AQ E La pratique de la philosophie en communauté de recherche au secondaire
____________________________________________________________________________________
Document préparé par Mathieu Gagnon, en collaboration avec Élisabeth Couture
LA NÉCESSITÉ DE LA TOLÉRANCE SELON ANDRÉ COMTE-SPONVILLE
Selon vous, être tolérant, est-ce tout tolérer? D’après moi, la réponse à cette question devrait
être non si l’on veut que la tolérance soit quelque chose de bien ou de bon. Celui qui tolérerait
le viol, la torture, l’assassinat, faudrait-il le juger bon? Mais si la réponse à cette première
question ne peut être oui, l’argumentation qui nous permet d’y arriver n’est pas sans poser un
certain nombre de problèmes, qui sont de définitions et de limites. La dissertation n’est pas
seulement émettre son opinion. Il faut répondre à la question, bien sûr, mais la réponse tient sa
force des arguments qui la justifient. Philosopher c’est penser sans preuves, mais ce n’est pas
penser n’importe quoi (penser n’importe quoi d’ailleurs ce ne serait plus penser), ni n’importe
comment. En philosophie, c’est notre raison qui commande, comme dans les sciences.
Pourquoi ne pas se contenter, alors, des sciences? Parce qu’on ne le peut pas: elles ne
répondent à aucune des questions essentielles que nous nous posons. La question «Faut-il
faire des mathématiques?» n’est pas susceptible d’une réponse mathématique. La question
«Les sciences sont-elles vraies?» n’est pas susceptible d’une réponse scientifique. Pas plus
que les questions qui portent sur le sens de la vie, l’existence de Dieu ou la valeur de nos
valeurs… En philosophie, il s’agit de penser plus loin qu’on vit, donc plus loin qu’on peut, donc
plus loin qu’on ne sait. Une philosophie est un ensemble d’opinions raisonnables : la chose est
plus difficile et plus nécessaire qu’on ne le croit.
On dira que je m’éloigne de mon sujet (la tolérance). Mais je ne me suis pas tellement éloigné
de la tolérance. Philosopher, disais-je, c’est penser sans preuves ou sans certitudes. C’est là
aussi où la tolérance intervient. Quand la vérité est connue avec certitude, la tolérance ne
s’applique pas. Le comptable qui se trompe dans ses calculs, on ne saurait tolérer qu’il refuse
de les corriger. Aucun scientifique ne demandera qu’on tolère ses erreurs. Qu’en est-il alors de
la tolérance? C’est que celle-ci (la tolérance) n’intervient qu’à défaut de connaissance. Le
problème de la tolérance ne se pose que lorsque nous faisons face à des questions d’opinion.
C’est pourquoi elle doit intervenir si souvent, et presque toujours. Nous ignorons beaucoup plus
de choses que nous n’en savons. Il faut donc s’ouvrir aux autres et à leurs opinions, sans pour
autant tout accepter, ou tout tolérer. Une telle tolérance universelle (tout tolérer) serait bien sûr
moralement condamnable : parce qu’elle oublierait les victimes… Tolérer c’est accepter ce
qu’on pourrait ou voudrait combattre. C’est donc renoncer à une part de son pouvoir, de sa
force, de sa colère… Et à l’opposé, une tolérance universelle serait une tolérance de l’atroce :
atroce tolérance! Poussée à la limite, la tolérance «finirait par se nier elle-même», puisqu’elle
laisserait les mains libres à ceux qui veulent la supprimer. Tolérer l’intolérance c’est tuer la