TRANS-
Revue de littérature générale et comparée
18 | 2014
La référence
Laférence philosophique aux mondes, une mise
en scène de la rité
Marie-Noëlle Doutreix
Electronic version
URL: http://trans.revues.org/1052
DOI: 10.4000/trans.1052
ISSN: 1778-3887
Publisher
Presses Sorbonne Nouvelle
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Marie-Noëlle Doutreix, « La référence philosophique aux mondes, une mise en scène de la vérité »,
TRANS- [Online], 18 | 2014, Online since 22 December 2014, connection on 30 September 2016. URL :
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La référence philosophique aux mondes,
une mise en scène de la vérité
Marie-Noëlle Doutreix
1 Les mondes en philosophie sont à l’image des tories qui s’en saisissent : une multiplicité
de thèses plus ou moins réductibles les unes aux autres que nous pouvons comprendre
comme formant un ensemble pluriel, ou un unique positionnement que nous pouvons
consirer sous un nombre non défini de variantes. Si l’un et le multiple se comprennent
tous deux1, s’agissant de mondes comme de théories, les théories des mondes
résulteraient-elles d’une fausse question ? Peut-être, la référence aux mondes pluriels, en
philosophie, possède-t-elle plutôt une valeur figurative. Le lecteur doit consentir à la
théorie des mondes, que ce soit en un sens littéraire ou ontologique. Se distingue, par
exemple, quelque chose de l’ordre du contrat communicationnel dans la méthode
dialectique platonicienne. À chaque étape, l’assentiment de l’interlocuteur est requis
explicitement, mais celui-ci peut être symbolique ou formel. En outre, ce processus peut
présenter certaines similitudes avec celui des œuvres fictionnelles : pour que celles-ci
fonctionnent, l’adsion du lecteur estcessaire2.
2 Se dégage une première thèse : la théorie des mondes est une sorte de principe
taphysique qui joue le le de cadre de référence. Popper souligne, dans son ouvrage
La connaissance objective, que le réalisme et l’ialisme ne sont des théories ni
montrables ni réfutables3. De la même façon, la théorie des mondes en tant que
principe métaphysique relève d’une argumentation tout en restant conjecturale.
3 L’idée que les cosmologies philosophiques sont « non-sérieuses » résulte ici de l’ambig
des philosophes quant à la question de la pluralité des mondes. C’est dans ce cadre que la
question de la référence cosmologique rejoint celle du pluralisme philosophique. Quel est
alors le mode d’existence des mondes dénotés dans les théories philosophiques ? Cette
question sera posée au regard des théories de Platon, de Karl Popper et de Nelson
Goodman, telles qu’elles apparaissent respectivement dans La République et Tie, dans La
connaissance objective et dans Manières de faire des mondes. La façon de renvoyer aux
mondes détermine leur existence. Nous essaierons ainsi de déterminer comment s’établit
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la référence aux mondes : dans quels contextes théoriques est-elle élaborée et pour
quelles fonctions ? Alors que les trois auteurs exposent des positions tout à fait distinctes
quant au contenu des mondes et à leur fonctionnement, les usages philosophiques qu’ils
en font se ressemblent singulièrement. La seconde thèse est que la manière de référer aux
mondes et la fonction de cette référence leur sont communes, alors même que les
contenus divergent. Si, d’un point de vue pragmatique, les manières sont plus
importantes que les contenus car ce sont elles qui construisent, quelque chose sera dit de
la façon dont la philosophiealise ses théories.
4 Les théories des mondes semblent comporter une part fictionnelle. La troisième thèse est
que la manière philosophique consiste à utiliser l’hypothétique pour construire le vrai.
Les philosophes imaginent et racontent des sysmes théoriques qui confortent
parallèlement leurs propos respectifs sur l’agencement du réel. Nous verrons ainsi que
dans les œuvres de Platon, de Popper et de Goodman, la théorie des mondes permet
d’expliquer, de fonder ou de justifier une certaine conception de la vérité. Platon
veloppe ainsi, sur la base de l’autonomie du monde intelligible, la conception d’une
vérité absolue, éternelle, et surtout indépendante des hommes. Popper, par la distinction
des mondes, affirme quant à lui l’objectivité de la vérité, tout en qualifiant les théories
scientifiques d’hypothétiques. Enfin, Goodman évoque la multiplici des mondes pour
substituer à la rité d’autres valeurs plus pragmatiques telles que la correction et la
justesse.
5 La référence aux mondes semble fonder un système conceptuel qui précisément explique
et légitime cette me référence. Le paradoxe porte sur le fait que la conceptualisation
de la vérité est fondée par la référence à des mondes spécus. Nous essaierons d’en tirer
les conclusions, d’une part quant à la question de la référence fictionnelle, d’autre part
quant à la théorie de la correspondance entre vérité et monde.
La théorie des mondes est une sorte de principe
métaphysique qui joue le rôle de cadre de référence
6 Dans La République, Platon invoque un ordre cosmologique pour justifier sa conception de
la cité idéale. En quoi consiste celle-ci et comment la mobilise-t-il ? Platon distingue un
monde intelligible, monde des Idées, invisible et immuable et un monde sensible, le
monde visible des choses particulières et changeantes4. L’idée de monde sert ici à
marquer la différenciation entre le modèle éternel et ce qui participe de lui. Dans Timée,
le personnage éponyme propose ainsi de commencer sa réflexion sur le Monde en
divisant l’être éternel de « celui qui naît toujours et n’existe jamais5 ». L’intellection et le
raisonnement peuvent apphender le premier alors que c’est de l’opinion jointe à la
sensation irraisonnée que relève le second. Ce qui naît et meurt n’existe jamais
réellement mais, étant réalisé selon un modèle immuable, des choses qui sont nées, le
Monde est la plus belle. Timée avance alors Mais s’il en est ainsi, il est aussi absolument
cessaire que ce Monde-ci soit l’image de quelque autre monde6 ». Quel est le statut
ontologique de ces mondes ?
7 Dans l’œuvre de Platon, la question de la pluralité des mondes peut s’entendre de
plusieurs façons. D’un point de vue métaphysique, il n’y a qu’un Monde dans le sens où il
ne peut y avoir qu’un Tout et que le monde est à l’image de son modèle. Ainsi, s’il y avait
deux mondes il en faudrait nécessairement un autre pour les englober7. Pourtant, il y a
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bien un Monde qui sert de modèle et un autre qui en est la copie, mais seul ce qui est
toujours identique est réel. Le monde mariel est ainsi subsumé. D’un point de vue
ontologique, le monde visible représente l’image de l’être8.
8 L’uni du monde dans la théorie de Platon est indissociable, en tant que cause ou
conquence, de sa conception de la vérité. Le tout est un9, unique et immuable, car il est
cessairement vrai et que le vrai ne saurait être multiple et mouvant. Platon fonde sa
théorie de la connaissance sur l’idée que l’essence, qui est invisible, ne peut être vue que
par l’intelligence. La connaissance consiste à apercevoir l’essence et les choses qui en
participent sans les confondre10. La véritable science est celle de la vraie réalité, celle qui
ne change pas11. La conception de la vérité est ainsi justifiée par la référence
cosmologique. Dans le Livre X de La République, Platon parachève l’exclusion de la poésie
imitative de la cité par des arguments métaphysiques où, dans le Livre III, il invoquait
prédemment des arguments politiques. Aussi, la rérence consiste-t-elle ici à mobiliser
une théorie plus forte, un principe métaphysique, qui représente alors la source ou
l’autorité sur laquelle se fonde la légitimides autres théories.
Façons de référer aux mondes et fonction de la
référence
9 Karl Popper se définit comme un réaliste dans le double sens où il défend la thèse à la fois
de la réalité du monde physique et de la réali du monde des entités théoriques. Aussi
existe-t-il selon lui toutes sortes de alités extrêmement différentes12. Les apparences
forment ainsi une réalité de surface que le sens commun éclairé distingue d’une réalité
plus profonde13. Cependant, contrairement à la théorie platonicienne, même une illusion
est, en tant qu’illusion, une illusion réelle14. Dans Une épistémologie sans sujet connaissant,
Popper développe sa théorie des mondes en défendant l’indépendance de la réalité vis-à-
vis de la subjectivité humaine. Sa thèse porte ainsi sur l’idée que les systèmes théoriques
et les problèmes scientifiques ne sont pas les expressions symboliques ou linguistiques
d’états mentaux subjectifs. C’est-dire qu’ils existent en eux-mêmes, en dehors de
l’esprit de ceux qui les conçoivent. Aussi Popper différencie-t-il trois mondes, le monde 1
correspondant aux corps vivants ou non ; le monde 2 aux vécus conscients ou
inconscients ; le monde 3 aux productions objectives de l’esprit humain. Ce dernier
contient des œuvres, tories, propositions langagières et problèmes philosophiques mais
aussi des tories fausses et des conjectures.
10 Popper considère le monde 3 comme une sorte de troisième monde platonicien qui serait
un produit humain, autonome du point de vue de son statut ontologique15. Il est ainsi
possible de contribuer au développement du monde 3 mais celui-ci possède son propre
mode d’existence. Popper interprète la théorie platonicienne comme une ouverture
sérieuse vers un pluralisme philosophique, dans lequel se distingueraient trois sortes
d’états ou d’énements16. Selon lui, Platon a découvert le monde 3, et l’a théorisé pour
son pouvoir explicatif.17 Les théories des mondes seraient-elles des hypothèses ad hoc,
ajoutées aux théories pour expliquer les manquements de celles-ci ? Popper critique les
explications ad hoc car elles ne sont pas testables indépendamment de l’effet à expliquer18.
Il existe une forme de circularité dans les hypothèses ad hoc, particulièrement lorsque la
seule preuve de l’explication est l’état de chose à expliquer. Bien que Popper reconnaisse
que le réalisme est une question taphysique non rifiable et non réfutable, les
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mondes 1, 2 et 3 semblent fonctionner comme une hypotse ad hoc du réalisme
poppérien.
Une manière philosophique qui consiste à s’appuyer
sur l’hypothétique pour construire le vrai
11 Nelson Goodman interroge la multiplicité des mondes au regard de la multiplici des
vérités19. Néanmoins, la distinction entre le vrai et le faux ne correspond pas à celle entre
les versions du monde correctes et incorrectes. Les sciences et les arts participent au
me titre à la création de mondes et utilisent des procédés communs. Ainsi, le
scientifique ajuste la vérité à sa mesure. Il décrète en découvrant, dessine en discernant20.
De plus, la véri ne constitue pas une notion satisfaisante pour évaluer les mondes car
ceux-ci ne consistent pas uniquement en propositions verbales. Goodman analyse les
fonctions référentielles sans les hiérarchiser. Montrer et exemplifier peuvent être aussi
importants que dénoter verbalement. De même, la vérité métaphorique acquiert sa valeur
propre, indépendamment de larité littérale.
12 Le rôle joué par ces différentes catégories dans la pene scientifique est affirmé par
Goodman. Aussi peut-on également les consirer au regard de la pensée philosophique.
La férence aux mondes peut-elle être envisagée en tant que processus fictionnel ?
Goodman souligne que les mondes sont faits en créant des versions à partir de symboles,
mais les multiples mondes autorisés dans sa théorie sont réalisés à partir de versions
correctes et correspondent exactement aux mondes réels21. Est discernable ici le rôle
taphysique joué par les théories des mondes. Pourtant, Goodman affirme ne pas
soutenir l’existence d’une pluralité de mondes, ni même d’un seul22. Peut-être la question
de l’un et du multiple se dissout-elle en étant assimilée à une manière d’appréhender. En
effet, il est possible de considérer, ou non, que les différentes versions créées s’appliquent
au même monde.
La question de la référence fictionnelle
13 À travers Timée, Platon questionne son affirmation d’un unique univers23 mais clôt ainsi
la question Toutefois, en ce qui nous concerne, le Dieu nous fait signe, semble-t-il, que
vraisemblablement un Monde unique est né ». Est-ce à dire que la théorie cosmologique
n’est qu’une question de point de vue ? Cela semble être sug Pourtant, peut-être un
autre observateur, tenant compte d’autres faits, en jugera-t-il différemment ». La théorie
des mondes étant ce qui supporte celles de la vérité et de la connaissance, la vérité
philosophique serait-elle, comme la fiction littéraire, un récit ?
14 Si les théories des mondes constituent une sorte de récit philosophique, comment ceux-ci
opèrent-ils ? À travers des processus référentiels, les œuvres de fiction, notamment en
littérature, jouent un le déterminant dans la construction du monde24. Cependant,
comme le constate Bertrand Russell, une proposition peut être notante alors même
qu’elle ne dénote rien25. Dans quel sens les versions qui ne réfèrent à rien peuvent-elles
participer à l’élaboration du monde ? Cette question concerne à la fois les cas l’objet
noté n’existe pas mais également les cas où l’œuvre symbolise autrement que par la
notation littérale.
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