recherche-développement en packaging; agent de promotion touristique; animateur de centre de loisirs (pr sensiblisation des plus jeunes); responsable achats et approvisionnements. 90 Un projet a été mené pendant deux ans sur le sujet de l’emploi des femmes et de l’égalité dans les métiers de l’économie verte en Provence Alpes Côte d’Azur (PACA). Piloté par l’Agence Régionale pour l’environnement et l’écodéveloppement (ARPE) de PACA, son objectif était d’améliorer la connaissance de la place des femmes au sein des métiers de l’économie verte (ARPE PACA, 2013). Le rapport note que l’économie verte génère plus d’emplois à temps complet. Il en résulte un taux plus important de temps complets pour les femmes : 80% pour les métiers verts et 75% pour les métiers verdissants contre 72% tous métiers. Cela étant, elles exercent moins souvent à temps complet que les hommes (95%). En outre, les femmes sont moins souvent en CDI que les hommes : environ 82% contre 99%. On constate donc que même dans ces métiers caractérisés par une grande stabilité, les femmes sont dans des situations d’emplois plus précaires que les hommes, comme au niveau national. En PACA, les femmes tiennent une place particulière au sein des métiers de l’économie verte : elles sont nettement plus diplômées que les hommes. 69% ont un niveau supérieur au bac (dont la moitié d’entre elles supérieur à bac+3) contre 36% des hommes, qui sont majoritairement sans diplôme ou de niveau BEP CAP. Elles exercent aussi plus souvent des postes qualifiés ou d’encadrement. 58% des femmes exercent une profession intermédiaire verte et 48% une profession verdissante intermédiaire contre 29% tous métiers en PACA et respectivement 32% et 22% d’hommes. 27% de femmes exerçant un métier vert sont cadres (10% d’hommes) et 31% pour les métiers verdissants (14% d’hommes), contre seulement 12% tous métiers. 91 Source: Recensement de la population au lieu de résidence, Insee, 2008 Traitement ORM Champ: actifs ayant un emploi exclusivement ; Domaines professionnels pour les métiers verdissants : nomenclature FAP 22 Repéré sur : ARPE PACA, 2012 Ces tableaux montrent la faible présence des femmes dans les métiers verts et verdissants en PACA. Quelques exceptions cependant dans les métiers verdissants liés à l’action sociale culturelle et sportive, à la communication et à l’information, et au commerce, qui sont très féminisés pour les premiers et presque mixtes pour les deux autres. Dans les métiers verts, les femmes sont les plus présentes dans les métiers transversaux, comme au niveau national. De manière générale, les métiers les plus féminisés sont aussi ceux qui semblent les moins techniques et les plus tournés vers les qualités « traditionnellement féminines » : le social, le relationnel etc. Le communiqué de presse du 17 septembre 2013 signant la fin du projet présente ainsi le "profil type" de la femme exerçant un métier vert ou verdissant en PACA : « une femme ayant entre 25 et 54 ans, plutôt très diplômée, qui exerce un métier salarié, généralement à temps complet, plutôt stable, et qui est majoritairement cadre ou profession intermédiaire » (ARPE PACA, 2013). Ce profil ne correspond pas exactement au profil moyen de la femme active en France, notamment sur le statut d’emploi et le groupe socioprofessionnel : au niveau national, les femmes sont plus souvent à temps partiel et plus souvent employées. 92 En résumé : certains attributs caractéristiques du travail rémunéré féminin se retrouvent dans les métiers verts en PACA. Le phénomène de ségrégation horizontale s’observe, de même qu’une précarité plus importante pour les femmes ; mais le phénomène de ségrégation verticale est partiellement remis en question car les femmes exercent plus souvent des postes qualifiés ou d’encadrement et elles sont nettement plus diplômées que les hommes. Ce dernier aspect ne se retrouve pas au niveau national, où les femmes sont certes proportionnellement plus nombreuses dans les professions plus qualifiées, tout en y restant minoritaires. Il semble donc que l’hypothèse selon laquelle les femmes, témoignant d’une certaine sensibilité aux enjeux environnementaux, et ayant investi massivement le monde du travail rémunéré, auraient alors investi en nombre les emplois de l’économie verte, ne se vérifie pas. La réalité de ces métiers est tout autre : loin de la mixité et de l’égalité ou même de la féminisation, ils sont en fait très masculins. Cette caractéristique est à mettre en lien avec le phénomène de ségrégation horizontale des emplois. Il s’agit en effet pour la plupart de métiers techniques, avec une proportion plus forte d’emplois ouvriers que dans le reste des secteurs d’activités ; au niveau national, les femmes sont très peu présentes dans ce type de métiers et d’emplois, du fait des effets de la socialisation différenciée, de la persistance de stéréotypes sexués en matière d’emploi etc. Des pistes d’explication seront détaillées dans la troisième partie. Les emplois de l’économie verte se caractérisent également par une grande stabilité : majorité de CDI et temps partiel très réduit, ce qui n’est pas en général le cas des emplois féminins. L’absence des femmes dans les métiers de l’économie verte peut toutefois être nuancée : on retrouve fortement les effets de la ségrégation horizontale mais relativement moins ceux de la ségrégation verticale, les femmes étant plus représentées au fur et mesure que l’on monte dans la hiérarchie des CSP, voire systématiquement plus nombreuses que les hommes dans les professions intermédiaires et supérieures, comme c’est le cas en PACA. Il faut également relativiser ces conclusions dans la mesure où les études et enquêtes statistiques officielles réalisées sur les emplois de l’économie verte en France, qui sont toutes récentes, manquent également de données sexuées désagrégées. L’économie verte et les emplois associés n’ont pas été étudiés au prisme de la variable genre. 93 Comme le souligne le Commissariat Général au Développement Durable, la formation est un élément essentiel de la transition écologique vers une économie verte. Une adaptation de l’appareil de formation, à la fois initiale et continue, est donc nécessaire face à l’apparition de nouveaux métiers et à l’évolution d’autres qui doivent peu à peu intégrer une dimension environnementale. La situation d’emploi des femmes dans l’économie verte dépend aussi, au moins en partie, de leur formation. Or les femmes sont peu représentées dans les formations en environnement. 3) Formations environnementales : une surreprésentation des hommes Du fait de la grande diversité du domaine, il est impossible de définir un profil type ou une formation type en développement durable : comme pour les métiers, certaines formations évoluent pour intégrer la thématique et les compétences appropriées, à l’instar du BTP ; dans d’autres cas, des diplômes spécifiques sont créés, dans le tourisme par exemple. Il y aurait même trop de diplômés annuels par rapport au nombre de postes disponibles. Plusieurs sites internet listent les formations en développement durable et environnement (Les Métiers.net). Le Commissariat Général au Développement Durable signale dans une note que le périmètre de l’économie verte est plus large que celui couvert par les formations environnementales, qui en constituent néanmoins le cœur (CGDD-SOeS, 2013) ; a) Quelques chiffres sur les formations environnementales Selon le Service d’Observation et des Statistiques du CGDD, l’environnement représente 10,5 % du nombre de formations initiales tous domaines confondus et 5,3 % des effectifs associés. À la rentrée scolaire 2011-2012, un millier de formations environnementales ont été recensées. Près de 71 000 élèves et étudiants sont inscrits en dernière année de l’une de ces formations, dans des niveaux allant du CAP (niveau V) au master, diplôme d’ingénieur ou doctorat (niveau I). Les formations se caractérisent par une grande diversité : elles varient beaucoup selon le niveau, le type de diplôme et les matières enseignées. Elles peuvent être classées selon six champs thématiques : la prévention et réduction des pollutions, la protection de la nature, l’hygiène, sécurité, santé, environnement, l’aménagement du territoire, la maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables et la gestion sociétale de l’environnement. Les deux premiers champs, qui peuvent être considérés comme les champs « traditionnels » environnementaux, sont les plus répandus tant en termes d’offre de formation et de nombre 94 d’étudiants. Pour autant, les formations dans le domaine de l’énergie ont connu un développement rapide et fort : leur nombre a augmenté de plus de 70% entre 2008 et 2011. Les formations environnementales dans l’enseignement supérieur (niveaux I et II) sont majoritaires : 94,5%. Ce constat d’une surreprésentation des formations dans l’enseignement supérieur est cependant valable aussi pour les formations non environnementales. En outre, il est nécessaire de nuancer dans la mesure où il y a presque autant d’inscrits dans ces formations que dans celles de niveau inférieur ou égal au Bac (CGDD-SOeS, 2013). Leur attractivité est incontestable : « entre 2008 et 2011, les effectifs ont crû de 2,3 %, en moyenne, chaque année, alors qu’ils diminuent d’autant pour les effectifs des autres formations »(CGDD-SOeS, 2013). Cette augmentation des effectifs en formation environnementale résulte principalement de l’évolution du nombre d’inscrits en formation de niveau I et II, c’est à dire les formations de l’enseignement supérieur. On note cependant entre 2010 et 2011 une augmentation forte du nombre d’inscrits en dernière année de formation de niveau IV. b) La place des femmes dans les formations environnementales Les formations environnementales se caractérisent par une surreprésentation des effectifs masculins : « près de 70% des inscrits en formations environnementales en 2011 sont de sexe masculin alors que dans les formations non environnementales, la parité est quasi atteinte » (CGG-SOeS, 2013). Il faut cependant préciser que cette surreprésentation est davantage marquée pour les formations de niveau inférieur ou égal au Bac (plus de 80%). Par ailleurs, une analyse des effectifs selon les domaines et le sexe apporte un éclairage plus fin : les élèves et étudiants masculins sont les plus nombreux dans les formations en aménagement du territoire (76,2% des effectifs) et maitrise de l’énergie (près de 95%) tandis que les élèves et étudiantes de l’environnement sont quant à elles majoritaires dans les formations « hygiène, sécurité, santé, environnement » (HSSE) et gestion sociétale , avec plus de 56% de filles dans chacun de ces deux domaines) (CGDDSOeS, p.21). Les filles sont également plus représentées dans les niveaux I à III. (Bac + 2 à Bac + 5). 95 En région PACA, comme au niveau national, les femmes sont sous-représentées dans les formations environnementales. La parité s’observe uniquement au sein des formations environnementales de niveau I, c’est-à-dire de niveau master (50,7% de femmes). Elles sont même majoritaires dans les filières de gestion sociétale de l’environnement, où 100% des diplômes proposés en PACA sont de niveau I (66%) (CGDD-SOeS, 2013). En région Ile de France également, les étudiantes suivant une formation en « gestion sociétale de l’environnement » représentent la majorité des effectifs (de même que celles suivant une formation en « protection de la nature ») (CGDD-SOeS, 2013). Concernant l’insertion professionnelle, le CGDD relève qu’en 2010, « la chance pour une femme issue d’une formation environnementale d’être en situation d’emploi est plus faible de 25% par rapport à celle d’un homme, toutes choses égales par ailleurs » (CGDDSOeS, 2012). Les chances pour une femme d'accéder rapidement et durablement à l'emploi sont inférieures de 37 % à celle d'un homme. Comme le montre le tableau cidessous, toutes choses égales par ailleurs, la chance de gagner plus de 1 300 € nets par mois (hors primes), est deux fois plus importante pour un homme que pour une femme, alors même qu’elle s’élève avec le niveau de formation. Mais le domaine d’études offrant la situation la plus favorable aux jeunes issus d'une formation environnementale est « la maîtrise de l'énergie et les énergies renouvelables » :« toutes choses égales par ailleurs, ce domaine offre trois à quatre fois plus de chances de gagner plus de 1 300 € nets par mois (hors primes) que les domaines « aménagement du territoire » et « gestion sociétale » et cinq fois plus de chances que la protection de la nature et l’hygiène, santé, sécurité, environnement. (CGDD-SOeS, août 2012). Or les femmes sont beaucoup plus présentes dans ces derniers domaines, et très minoritaires dans les filières « énergie »49. Dans le domaine de l’énergie, la part des femmes est par exemple de 3,3% en PACA et de 6,6% en Ile de France. 49 96 Tableau : Régression logistique de la probabilité de gagner plus de 1300€ pour les issus des formations environnementales et en situation d’emploi en 2010 Source : CGDD-SOeS, L’insertion professionnelle des jeunes issus des formations environnementales en 2007, Etudes et Documents, n°69, 2012. En termes de chômage, après une formation environnementale, une femme a un risque de connaitre un chômage persistant ou récurrent supérieur de 27% à celui d’un homme, « toutes choses égales par ailleurs » (CGDD, SOeS, août 2012) ; L’étude du CGDD précise ne pas faire de rapprochement entre « la structure de l’emploi vert et les formations environnementales » par « prudence méthodologique » (CGDDSOeS, 2013). Mais la faible part des femmes est patente et leur présence réduite dans les formations ne semble donc pas indiquer une inversion de cette tendance à court, voire moyen terme, d’autant plus que le domaine de l’énergie est à la fois celui qui progresse le plus en termes d’offres de formation et d’inscrits et celui où les femmes sont les moins nombreuses. Il faut souligner néanmoins qu’en PACA, la place des femmes dans les formations environnementales peut être rapprochée de leur situation d’emploi spécifique au sein de l’économie verte : une présence plus faible mais axée sur des métiers très qualifiés (CGDDSOeS, 2013) On peut donc conclure, avec quelques réserves, que les femmes sont sous représentées dans les formations environnementales comme dans les métiers et emplois de l’économie verte. Elles sont cependant plus présentes dans les formations de 97 l’enseignement supérieur comme ensuite dans les postes qualifiés ; cette dimension de l’égalité professionnelle semble ainsi favorisée dans les métiers de l’économie verte. Les inégalités professionnelles semblent toutefois particulièrement prégnantes dans ces secteurs. Quelques pistes d’explications méritent donc d’être évoquées. Toutefois, l’économie verte est vouée à évoluer considérablement, au rythme de l’accroissement des risques environnementaux et de l’ambition politique pour y répondre. Peut-on imaginer qu’une tendance inverse, favorable à l’emploi des femmes, se mettra en place « naturellement », du fait de l’accélération de la transition écologique et de l’application des principes du développement durable dans la société ? Ou au contraire, les inégalités professionnelles ne constitueraient-elles pas un obstacle à la pleine réalisation des mesures environnementales et au verdissement de l’économie ? Elles devraient alors faire l’objet d’une attention particulière lors de l’élaboration des politiques de développement durable. III) Enjeux et perspectives d’évolution pour l’économie verte: une double opportunité de progrès pour les femmes et l’environnement Favoriser l’emploi des femmes dans l’économie verte est-il un moyen de réduire les inégalités professionnelles voire les inégalités d’activité ? 1) Les femmes pénalisées par les représentations associées au genre La faible présence des femmes dans les emplois de l’économie verte s’explique principalement par le phénomène de ségrégation professionnelle comme il ressort de l’analyse de la situation d’emploi des femmes dans l’économie verte faite un peu plus haut. Dans un rapport de 2009 sur les emplois verts et les travailleuses, la fondation Sustainlabour pour le travail au service du développement durable, parvient au même constat: « women may be excluded from the green economy due to gender-segregated employment, discrimination, and traditional attitudes » (Sustainlabour, 2009) Il est possible d’approfondir un peu ces explications en s’attachant aux représentations liées aux métiers verts. Les perceptions entourant les emplois verts sont en effet empreintes d’idées reçues, contribuant à l’exclusion de la main d’œuvre féminine 98 (Barutel, 2011). Parmi elles, l’idée que les emplois verts correspondent à des métiers s’exerçant en extérieur, sur des chantiers ou des exploitations agricoles et requérant donc une certaine force physique ; or comme l’a prouvé une entrepreneuse belge, « les femmes sont tout à fait aptes à travailler dans des métiers habituellement considérés comme physiques, et donc a fortiori dans les emplois verts » (Barutel, 2011). De plus, les métiers dits physiques le sont désormais beaucoup moins grâce à l’automatisation et aux nouveaux équipements. Enfin, les emplois verts sont comme on l’a vu destinés à apparaitre dans tous les secteurs de l’économie. Plusieurs initiatives belges ont également montré que les femmes sont séduites par les emplois verts, loin d’une deuxième idée reçue selon laquelle les femmes ne veulent pas travailler dans des métiers comme la construction ou l’agriculture. Elles sont en fait dissuadées d’entrer dans des secteurs très masculins ; par leurs pairs lors de la socialisation, de manière plus ou moins consciente ; par les traditions et normes sociales ; et par la réticence des entreprises, qui redoutent de moindres capacités des femmes et de ne pas savoir les intégrer dans des équipes très masculines. Parfois, il s’agit seulement du fait que les lieux de travail ne sont pas adaptés aux femmes (pas de douche séparée par exemple.) (Barutel, 2011). Pourtant, la présence de femmes dans des entreprises très masculines est finalement souvent très bien perçue. Une étude de l’AREF Ile de France a mené au constat suivant : la présence féminine dans un univers généralement masculin modifie positivement les conditions de travail pour tous (AREF BTP Ile de France). Conséquence de ces idées reçues et corollaire de l’exclusion des femmes des métiers verts, les femmes restent peu formées dans les nombreux métiers techniques qui se verdissent (énergies renouvelables, bâtiment durable, technologies propres, etc.), comme on l’a vu plus tôt. Elles sont minoritaires dans les filières scientifiques, technologiques, d’ingénieurs ou de mathématiques, des domaines qui donnent les compétences nécessaires pour accéder à de nombreux emplois verts (UN Women, 2012). D’une manière générale, les inégalités de genre pénalisent les femmes dans l’accès à l’ensemble des emplois verts : « The lack of gender equality is decreasing the access of women to green positions in the primary, secondary and tertiary sectors » (Sustainlabour, 2009). Enfin, les filières, et possibilités d’emplois sont encore peu connues, et a fortiori des femmes (Drion, 2006). Pour toutes ces raisons, le besoin en communication et sensibilisation est donc criant : à l’école, dans les centres de formation, dans les entreprises etc. 99 2) Evolutions attendues des emplois verts et influence sur l’emploi des femmes L’augmentation prévue des problèmes environnementaux, exacerbés par le changement climatique, devrait accélérer l’intégration d’objectifs environnementaux au fonctionnement de l’économie via des politiques publiques environnementales, ce qui aura un impact en termes d’emplois. Le Centre d’Analyse Stratégique (ancien nom du Commissariat général à la stratégie et à la prospective) a publié en 2010 un rapport sur la croissance verte et ses impacts sur l’emploi et les métiers. La croissance verte devrait occasionner d’importantes créations d’emplois directs et indirects dans le domaine des énergies renouvelables et dans les activités de construction et d’efficacité énergétique. Certains métiers faiblement attractifs sont amenés à se développer car nécessaires à la croissance verte : il est important de les valoriser et de « faire évoluer les pratiques de gestion de l’emploi (féminisation, amélioration des rémunérations etc.) » (CAS, 2010, a). La croissance verte ne va pas créer en masse de nouveaux métiers aux compétences inédites, mais va surtout contribuer à faire évoluer les métiers existants voire traditionnels 50 (CAS, 2010, a). Elle va aussi susciter la création d’emplois non verts dans des activités vertes : par exemple, le développement du secteur des énergies renouvelables va nécessiter la création d’emplois de comptables, analystes informatique, avocats. Il semble aussi qu’un besoin va se développer en termes de « compétences transversales » (éco-conduite, éco-conception, éco-citoyenneté...), touchant des volumes très importants de personnels dans un grand nombre de secteurs et créant donc aussi un défi en matière d’adaptation des compétences (CAS, 2010, b). Il est possible que d’ici quelques années, ces évolutions entrainent une féminisation rapide des emplois verts et surtout verdissants. Il semble en effet d’après les chiffres du Commissariat Général au Développement Durable que la part des femmes dans ces emplois augmente régulièrement. On peut donc formuler l’hypothèse selon laquelle le verdissement de l’économie entrainera « naturellement » une augmentation de la part des femmes dans les emplois verts et verdissants. Mais rien ne permet de dire si cette féminisation se traduirait par une parité et une mixité des emplois et une plus grande égalité hommes-femmes au travail, ou si ces nouveaux gisements d’emplois et de postes à responsabilité resteront des bastions masculins. Selon la fondation Sustainlabour, les 50 La plupart des emplois seront en effet créés dans les secteurs du bâtiment et des transports pour lesquels l’essentiel est de maitriser et mettre en œuvre les savoir-faire et gestes professionnels de base 100 emplois verts devraient se développer principalement dans les secteurs de la construction, de l’industrie, notamment manufacturière, où les femmes sont sous-représentées, ce qui présente un obstacle à leur accès à ces nouveaux emplois (Sustainlabour, 2009). 3) Perspectives et enjeux de genre dans l’économie verte a) La lutte contre les inégalités professionnelles touchant les femmes au service du développement durable et de la protection de l’environnement ; stratégies pour favoriser l’emploi des femmes dans l’économie verte La fondation Sustainlabour attire notre attention sur l’importance des enjeux sociaux dans l’économie verte ; ne pas tenir compte du volet social du développement durable dans la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement, c’est risquer de maintenir voire d’accroitre les inégalités existantes dans l’économie traditionnelle. Les inégalités croissantes de revenu, l’augmentation du chômage et de la marginalisation des femmes dans la sphère professionnelle sont donc autant d’obstacles au progrès en matière environnementale. De la même manière qu’il est nécessaire de prendre en compte les aspects de genre dans les politiques environnementales et climatiques et d’intégrer les femmes aux processus de décision associés, l’économie verte doit favoriser un traitement égalitaire des femmes et des hommes. Les emplois verts doivent comporter à la fois une dimension environnementale et un contenu social, et favoriser l’équité sociale. Pour contribuer au développement durable, ces emplois doivent satisfaire à quatre critères : rémunération adéquate, accessibilité (mobilité hiérarchique), « accountability » (protection sociale) et « advocacy » (dialogue social) (Sustainlabour, 2009). L’action politique et syndicale est nécessaire pour augmenter la part des femmes dans les emplois verts et pour garantir la qualité de ces emplois. Favoriser l’emploi des femmes dans l’économie verte, dans le respect de conditions d’équité et d’égalité, revient à rendre la lutte pour la préservation de l’environnement et des ressources naturelles plus efficiente (Sustainlabour, 2009). Le verdissement général de l’économie, qui ne pourra donc se faire efficacement sans l’emploi des femmes, nécessite des actions de communication et de sensibilisation pour intégrer les femmes aux branches vertes très masculines, visant les conseillers d’orientation dans les écoles, et les entreprises réticentes qui tendent à discriminer les femmes à l’entrée en raison de stéréotypes ancrés. La sensibilisation aux enjeux de 101 préservation de l’environnement, aux nouvelles techniques plus vertes, doit également avoir lieu dans les milieux professionnels et dans les centres de formation, qui sont des lieux clés d’un verdissement réussi des métiers (Barutel, 2011). L’ONG Le Monde selon les femmes a elle rédigé un « plaidoyer pour l’accès des femmes à tous les métiers du développement durable ». Elle recommande notamment de : « diffuser des images de femmes professionnelles actives dans le développement durable et mieux informer les filles des possibilités de métiers : ingénieures, agricultrices, architectes, TIC, etc. » ; « promouvoir l’éducation relative à l’environnement et l’éducation au développement en veillant à ne pas transmettre de stéréotypes sexistes où les femmes sont cantonnées dans du bénévolat de ‘soin à l’environnement’, d’achats et de tâches ménagères ‘responsables’ » ; « encourager les filles à faire des études techniques et scientifiques » (Drion, 2006) ; « intégrer l’acquisition et la maîtrise de technologies du développement durable par les femmes dans les programmes de coopération au développement (par exemple, énergie photovoltaïque, four solaire, agriculture durable …). » (Le Monde selon les femmes, 2008) ; Drion 2006). Le chapitre 24 du programme Action 21 du Sommet de la Terre de Rio en 1992 pose comme objectif de développement durable l’accroissement du « nombre de femmes occupant des postes de décision ainsi que le nombre de planificatrices, de conseillères techniques, de responsables de la gestion et d'agents de vulgarisation en matière d'environnement et de développement ». Il faut cependant rester vigilant : favoriser la seule augmentation de la proportion de femmes dans les emplois verts n’est pas la solution à la réduction des inégalités professionnelles. La féminisation de ces professions n’induit pas (symétriquement) l’amélioration de la situation d’emploi des femmes ; en revanche, elle élimine l’un des aspects des inégalités professionnelles qui impacte les métiers verts, c’est-à-dire la ségrégation du marché de l’emploi. Mais elle ne suffit pas à ce que l’égalité professionnelle soit atteinte dans ces métiers : il faut qu’à profil identique les femmes disposent des mêmes conditions de travail, des mêmes opportunités, d’une rémunération équivalente etc. Plus généralement, « investing in women’s equal and effective participation in the workforce is central to achieving sustainable, inclusive growth and human development » (UN Women, 2012). Il s’agit d’utiliser la ressource que les femmes représentent comme force de travail et comme réservoir de compétences ; de cela dépend la croissance économique et a fortiori une croissance économique durable (Sustainlabour, 2009). Des 102 efforts politiques et d’entreprises en vue de l’égalité professionnelle sont essentiels au développement durable (UN Women, 2012). L’argument fait écho à l’analyse du chapitre 2 : plus d’égalité de genre dans l’activité politique, forme particulière d’activité professionnelle, favorise une gestion plus efficace et adaptée des problèmes environnementaux. Les femmes ne peuvent pas être mises à l’écart de la transition écologique d’aucune manière, car cela équivaudrait à compromettre son succès. b) La transition écologique et les emplois verts au service de l’égalité professionnelle L’économie verte et les emplois associés représentent également une opportunité pour la réduction des inégalités professionnelles dans la mesure où ils constituent un nouveau type d’emploi qui n’est pas encore « ‘bloqué’ dans une spirale inerte d’inégalités de salaire » (Sustainlabour, 2009). Ils peuvent former la base d’une économie plus juste et d’une répartition plus équitable du revenu entre le capital et le travail. Ils peuvent être une voie vers la réduction du chômage et du sous-emploi, et conduire des personnes vers des emplois plus qualifiés, les sortant ainsi de la précarité : ils semblent ainsi particulièrement profitables aux femmes, leur permettant d’atteindre une place plus égalitaire sur le marché du travail, à travers des emplois mieux payés notamment (Sustainlabour, 2009). Selon Barutel, les emplois verts sont globalement perçus comme de nouveaux débouchés sécurisés et porteurs de sens ; ils représentent donc un enjeu important de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, pouvant fonctionner comme le lieu d’expérimentation de la mixité, de la non-discrimination et de l’égalité des salaires (Barutel, 2011). La création et le développement d’emplois verts doivent pour cela être accompagnés de la mise en œuvre et du respect des normes fondamentales du travail, la protection sociale et le travail décent étant des prérequis ; un traitement équitable de l’embauche au départ du ou de la salarié, le dialogue social et le droit de se syndiquer doivent être d’autres droits garantis dans ces secteurs. Mais pour garantir un accès et une situation d’emploi égalitaires aux femmes dans l’économie verte, il ne faut pas oublier l’un des freins principaux à l’égalité professionnelle : l’inégalité de répartition des obligations familiales et domestiques entre hommes et femmes et le poids que représente ce travail familial non rémunéré pour les femmes. Tous les efforts peuvent être mis en œuvre, toutes les lois et politiques dûment appliquées et l’égalité des chances une réalité mais l’égalité réelle ne se fera pas sans la remise en cause de cette 103 division fondamentale des rôles et des croyances qui les fondent. Comme l’explique Pénélope Codello-Guijarro, il faut s’attaquer aux croyances collectives qui fondent les inégalités et pas seulement aux inégalités elles-mêmes, au risque de simplement les compenser et donc de les rendre encore plus acceptables pour finalement les faire perdurer (Codello-Guijarro,2011). Au-delà de l’enjeu sur l’égalité professionnelle, la transition écologique et le développement des emplois verts représentent une opportunité pour améliorer l’égalité de genre: les femmes en situation d’emploi précaire ou sans emploi, pourraient obtenir grâce à l’économie verte un emploi décent, favorisant ainsi progressivement la sortie de la précarité et de la pauvreté de ces femmes. Une meilleure situation économique des femmes est cruciale pour la réalisation d’autres objectifs ; et elle leur donnerait les moyens de mieux résister et de s’adapter aux conséquences des dégradations environnementales. L’accès à la formation, notamment pour les jeunes femmes, est un enjeu majeur de la réalisation de tels objectifs, de même que l’élimination des discriminations contre les femmes. En conclusion, on constate que les femmes sont faiblement présentes dans l’économie verte. On retrouve en effet les inégalités professionnelles «classiques », les phénomènes de ségrégation (qui n’ont pas disparu) ; les métiers verts n’échappent aux phénomènes traditionnels de ségrégation, inégalités pro au détriment des femmes Prudence, relativiser, nuancer Aucune causalité n’a pu être établie entre la sensibilité supposée des femmes à la protection de l’environnement et leur présence dans les métiers verts intégrant une telle dimension : cela ne signifie nullement un désintérêt des femmes pour les questions d’environnement ou les métiers liés : en premier lieu, parce les représentations et croyances collectives sur les rôles sociaux et les stéréotypes sexués jouent fortement sur l’orientation scolaire, universitaire et professionnelle, participant à l’exclusion/ conduisant à 104 la sous-représentation des filles et des femmes dans les filières scientifiques et techniques auxquelles les emplois verts sont très souvent associés. De plus les femmes s’engageant malgré tout dans ces filières, montrant ainsi la puissance de la volonté individuelle contre les représentations collectives ancrées voire intériorisées/le libre-arbitre et la possibilité d’échapper aux différentes formes de déterminismes,, peuvent une fois dans ce monde professionnel être confrontées à des obstacles générés par les stéréotypes (soit sur leurs capacités) et les habitudes en termes de traitement inégalitaire. Il n’est pas possible de conclure à un désintérêt des femmes pour ces métiers et emplois ; mais il n’est pas possible non plus de déduire de la surreprésentation des hommes dans les professions vertes un intérêt plus fort pour la protection de l’environnement ; cette dimension ne représente souvent qu’une partie des activités et tâches qu’implique l’emploi et il semble impossible de déterminer si l’orientation vers ce métier tenait à l’attrait pour la part environnementale du travail ou non. Cette question relève de considérations plus larges voire philosophiques sur la volonté individuelle, le libre arbitre et les déterminismes (la capacité de jeu, d’indépendance aux normes sociales, à l’éducation) 105 Conclusion Les inégalités de genre et a fortiori/dont les inégalités au travail restent concomitantes constitutives / sont une composante structurante des sociétés actuelles. Les rôles sociaux sont enracinés dans l’ordre social et sont l’objet de représentations et de stéréotypes pérennes qui participent à leur reproduction dans le temps ; ainsi l’entrée durable des femmes sur le marché de l’emploi rémunéré, plus ou moins significative selon les parties du monde, n’a pas remis en cause (les fondements) de la division traditionnelle des activités entre les femmes et les hommes. Les femmes effectuent toujours la majeure partie du travail invisible, c’est-à-dire des obligations domestiques et familiales. L’inégale répartition des tâches dans la sphère familiale pénalise les femmes dans la sphère professionnelle, et favorise ainsi la formation et le maintien d’inégalités professionnelles. Selon la Banque mondiale, la participation des femmes à la population active stagne autour de 55 % dans le monde en 2012. En moyenne, les femmes en emploi ont des revenus inférieurs de 10 à 30 % à ceux des hommes. Par rapport aux hommes, les femmes ont deux fois moins de chances d'obtenir un emploi salarié à plein temps auprès d'un employeur (Banque mondiale, 2014). Dans les pays du Sud et dans une moindre mesure dans les pays du Nord, les femmes sont souvent confrontées à de multiples obstacles pour obtenir et exercer décemment un emploi ; parmi eux, le manque de mobilité, de qualifications, les discriminations légales ou non, l’absence de droits élémentaire et de temps. Dans le contexte de crise environnementale globale, le temps est une ressource qui tend à se raréfier davantage: les femmes, qui consacrent en au moins deux fois plus de temps que les hommes aux tâches familiales, voient cette charge s’accroitre du fait des dégradations environnementales qui impactent la disponibilité des ressources naturelles. L’allongement du temps de travail non rémunéré qui en résulte/qu’elles doivent effectuer a des répercussions multiples en termes d’activité professionnelle, d’éducation, de santé, ce qui tend à dégrader leurs conditions de vie et renforcer/accroitre les inégalités existantes. Pour ces raisons au Sud, et parce qu’elles sont plus souvent en situation économique précaire au Nord en raison notamment de la difficulté à concilier vie professionnelle et vie privée, les femmes sont plus vulnérables face aux risques environnementaux. Elles ont pourtant un impact plus réduit sur l’environnement que les hommes et sont souvent plus sensibles aux questions environnementales et conscientes de la nécessité d’adapter les pratiques individuelles dans le sens du développement durable. Face aux enjeux environnementaux les différences de genre sont nombreuses et leur prise en compte est parfois limitée. 106 Commenté [LP2]: Lien clair entre taches familiales et ressources naturelles ? Pourtant les politiques environnementales et climatiques gagnent en efficacité / effectivité quand elles intègrent à la fois les aspects de genre dans leur contenu et les femmes dans les processus de décision. Mais les inégalités qui touchent les femmes, en particulier au niveau politique limitent cette prise en compte. Les femmes ont un potentiel d’action face aux enjeux environnementaux qui reste inexploité ; c’est notamment le cas au sein de l’économie verte, dont les emplois sont majoritairement exercés par des hommes. Le phénomène de ségrégation des emplois et la persistance des stéréotypes sont de nouveau en cause, mais les emplois verts seraient la solution globale aux enjeux imbriqués d’inégalités de genre et de préservation environnementale. L’environnement est-il ou a-t-il vocation à devenir une affaire de femmes ? cette problématique appelle à une grande vigilance. Il semble que sur le terrain, au quotidien la réponse puisse être positive, alors qu’elle sera négative si l’on se place du côté des processus décisionnels, à quelque niveau que ce soit. Si l’on raisonne en termes d’égalité, l’objectif est que les femmes ne soient pas affectées de manière disproportionnée par les conséquences des changements environnementaux alors même qu’elles en sont relativement moins responsables. En outre, il s’agit de faire valoir leur droit fondamental à intervenir dans les processus de décision qui affectent leur vie. Les femmes doivent avoir les mêmes chances de résister et de s’adapter aux effets des dégradations environnementales exacerbées par le changement climatique, et les mêmes opportunités d’agir pour la préservation de leur milieu. Mais les femmes ne doivent pas porter la responsabilité de la mise en œuvre de pratiques responsables sous prétexte qu’elles effectuent la majeure partie des décisions de consommation d’un foyer du fait de l’inégale répartitiion des tâches dans la sphère familiale. De même, parler de sensibilité particulière, de compétences spécifiques des femmes en matière d’environnement présente un risque d’essentialisme : les femmes seraient naturellement portées à la protection de l’environnement et devraient donc se charger de tout ce qui relève du soin à l’environnement, comme cela se produit pour le soin des personnes dépendantes. Cela présente un risque à la fois pour les femmes, à travers l’entretien des inégalités propres à la division des tâches. C’est aussi une menace à la préservation de l’environnement, nécessité qui pourrait perdre de son urgence politique ou être limité à des politiques visant la sphère domestique et la nécessité de transformation des comportements individuels. Cela pourrait être facteur d’alourdissement des tâches traditionnement dévolues aux femmes, notamment les courses ou les tâches domestiques. De la même manière que la mécanisation a permis aux femmes de consacrer moins de temps à ces travaux, l’engagement écologique et la volonté de revenir à des pratiques les moins polluantes 107 possibles se traduit par une augmentation du temps quotidien nécessaire à la réalisation de ces activités, qui en plus d’être « répétitives et pénibles », sont « particulièrement invisibles » (Lalanne et Lapeyre, 2009). Lalanne et Lapeyre ont ainsi mis en évidence que l’« intensification des tâches domestiques et familiales » lié à l’adoption de pratiques plus responsables n’est pas associée à une remise en question de la division sexuée du travail ;ce sont les femmes qui accomplissent la majeure partie de ces tâches. Cette étude met véritablement en lumière les risques de renforcement de la division sexuelle du travail pour les femmes associés à un engagement écologique prononcé. Il faut donc être très vigilant à ce quue la volonté de protection de l’environnement n’engage pas dans un processus de régression des droits et libertés des femmes, par la création de contraintes impactant les femmes en premier lieu. L’égalité de genre est un objectif fondamental et relève d’un droit humain fondamental. Elle implique autant de droits et d’opportunités pour les femmes que pour les hommes et donc d’une certaine façon, une stratégie de rattrapage des hommes par les femmes. Elle sousentend que les femmes doivent atteindre un niveau matériel de vie similaire à celui des hommes, placant ceux-ci commes modèles auxquels les femmes aspirent. Selon Maria Mies, cette stratégie de rattrapage a des effets en termes de coût écologique. Elle est en fait conditionnée par « la croyance […] qu’un niveau de vie matériel élevé équivaut à une bonne ou une haute qualité de vie » ; or cette croyance est le « support idéologique essentiel pour soutenir et légitimer le modèle de croissance et d’accumulation de la société industrielle moderne », lui-même basé sur le postulat de l’infinitude des ressources de la planète. Ce paradigme économique capitaliste de la croissance illimitée a les conséquences que l’on connait sur l’état de l’environnement, dont la dégradation a déjà des impacts sur la qualité de vie. Selon Mies, le rattrapage est donc à la fois impossible et indésirable, logiquement et matériellement. Il faut remplacer cette approche par intérêt égoiste, risquant à terme l’accélération des perturbations écologiques et le creusement des inégalités entre les femmes par une approche éthique, avec comme objectif la solidarité et l’égalité internationales (Mies, Shiva) 108