L’INFILTRATION MAFIEUSE DANS L'ÉCONOMIE LÉGALE
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UN RÉVÉLATEUR DU SYSTÈME ÉCONOMIQUE
Résumé
Par l'assassinat en octobre 2005 de Francesco Fortugno, vice président de la région Calabre, la mafia calabraise, la 'Ndrangheta fait
comprendre au monde qu'elle tue pour l'économie légale et non plus seulement pour des histoires de drogues ou de vendetta.
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Un des pouvoirs mafieux repose sur l'accumulation primitive de capital. Le recyclage des capitaux n'est alors qu'une conséquence de
cette accumulation. La ressource « violence » laisse place à la ressource « surface financière ».
En 2012, le 13ème rapport de SOS entreprise de Confederscenti révèle que « la mafia spa » serait en période de croissance avec un
chiffre d'affaire de 140 milliards d'euros pour un bénéfice de 100 milliards et une réserve de liquide d'environ 65 milliards de
bénéfices.
Le recyclage de l'argent sale est un passage obligé et l'investissement dans l'économie légale peut être trouvé dans l'ADN des
mafias, par les 5 atouts qu'il leur donne, du brouillage des codes aux yeux de la population jusqu'à la diversification des
activités. Deux secteurs retiennent l'attention, la construction et la grande distribution.
La crise joue en faveur de la mafia, car la crise du crédit rend les capitaux mafieux intéressants, au point que la question se pose : et
si le légal produisait maintenant de la mafia ?
En ce jour d'octobre 2005, les Italiens de gauche sont appelés à choisir leur candidat pour les prochaines élections législatives. A Locri dans
le Sud de la Calabre, Francesco Fortugno, vice président de la région, sort du bureau de vote des primaires. Le tueur s'approche et se fait
une place entre un groupe de votants. Froid et calme, il tire d'abord à plusieurs reprises dans le thorax de Francesco. Il s'agit de le faire
tomber pour qu'il n'oppose aucune résistance. Puis, c'est le coup de grâce, plusieurs. Francesco Fortugno, médecin et politicien, vient de
mourir pour avoir mis de l'ordre dans les appels d'offres (1) liés au monde de la santé (2).
Par ce « cadavre exquis », la mafia calabraise vient de faire comprendre au monde qu'elle tue pour l'économie légale et non plus seulement
pour des histoires de drogues ou de vendetta. Par ce coup d'éclat, la 'Ndrangheta vient de se faire connaitre du grand public toujours
concentré sur la Sicile.
Il faut dire qu'en Italie, la mafia n’existerait pas. En revanche, en Sicile, l'organisation mafieuse se nomme Cosa nostra, en Calabre, on
l’appelle la ’Ndrangheta, en Campanie, la Camorra (celle de Gomorra) et dans les Pouilles, la Sacra Corona Unita. Leurs zones d’implantation
historique figurent sur cette carte :
Cliquez pour agrandir / Source : Observatoires Géopolitique des
Drogues (OGD), Atlas mondial des drogues, éditions, Puf, 1996,
p. 78.
Étudier les mafias italiennes confère un avantage certain : l'Italie est le pays de la mafia mais aussi de l'Antimafia, à commencer par
l'existence de sources prolixes. Tout d'abord, l'Italie est une démocratie, un Etat de droit, qui dispose d'une police républicaine, de libertés
publiques, d'une magistrature indépendante, d'une liberté de la presse, de recherches universitaires et d'un système politique pluraliste qui
crée les conditions de la production de sources. Il est possible de consulter chaque semestre sur internet le rapport de la Direction des
Enquêtes antimafias (3).
A cela s'ajoutent les rapports des commissions parlementaires, les livres et la presse. Les décisions des tribunaux sont également une mine
d'informations. En Italie, les procureurs sont nommés par le Conseil supérieur de la magistrature, contrairement à la France condamnée par
la Cour européenne des droits de l'homme pour manque d'indépendance du parquet dont les procureurs sont nommés par le ministre de la
Justice. L'indépendance de la magistrature italienne permet la tenue de procès contre des politiciens complices des mafieux, ce qui donne
une vision claire du phénomène mafieux, au point d'en faire une thèse (4).