Femmes, travail et développement durable : étude des liens entre

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Laura Pinault IEP Toulouse
Femmes, travail et développement durable :
étude des liens entre problématique d’égalité
et enjeux environnementaux
Sous la direction d’Isabelle Guérin
2013-2014
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Introduction
« Au travail, c’est le talent qui compte » : cette expression sert d’intitulé à une
campagne de communication lancée en juillet par le gouvernement français, qui a proclamé
l’année 2014 année de la mixité des métiers. Une plateforme d’action pour la mixité des
métiers ainsi qu’une fondation Egalité-Mixité ont été créées avec l’objectif de fournir
davantage d’opportunités professionnelles aux femmes, qui se concentrent dans un petit
nombre de métiers souvent peu qualifiés, tout en valorisant les métiers les plus féminisés.
Le 19 août a été atteint le « jour du dépassement » : l’expression désigne la date à
laquelle la population mondiale a consommé l’intégralité des ressources que la Terre peut
produire en une année. En d’autres termes, « aujourd’hui, 86% de la population mondiale
vit dans des pays qui demandent plus à la nature que leurs propres écosystèmes peuvent
renouveler » comme l’a déclaré l’ONG WWF (Mounier, 2014). Nous vivons désormais à
crédit.
Quels liens existent entre ces deux enjeux ? C’est ce que se propose d’aborder la
présente étude, dont l’objectif est de croiser les thématiques du développement durable et
des inégalités existant entre hommes et femmes sur le plan du travail. Il s’agira de mettre
en lumière certains des liens qui émergent de leur confrontation et d’analyser les
interactions à l’œuvre.
L’ambition ici est d’appréhender différentes facettes de l’égalité entre hommes et
femmes au travail : cela signifie donc s’attacher à la question des inégalités
professionnelles, c’est-à-dire observables dans le monde du travail rémunéré, mais aussi
aux inégalités à l’œuvre dans les autres formes de travail existantes et notamment le travail
familial et domestique, principalement effectué par les femmes à travers le monde.
D’une manière générale, il faut rappeler que l’égalité entre les sexes est une idée
récente dans l’histoire des sociétés humaines. Elle ne fait d’ailleurs pas l’unanimité dans
toutes les sociétés et tous les pays. Pendant des siècles, l’infériorité des femmes était
considérée comme naturelle, ce qui avait des répercussions sur toute l’organisation de la
société (Ferrand, 2004). En France, il a fallu attendre la Constitution de 1946 pour que le
principe d’égaliet de non-discrimination entre hommes et femmes soit posé et inscrit dans
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la loi
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. Au niveau européen, la Charte des droits fondamentaux de décembre 2000 a
consacré le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et
interdit toute discrimination fondée sur le sexe. Le principe a aussi été consacré comme un
droit au niveau international, par plusieurs textes de l’ONU. L’égalité entre les sexes est
désormais un engagement de la communauté internationale, notamment intégré dans les
Objectifs Millénaires du Développement des Nations-Unies. Selon l’Organisation des
Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’égalité entre les sexes « indique
un état dans lequel femmes et hommes jouissent des mêmes droits, des mêmes possibilités
et des mêmes avantages dans la vie civile et politique » (FAO). L’Organisation défend
cependant l’idée d’équité entre les sexes dans la mesure traiter de la même manière
deux personnes qui sont dans des situations différentes voire inégales peut conduire à
accentuer ces inégalités. En France l’égalité des sexes s’est fondée sur le principe
républicain de l’égalité, c’est-à-dire la dénégation des différences (les individus sont tous
égaux, malgré leurs différences) (Laufer, 2009).
En termes de travail, le droit à l’égalité professionnelle est encore plus récent,
surtout quand on se souvient qu’en France, les femmes ont eu besoin du consentement de
leur mari pour pouvoir exercer une activité professionnelle jusqu’en 1965. Au cours de son
évolution juridique, la notion a fait l’objet de formulations variées, d’égalité de droits à égalité
de traitement puis à égalité des chances. Aujourd’hui, la stratégie pour l’égalité passe par
la logique du « mainstreaming » ou « approche intégrée de l’égalité » prônée par l’Union
Européenne (Laufer, 2009). L’égalité professionnelle est aujourd'hui définie par le Ministère
des Droits des Femmes comme « l’égalité de droits et de chances entre les femmes et les
hommes, notamment en ce qui concerne l’accès à l’emploi, les conditions de travail, la
formation, la qualification, la mobilité, la promotion, l’articulation des temps de vie et la
rémunération » ; elle inclut un objectif de parité et de mixité
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. Nous verrons qu’en dépit d’un
véritable arsenal juridique, les inégalités professionnelles entre hommes et femmes sont
toujours une réalité.
Il est donc question ici des inégalités dans la sphère professionnelle, autrement dit
dans le monde du travail rémunéré. Le travail est toutefois défini comme une « activité
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Le Préambule de la Constitution de 1946 établit que « la loi garantit à la femme dans tous les domaines des
droits égaux à ceux de l’homme ».
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Selon le ministère des droits des femmes, la parité dans une entreprise ou une instance de consultation ou
de décision signifie un même nombre de femmes et d’hommes. Il n’implique pas la mixité, définie comme la
présence de femmes et d’hommes dans un type d’emploi, une même catégorie professionnelle ou un métier.
Selon l’INSEE, un métier est mixte quand il y a une répartition à peu près équilibrée entre hommes et femmes
(dans une fourchette de 40 à 60 % de chaque sexe) (Ministère des Droits des Femmes, « 5 définitions clés »,
2012, (en ligne). Disponible sur : http://www.ega-pro.fr/?page_id=19)
Commenté [LP1]: Faudra en parler en chap 1
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rémunérée ou non, pouvant impliquer un effort par lequel l’homme transforme son
environnement naturel et social » (Echaudemaison et al., 2007). Trois types d’activités
peuvent être distingués : le travail salarié, le travail non salarié, tous deux rémunérés, et le
travail domestique réalisé dans le cadre non familial et non rémunéré (Echaudemaison et
al., 2007). Au niveau mondial, les femmes se retrouvent plus souvent dans les deux
derniers types d’activités, et sont très majoritaires à exercer les tâches domestiques et
familiales. En élargissant la perspective pour prendre en compte l’activité non rémunérée,
on met au jour d’autres inégalités de travail, qui se jouent notamment dans la question de
l’articulation des temps de vie (vie professionnelle, vie familiale, vie sociale...)
La définition du travail donnée ci-dessus appelle à une autre remarque : combinée
à l’étymologie latine du terme
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, le travail évoque une activité pénible visant à transformer la
nature. D’où vient cette idée d’un effort de l’être humain sur la nature, effort qui parait
nécessaire à sa survie, et sans quoi il n’aurait pas lieu d’être ? Cela tient à linadaptation de
l’humain au milieu naturel : « l’homme [est] nu, sans chaussures, sans couverture, sans
armes » (Platon). Si l’espèce humaine a survécu, c’est qu’elle a su, grâce à la technique
utilisée dans le cadre d’un travail, adapter la nature à ses besoins ; et ce, au contraire des
autres espèces, qui sont adaptées à la nature. Ainsi, l’existence des hommes tient à leur
capacité à utiliser les ressources naturelles de leur environnement, qui passe
nécessairement par le travail. L’évolution de la technique a permis de faciliter ce travail,
jusqu’à permettre aux individus d’extraire de plus en plus de ressources pour satisfaire des
besoins toujours croissants. C’est là que se joue la spécificité du rapport des êtres humains
à la nature : un rapport dominant-dominé, d’indépendance et d’exploitation la nature,
désormais simple réserve de matières premières, sert l’homme et ses besoins à l’infini et
sans contrepartie d’aucune sorte. Cette vision est véhiculée par les religions monothéistes
comme dans la philosophie moderne (Descartes, Bacon) : l’homme comme « maitre et
possesseur de la nature » (Descartes).
Or depuis peu, les hommes ont pris conscience que les ressources de la Terre ne
sont pas infinies et que leurs activités ont une incidence potentiellement très néfaste sur
leur environnement, au détriment du maintien équilibres écologiques et de la reconstitution
du patrimoine naturel : érosion des sols, pollutions atmosphériques et aquatiques, atteintes
à la biodiversité, épuisement de certaines ressources non renouvelables et changement
climatique… Face à cette crise écologique due en majeure partie aux conséquences de
l’action de l’homme sur la nature, et qui a d’ores et déjà des conséquences sur le mode de
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Tripaliare, torturer avec le tripalium, instrument formé de trois pieux.
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vie de certaines populations, les défis à relever sont nombreux. Pour appréhender ces
enjeux, plusieurs termes dont de nouvelles notions sont employés parfois indifféremment ;
on parle de nature, mais aussi d’environnement, d’écologie puis de développement
durable…
L’environnement désigne à la fois le proche, ce qui entoure et la nature : il peut être
défini comme une nature socialisée, ‘anthropologisée’ car pensée dans sa relation à
l’homme (Weisbein, 2012).
L’écologie est à l’origine la science des écosystèmes, ayant pour objet les conditions
d’existence des êtres vivants et les interactions que ceux-ci nouent avec leur milieu ; mais
à partir des années 1970, le terme prend une connotation militante et politique, en réaction
avec la société industrielle, et désigne de plus en plus le mouvement de défense du milieu
naturel et de l’environnement.
Le développement durable est à la fois le terme le plus récent et le plus polysémique.
Il est formulé et défini lors de la Commission mondiale sur l’environnement et le
développement humain de 1987, la Commission Brundtland : « le développement durable
est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité
des générations futures de répondre aux leurs ». Cette définition reprend l’idée de Hans
Jonas formulée dans son livre de 1979, Le principe responsabilité : l’homme a les moyens
de destruction de la planète et son action provoque déjà de nombreuses atteintes à
l’environnement, mais il est responsable devant les générations futures et se doit donc
d’empêcher l’aggravation des problèmes environnementaux. La responsabilité s’étend
alors dans le temps, mais aussi dans l’espace : dans un monde globalisé, le développement
durable est un enjeu planétaire et chaque être humain, du Nord comme du Sud a le même
droit aux ressources de la terre. La notion combine d’ailleurs trois dimensions : la
préservation de l’environnement, le progrès social et la viabilité économique. Le
développement durable est donc un développement qui doit pouvoir réduire les inégalités
sociales et préserver l’environnement tout en maintenant les activités économiques de
production et d’échange (Weisbein, 2012 ; Falquet, 2002). Ces trois piliers sont étroitement
imbriqués et interdépendants : les dégradations environnementales ont des conséquences
aggravées sur les populations les plus pauvres. En particulier, les femmes constituent une
population à risque, parce qu’elles sont confrontées à la pauvreté et aux inégalités.
On touche ici au cœur du sujet : l’imbrication entre les enjeux environnementaux et
les inégalités qui touchent les femmes en raison de leur sexe. En partant de la question du
travail, on peut alors se demander si les inégalités de genre en termes de répartition de
travail nentraveraient pas l’action en matière de protection environnementale et la mise en
œuvre de réponses et de solutions efficaces aux problèmes environnementaux. Il semble
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